L'humour d'Alexandre Weill
par Joë FRIEDEMANN
Extrait de la revue Humoresques , Paris VIII, janvier 2004

Si pour Alexandre Weill, la conviction d'être un élu dans le domaine de l'esprit avait rang d'évidence, nombreux furent ceux qui lui contestèrent ce privilège. Son orgueil un peu naïf, sa rude franchise, un caractère farouchement indépendant, une prolixité qu'accompagnait un fort accent germanique firent de lui, aux yeux des parisiens volontiers moqueurs, un personnage quelque peu excentrique.
De là, parmi d'autres, une question qu'on ne peut manquer de soulever, celle des attaches de cet auteur « hors cadre » avec le rirehumour de certains de ses textes ; ironie virtuelle des lecteurs à son égard ; mais aussi recul rieur - ou son absence - de l'écrivain par rapport à sa propre pensée et à son oeuvre .
Alexandre Weill est un homo duplex. D'un côté, conteur souvent plein d'élan, de fantaisie et de panache, ayant le don des formules saisissantes et du paradoxe, iconoclaste patenté, l'écrivain a des aspects comiques indiscutables. Mais à l'inverse aussi, et à l'instar de bon nombre de faiseurs de systèmes, Alexandre Weill se montre à ce point narcissiquement imbu de la mission pour laquelle il est sûr d'avoir été désigné, qu'il semble réunir sur sa personne tous les caractères de l'anti-humoriste.
C'est cette ambiguïté d'une existence au quotidien, associée à une pensée utopique, à la fois ouverte et fermée au rire, que l'on se propose de mettre en relief ici.

1. Entre humour et esprit

A) La chose, en effet, ne laisse pas de surprendre … Si, en un premier temps, la démarche, celle de faire rire le lecteur, suscite les réserves de l'écrivain lui-même – embrasser la carrière des lettres, n'est-ce pas avant tout, s'engager dans le sérieux ? -- les Mémoires de Weill se présentent, de prime abord, sous des dehors humoristiques. L'ambivalence du phénomène rieur en rapport avec l'écriture, est soulignée dès la préface à Ma Jeunesse :
Plus d'une fois, raconte Alexandre Weill, quand, au dessert, au choc des verres et des anecdotes, je contais un épisode de mon enfance ou de mon adolescence, on me disait : mais, vous devriez écrire l'histoire de votre jeunesse. Ce serait amusant, drôle, original ! … Amusant, drôle, répondis-je. Et croyez-vous que ce soit là, la mission d'un écrivain ? (1)

La perspective d'un auteur qui se raconte et l'attente du lecteur ne fusionnent pas forcément. Réagissant le plus souvent spontanément, voire de manière superficielle, le lecteur cherche dans les réalités concrètes et les souvenirs, matière à rire et divertissement. Avec le recul de l'écriture et la distanciation, le contexte événementiel qui, par le passé, a pu frôler le tragique, perd de sa gravité. De ce fait, dédramatisé et envisagé sous un angle double, le réel deviendra spectacle. ... Des avatars de la vie quotidienne ou familiale, aux aventures picaresques de la jeunesse de l'écrivain, rattachées à sa quête puis à son abandon des voies de la sainteté juive; en passant par ses amours et ses rencontres avec les grands noms du monde des lettres parisiennes… le sourire et l'humour surgissent presque à chaque page du récit weillien. A titre d'exemple, l'anecdote suivante, choisie presque au hasard au début des Mémoires :

Mon père, ayant vu ma mère à une noce, la demanda en mariage. La jeune fille refusa d'abord, ne pouvant se décider à troquer la communauté juive aristocratique de Bischheim, contre un trou comme Schirhof, véritable repaire de maquignons, de ménétriers et de bûcherons. Elle ne céda aux sollicitations ardentes et réitérées de mon père, qu'à condition qu'il laisserait la dot à sa mère remariée. Amoureux, fort de son courage, mon père consentit à tout, enleva ma mère le matin à Bischheim, se maria dans un village près de Haguenau, paya le rabbin, le cuisinier, les musiciens et rentra, le soir même, avec sa bien-aimée femme à Schirhof, n'ayant plus, pour toute fortune, que 3 fr. 60 centimes. Ce qui ne l'empêcha pas d'acheter une maison, valant 800 francs, et de la payer au bout de trois ans. L'histoire des 3 fr. 60 m'a été contée plus de cents fois ; elle est délicieuse. Mais ce qui l'est moins, c'est que ma mère, à l'aspect du village, ayant énoncé un gros regret, suivi d'un gros sanglot, reçut un gros soufflet en pleine figure, et dans l'espoir de retourner à Bischheim, le lendemain, elle se barricada dans la maison d'une amie, afin d'empêcher son trop irascible mari de parvenir jusqu'à elle. Il fallut que mon père l'enlevât une seconde fois, à cinq heures du matin. Jamais ma mère n'a pardonné ce soufflet. Quarante ans après cette nuit, je l'ai encore entendue dans une querelle s'écrier : « O le manant ! il ne m'a jamais aimée. Il m'a donné un soufflet, le soir même de ma noce ! » Ce à quoi mon père répondit : « Et c'en était un fameux, et tu l'avais f… bien mérité ! » (2)

