Bateaux-lavoirs, buanderies et blanchisseries.
Des relations entre espaces publics, espaces privés
Anny BLOCH-RAYMOND
paru dans la Revue des Sciences Sociales N° 13 & 13bis - 1984

« L'indigence chagrine a pu hésiter à recevoir le potage qui lui était offert mais elle ne
refusera pas de vêtir le linge blanc bien odorant et salubre. Sa soupe diffère de celle
du riche, son blanchissage n'en diffère pas ».

Une comparaison de l'histoire des techniques en Europe et aux Etats-Unis a permis de déceler les empreintes culturelles de la machine à laver pour l'obtention de linge propre (1). En France, l'introduction de la machine à laver a été très lente. Les nouvelles pratiques liées à la technologie n'ont pu occulter des savoir-faire anciens, tout un répertoire de gestes et de techniques hérité au moins du 19ème siècle.

C'est ainsi que pour la ménagère française, un linge propre est nécessairement bouilli. Il s'ordonne en deux groupes : l'un passe par la machine, l'autre plus léger, plus délicat, plus intime, est lavé à la main. Dans ces conditions, le rapport de la femme à sa machine domestique n'a pu s'établir que d'une façon progressive, à la manière de l'apprivoisement au sens littéral du terme, devenir privé. L'installation de la machine à laver dans l'appartement ou la maison, a conduit à l'abandon corrélatif des espaces traditionnels de lavage.

C'est donc à une visite de ces lieux que je vous convie.

Marie-Cécile Riffaut (2) affirme à juste titre que "l'histoire du blanchissage est en grande partie celle de l'utilisation sociale de l'eau, de l'air, des sources d'énergie, de leur entrée ou rejet dans la maison". C'est aussi, me semble-t-il celle des batailles menées par les comités de bienfaisance et les hygiénistes du 19ème et du 20ème siècle contre la "guenille". Le premier en date. Cadet de Vaux, préconisa, dès 1805, le blanchissage domestique à la vapeur. Rappelons pour mémoire qu'en 1861, dans le Bas-Rhin, on comptait un indigent pour 44 habitants, un pour 39 en Haute-Alsace, un pour 20 habitants en France. Mais les classes pauvres étaient concentrées à Strasbourg, où 1/5 de la population recevait des secours (3). Sous la pression du danger et de la peur, se dégage une lutte contre les fléaux épidémiques, s'impulse la construction de bains et lavoirs gratuits, ou à prix réduit, en exécution de la loi du 3 février 1851. Les bains de rivière sont recommandés et ouverts aux classes populaires : En 1861, le bain "Herrenwasser" réservé aux hommes à la Montagne-Verte inaugure la succession de créations. Propreté et moralité ne se contredisent plus pour juger de la respectabilité du pauvre (4).

Comment soigner son corps, entretenir ses vêtements, dans les habitations exiguës, humides et mal aérées, où s'entasse la majeure partie de la population ouvrière ? Comment vaincre les épidémies cholériques, qui ont atteint l'Alsace à quatre reprises, 1838, 1848, 1855, 1866 (5) ? Tout un ensemble de mesures est alors pris pour "aérer le pauvre", veiller à la propreté des habitations, à la qualité des eaux de puits. Il faut également éviter les infiltrations des fosses d'aisance, et des résidus organiques d'anciens cimetières, favoriser l'écoulement des rigoles. Après la longue sécheresse des années 1853-1859, on approfondit les puits, on répare les lavoirs, on en construit de nouveaux, on ouvre des bains de propreté.

Malgré tous ces efforts, la loi de 1851, aux termes de laquelle "c'est au lavoir commun que la laveuse trouvera, une distribution commode d'eau chaude et d'eau froide, des appareils de séchage qui lui permettent une économie de temps, et qui lui évite d'effectuer (le blanchissage) dans l'habitation", n'a pas été entièrement appliquée.
Et qu'en est-il plus précisément en Alsace ?

Autour du lavoir ou quelques jalons d'histoire

En 1859, à l'initiative du Conseil Départemental d'Hygiène Publique, une enquête est menée dans les arrondissements de Saverne et de Strasbourg. A s'en tenir aux rapports des médecins consultés, on pourrait penser qu'il y a peu d'eaux stagnantes ou que des travaux sont en cours (6). A Mutzig, cependant, dans le même temps, Jacober, conducteur des Ponts et Chaussées, évoque "les eaux croupissantes dans les rigoles, qui donnent lieu en été, à des émanations fétides et malsaines" (7).

