Le bonheur de vivre à Jérusalem


Extrait de l'ouvrage (pages 10-22) :

Maren Sell Éditeurs
7, rue des Canettes 75006 Paris
parution le 1er février 2007
Jérusalem, a dit un ancien haut-commissaire de Sa Majesté britannique, est la seule ville au monde où chacun peut vivre dans le siècle qu'il choisit. Pas à cause de ses monuments ou de ce qu'il en reste. Le promeneur qui s'arrête devant la tombe hasmonéenne, au fond d'un petit jardin, rue Alfassi, n'a pas plus l'impression de vivre dans l'Antiquité que le Parisien à l'annonce des arènes de Lutèce. Mais parce qu'il en répète le scénario à chaque Kippour, le fidèle qui depuis les hauts de Jérusalem contemple le désert assiste avec ses ancêtres vingt-cinq siècles plus tôt, à la course éperdue – et perdue – du bouc émissaire. Devant le Mur, il est le témoin de l'incendie du Temple en l'an 70, parce qu'il le commémore chaque année au 9e jour du mois d'av – et chaque jour – par d'innombrables gestes et textes. Le chrétien, lui, n'est pas le spectateur passif d'un happening qui revient chaque année à Pâques dans la Via Dolorosa. Il y vit la Passion. Et ceux d'islam, qui se pressent aux abords du Rocher où Mohamed a imprimé sa trace, s'en retournent à la source d'une foi vivante, alors que la saga de Saladin, trois ou quatre siècles plus tard, leur sert de narratif aujourd'hui. D'autant que les croisés sont toujours à Jérusalem ! Au Knight Palace (pas night, mais knight, qui sied mieux à son propriétaire : le patriarcat latin), que l'on gagne par une ruelle moyenâgeuse derrière l'antique porte Neuve, les armures des croisés se font étrangement réelles. Tout à côté, l'épée de Godefroi de Bouillon, suspendue dans la sacristie des franciscains, est trop symbolique pour n'être qu'une «antiquité». Quant à la plaque de marbre en souvenir de Paul-Emile Botta, au consulat général de France, elle rappelle qu'au XXIe siècle, la France et son représentant restent dans la capitale d'Israël – qu'ils refusent à Israël – les gardiens des Lieux saints.

Chinatown à New York vous évite le déplacement à Pékin ; Belleville vous rapproche de l'Extrême-Orient. A Jérusalem, les déplacements ne sont pas géographiques. Dans la chaleur d'août, quand shabbat descend sur Méa Shearim, les toques de fourrure des hommes et les bottes des cavaleries cosaques ne vous conduisent pas dans la froide Pologne, mais vous ramènent au XVIIIe siècle des premiers hassidim. Et il ne suffit pas que les babouches qu'on y vend soient made in Hong Kong pour projeter le souk dans la modernité. Parce qu'à Jérusalem le passé se fait présent, le présent rappelle le passé, et on y vit demain. Une vigne dans un jardin y suffit : «Une nation ne tirera plus l'épée contre une autre... On n'apprendra plus la guerre... Chacun habitera sous sa vigne, chacun sous son figuier (1)

On peut même vivre les lendemains de Jérusalem sans y être jamais allé. En 1940, j'avais cinq ans et me trouvais à Jérusalem en habitant Limoges. Nous y étions réfugiés avec des milliers d'Alsaciens, sommés de quitter leur terre. C'est là que j'ai célébré ma première Pâque de la guerre et sa veillée – le séder – dont chaque étape est consignée dans la Hagada, qui raconte la sortie d'Egypte. Dans leur exil commençant, mes parents avaient emporté leur Hagada, mais aussi celle de mon frère, de cinq ans mon aîné, et la mienne.

Ma Hagada était la plus grande ; ma Hagada était la plus belle. Avec des dessins en couleurs que je pouvais animer en tirant sur des languettes. Aidé par la princesse d'Egypte sur le rivage, je faisais glisser la corbeille du petit Moïse hors des roseaux du Nil, je fendais la mer aux vagues crêtées de blanc pour que les Hébreux la traversent à pied sec avant que, sous la garde de Moïse chenu étendant son bâton, j'y noie l'armée du pharaon. Ma Hagada, je l'ai toujours. Elle est écornée, fatiguée, sa tranche laisse apparaître les fils de la reliure et les languettes usées ne permettent plus à mes petits-enfants réunis avec nous, à Jérusalem, autour de la table pascale, de sauver bébé Moïse des eaux du Nil.

