ב"ה
Le mouvement de jeunesse Yechouroun en France 1926-1970
par Moché Oren
ניסן תשס"ה - Avril 2005
texte en hébreu traduit par Tirtsa Kauders



Miriam au premier plan, debout à sa gauche, Théo Klein,
Moché Oren est assis derrière la table, et un petit colon
est debout à gauche de Théo

Le texte qui suit donne une perspective sur l'activité du Yechouroun, mouvement de jeunesse dans la tradition de la Torah. Je me suis servi de documents se trouvant dans des archives et dans le site internet du judaïsme d'Alsace-Lorraine, ainsi que de souvenirs personnels de l'époque où j'étais membre du mouvement à Vichy, et de celle où j'étais l'un des chefs du mouvement à Strasbourg et dans les camps d'été du mouvement Noar Yechouroun".
édie ce texte à la mémoire de ma chère épouse Miriam ע"ה qui a participé à toutes mes activités, aussi bien au Yechouroun qu'au kibboutz Shaalvim où nous nous sommes installés après les fêtes de Tichri de l'année 5716 (1955-56).
Moché Oren, kibboutz Shaalvim

1. La période précédant la deuxième guerre mondiale : 1926-1940

Le mouvement Yechouroun a été créé à Strasbourg par des membres de la communauté orthodoxe Etz "Haïm, sous la direction spirituelle du rabbin Robert Brunschwig, dans le but d'offrir aux jeunes des activités sportives telles que parties de football et excursions. Très rapidement, c"est devenu un mouvement de jeunesse pour garçons et pour filles, qui s'est fixé pour objectif l'étude de la Torah, et l'éducation de ces jeunes : Oneg Shabath, camps d'été et séminaires consacrés à l'étude des textes juifs.

Des séminaires, avec des programmes d'études, ont été organisés pour les chefs de groupes en collaboration avec les moniteurs du mouvement de jeunes de l'Agoudath Israël de Zürich (en Suisse), et la participation active des rabbins Brunschwig et Munk, et du docteur Hermann.

En 1935 (תרצ"ה), le mouvement Yechouroun a décidé de se rattacher à l'Agoudat Israël. Le dirigeant du mouvement, Jacques (Bô) Cohn, a même participé à l'assemblée générale de l'Agoudath Israël. C"est à ce moment que le nom Yechouroun a été donné au mouvement de jeunesse.
La nécessité de créer un mouvement de jeunesse juif orthodoxe s'imposait par la conjoncture historique de cette période : en effet, il y avait, dans les milieux juifs, une influence grandissante de l'émancipation (les droits de l'homme) qui était à l'origine de l'assimilation, avec les débuts du sionisme actif, surtout après la déclaration Balfour, vers la fin de la première guerre mondiale. Dans la société non-juive, le mouvement de liberté qui avait son origine dans la Révolution française, la révolution industrielle, et l'influence de la révolution communiste en Russie, les courants socialistes face aux mouvements intellectuels libéraux. Et aussi les manifestations d'antisémitisme (comme l'affaire Dreyfus), puis la naissance du régime nazi et la puissance grandissante de Hitler en Allemagne.

2. La deuxième guerre mondiale - la Shoah – et la persécution des juifs par les allemands

Les meilleurs parmi les jeunes orthodoxes ont dirigé le mouvement de jeunesse Yechouroun sous la direction active de personnalités du monde de la Torah. Un lien s'est formé avec les autres courants du judaïsme orthodoxe : Agoudath Israël, et aussi le Mizrahi qui, à cette époque, c'est-à-dire avant la deuxième guerre mondiale, se sont séparés pour former les Po'alei Agoudath Israël, avec le mouvement Ezra, et les Po"alei Hamizra"hi (BHD) qui se sont fixé pour but d'aller habiter en Terre sainte (la Palestine, sous le mandat britannique). En particulier en Alsace, dans les alentours de Strasbourg, ces groupes se sont fixé pour but une préparation à l'Aliya,

C"était l'époque de l'émigration en masse des juifs venant d'Europe de l'Est et d'Allemagne. Lorsque la guerre a éclaté (septembre 1939) beaucoup de familles ont trouvé asile dans différentes villes de province. Les membres du Yechouroun se sont trouvés isolés, sans savoir où trouver la direction du mouvement. A ce moment, le mouvement Yechouroun s'est séparé de l'Agoudath Israël, il s'est fixé un idéal religieux sans aucun attachement politique. Cette attitude apolitique est restée spécifique au mouvement Yechouroun.