Dans le Haut-Rhin, le docteur en médecine G. Reisser mentionne : "les espèces de cloaques où venaient se déverser les eaux de la fontaine publique et les boues de la rue". Dans les cantons d'Ensisheim, une partie de celui de Kaysersberg, de Guebwiller, de Lapoutroie, les habitations sont mal aérées, mal entretenues, les vêtements malpropres (8). Il y a donc fort à faire pour veiller à la salubrité des logements, mener une politique d'hygiène publique.
Le lavoir apparaît comme un des moyens d'y contribuer. Il est souvent un espace chèrement acquis.

Le lavoir, un espace qui se concède ou se conquiert


Laveuses "Unter em Schopf" à Villé

Lithographies exécutées vers 1920 destinées aux écoles primaires d'Alsace et de Lorraine pour la promotion de l'art à l'école par René Kuder peintre alsacien
(Extr. Annuaire de la Société d'histoire du Val de Villé, n° 7, 1982, MF et J. Freund, René Kuder, p. 112).
De 1810 à 1863, les petites communes entreprennent des travaux d'équipement : le bourg d'Andlau reconstruit sa fontaine communale. La ville d'Haguenau achève trois lavoirs, construit trois fontaines publiques, commence à creuser des égouts. A Boersch, on note deux
abreuvoirs, un nouveau puits (9). En 1833, Wissembourg occupe ses indigents à aménager la Lauter et à y installer des pierres-lavoirs.

En ville de Strasbourg, les bateaux-lavoirs, "Waschpritche", publics et gratuits jusqu'en 1670, deviennent payants, mais ils sont surveillés par des préposés et couverts en 1716. Intra-muros, au cours de la séance du 10 août 1831, l'existence des 18 lavoirs publics sur les
84 existants est mise en question en 1841. En effet, la Ville n'en retire aucun revenu. Les charges sont lourdes.

Faut-il les maintenir ? "Non", dit le maire Jean de Turckheim, à la fois député et directeur de banque. Mais dans la mouvance des mouvements de salubrité et d'aide aux classes indigentes, le Conseil Municipal les déclare indispensables, vote leur maintien et les remet à la disposition de la population (10).

En ville ou campagne - en 1850, l'Alsace comprend 63,4 % de ruraux, 49,8 °/o en 1900 (11) -, la possibilité de laver se conquiert sur d'autres nécessités. Certes, l'espace du lavoir est parfois "abandonné" gratuitement à l'usage des habitants - exemple de Marmoutier en 1863 (12). Le plus souvent, il est sévèrement réglementé et hiérarchisé. Les fontaines communales servent d'abord à abreuver les bêtes, puiser l'eau. Les meilleures auges toutes proches de la fontaine leur sont réservées. Celles qui restent - en nombre insuffisant quand elles existent - sont destinées aux laveuses. Ce n'est qu'en ultime position que les ustensiles de vaisselle, les baquets sont nettoyés sous multiples réserves.

Les lavoirs manquent, et l'eau doit d'abord servir aux besoins les plus urgents. Aussi les maires sont-ils conduits à réglementer l'usage de l'eau. Dans les circonscriptions de Saverne et de Strasbourg, 23 sont intervenus par voie d'arrêtés dont onze pour interdire "l'usage de laver à la fontaine publique" (13).

Quand un lavoir public existe, il ne suffit pas aux besoins des laveuses. Le manque d'eau suscite discordes, voire même batailles rangées. A Weitbruch, des laveuses des communes avoisinantes "viennent usurper les places de ce lavoir déjà insuffisant". A Neuwiller, l'arrêté municipal de 1865 demande que les quatre premières auges du lavoir soient réservées à la mairie, quinze jours à l'avance, et les quatre dernières sont laissées à la disposition des habitants. Mesure draconienne que l'on comprendra mieux si l'on sait que les femmes payaient la somme de cinquante sous des jeunes gens pour garder la nuit, douze à quatorze heures à l'avance, les quatre meilleurs compartiments du lavoir (cinquante sous équivalait à l'époque à un kilogramme de pain blanc). Le maire dut interdire cette nouvelle forme de vénalité.

Ces mesures sévères qui organisaient l'usage de la fontaine tout comme son nettoyage mettent en évidence l'insuffisance et la nécessité de cet espace. Il est vrai que le lavoir ou la rivière n'est qu'une étape dans l'entretien du linge. La grande lessive "grosse Wäsche" commençait souvent ailleurs, dans la buanderie - la Kochewäsche - située à la cave en ville, et pour les fermes, dans une construction annexe, polyvalente, attenante à l'étable, écurie ou porcherie dans laquelle "se cuisait" la lessive.