Il s'agit là indubitablement d'un humour de bon aloi … Un humour qui déviera cependant vers l'ironie, voire le sarcasme, dès que, délaissant l'aspect anecdotique, l'écrivain entame une critique des idéologies religieuses, politiques, sociales et littéraires de son époque. Comme pour Charles Fourier, qui a recours à l'ironie pour dénigrer les subtilités philosophiques et les moeurs bourgeoises du temps, la raillerie constitue chez Alexandre Weill un exutoire privilégié dans son parcours spirituel. L'anodin du récit fait place au tendancieux et à la disqualification idéologique …

Un second passage, extrait des Mémoires précitées, prend pour cible l'enseignement de certains rabbins d'Alsace, au début du 19e siècle :
Au bout de quinze jours, je m'aperçus que la soi-disant science de Reb Angel n'était pas sans mélange de mondanisme.
Le matin en commençant son cours, il retroussait ses manches comme un boucher, ouvrait larges les croisées et se mettait à réciter le texte sacré, à haute voix, en gesticulant, en vociférant ; on eût dit un homme mordu par la tarentule. Le tout, pour avoir l'air d'un homme étudiant à la sueur de son front, car dans le Talmud, il est écrit « A la sueur de ton visage, tu mangeras ton pain » ; pain, cela veut dire « étude sacrée. » Cela d'ailleurs ne seyait pas mal aux yeux des passants juifs et chrétiens.
Le soir, il réunissait l'élite de la commune chez lui, pour la prière. Puis mettant son tricorne, vêtu d'une longue soutane, couleur puce, sans ceinture, il apportait le grand folio du Zohar, livre cabalistique, écrit en araméen et l'ouvrait avec fracas. Klotz et moi, debout à ses côtés, nous tenions chacun un long cierge à la main. Puis le rabbi, fourrant ses deux mains dans sa longue barbe, se dandinant comme un derviche trembleur, récitait en chantonnant et à haute voix, le texte araméen. A le voir ainsi, on eût dit qu'il tenait le bon Dieu par les pieds, et qu'à sa voix, les anges descendaient du ciel pour exécuter ses ordres.
Les fidèles l'écoutaient dans un saint recueillement, bien entendu sans comprendre un seul mot de ce qu'il disait. Je suis certain aujourd'hui que lui-même n'en comprenait pas plus que ses auditeurs. (3)

Alphonse Lévy : LE POSSENREISSER ET SON CHEVAL. Illustration pour le conte de Sacher Masoch Le repas des élus. Adolphe Tigersohn, le Possenreisser (bouffon officiel) de la commune juive de Lindenberg avait fait le pari de montrer un cheval ayant autant d'yeux qu'on compte de jours dans l'année. Il présenta solennellement un cheval pareil à tous les autres... on était le 2 janvier !
B) Outre l'humour et l'ironie sur fond de souvenirs, dont on pourrait multiplier les exemples, l'auteur s'est essayé également au « discours d'autorité » : maximes, apophtegmes, aphorismes en tous genres de caractère argumentatif . Un grand nombre de ces pensées revêtent une forme ludique. Pascal, La Bruyère, La Rochefoucault, Chamfort, Vauvenargues … Alexandre Weill, à l'évidence, a de qui tenir. Durant plus de cinquante ans, à ses dires, il rassemblera pêle-mêle, chez les grands écrivains, tout ce qui lui paraissait exprimer à la fois vérités générales et traits d'esprit. Ainsi, parmi les auteurs ayant exercé sur lui une influence déterminante, il faut citer ceux dont il relèvera, avec délice, la verve moqueuse : Voltaire à la « majestueuse ironie » (4) ; Ludwig Boerne dont il dit qu'il avait « l'ironie cinglante » de Pascal (5) ; son ami, le poète Henri Heine, « au regard pétillant d'esprit » et « au sourire sardonique » (6) ... Et à la place d'honneur, nonobstant l'opposition de l'écrivain à l'orthodoxie religieuse, les Proverbes de Salomon et des adages tirés du Talmud et de la littérature rabbinique (7).

