Etains et faïences sur la table des Juifs d’Alsace
au rythme des fêtes
Martine Weyl


1. La fête de Pessa’h

Plats de Séder en étain (1)

Un des très rares métiers artisanaux qu'un Juif pouvait pratiquer était celui de
graveur de sceaux.
Les Juifs y excellaient au point que des cours souveraines ou les magistrats
des villes n'hésitaient pas à leur confier du travail. On voudra bien convenir
que la gravure d'un sceau est infiniment plus délicate que celle d'un plat de
seder, bien que les techniques et les instruments soient pratiquement les
mêmes. Il eût été surprenant que des juifs confient à des chrétiens le soin de
décorer leurs plats de seder ou leurs assiettes de Pourim.

Il est très difficile de déterminer l'origine et l'antiquité d'une telle gravure.
Des artistes alsaciens ont pu graver des plats de Nuremberg, et d'autres de
Nuremberg des plats fondus à Strasbourg.

Un plat du 17ème ou du 18ème siècle a pu être décoré au 19ème siècle,
ou plus récemment encore.

Une grande partie des assiettes et des plats présentés ici fait partie de la
collection de la Société d'Histoire des Israélites d'Alsace et de Lorraine.
Ils furent offerts à la Société par des familles juives d'Alsace, au début du
20ème siècle, à une époque où l'abondance de ces objets était assez grande,
et leur prix assez peu élevé pour ne pas susciter des imitations.


Plat de Séder en étain - dessin à la plume Martine Weyl

Pessa’h est la fête de famille par excellence. Réunis autour de la table familiale, les juifs se souviennent de leur servitude en Egypte, et des miracles accomplis par l'Eternel pour les délivrer. L'ordre de la cérémonie (Séder) est minutieusement décrit dans un petit livre, la Hagada, et consiste essentiellement en un récit, entrecoupé de louanges, d'actions de grâce et de psaumes, mais aussi de quelques gestes symboliques. Et c'est pour accomplir ces gestes que l'on a disposé le plat du "Séder" au milieu de la table.

Sur le plat du Séder, généralement en étain richement décoré, on place d'abord trois pains azymes, trois matsoth, séparés par des napperons, puis un certain nombre d'objets, fixés par la tradition, ayant chacun la valeur d'un symbole.
Un vase avec du persil, et un autre rempli de vinaigre ou d'eau salée, de la laitue et une racine de raifort. Ces herbes amères rappellent l'amertume de l'esclavage. Une coupe, parfois une brouette d'argent chargée du 'harosset, masse ayant la consistance et la couleur de la terre glaise, faite de pommes râpées, d'amandes de cannelle et de vin, évoque l’argile dont les hébreux faisaient les briques pour pharaon. Un os garni de viande rôti au feu, représente l'agneau pascal, et enfin un œuf dur, symbole de deuil et d'espérance.

Le plat du Séder a permis au talent
et à l'imagination de petits artisans
de s'exercer.
Beaucoup de plats deSéder présentent
en leur centre le même sujet, traité d'une
manière absolument identique, ce qui
pourrait faire croire à l'existence d'un
atelier important, diffusant sa production
dans de nombreuses régions.
En fait, un même modèle a pu inspirer de
nombreux artisans.
En l'occurrence, il s'agit d'un bois gravé
de la célèbre Hagada d'Offenbach.

le centre des plats de Séder

Bois gravé,. Hagada d'Offenbach, 1800

 


Plat de Séder datant de 1790 - M.Weyl

Au centre, autour de la table du Séder, la famille, six personnes, est réunie.
Au dessus de la table, la lampe à quatre feux. De part et d'autre, des rideaux
ferment le décor. Ce décor central est entouré d'une première bande illustrée.
Au milieu, un écu soutenu par deux lions, puis Adam et Eve, le sacrifice d'Isaac,
Moïse, le chandelier à sept branches, l'arche de Noé, les explorateurs avec
la grappe.

Sur le marli, les initiales I.I.E. et la date 1790. Enfin les thèmes principaux du
Séder : Pessa'h, Matsa, Maror, Carpass, Ya'hats, Korekh, Magid, Barekh et
enfin Hallel, le mot encadré de deux anges. Au dos la marque du fondeur d'étain.

C'est le personnage de Moïse qui mérite toute notre attention pour certains
détails significatifs. Il est représenté portant non pas les Tables de la Loi, comme
un chrétien l'aurait probablement montré, mais un Sefer Tora sur son épaule.
De sa main droite, il lève son bâton vers le ciel. Il nous semble que seul un artiste
juif pouvait l'imaginer et le représenter ainsi.

Services de table en faïence

A côté de la vaisselle en étain on trouve
également des services en faïence.
Ainsi cet ensemble de vaisselle daté
du début 19ème siècle, provenant de
diverses manufactures de l’Est, à décor
bleu, que l’on utilisait pendant les jours
de Pessa'h.