Dans une première étape de ce travail, nous nous proposons de montrer l'imbrication des espaces du lavage, comment nous passons de l'espace du dedans à un lieu ouvert en suivant l'évolution de la technique du blanchissage. Dans un deuxième temps, nous envisageons la manière dont cet espace s'est rétréci peu à peu. Espace collectif, il se transforme pour devenir semi-collectif, s'intègre ensuite à l'espace familial. Enfin, nous verrons que le blanchissage s'inscrit dans une production économique dans laquelle systèmes collectifs publics jouxtent lavoirs privés qui se prolongeront par des blanchisseries industrielles à l'usage des usagers et des collectivités après la deuxième guerre mondiale. Quelles sont donc les frontières des territoires du privé et du public, et comment se dégage la notion de service public dans ce domaine ?

Cette recherche se fonde sur les Archives Départementales du Bas-Rhin et Municipales de Strasbourg. Le dépouillement des rapports de la réglementation du 19ème siècle, des manuels d'enseignement ménager du 19ème et du 20ème siècle, a été complété par des enquêtes extensives dans les communes de Grendelbruch, Andlau, Wissembourg, Mutzig, Woerth, Lobenheim, Schiltigheim, Plobsheim, villages de montagne et de plaine.

1. De la maison au lavoir : les allers et venues du linge.

1.1. Villes ou campagnes : le besoin d'un espace spécifique.

BUANDERIE MUNICIPALE - STRASBOURG
(Photo 1933 - service Bains et Lavoirs).
A l'entrée les blanchisseuses. Contre les murs, leurs carrioles utilisées au transport du linge. Cet établissement est devenu une maison d'accueil pour la nuit.

Vue à l'intérieur - Savonner - Blanchir - Rincer et boire pour se revigorer.
Distinguons d'abord la ville de la campagne, plutôt que la technique elle-même du blanchissage que l'on trouve similaire dans les deux environnements. Ce qui fait la grande différence entre ces deux milieux, c'est la place dont les femmes disposent pour laver, sécher, ranger le linge.

Jusqu'au début du 20ème siècle, dans les campagnes, de vastes armoires ou coffres à linge polychromes permettent un trousseau abondant qui va par six, douze, vingt-quatre. Aussi le linge n'était-il lavé que deux fois par an et mobilisait le village une semaine entière. Ce rythme se raccourcit pour devenir mensuel dans les années 1900, et à partir des années 25-30, hebdomadaire. Dans la buanderie fréquente dans les fermes, le linge peut s'accumuler ou attendre l'été, entreposé dans des corbeilles. Il est rare qu'il soit étendu sur des cordes dans un grenier bien aéré, avant d'être lavé, comme le préconise la Directrice de l'École Ménagère en France, A. Moll-Weiss, en 1919.

A Strasbourg, les maisons avaient aménagé leurs buanderies à la cave, ou tout au moins disposaient d'un équipement approprié. L'on retrouve dans les inventaires des maisons bourgeoises du 15ème et du 16ème siècle, telle celle d'un licencié en théologie, l'équipement utilisé, "Eshertuch", grande et petite "buch", cuves à lessive, "Washbank", table à laver, à lessive (13bis)… Dans les couches sociales les plus pauvres, la lessive se faisait directement au bateau-lavoir, le long de l'Ill ou des canaux du Rhin. Seule exception, les habitants du quartier de la rue de l'Académie ont accès dès 1895, à une buanderie municipale (14). C'est souvent dans la cuisine que les milieux ouvriers pratiquent la "Wäsche", sur un feu alimenté au bois ou à la briquette. La vapeur humidifie les murs, l'écoulement de l'eau pose problème et puis, l'on ne sait où faire sécher le linge. Combien de ménages d'ouvriers, hommes, femmes et enfants, évitent les ennuis de la lessive, en gardant linge et vêtements jusqu'à complète utilisation, s'interroge le philanthrope E. Daubigny en 1909 ? Il prêche pour une buanderie commune, ouverte à tous les locataires d'un immeuble (15).

A Strasbourg, grâce à la Société coopérative de logements populaires et à la fondation Spach, 96 logements équipés de buanderies aménagées au sous-sol ont été construits (15bis) en 1900. Cette politique sociale ne se généralisera que dans les années 1920 : les premiers immeubles municipaux rue de Flandre, comportent buanderies et greniers pour neuf à douze logements.

