IN MEMORIAM...
Yves Kollender - Mireille Warschawski
Extrait de l'Almanach du KKL-Strasbourg, 1976


Plaque commémorative apposée au Merkaz à Strasbourg
Le 11 Novembre 1975, 57e anniversaire de l'armistice qui mit fin à la guerre de 1914-18, 37e anniversaire de la tristement célèbre "Nuit de Cristal" qui devait aboutir au génocide d'Auschwitz, l'ONU a consacré une équation abominable : "sionisme = racisme".
Les conséquences pour Israël, les Juifs et l'humanité tout entière risquent d'être terribles - et peu propices à la détente et à la paix.
Or, voilà plus de deux ans que Jean-Benoît Picard, Daniel Weil et plusieurs milliers de leurs camarades sont morts pour qu'Israël vive dans la dignité et que lui soient reconnus les droits à l'existence, tout comme à n'importe quelle autre nation.
Et nous voici en présence d'une injustice criante, révoltante, injustice contre laquelle Jean-Benoît et Daniel ont lutté durant toute leur brève vie.
C'est le coeur rempli d'amour et de chagrin que nous ferons revivre un instant leur image dans les deux portraits suivants.

jb PICARDJean-Benoît PICARD ז"ל

Jean-Benoît, né à l'époque du génocide a été toute gentillesse et bonté ; rayon de soleil pour ses proches et pour ses camarades. Je me souviens du jeune élève studieux et discret des classes primaires et secondaires.
Il fit ensuite des études d'ingénieur à l'Ecole des Arts et Métiers de Lille.

Fils de scouts, il entra aux EI aussi normalement qu'à l'école. Rapidement le sens des responsabilités se développa en lui et tout naturellement il se trouva chef d'une meute de louveteaux. Jean-Benoît était travailleur, ambitieux dans le sens le plus noble du terme, ne se limitant pas à mener sa petite vie égoïste, mais exigeant de lui-même un effort constant, de telle sorte qu'il devint un leader, un responsable, capable de rayonner.

Son évolution religieuse se fit parallèlement à son évolution intellectuelle - normalement, sans bruit. Et c'est ainsi, que conscient de la valeur du judaïsme, il décida de faire profiter d'autres de son cheminement personnel. Dans cet océan humain qu'est Marseille, il sut s'imposer et donner l'image
d'un jeune religieux dynamique et ouvert ; il se voua à des activités communautaires nombreuses et fut en particulier le responsable du "Bulletin de nos communautés" pour la région Sud-Est.

Il forma avec Jacqueline, qu'il épousa en 1963, après le quarantième anniversaire des EI, un ménage communautairement engagé. Fils exemplaire, excellent mari, il fut un père parfait pour ses deux fils nés à Marseille et pour sa petite fille née à Jérusalem, qui, elle, malheureusement, devait très peu profiter de l'affection paternelle (elle n'avait que quelques mois à sa disparition).

Il fit en 1969 une Alyiah, conséquence logique de son évolution. Juif, il voulut l'être entièrement, et vivre en Israël était un pas de plus dans l'accomplissement des Mitzwoth. Aussi son intégration s'accomplit-elle sans heurts. Travail, milouim, éducation des enfants, vie de famille,... existence d'un Israélien conscient de son judaïsme, dont Eretz Israël est une partie intégrante.

Et c'est ainsi que la guerre de Yom Kippour le surprit, pendant ses milouim sur le Canal...

Daniel WEIL ז"ל

(Le texte ci-après est condensé du Livre Etz-Haïm, publié après la guerre de Kippour par l'Asso­ciation des Moshavim de l'Hapoël Hamizra'hi, à la mémoire de ses jeunes, morts au combat.)

Né le 27 Adar (28 mars) 1949 à Strasbourg, Daniel y fréquenta l'école primaire et secondaire Aquiba. A la fin de sa scolarité, pendant laquelle il avait été parmi les activistes sionistes de la communauté locale et un dirigeant des éclaireurs religieux, il monta en Israël (1968) et servit dans le cadre
des volontaires de l'étranger, alors que sa famille était encore en France. En 1970 il commença ses études à l'Université Hébraïque, en biologie ; se maria en 1973. Sa grande joie fut l'immigration de toute sa famille et la création de la ferme familiale au moshav Sdé Yaacov.

Il était connu comme fils dévoué, 'étudiant appliqué, d'un contact agréable. Il obtint son premier grade en biologie en été 1973 et fut admis à préparer le second.

Parti pour une période de réserve comme infirmier de première ligne, dans une position près du canal de Suez, à la veille de Roch Hashana, il tomba dans l'accomplissement de sa mission le jour de Kippour.
Voici quelques textes écrits par Daniel, susceptibles d'éclairer la richesse de son monde intérieur. Ces lignes ont été écrites en été 1969, alors qu'il était au Kiboutz.

Bien qu'il n'en fut qu'à sa deuxième année dans le Pays, il ne voulait écrire qu'hébreu. Cela aussi est caractéristique de sa personnalité.

25 juin 1969 : Je me souviens aujourd'hui du premier bombardement sur le canal, le 8 mars 1969, vers 4 h de l'après-midi.
En face, sur un poteau électrique, l'observateur égyptien. Nous entendions déjà exploser les obus vers le Sud, mais il ne descendait pas de son poste. Nous attendîmes d'avoir l'autorisation d'ouvrir le feu. Deux possibilités : ou taper d'abord sur leurs positions et sur leur baraque ou commencer par descendre l'observateur. Evidemment, dans le premier cas nous laissions à l'observateur le temps de sauver sa peau. Pourtant nous avons commencé à tirer sur eux. Moi je n'ai pas tiré. Je pensais que peut-être on pouvait lui donner cette chance. Qu'est-ce-que ça pouvait me faire, cet Egyptien ? Nous l'avons touché, peut-être l'avons-nous tué.
Les jours qui suivirent l'incident je pensais que nous avions peut-être bien fait. Après tout nous sommes en guerre, ce n'est pas un jeu et cet observateur est un ennemi (il faut s'en convaincre). Mais jusqu'à aujourd'hui j'ai du mal à décider si nous avons réellement bien fait.
A la tombée de la nuit l'incident prit fin. Une demi-heure après nous sommes allés au réfectoire, avons sorti du vin et des gâteaux et avons fait une sorte de fête. Parce que nous nous en étions tous bien tirés et aussi à cause de l'observateur et de leurs autres blessés et morts.

Je me souviens qu'à Pessach nous avions organisé un Séder à notre foyer. La situation était justement très tendue. Quand nous sommes arrivés aux dix plaies, comme de coutume nous avons vidé pour chaque plaie une goutte de vin. Pour expliquer cette coutume on rapporte le midrache qui raconte qu'au passage de la Mer Rouge les anges entonnèrent des cantiques quand le pharaon et ses soldats se sont noyés. Mais Dieu leur dit de ne pas chanter car à ce moment c'étaient des créatures divines qui mouraient. J'ai dit alors que peut-être notre fête n'était pas tellement justifiée. Beaucoup ne m'ont pas compris (la plupart étaient religieux).
Où est la conformité entre réalité quotidienne et comportement religieux ?


Jean-Benoît et Daniel aimaient la vie, la vie en Israël. Et si l'injustice et l'iniquité n'étaient pas le fondement du droit international, Jean-Benoît, Daniel et leurs camarades vivraient et contribueraient à l'épanouissement d'un Israël dont l'existence ne serait pas continuellement remise en question.

Que leur sacrifice permette à leurs enfants de connaître le bonheur sans équivoque dans un Israël, un Moyen-Orient, un monde heureux et prospère.


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