L'illustration que j'aimais le plus se trouve à la fin du livre, sur une double page. Au bord d'une pelouse fleurie, deux jeunes gens plantent un arbre. Un canard jaune leur sourit. Assis sur un chameau joliment harnaché, dans un sentier qui borde des champs dorés avec des amandiers roses, un garçon coiffé d'une kippa me regardait. Une fillette joue de la flûte en gardant ses moutons. Derrière, se dessinent un paysage vallonné et un village d'Orient, un palmier, des cyprès... Au centre, enfin, un disque orange et chaud, le soleil à son zénith, couronne le début d'une ville. Dans le ciel bleu sur toute la largeur des deux pages, trois mots apparaissent : «Le-chana ha-baa bi-Jerushalayim – L'an prochain à Jérusalem.» C'est ainsi que l'enfant, obscurément conscient du souci de ses parents et de la gravité de l'heure, rêvait Jérusalem. Hors de mon refuge de Limoges, je vivais en une Jérusalem magnifique, parmi les amandiers en fleur, les canards du Bon Dieu et le jardinage de ces grands garçons que j'enviais.

On a dû me lire les trois mots dans le ciel (encore qu'à cinq ans je savais déjà déchiffrer les lettres hébraïques). Aurais-je aimé ma Hagada tout autant, aurais-je pleinement vécu le bonheur de Jérusalem, si on m'avait dit que le texte était annoncé dans la langue parlée par ces Allemands qui faisaient notre malheur ? «Die Hagada des Kindes», annonce la couverture. Imprimée chez Menorah, à Berlin. En 1933. En 1933 ! A l'intérieur, sur un coin de la couverture, l'étiquette du libraire est restée collée : «J.L. JOACHIMSTHAL, Hebreuwsche en alg. Boekhandel – Amsterdam. Tel 44340.» J'avais dû recevoir ma Hagada d'un oncle hollandais, le frère de ma mère. Bien plus tard, beaucoup plus tard, je pensais à une fillette d'Amsterdam qui, peut-être, jouait elle aussi de la flûte, qui aurait aimé garder les moutons dans un pré. Avait-elle eu l'occasion de se rendre dans la librairie de M. Joachimsthal ? Y avait-elle feuilleté la même Hagada ? Dans son appartement du Merwedeplein, puis dans le grenier muré, Anne Frank avait-elle rêvé du soleil qui brillait sur Jérusalem ?

De toute éternité, Jérusalem était demain. Jérémie le consigna il y a vingt-cinq siècles, il le signa, déposa son message dans une jarre d'argile. La Bible en fait foi qui décrit avec minutie le déroulement de la plus étrange opération immobilière. Le prophète était alors prisonnier dans la tour de garde du palais royal pour crime de défaitisme devant l'ennemi. Et de blasphème. N'avait-il pas osé proclamer la ruine de Jérusalem et de son Temple ? Et voilà que sa terrible prédiction se réalisait. Les troupes de Nabuchodonosor encerclaient la ville affamée. Jérémie entendait le vacarme des machines de guerre que les Chaldéens montaient, qui, inexorablement, s'accrochaient aux murailles déjà meurtries de la ville. Et Jérémie rêva. Il rêva que, sur l'ordre de Dieu, Hanamel, un parent, allait venir lui demander de racheter, parce que ce droit lui était dévolu, un terrain familial dans l'Anatot voisine. Et Hanamel vint.

Extraits du chapitre 32 de Jérémie : « Voici que Hanamel, le fils de mon oncle, vint me trouver selon la parole de L'Eternel dans la cour de la prison et il me dit : Achète je t'en prie mon champ qui est à Anatot... Je lui en comptai le prix – sept sicles et dix pièces d'argent... J'écrivis le contrat de vente, le scellai et assignai des témoins. Et je remis le contrat de vente à Baruch... en présence de tous les Judéens qui se trouvaient dans la cour de la prison. Et devant eux, je donnai à Baruch les instructions suivantes : Ainsi parle L'Eternel, Dieu d'Israël... prends ces écrits, le contrat de vente... et dépose-les dans un vase d'argile afin qu'ils se conservent de longs jours. Car ainsi parle L'Eternel, Dieu d'Israël : de nouveau on achètera dans ce pays des maisons, des champs et des vignes... J'adressai à L'Eternel la prière suivante. O ! Seigneur Elohim, c'est toi qui as fait le Ciel et la terre... tes yeux sont ouverts sur toutes les voies des humains, tu as fait sortir ton peuple Israël du pays d'Egypte... tu leur donnas ce pays que tu avais juré à leur père de leur donner... Ils en prirent possession, ils n'écoutèrent pas ta voix, ils ne suivirent pas ta Tora... Maintenant, les terrasses avancent jusqu'à la ville pour la prendre d'assaut ; déjà elle est à la merci des Chaldéens qui l'assiègent, en proie au glaive, à la famine et à la peste... Et toi, Seigneur Elohim, tu me dis : Achète-toi ce champ à prix d'argent et nomme des témoins alors que cette ville est à la merci des Chaldéens ! »

