JEAN-JACQUES SAMUEL
12.1927 – 18.09.1948

Dieu ne prend que ceux qui s'offrent
P.K. (Moché Catane)
Extrait du Bulletin de nos Communautés, novembre 1948

SamuelIl y a deux mois aujourd'hui, ce fut pour nous un vendredi, un sabbat comme les autres. Cependant, dans la Galilée septentrionale, une escarmouche mettait aux prises des bandes arabes et les troupes frontalières d'Israël. L'attaque, commencée le vendredi, se poursuivait la journée sainte du lendemain, 14 Eloul. Au cours d'une patrouille, un petit groupe essuyait une fusillade. Un homme tombait, frappé mortellement sur le coup : c'était Jean-Jacques.

Rares sont ceux qui forgent eux-mêmes leur destinée, qui ne l'acceptent pas toute faite des mains de leurs parents, de leur entourage, de la société où ils vivent. Jean-Jacques  a construit la sienne. Après ses études secondaires et son stage à la Yechiva, rien ne l'obligeait à aller fonder de toutes pièces et presque à lui seul une colonie agricole préparatoire au nom du Yechouroun. Cette initiative n'ayant produit que des déceptions, il aurait pu alors rentrer dans le courant de vie normal. Mais non, il s'engage immédiatement dans une collectivité prête à partir pour Israël. Et, avec sa jeune femme, il s'embarque sur un rafiot dont il sait bien qu'il n'arrivera pas à destination. En vue de Haïfa, il participe au combat déserspéré contre les marins anglais qui abordent le navire, selon de schéma désormais classique, et, encagé, il est transporté, puis interné à l'île de Chypre, alors qu'il lui eût suffi de se déclarer Français pour qu'il fut "rapatrié". Et bien, non ! Plutôt se camoufler en D.P. (deplaced people, ndlr.).

Dans ce camp, il reste plus d'un an ; et le voici qui s'oppose fièrement à la psychose de internés. On raconte en France que la nourriture est insuffisante. Peut-être est-il utile que cela soit dit. Mais, quant à lui, il ne veut pas qu'on s'apitoie, et il envoie une liste complète des rations, afin de rassurer les siens. - L'oisiveté règne en maîtresse : lui ne cesse de se perfectionner en hébreu et en sciences juives, établit des contacts avec des personnalités intéressantes, et surtout enseigne à des jeunes les beautés du judaïsme. J'en sais une au moins qu'il a ravie à l'atmosphère de socialisme national où elle a grandi et de qui il a fait une croyante enthousiaste et sans remords.

Pour isolé qu'il soit, il demeure fidèle à l'idéal qu'il a choisi : sans indulgence pour le laisser-aller des uns, il se révolte contre l'esprit borné des autres. Il n'admet pas que l'esprit de renouvellement devienne un prétexte qui permettra les incartades, ni que l'observance minutieuse des préceptes écrits tienne lieu de réflexion et de morale. C'est ce qui, une fois entré dans le pays, le fera balancer entre les deux partis ouvriers traditionalistes, celui qui se rattache à l'Agoudath Israël (P.A.I.) et celui qui correspond au Mizrahi (Hapoël Hamizrahi), et le conduira  à choisir la voie la plus dure, c'est-à-dire à préparer l'ouverture d'une communauté purement yechourounique, exigeante pour elle-même et compréhensive pour l'extérieur.

En attendant, il adhère à la formation la plus conforme à ce que d'où il vient et entre au Kibboutz Yessodoth. Il bute, dès l'abord, sur un problème minime en apparence, mais singulièrement lourd de symboles. Sur le chemin de sa montée, il a adopté pour la prière, comme pour le langage courant, la prononciation des Sefardim. Il lui semble en effet ridicule de faire dans sa vie la part du sacré et la part du profane : tout n'est qu'un bloc. Or, cette innovation est condamnée par les sommités agoudistes ; on le lui signifie. Il décide alors de ne pas s'entêter pour une question de forme, et se soumet.

Mais, au moment où les hostilités commencent, il n'hésite pas à s'engager ; bien mieux, il va jusqu'à s'engager dans les corps francs du Palmah. On veut l'en dissuader, on lui propose de tous côtés des plaques : sa résolution s'en trouvera confirmée. Car, j'imagine, c'est tout l'honneur de la Thora et de ses fidèle qu'il veut défendre avec la terre ancestrale. Et, nonobstant les difficultés qui s'accumulent pour car sa jeune femme et la petite fille qui lui est née à Pessah, il ira où l'appelle sa vocation...

Sa vocation aurait été de vivre au-delà des vingt et un ans qu'il n'a point atteints, et de réaliser les grands dessins qu'il mûrissait opiniâtrement. Mais il s'était préparé à mourir, et avait préparé les siens à cette idée :  il savait qu'il était nécessaire, pour sauver une certaine conception du judaïsme, de faire pour elle le sacrifice suprême - parce qu'il n'est pas possible de mépriser une cause pour laquelle il y a des gens qui meurent -, et peut-être espérait-il qu'il obtiendrait par l'impératif de son absence plus encore que par ses efforts de vivant. Cela n'avait-il pas été quelque peu aussi la pensée de Samy (Klein, ndlr.), qui alla au péril dans des circonstances analogues, et avec une même conscience profonde de la valeur de sa mission ?