Soixante chefs Yechouroun, venus de Limoges, Lyon et Marseille, se sont réunis en 1941 au camp de formation de Montintin, en Haute-Vienne. Ils ont décidé de leurs efforts devaient se concentrer sur :
1- l'enseignement du judaïsme et l'observation de ses règles aux garçons et aux filles, y compris à ceux qui avaient été internés aux camps de Gurs et de Rivesaltes ;
2- de faire leur possible pour former une base où les jeunes trouveraient la possibilité d'avoir des contacts amicaux et d'être encouragés et soutenus durant cette terrible période. Il était indispensable que les membres du mouvement sentent qu'ils n"étaient pas seuls et qu'ils pouvaient compter sur l'amitié des autres membres du mouvement Yechouroun. C"est ce qu'on appelle en hébreu : (Psaume 133:1) "שבת אחים גם יחד" "des frères qui sont aussi assis ensemble".

En 1942, une autre décision fut prise : celle de créer des internats pour aider les jeunes dont les parents se cachaient, ou avaient malheureusement été déportés vers les camps de concentrations allemands. On chercha aussi à faire passer des enfants vers la Suisse qui ""acceptait" de recevoir dans ce pays neutre des jeunes venant de France.

C"est à cette époque qu'ont commencé à circuler des cours de Torah par correspondance, ce qui a été le travail de Jacques (Bô) Cohn et de Théo Klein. Ces cours agissaient comme des'drogues' pour une grande partie des jeunes juifs qui les recevaient.

Pendant une période de six mois, en 1941-1942, Paul Klein (Moché Catane) a dirigé un séminaire de filles à Marseille, dans le but de leur donner un enseignement de Torah, et de les diriger vers l'enseignement et vers le travail social avec des jeunes, et aussi dans le but de former des jardinières d'enfants et des enseignantes qui travailleraient dans les écoles.

La situation dans laquelle on se trouvait à cette époque a fait que les jeunes étaient prêts à tout faire pour s'entraider, pour faire des sacrifices afin de sauver d'autres juifs, quel que soit l'endroit où ils se trouvaient, en suivant les directives de leurs chefs et des rabbins qui avaient créé et développé le mouvement de jeunesse Yechouroun, en collaborant avec les E.I. (Eclaireurs Israélites de France) et avec le Bné Akiva. Encore une fois un exemple de "שבת אחים גם יחד" c'est-à-dire de coopération malgré les différences d'opinions.

Jusqu'à présent j'ai mis par écrit des sujets que j'ai retrouvés dans les papiers restés de cette époque. Je désire maintenant ajouter quelques souvenirs personnels datant de la période de la guerre.
J'avais été placé avec ma sœur Tova dans une institution pour enfants réfugiés située près de Vichy où nous habitions, une des institutions qui avaient été fondées à cette époque, comme je l'ai écrit. L'éducation juive que nous avons reçue là-bas est restée profondément ancrée dans mon souvenir : le Shabath nous allions à pied à l'école du village, et nos moniteurs faisaient très attention que nous ne portions rien en dehors du t'houm (périmètre) formé par la cour de l'école, et tenaient surtout aux prières que nous disions à haute voix, avec des mélodies que j'entends encore aujourd'hui.


Camp Volant dans les Vosges avec le futur Dr Jean Hirsch assis à gauche - 2e rangée. Moi-même 3e rangée avec un béret. 3e rangée à gauche Judith née Muller . A droite 3e rangée Arlette née Skorniki,  Eliane née Dreyfuss. 2e rangée Rogay (Geisbock). 1ère rangée Edith Bloch née Mulle , Ruth Katz .

Colonie de vacances dans les Alpes.

3. De la fin de la guerre jusqu'en 1970 – fin de l'activité d'enseignement juif selon la Thora.


Colonie de vacances du Yechouroun dans les Alpes.
Malgré les difficultés, et malgré la triste disparition d'une partie des jeunes du Yechouroun, de leurs moniteurs et des rabbins qui les avaient accompagnés, le mouvement s'est organisé et a pris de l'élan. Il s'est divisé en deux groupes : Yechouroun 1, mouvement de réflexion approfondie, sous la direction de Paul Klein (Moché Catane, Théo Dreyfus, Benno Gross, Bernard Picard, Marc Breuer, du professeur et rabbin André Neher et de son frère Richard Neher.
Le mouvement Yechouroun 1 a publié des brochures de haut niveau, il a organisé des séminaires et des soirées d'étude et de réflexion. Mais leurs opinions "ouvertesé sur la direction intellectuelle du mouvement Yechouroun, sous l'influence de la réflexion "libre" de la France "éclairée" a été à l'origine de discussions avec les jeunes et avec les rabbins.

Quant à Yechouroun 2, le mouvement de jeunesse Yechouroun – orthodoxe selon la méthode d'enseignement de la Torah du rabbin Samson Raphaël Hirsch – il a décidé de diriger l'enseignement destiné aux jeunes de familles pratiquantes et de familles assimilées, pour les amener à l'obéissance des règles du judaïsme telles qu'elles ont été données. Ceci les a amenés à se mesurer aux problèmes journaliers, ce qu'ils ont fait avec succès. Avec le temps, la plupart de ces anciens élèves se sont installés en Israël.