On n'a pas retrouvé la jarre de Jérémie ni ses titres de propriété. Pas encore. Encore qu'à Jérusalem et ses alentours, l'invraisemblable est raisonnablement plausible. Les rouleaux du désert de Judée, trouvés en 1948 par un jeune berger, ont accordé, d'un coup, onze siècles d'authenticité de plus à la Bible ! Alors que j'écris ces lignes, les journaux reproduisent les premières images d'un rouleau nouvellement découvert, abandonné par les combattants de Bar-Kokhba en 135. Et à la télévision, une équipe d'archéologues affirme qu'elle vient de parvenir sur le site du palais du roi David.

Cela dit, il s'en fichait, Jérémie, de savoir si on allait les retrouver, ses titres de propriété immobilière ! C'est à ses compagnons, à ceux que Nabuchodonosor allait déporter en Babylonie et pour lesquels tout semblait fini, qu'il s'adressait. Il jurait, parole de L'Eternel ! que leurs enfants retourneraient sur leur terre, reviendraient à Jérusalem. Demain. Voilà pourquoi il a désigné des témoins et que devant « tous les Judéens réunis dans la cour de la prison », il a scellé ses titres dans une jarre que Baruch, le scribe, était chargé de mettre à l'abri. Et quand le malheur se fit plus proche encore de la ville et de son Temple, Jérémie prêta le serment suivant : « Ainsi parle L'Eternel – On entendra de nouveau dans ce lieu dont vous dites : “Il est ruiné, sans hommes ni bêtes”, dans les villes de Judée, dans les allées de Jérusalem désolées, sans humain, sans habitant, sans bête, oui ! on entendra les chants d'allégresse. La voix du fiancé, la voix de l'épousée, la voix de ceux qui disent : “Célébrez L'Eternel (2).” »

Aujourd'hui, dans la vieille ville de Jérusalem, du côté du pseudo-mont Sion ou de l'arc de pierre, dernier vestige de l'ancienne synagogue Ben Zaccaï que les Jordaniens ont incendiée (avec les autres synagogues du quartier juif dont ils se sont emparés en 1948), il n'est pas rare de voir, entre un poivrier et des bougainvilliers blancs, des fiancés qui vont s'unir sous le taleth tenu par quatre hommes en guise de dais nuptial. Les invités, des passants, heureux comme on l'est du bonheur des mariés, chantent la promesse de Jérémie. Elle fait partie des «sept bénédictions» des mariés que le Talmud a consignées il
y a seize siècles.

Vous, les déportés de Nabucho, les crucifiés de Varus, les esclaves de Titus, les martyrs d'Adrien, les bannis de Constantin, les apostats forcés des Almohades, vous que les croisés ont massacrés, vous que les Cosaques ont violées, vous les gazés de Sobibor..., entendez-vous ? Entendez-vous chanter l'époux et l'épousée irradiant une joie incomparable dans les allées de Jérusalem rendue à la souveraineté juive ? La cérémonie va finir. Alors, le jeune marié prend un verre, le casse..., ébrèche son bonheur, celui de l'épousée, émousse l'ivresse de l'assistance, avant d'entonner un chant sur l'air des sanglots longs des violons de l'automne. Et tous reprennent en chœur ces versets du Psaume 137 : «Si je t'oublie, Jérusalem, que ma droite se fasse inerte ! Que ma langue colle à mon palais si je ne te rappelle, si je n'élève Jérusalem au comble de ma joie.» Le Psaume 137, c'est celui des déportés de Nabuchodonosor ! «Sur les rives des fleuves de Babylone », raconte-t-il, les geôliers réclamaient des chants de Sion. Mais eux qui «avaient suspendu leurs lyres» refusaient à leur droite d'en pincer les cordes. «Comment, se lamentaient-ils, comment chanter les chants de L'Eternel sur une terre étrangère ?»