Malgré des redites regrettables et des truismes frisant parfois la platitude - plusieurs de ses prédécesseurs n'en ont certes pas été exempts - l'introduction à L'Esprit de l'esprit, le principal ouvrage de Weill en la matière, traduit une pensée à la recherche d'une notion que l'on sait particulièrement malaisée à élucider : celle de l'esprit qui, pris sous l'angle de la vivacité et de la finesse, peut être rapproché, en un certain sens, du wit anglais et du witz allemand. D'autres se sont employés à clarifier ce concept auquel Freud consacrera un livre qui fera date (8). Dans sa démarche, Weill donne plus d'une fois, l'impression d'hésiter. Procédant par tâtonnements, il éprouve des difficultés à distinguer entre l'esprit, au sens large, et le mot d'esprit, au signifié plus restreint … On se limitera ici, à un exposé descriptif de ce qui paraît être l'essentiel de sa réflexion en ce domaine :

Ceci, en un premier temps et dans le domaine des généralités … Les choses s'éclairciront davantage, quand Weill se référera de manière plus spécifique au mot d'esprit et à ses supports, le rire et l'humour. A l'infrastructure précédente, aux contours un peu lâches, il ajoute quelques éléments soulignant la nuance morale qu'il désire donner à sa définition :
2. Le mot d'esprit weillien

Weill a publié plusieurs ouvrages de sentences diverses : une traduction des pensées de Ludovic Boerne ; une compilation, Fleurs d'esprit et de sagesse des rabbins ; et, cité précédemment, L'Esprit de l'esprit, composé de maximes, la plupart originales, fruit de réflexions, de notations personnelles et de remarques fondées sur l'expérience (9). Les pensées de ce dernier recueil, qui nous intéressent au premier chef, ne sauraient toutes être classées parmi les mots d'esprit. Si certaines sont empreintes de moralisme, et de ce fait, sans caractère ludique particulier, d'autres par contre, franchement humoristiques, trouveront assurément des connaisseurs pour les apprécier.
A les lire, on découvre un Alexandre Weill lucide, avec juste ce qu'il faut de scepticisme, de caractère subversif et d'ironie à l'égard des défauts les plus criants de l'humaine nature. Quand il évoque la bêtise, la sagesse, les hommes de lettres, certains traits féminins ou masculins, c'est au ridicule, aux apparences et aux préjugés qu'il s'en prend tout particulièrement. Ci-dessous, quelques exemples caractéristiques que nous avons regroupés autour de plusieurs thèmes principaux :

La Bêtise :
Raison et Sagesse :
L' Écriture :
Les Religions :
Les Femmes :
3. De l'esprit de sérieux à la non-conscience comique

Dans ce même recueil, L'Esprit de l'esprit, Alexandre Weill affirmera d'autre part en parlant de lui-même : « Je ne suis pas assez effronté pour être modeste. » L'assertion nous fournit peut-être une des clefs de la personnalité de l'écrivain : un certain côté-cours rieur de son caractère, faisant face à un côté-jardin, dénué de tout penchant à l'humour.

Cet aspect double du caractère weillien est sans doute surprenant, mais d'autres esprits chimériques le partageront avec lui. Au delà de l'humour naturel décelable dans les écrits de certains utopistes, en effet, il y a chez ce genre de personnages, preuve a contrario, une composante paranoïaque, narcissique, un « esprit de sérieux », d'où toute note comique est évacuée. En effet, pour imaginer que de soi puissent dater l'accomplissement de la vérité universelle et la réforme de l'humanité, pour se croire en toute bonne foi, prophète ou messie, il ne faut plus avoir une conscience nette des limites de son Moi. A titre d'exemples, et parmi les plus connus au 19e siècle : Saint-Simon, obsédé par l'idée d'apporter le salut au monde, allait voir en vision Charlemagne qui lui prédira que sa célébrité, en tant que philosophe social, égalerait la sienne, comme conquérant et souverain ; son disciple, Enfantin, se croira le fondateur d'une religion nouvelle ; Fourier, dans La Théorie des quatre mouvements, et sa théorie de l'harmonie universelle, ne fera pas preuve de plus de modestie.