Elle se poursuivra jusqu'à la deuxième guerre mondiale. Parallèlement, des cités privées comme la cité Ungemach accueillent ouvriers et cadres sélectionnés selon des critères d'une éthique familiale nataliste. Ces maisons individuelles ou collectives bâties en 1929, comportent pour ces derniers un espace spécifique de lavage pour huit logements.

1.2. Laveuses, lavandières et blanchisseuses. Professionnelles et femmes au foyer.

Il n'était pas d'usage dans les classes aisées de laver son linge soi-même. Se faire servir est une des marques extérieures de la bourgeoisie, nous rappelle Marie-France Pisier dans son ouvrage La place des bonnes. En ville, les bonnes descendaient à la buanderie, une fois par semaine, ou tous les quinze jours jusque dans les années quarante. Dans d'autres cas, les laveuses professionnelles, souvent célibataires ou veuves, viennent faire la lessive à domicile.
Il arrivait qu'elles emmènent le gros linge dans des carrioles pour le faire bouillir au bateau-lavoir. Il est difficile d'en recenser le nombre. En 1939, quatorze lavoirs de vingt à vingt-quatre places étaient encore utilisés au centre-ville, onze dans les faubourgs de dix à douze places, mais on ne sait s'ils faisaient le plein.

Il faut ajouter à cela les nombreuses petites blanchisseries qui existaient dans les faubourgs de la ville, Illkirch, Montagne-Verte, Robertsau, Eckbolsheim, et dont les employés venaient chercher à pied, dans les quartiers bourgeois, "quartier des Quinze", "les Contades", le linge des riches habitants de Strasbourg, tous les quinze jours.

A la Robertsau, dans le quartier des Chasseurs, on ne comptait pas moins de six petites blanchisseries en 1920.

Dans un village comme Woerth, village commerçant et hôtelier de 1700 habitants en 1940, douze laveuses et deux à trois repasseuses à domicile sont répertoriées, mais aucune blanchisserie n'existe. Elles sont inutiles. Dans les fermes, les femmes font la lessive elles-mêmes selon un rythme à deux temps et elles disposent dès le milieu du 19ème siècle d'un espace propre à ce travail.

1.3. Comment faire une bonne lessive ou une technique à deux temps.

1.3.1. De la buanderie vers l'extérieur.
A la campagne, il est difficile de dater l'apparition des buanderies parce que les fermes opèrent à des aménagements constants. M.N. Denis et M-Cl. Groshens n'ont pu en dater deux qu'avec certitude : - 1867 dans le pays de Hanau à Imbsheim dans la "Khaufmichelshof" ; celle-ci est utilisée jusqu'en 1961 lorsqu'elle est remplacée par du matériel électrique, - en 1910-1912, à Truchtersheim dans le Kochersberg (16). Dépendance, annexe, la buanderie ne dispose pas de manière générale de place fixe dans l'organisation de la ferme. Plus ou moins vaste selon les fermes, elle est en même temps le lieu où se cuisinent les aliments pour les bêtes. Le même feu est utilisé, seule la cuve change. Les plus anciennes comprennent une maçonnerie rectangulaire, un foyer alimenté par du charbon ou du bois et intégrée dans la maçonnerie, une cuve en cuivre ou en fonte appelée "Waschkassel".
Là se pratiquait la lessive au cuveau, "Aecherbuche", technique qui utilisait la cendre de bois répandue en Europe jusqu'en Tchécoslovaquie (17). Le linge était trempé la veille pour un premier décrassage. Dans la cuve, chauffait l'eau jusqu'à ébullition, pour être ensuite coulée dans un baquet en bois posé sur un trépied, baquet troué au fond, où l'on avait soigneusement ordonné le linge du plus épais autour du cuveau au plus fin au centre, les serviettes couvrant l'ensemble. Au-dessus, un drap dans lequel on avait placé une épaisse couche de cendre, "un poing et un pouce", qui servait de lessive. Pour vérifier l'infiltration de la lessive, on disposait un chiffon enroulé autour d'un bâtonnet, qui permettait de vérifier si l'eau avait atteint le fond, le "pralneck". Après les années 1910-1920, la lessive s'effectue grâce au chauffage direct du linge sur le foyer grâce aux cristaux de soude et paillettes de savon. C'est l'apparition des produits lessiviels modernes qui va réduire à quelques heures le temps de cuisson de la lessive.
Il me paraît utile d'insister sur le fait que le blanchissage du linge comprenait deux phases préalables. Quand le linge était très souillé, il était emmené à deux reprises à la rivière et ce jusqu'en 1950.