Si la promesse de Jérémie a pu paraître surréaliste aux Judéens que l'on déportait, qui voyaient brûler Jérusalem et son Temple, le spectacle, à Jérusalem, dans la Jérusalem réunifiée, des jeunes mariés chantant au faîte de leur bonheur la complainte des déportés, appartient à la catégorie encore peu étudiée – qu'Apollinaire me pardonne – du super-réalisme. Qui, chaque année, atteint de nouveaux sommets quand, aux joyeuses vacances d'août, les restaurants, les cinémas se ferment à Jérusalem qui prend le deuil au 9e jour du mois d'av pour... commémorer sa destruction. Pas son antique destruction. Sa destruction !

Dès le soir du 8 av, les fidèles se mettent à jeûner et dans les synagogues lisent Les Lamentations de Jérémie. Au déclin du soleil, le lendemain, dans les synagogues encore dépouillées de leurs ornements où ils sont de nouveau rassemblés, ils adressent à Dieu cette supplique : «Accepte, Eternel notre Dieu, de consoler les endeuillés de Sion et les endeuillés de Jérusalem, la ville qui porte le deuil, qui est ruinée, profanée et déserte. Détruite, puisque privée de ses enfants ; désolée, puisqu'elle est sans ses demeures ; profanée, parce que privée de sa Gloire ; déserte, parce que sans habitants... »

Certes, les arbres du jardin d'Eden ne fleurissent pas encore à Jérusalem. Jamais, cependant, la ville ne fut si abondamment peuplée. A peine les promoteurs y trouvent-ils encore un morceau de terrain pour élever ces ébauches de gratte-ciel que l'urbanisme exige et que les plus aventureux des thuriféraires de Jérusalem n'avaient osé imaginer. C'est que pour les inconsolables de Sion, la ville est déserte, est profanée, est anéantie. Et elle le restera aussi longtemps qu'elle sera privée de son Temple. Ce Temple qu'il leur est interdit de reconstruire ! D'abord, parce que son lieu est occupé. Depuis le VIIe siècle quand, pour détourner les sujets de son califat du pèlerinage à La Mecque, Abd al-Malik fit élever, sur l'emplacement du Temple, le Dôme du Rocher. La mosquée d'El Aqsa suivra et bientôt l'islam fera son Haram al sharîf («le noble sanctuaire») de l'espace que la Bible appelle « mont du Temple ». Quand, au troisième jour de la guerre en 1967, Tsahal libéra le Mur et que, sur le mont du Temple, un soldat eut l'idée de planter le drapeau d'Israël, Moshé Dayan le fit retirer sur-le-champ. Jamais le moindre des hommes politiques d'Israël n'a osé suggérer de rendre le mont du Temple à sa vocation première. Quant aux rabbins, ils affirment que seul Dieu est autorisé à rebâtir le Temple. Ou à le faire descendre du Ciel, le temps d'un rêve, dit le Talmud (3). Et aussi longtemps que le Bon Dieu ne l'aura pas fait, Jérusalem restera déserte, profanée et anéantie. Voilà pourquoi, dans la nuit de la Pâque à Jérusalem, chacun continue à chanter : «L'an prochain à Jérusalem !» Les trois mots dans le ciel de ma Hagada, concluent toujours celles que l'on imprime à Jérusalem aujourd'hui. Dans toutes les Hagadoth du monde qui, avec leurs illustrations et les commentaires chaque an renouvelés, ne cessent de battre le record d'édition hébraïque, c'est l'an prochain que Jérusalem sera reconstruite.

L'adjonction d'une voie transversale il y a moins de dix ans n'a pas réduit les embouteillages dans Jérusalem ; les grues métalliques y sont en perpétuel mouvement ; la ville attire par dizaines de milliers des pèlerins de toutes confessions, mais ses fans déclarent la ville déserte, profanée, anéantie.

On peut dire, bien sûr, que tout est question de définition. Ainsi Jérusalem ne serait pas Jérusalem, seulement le mont du Temple. Pour la bonne raison que le long, le très long rêve d'Israël en exil, ne s'est jamais fixé sur la rue du roi-George, à peine sur les murailles de Soliman le Magnifique, et certainement pas sur Guilo, à l'extrême sud de la ville. Il ne s'est focalisé que sur le Temple, lieu de la présence divine, symbole et témoin de l'élection d'Israël, de ses devoirs et de sa mission dans le monde. Le Temple étant toujours détruit et Jérusalem n'étant que le Temple, Jérusalem est bel et bien anéantie. CQFD.