On trouve aussi une assiette faisant partie
d'un service de table pour les huit jours de
Pessa'h, exécuté pour une famille juive par
la :anufacture des Islettes.
En son centre : un bouquet de roses finement
exécuté. Tout autour, les noms des époux,
Méir
et Keila, ainsi que le mot Pessa'h figurent
sur le marli (vers 1750-1760).

Vaisselle de Pessa'h provenant de diverses manufactures de l’Est.
Début du 19e, Musée Lorrain Nancy. Dessin à la plume Martine Weyl

Assiette de Pessa'h. Les Islettes. 18e siècle.
Reproduction à la gouache Martine Weyl

2. La fête de Pourim

Plats et assiettes en étain


Plat ovale de Pourim en étain - dessin à la plume Martine Weyl
Au centre deux poissons croisés et deux oiseaux. Sur le marli les lettres F.I.B.

Chaque famille juive d'Alsace avait son plat de seder, pièce centrale de la
célébration de la Pâque juive. Elle avait parfois aussi des assiettes et des
plats de Pourim. Pourim est la fête qui célèbre la merveilleuse délivrance
des Juifs à l'époque d'Assuérus.

Pour commémorer l'événement, les Juifs, suivant à la lettre les instructions
de Mardochée, se réjouissent et se font des présents appelés Shlah mones,
car il est écrit : "ou-mishloah manoth ish le-reehu u-matanoth la-evyonim",
"on s'envoie des présents les uns aux autres, et l'on distribue des dons aux
pauvres" (Esther 9:22). Ce sont souvent de simples gâteaux que l'on présente
sur des assiettes ou des plats spécialement décorés.

L'artiste graveur choisit généralement un thème en rapport avec la fête,
par exemple le triomphe de Mardochée, ou bien un décor de poissons,
Pourim étant fêté au mois de Adar, et ce mois est placé sous le signe des
Poissons.

A côté de ces plats richement décorés, on trouvait des étains beaucoup plus modestes
faisant partie de la vaisselle ordinaire.

L'interdiction trois fois répétée dans la Torah de cuire le chevreau dans le lait de sa mère
(Exode 23:19 et 34:26 ; Deut. 14:21) conduit la femme juive à posséder plusieurs
vaisselles : la "Milchtig" pour les repas dans lesquels entraient le lait et ses dérivés,
la "Fleichtig" pour les repas avec viande.

A celles-ci s'ajoute la vaisselle utilisée pour les huit jours de Pessa'h, qui comportait
naturellement la même distinction entre aliments carnés et de laitages. Pour éviter
les confusions, on prit l'habitude de marquer la vaisselle, d'un ב pour bassar, "viande",
ou d'un ח pour 'halav, "lait".

Plat ovale de Pourim en étain - dessin à la plume M. Weyl. Au centre deux poissons
serpentiformes et un animal fantastique la gueule grande ouverte, ailé, avec griffes
et cornes et une queue de scorpion.

Des services de table entiers en faïence

Pour une clientèle juive aisée, les manufactures de Niederwiller, des Islettes et de Saint-Clément créèrent des services de table entiers.

Le plus beau de ces services est certainement celui qui sortit de la Faïencerie de "Les Islettes" en Lorraine, et qui représente Aman, à pieds, conduisant par la bride le coursier royal chevauché par Mardochée, revêtu des vêtements royaux, sceptre à la main, et l'inscription : "C'est ainsi qu'est traité l'homme que le roi veut honorer" (Esther 6:9). Sur le marli on peut lire : "d'envoyer des présents l'un à l'autre et des dons aux pauvres" (Esther 9:22). Sous les personnages les noms : Mardochée et Aman.
Les mêmes motifs sont repris sur le plat et les assiettes (2) avec toutefois quelques modifications dans le décor des arbres et des fleurs ainsi que dans les détails et les couleurs des personnages, ajoutant ainsi fra[icheur et naïveté dans la manière de représenter la scène.


Assiette de Pourim Les Islettes, 18e siècle. Aman conduisant Mardochée dans un décor de verdure
MAHJ. Dessin à la plume M. Weyl

Détail d’une assiette de Pourim Les Islettes. 18e siècle. MAHJ.
Reproduction à la gouache M. Weyl

Détail d’un plat de Pourim Les Islettes. 18e siècle. MAHJ.
Reproduction à la gouache M. Weyl
Le décor est traité avec la richesse habituelle à la faïencerie de Les Islettes. Nous avons vu que cette manufacture avait également créé un service de table pour Pessa'h. Il semble qu'elle avait une clientèle juive aisée pouvant se permettre un tel luxe. Mais les juifs de nos campagnes alsaciennes se servaient davantage d'assiettes en étain, gravées de motifs appropriés à la fête de Pourim, et de citations du Livre d'Esther.

Notes

  1. Robert Weyl. "Les Etains" ; Juifs en Alsace, ed.Privat, Toulouse 1977.
  2. Assiettes et plat de Pourim à décor identiques : Musée d’art et d’Histoire du judaïsme à Paris, Musée d’Israël à Jérusalem, Metropolitan Museum à New York, collection Brezis à Paris.

© Copyright de toutes les illustrations : Martine Weyl


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