1982 -WOERTH. Lavoir au centre du village.

A 76 ans, cette habitante lave encore au lavoir, habitude ancienne qu'elle n'a pas voulu interrompre.

Les seaux sont maintenant en plastique : 1 seau pour le blanc, 1 seau pour la couleur, 1 cuve pour les bleus.

Le linge une fois lavé est mis à égoutter sur le seau renversé. La "Kaste" rembourrée
d'un cousin la protège de l'humidité...

Le linge une fois rincé dans l'eau de rivière (2) est essoré (3).
Voici comment Mme X. de Woerth procédait :
"On fait tremper le gros linge la veille dans une lessive. Ensuite, on le savonne. Le lendemain, on fait chauffer une heure. On va une première fois à la rivière pour le rincer. Ensuite, je rentre avec mon linge. Je le mets dans une grande cuve en cuivre - la tôle galvanisée est attaquée par la rouille. J'utilise un bâton pour le maintenir. Dès que les premiers bouillons montent, on le sort (avec des pinces en bois), on ne laisse pas bouillir son linge. On retourne une deuxième fois à la rivière. Alors, il est impeccable, mais ça demande du temps".
Processus méthodique, mené avec soin, dans lequel la santé et le bien-être familial sont en jeu mais aussi, la conservation d'un capital. Dans les années 1950, la généralisation des fibres synthétiques, la plus grande mécanisation agricole ne nécessitent plus ce double lavage.
On peut se laver plus souvent grâce aux adductions d'eau développées dans nombre de petits villages entre 1955-60 (Geudertheim, Mittelschaeffolsheim, etc.) En 1952, à Bischwiller, madame H„ qui avait l'habitude de faire comme sa mère, change de pratique :
"Il n'est plus sale, ce linge, ce n'est pas la peine que je le fasse encore une fois bouillir".
Jusqu'à cette époque, le lavoir est une nécessité économique ; en hiver, les blanchisseuses amenaient la hache pour défoncer la glace. Tout le monde allait à la rivière à Woerth, à Grendelbruch, comme à Andlau. Et si à Mutzig, à Woerth, les conduites d'eau sont posées dès 1895-1900, elles ne pénètrent dans les maisons que d'une manière facultative. Leur pose jusqu'à l'évier, leur entretien, sont à la charge des propriétaires.
A Strasbourg, l'eau à l'évier ne se généralise que dans les années 1930-1935, bien que la vieille ville soit alimentée en eau potable dès 1892 (18).
Puits, fontaines pour l'eau potable, lavoirs présentaient souvent les seules alternatives laissées à un grand nombre de maisons des faubourgs et de la campagne.

1.3.2. Le lavoir, un espace irremplaçable.
En 1984, il reste en usage dans les villages où l'eau n'est pas polluée - Andlau, Grendelbruch, Woerth -. Quelques laveuses promènent leur carriole, leur corbeille "Waschkorb" et leurs seaux en plastique, et vont laver leur linge de couleur, les tapis et les bleus de travail, trop sales pour être mis en machine.
Madame R. dispose d'une cuisine intégrée, d'une machine à laver où elle fait maintenant la grosse lessive, moindre fatigue pour elle. Mais elle aime encore laver au lavoir pour laver les couleurs à la rivière. "Le linge lavé au lavoir est plus beau". "Pour chaque linge, ajoute-t-elle, on utilise de l'eau propre". Elle nous montre ses draps en lin, une nappe faite d'anciennes serviettes qui servaient à transporter le cercueil, "ce linge-là, je ne le lave qu'à la rivière", ajoute-t-elle. "Dans la machine, ça travaille longtemps". L'eau de rivière est la seule digne de laver ce patrimoine. Et elle ajoute, "vous savez, l'eau des rivières, elle nettoyait mieux que l'eau des robinets". Pourtant, captée dans la montagne, il s'agit souvent de la même eau.
"L'eau de rivière est tellement plus douce, elle savonne et nettoie mieux."
Le linge est beau, l'eau est douce. Nous progressons vers la primauté de l'eau de rivière, dont nous percevons l'action régénératrice. Aller au lavoir n'est pas signe de pauvreté, de refus, de modernité, mais plutôt de fidélité à un usage maternel. Le lavoir est le lieu d'une pratique héritée où se conserve et s'entretient un capital dotal transmis sur deux à trois générations. Se rendre au lavoir est également une manière d'être en contact avec un espace naturel, fluide et mouvant, sans doute purificateur, puisqu'il fut parfois sacralisé.


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