Ni échec ni sens du ridicule ne devaient rebuter aucun de ces prophètes. Chez tous les réformateurs, l'utopie apparaît comme un essai de promouvoir la nécessité du livre nouveau ou du livre total. Alexandre Weill empruntera une voie à la fois identique et originale. Son objet, on le sait, est de susciter une révision essentielle, non orthodoxe, de la compréhension que les hommes devraient avoir des écrits et de la tradition bibliques. Conscient du non-conformisme de sa pensée, Weill se sent investi d'une mission divine impérieuse : « vendre de l'esprit et de la morale », prêcher la bonne parole, partir en guerre contre l'erreur … La vraie religion de Moïse doit être ressuscitée « dans toute sa splendeur yéhoviste », le faux Judaïsme effacé, ainsi que le Christianisme qui en émane, dans une entreprise de régénération religieuse, « dans la voie lumineuse de la Loi ».

Il y a sept ans, j'ai publié ce livre sous le titre : La Parole Nouvelle … je le relis souvent moi-même ; il me sert de guide et de base à tout ce que je pense et ce que j'écris (…) c'est le livre de ma vie. C'est pour l'écrire que j'ai été créé. Il détruit non seulement toutes les erreurs de la superstition et de l'incrédulité, du surnaturalisme et de l'athéisme, mais encore il pose sur une base inébranlable les assises solides et logiques de La Religion Nouvelle de l'avenir. C'est la seule parole Nouvelle et Vraie qui ait été dite à l'humanité depuis le Décalogue du Sinaï (10).

Bref, et de manière encore plus lapidaire :

Depuis Moïse, Josué, Samuel, Isaïe, Amos et Jésus, il n'y a pas eu, il ne pouvait pas y avoir un juif comme moi » (11).
Excusez du peu ! L'outrecuidance est sans égale de la part d'un écrivain, déclarant d'autre part, à qui veut l'entendre, qu'en lui ne subsiste aucune trace d'orgueil ou de vanité !... Toujours est-il que l'œuvre fourmille de passages prouvant que la prise au sérieux du Moi par l'inconscient a spolié Alexandre Weill d'une bonne partie de son humour. L'échelle des valeurs opposées, rire-gravité est, à l'évidence, totalement inversée.

La vérité, pour celui qui a foi en elle, constitue une ancre d'une solidité à toute épreuve. Le rire, expression de liberté et de doute, ne saurait, de ce fait, s'ajuster à l'absolu de la croyance. A la limite, il ne peut y avoir d'expression rieuse acceptée et acceptable par le dévot ou le fanatique : on ne se moque pas d'une certitude, d'un postulat à fondement idéologique, d'une adhésion à une conviction religieuse ou métaphysique. Rien n'est plus malvenu. Rire d'une vérité, c'est rire de l'identité de son adepte, c'est mettre le Moi de ce dernier en question. C'est en quelque sorte le nier au plan essentiel. En pareil cas, essence de la croyance et existence du croyant se confondent. Celui qui rit de ce dernier, dit en quelque sorte : « Le Dieu (ou l'idéologie) que tu prônes n'étant pas, tu n'es pas celui que tu prétends ou voudrais être ». L'aphorisme rapporté par Baudelaire, et qui peut venir à l'esprit dans ce contexte, « le sage ne rit qu'en tremblant », constitue un axiome sur lequel, on le sait, le poète échafaudera une partie de sa démonstration concernant le rire d'origine satanique.

Mais le problème ne s'arrête pas là … Car, si au regard du métaphysicien ou de l'utopiste, le rire d'un interlocuteur de bonne compagnie s'avère difficilement recevable - ce scrupule ne semble pas avoir effleuré Voltaire, s'attaquant dans Candide à la Théodicée de Leibnitz - il reste que l'excès de sérieux du « rêveur » porte en soi une charge comique, provenant de la bissociation du message délivré et de la posture adoptée par son destinataire. Entre la déraison (ou pseudo-déraison) de l'un et la référence à la raison (ou pseudo-raison) de l'autre, il y a un écart que vient combler le rire. Le rire se situe, dans ce cas, du côté de la raison de celui qui réfléchit comme tout esprit logique se doit de le faire. Le rire rejoint alors le camp des bien-pensants, mais peut-être, aussi le parti d'un certain conformisme aux valeurs et aux croyances traditionnelles. Cette attitude, considérant que tout ce qui ne s'ajuste pas à « la bonne manière de penser », devient par là-même ridicule, donc dérisoirement comique.