Au bout d'un certain temps, Yechouroun 1 a cessé d'exister, tandis que Yechouroun 2 a continué sous la direction de Theo Klein et de son épouse Edith, qui se sont dévoués corps et âme, suivant l'orientation des rabbins.

Il ne fait aucun doute que le degré le plus élevé a été la réponse précise et détaillée donnée par le rav Yehiel Yaakov Weinberg qui a accepté de répondre à la question suivante posée par la direction du mouvement : "comment les moniteurs du Yechouroun devaient-ils, selon la Torah, organiser les activités des camps d'été ainsi que les différents groupes de garçons et de filles qui participaient ensemble aux activités de groupes ?"
Cf. la responsa du rav Weinberg à ce sujet : cette réponse se fonde sur la grande confiance dans les moniteurs du Yechouroun qu'avait le rav Weinberg ; on en citera ici la conclusion : "Les nécessités de l'heure  appellent à la création d'un groupe de jeunes gens et jeunes filles religieux, un mouvement de jeunesse à l'enthousiasme contagieux, doté d' une puissante force d'attraction. Etant enracinés dans le sol du judaïsme religieux, ils seront capables d'insuffler un air nouveau au sein du judaïsme,  celui d'une âme ardente, d'un souffle frais et vivant, qui aura la force de conquérir les cœur et de stimuler les esprits affaiblis.  En effet, la nostalgie de la sainteté d'une vie juive pure n'a pas disparu chez eux. Ce n'est que dans le cadre de l'organisation "Yechouroun" qu'il sera possible d'attirer des jeunes  qui ne serait jamais venus ailleurs. Ce n'est que dans ce cadre qu'on trouve l'opportunité d'une renaissance de l'esprit religieux, et son activité éducative est apte  à gagner les cœurs et à ouvrir une voie."

Les différentes branches du mouvement se trouvaient à Strasbourg, Lyon, Paris, Nice et Rouen, et quelques autres villes encore, et le nombre de ses membres ne dépassait pas 300 jeunes qui participaient régulièrement aux activités. Mais des dizaines de jeunes venaient aux camps d'été qui étaient organisés chaque année (deux sections d'un mois chacune).

La revue Yechouroun était publiée régulièrement, et il y avait des activités de formation pendant les vacances d'hiver, ainsi que des stages de formation ("séminaires'). C"est à cette époque qu'il y a eu un changement dans l'attitude du mouvement Yechouroun envers l'immigration vers Erets Israël et l'orientation par les éducateurs pour que les jeunes observent la mitsva de s'y installer. C"est ainsi qu'ont été organisés plusieurs fois des voyages de groupes de jeunes du Yechouroun, ainsi que de moniteurs, en collaboration avec les mouvements (israéliens) Ezra et Po'alei Agoudath Israël. Le point d'appui était le kibboutz Shaalvim !

L'arrière-plan historique, qui s'est profondément transformé suite à la deuxième guerre mondiale et à la terrible SHOAH, a fait que le mouvement Yechouroun a dû affronter, sur le plan de l'éducation, de l'enseignement de la Torah et du sionisme, des défis qui se sont ajoutés aux objectifs normaux d'un mouvement de jeunesse orthodoxe.
Comment doit-on affronter l'enseignement général par rapport à l'enseignement des matières juives ? Le courant orthodoxe [Haredi Torahni] a pris de l'envol sous l'influence des yechivoth : la Yechivath "Hachmei Tsarefat sous la direction du rav 'Haykin (qui avait été élève du 'Hafets 'Hayim), la Yechiva de Gateshead, et l'institution pour les jeunes filles orthodoxes en Angleterre, créée sous la direction du rav Eliahou Dessler. Plus tard, s'est ouverte la Yechiva Mercaz Harav, en Israël, qui a accueilli de nombreux membres du Yechouroun.



Colonie de vacances du Yechouroun

 

Pour terminer :
Le mouvement Yechouroun a été actif pendant une cinquantaine d'années (trois générations). Ila été une chaîne indispensable et dominante dans l'éducation des jeunes juifs de France, du fait qu'il marchait dans le monde de la Torah tout en se mesurant aux problèmes actuels du monde juif, et à ceux de l'univers dans son ensemble, où se sont produits d'énormes changements.

Qu'il me soit permis de dire que l'influence du mouvement Yechouroun a dépassé les frontières locales et a exercé une influence positive pour mêler le monde de l'éducation à celui de la Torah pour ses membres, qui pour la plupart, ont fait partie des éducateurs de la nouvelle génération, et ont été parmi ceux qui ont su être des modèles de "Torah im derech Eretz".


© A . S . I . J . A .