Mais ce raisonnement ne tient pas. La promesse de Jérémie le montre à l'évidence, et si, à l'époque du Temple, Jérusalem était définie («définir», en hébreu, c'est clôturer) par l'espace précis que fixait le Sanhédrin, la Jérusalem de demain que les prophètes bibliques ont annoncée allait précisément jusqu'à Migdal Eder (4), la Guilo d'aujourd'hui ! Non ! Jérusalem n'est pas le Temple. Elle est aussi le Temple. Sur les places de Jérusalem chantent l'époux et l'épousée, dans ses rues jouent les enfants, comme l'avait annoncé le prophète Zacharie (5). Jérusalem n'est pas détruite : elle est magnifiquement vivante et peuplée. Mais elle n'est pas encore construite.

N'empêche qu'on pourrait le dire autrement que par une supplique désespérée du IIe ou du IIIe siècle composée à la vue d'Aela Capitolina, la Jérusalem où s'élevaient les temples de Jupiter et les théâtres de Rome. D'excellents esprits s'y sont efforcés. Ils pensent qu'aujourd'hui l'antique prière est une insulte à la Providence comme à tous ceux qui ont lutté pour rendre Jérusalem à ses rêveurs. Mais, pour eux aussi, Jérusalem appartient à demain. Aux lendemains qui chantent. Les lyres ne sont plus suspendues au-dessus des rives de Babylone. Simplement, les doigts restent gourds, incapables encore de rendre, en caressant les cordes, les chants de Sion.

Demain, donc ! Il ne faut pourtant jamais remettre à demain ce qu'on peut faire aujourd'hui. L'allemand est plus cruel encore qui accuse de paresse les émules du lendemain (6). Et il doit bien exister un proverbe chinois à l'unisson des fables de La Fontaine et de son préjugé anti-cigales. Aussi bien ne s'agit-il pas d'attendre demain, d'attendre que demain se fasse. Itshak Rabin croyait qu'il fallait faire les lendemains. Il disait qu'à Sion, les lendemains pouvaient chanter. Il en a même chanté les premières notes. Rappelez-vous l'estrade dressée sur... l'agora de Tel-Aviv – elle portera son nom –, Rabin qui chante Le Chant de la paix. Le Premier ministre est debout, reprend avec ses compagnons : «Ne dites pas : “Le jour viendra”, faites-le venir, ce jour !» Faites-le venir... Construire Jérusalem, construire une Jérusalem juste, susciter la paix, la ressusciter, la rendre à l'équité, voilà ce qu'il nous faut faire. Tant qu'il est vrai que Jérusalem fut programmée pour l'équité (tsédek) et la paix (shalom). Son nom en témoigne et, dans la Bible, un nom identifie avant d'être identité. Hans Küng, le théologien, parlait de « noms-programmes ». Nous allons en connaître deux au chapitre 14 de la Genèse.

La Bible y fait le récit d'une guerre – la première à figurer dans les Ecritures –, celle de quatre roitelets contre cinq qui, à Sodome où il habitait, font prisonnier Loth, le neveu d'Abraham. Aussitôt, ce dernier prend les armes. Seulement pour délivrer Loth. Le Patriarche n'est pas concerné par cette guerre qu'il remporte avec l'aide de ses alliés et refuse sa part de butin. «Je ne prendrai pas même un lacet de soulier», dit-il au roi de Sodome. Sur le chemin du retour, à l'entrée d'une ville que nous allons découvrir, l'accueille un «prêtre du Dieu suprême» qui lui présente une miche de pain, du vin, et le bénit. Abraham répond en lui versant la dîme de son bien. La paix par l'offrande, la paix par le partage, la paix en partage. Le pontife porte le titre de «Malkhi-Tsédek» (roi du tsédek), et la ville a pour nom Shalem. Dans le texte biblique sans voyelles, on peut prononcer «Shalom». Tsédek et shalom, l'équité et la paix, sont indissociables. Et l'association des deux mots, ici, où l'un et l'autre apparaissent pour la première fois, ne saurait être fortuite. La première mention d'un mot sollicite toujours le commentaire. Sous une forme ou une autre, Jéru-shalem apparaît quelque neuf cents fois dans la Bible hébraïque, mais pour son lever de rideau, la ville ne le présente qu'avec Tsédek, l'exigence d'équité qui lui est associée.

Notes :
  1. Michée, 4, 3-4.    Retour au texte.
  2. Jérémie 33, 10 et suiv.    Retour au texte.
  3. B. Talmud, Roch Hachana 30a.    Retour au texte.
  4. Voir Michée 4, 8 et Genèse 35, 21.    Retour au texte.
  5. Zacharie 8, 5.    Retour au texte.
  6. « Morgen, morgen, nur nicht heute sagen alle faule Leute. »    Retour au texte.

 

Israel Judaisme alsacien Accueil
© A . S . I . J . A .