En la matière, Alexandre Weill, il faut le dire, a fourni à son entourage et à la postérité, de bonnes raisons de le railler. A la réserve, pourtant, que nombre de ces raisons sont à rechercher davantage dans la forme qu'il communique à ses idées que dans le fond… Moins hanté par la contemplation de soi et de ses théories, moins sujet également aux palinodies idéologiques et aux redites, Weill serait peut-être devenu un penseur, utopiste sans doute, mais non dénué de profondeur. Si sa quête réservant une place de choix à la philosophie, à la religion, à l'a priori de la raison et de l'éthique ; si sa critique du judaïsme et du christianisme, son néo-classicisme, sa censure politique, sociale et littéraire s'étaient accompagnés d'une réflexion plus nuancée, d'une attitude moins narcissique, d'un langage plus mesuré, ses idées auraient pu bénéficié d'une crédibilité accrue.
Un fait est certain : rattacher sa réflexion, comme l'a fait Weill, à plusieurs idées fixes, accompagnées de déclarations auto-satisfaites, ne devait guère être propice au développement d'une pensée à orientation rieuse. Entre l'esprit de sérieux et la non conscience d'un certain ridicule, il n'y a peut être qu'un hiatus virtuel.

Faut-il, malgré tout, classer Alexandre Weill, parmi les auteurs rieurs ? Sans doute, mais, on l'aura compris, avec plus d'une réserve ! Car, comme nombre d' écrivains, Weill a un défaut majeur, celui de perdre tout sens de l' humour, dès que ses œuvres, donc son Moi, lui semblent mis en question
De par sa complicité, sa solidarité avec l'humaine condition, l'humoriste authentique, loin de s'exclure de son rire, qui censure l'être en tant qu'être, se conteste lui-même, autant qu'il conteste autrui.
L'humoriste sous réserve, par contre, baisse la jauge d'un cran : il sort des rangs, en feignant, ou en prétendant de bonne foi s'y intégrer. Faire de l'humour, dans ce cas, serait rire, mais d'une certaine manière, du bout des lèvres. L'esprit de gravité, l'égotisme, la contemplation de soi faisant le guet, l'humoriste en puissance s'arrête en chemin. C'est là une manière élégante de tirer son épingle du jeu : « Le fait, laisse t-il entendre, de critiquer en toute lucidité les défauts humains excuse mes éventuelles faiblesses. Ce rire, donc, ne me concerne pas vraiment ! »
Le rire de soi avec, pour ou contre autrui, s'oppose à l'esprit de sérieux anti-humoristique … Pourrait-on parler, dans ce cas, d'un endroit altruiste et d'un envers égoïste de l'humour ?

Notes
  1. Alexandre Weill, Ma jeunesse, mon enfance, Paris, Dentu, 1870.    Retour au texte.
  2. Ibid., p. 23-24.    Retour au texte.
  3. A.W., Ma jeunesse, p.163.    Retour au texte.
  4. A.W. L’Esprit de l’esprit, Paris, Dentu, 1888, p.155.    Retour au texte.
  5. A.W. Ludovic Boerne, sa vie , sa mort, ses écrits… et ses pensées, Paris, Dentu,1878, p.3. Publiciste allemand (1786-1837), Ludwig Boerne, converti au christianisme, vint à Paris en 1822. Il fit partie avec Heine du groupe « Jeune Allemagne ». Observateur minutieux de la vie parisienne, il s’est montré par moments précurseur du socialisme, tout en restant attaché aux principes du libéralisme bourgeois.    Retour au texte.
  6. A.W. Souvenirs intimes de Henri Heine, Paris, Dentu, 1883, p.37-38.    Retour au texte.
  7. A.W. Fleurs d’esprit et de sagesse des rabbins, Paris, Dentu, 1885.    Retour au texte.
  8. Sigmund Freud, Le Mot d’esprit et sa relation à l’inconscient, Paris, Gallimard, 1988.    Retour au texte.
  9. La question de l’originalité demanderait à être examinée de plus près. Ce n’est pas notre propos ici.    Retour au texte.
  10. A.W., La Parole Nouvelle, Paris, Dentu, 1872, p. V-VI.    Retour au texte.
  11. A.W. Code d’Alexandre Weill, Paris, Sauvaitre, 1894, p. IX.    Retour au texte.

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