Pourtant, Samy déjà est bien oublié, sauf de quelques-uns. Chaque leçon sera-t-elle vaine ? Ou bien le souvenir de Jean-Jacques parviendra-t-il à secouer les bonnes volontés endormies ou aveuglées ? Sa vie, coupée si fraîche et dans un élan si rayonnant, devrait donner à tous ceux qui 'lont approché, et le souci concret de la famille qu'il laisse, et l'ardent désir de réaliser le rêve d'un judaïsme solide et vivace qu'il nous a légué en mourant.

P.K.

Strasbourg : Dimanche après-midi, une cérémonie commémorative eut lieu au Mercaz, en présence d'un grand nombre de jeunes et d'adultes, venus pour se retremper dans une atmosphère pure, à l'évocation de la figure de Jean-Jacques  Samuel. Après la prière du soir, M. le Grand Rabbin Deutsch, dans un Hesped émouvant, essayant de dépasser le langage des paroles pour atteindre la communication des âmes, montra en quoi le don de J.-Jacques  différait d'un simple acte patriotique et par quels côtés ce jeune rêveur, dont  le "Pays de nos ancêtres" a fait prendre conscience de ses potentialités d'homme d'action, rejoint presque le saint témoignage de nos plus grands.
Un ami d'enfance de Jean-Jacques, M. Bernard Picard lut quelques-uns des ses poèmes à travers lesquels se dégage cet immense désir d'abandonner à jamais la vie de la Galuth et surtout ce profond amour du Pays cette passion qu'il ressentait pour tout ce qui était authentiquement juif, en même temps que la juvénile inquiétude d'une vie d'une garçon de vingt ans qui cherche sa voie. M. Théo Klein dit ensuite quelques mots sur la place que Jean-Jacques  occupait dans le mouvement Yechouroun, au sein duquel il a milité, et à l'idéal duquel, son sacrifice apporte la confirmation des martyrs.

Pour Jean-Jacques Samuel
Bernard Picard
Extrait de Tribune Juive, 1978

Une semaine avant sa mort, Jean-Jacques Samuel écrivait la note que nous reproduisons en fac similé :
« Au moment où dans les abris nous observons le front et qu'à chaque instant peut surgir l'offensive ennemie (nous ne sommes que dix hommes) nous devons nous poser cette question : « Et si dans quelques instants je n'étais plus de ce monde-ci ?» . Avant tout : vaut-il la peine de payer un tel prix - la vie ? Oui assurément. Car nous n'avons pas d'autre choix que de nous exposer au danger» .

J'avais oublié... C'est ainsi que nous vivons loin de notre mémoire, qui pourtant se réveille, exigence, lorsqu'on la sollicite...
On m'a dit qu'il y a trente ans mourait Jean-Jacques Samuel au combat, dans la Haute Galilée, pendant la guerre d'Indépendance de l'Etai d'Israël. Et immédiatement, j'ai été submergé par une foule d'images. Jean-Jacques, enfant au Talmud-Torah de Colmar, Jean-Jacques aux camps Yechouroun, puis à nouveau à Colmar entre deux séjours à la Yéchivah... Et toujours c'était le mème visage doux et rêveur d'un garçon fait pour l'étude et la réflexion.

Pourtant Jean-Jacques a tout assumé avant ses 21 ans, âge où il est terrible de mourir... Il s'est marié, il a été père, il est parti vers la Terre Sainte au temps où l'on aboutissait à Chypre, puis il a été kiboutznik et soldat juif, luttant pour Israël et pour nous tous. Il aurait voulu fonder un kiboutz Yechouroun, en Terre Sainte, où se serait allié l'amour de Dieu à celui du pays juif où chaque coup de pelle aurait été une offrande au Créateur. Mais nous étions pris par la pesanteur des soucis et des devoirs de tous les jours alors que lui vivait sur cette terre dans l'Eternité du Devoir à accomplir coûte que coûte..

Jean-Jacques, mon jeune ami, mort avant l'âge, maintenant que je pense à nouveau à toi sache que ton sacrifice n'aura pas été vain. Les choses sont lentes à se remuer. Mais en Israël et dans la Gola on sent comme une rumeur : celle qui émane de tous les jeunes qui pensent et veulent vivre comme toi, et ils sont nombreux et ils sont beaux comme toi, beaux dans leurs gestes et dans leurs pensées. Toi, et tous ceux qui t'ont ressemblé, vous leur servez d'exemple et grâce à vous, grâce à eux, la rumeur se transformera en chant de joie..

Pour nous qui t'avons connu, pour tes parents qui vivent entourés d'une grande famille une vie noble et patriarcale qu'ils ont amplement méritée par leurs innombrables vertus, pour tous les tiens, tu seras toujours ce garçon clair et simple dont la grandeur, à nulle autre pareille, aura été d'aller jusqu'au bout de toi-même


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