Hommage à Claude MEYER-LÉVY,
l’architecte de la synagogue de la Paix à Strasbourg
par Jean DALTROFF
1908 - 2008

Claude Meyer-Lévy © J. Daltroff
Claude Meyer-Levy
Son parcours

Claude Meyer-Lévy, le cousin de ma belle-mère, Jacqueline Blum s'est éteint à Nîmes le 8 mars dernier, entouré de l'affection de sa seconde épouse, Esther.
Il allait fêter ses cent ans le 4 juin 2008.

Sa famille était en partie originaire de Phalsbourg, la ville d'Erckmann-Chatrian. Né à Paris, il était le fils de Paul Meyer-Lévy, architecte et de Sophie Weill.

Il épousa Colette Lévy (1910-1981) dont il aura deux enfants, François, disparu à vingt-deux ans en 1956 et Ariane, artiste peintre qui lui donnera trois petits-enfants.

Il fut l'ancien élève de Gustave Umbdenstock, architecte alsacien et professeur à Polytechnique et  de Paul Tournon, Membre de l'Institut, à l'Ecole Nationale supérieure des Beaux-Arts. Après avoir obtenu son diplôme d'architecte en 1933, Il reçut le prix Chenavard en 1935 et fut lauréat du concours d'urbanisme de Belgrade en 1936. Lauréat du concours pour l'exposition Arts et Techniques de Paris en 1937, il fut l'architecte du pavillon de la France de San Francisco en 1938.

Mobilisé en 1939, il s'engagea comme volontaire dans les Forces Françaises libres en 1943. Il devint officier de liaison auprès de l'armée américaine (1944-1945) et fut présent le jour de la libération de Strasbourg en novembre 1944.

Il fut nommé en 1946 architecte en chef adjoint de la Reconstruction et de l'Urbanisme (MRU) à Saint-Dié qui fut totalement incendié par Karl Oberg, le "boucher de Paris". Il fit une carrière  d'architecte des bâtiments civils et palais nationaux.

Claude Meyer-Lévy réalisa dans le domaine de l'éducation, les collèges et lycées à Saint-Dié et à Pointe-à-Pitre. Dans le domaine de la culture, il réalisa la Radio de Fort-de-France, la synagogue de Saint-Dié inaugurée le 9 septembre 1963 par le grand rabbin Jacob Kaplan et la Bibliothèque du Séminaire Israélite de France. Dans le domaine de la santé, il s'illustra par la construction des hôpitaux de Saint-Dié et de Pointe-à-Pitre, et réalisa l'édifice de la Sécurité Sociale et le Dispensaire de Fort-de-France. Il laissa également son nom aux H.LM de la ville de Paris Belleville (20e) et le Siège social de la BRED à Paris Bercy.

L'architecte de la Synagogue de la Paix

Extérieur de la synagogue de la Paix - © J. Daltroff
La synagogue de la Paix fut bâtie au lendemain de la seconde guerre mondiale pour remplacer la synagogue du quai Kléber incendiée par un commando de la Hitlerjugend composé en partie d'Alsaciens le 12 septembre 1940 [1].

En 1948, la ville de Strasbourg mit à la disposition de la communauté juive, un bâtiment de l'ancien Arsenal, place Broglie d'une capacité de 600 places, qui servit de synagogue provisoire de mars 1950 à  mars 1958.

Des pourparlers s'engagèrent avec la municipalité de Strasbourg qui aboutirent à un acte d'échange le 2 février 1953 du terrain du quai Kléber contre une parcelle de superficie équivalente située sur le parc des Contades et donnant sur l'avenue de la Paix [2].

Le projet de reconstruction d'une synagogue fut confié à Charles Ehrlich, Président de la Commission administrative en mai 1950.

Un concours fut lancé au mois d'août 1951 pour la construction d'une nouvelle synagogue à Strasbourg avec des locaux qui en feraient un véritable centre communautaire. Trente-deux candidats de toutes les régions de France y participèrent. Le jury était composé de quatre architectes Emmanuel Pontremoli et Roger Expert, membres de l'Institut, Jean-Paul Drillien, président de l'ordre des architectes d'Alsace-Lorraine, Lucien Cromback, architecte en chef du Gouvernement et quatre membres de la Commission administrative : Charles Ehrlich, Georges Bloch, Arthur Kaufmann et Félix Lévy.

Ce jury retint cinq projets. Les auteurs furent invités à poursuivre leurs études, jusqu'à la date du jury final, le 10 mars 1952. Claude Meyer-Lévy se vit décerner le premier prix à l'issue de la délibération finale grâce à l'insistance de Roger Expert et des autres architectes avec comme recommandation de reconsidérer l'esthétique de sa façade.

Comme Claude Meyer-Lévy venait de Paris, il fit appel à un architecte strasbourgeois Jean-Paul Berst, diplômé du Polytechnikum de Zürich et René Heller pour la décoration intérieure.

La première pierre fut posée le 5 septembre 1954. La cérémonie fut radiodiffusée et télévisée en différé [3].

Les travaux s'échelonnèrent sur plus de trois ans. Pas moins de 54 réunions de la Commission de reconstruction eurent lieu entre le 1er juillet 1955 et le 25 novembre 1957. En juin 1957, Claude Meyer-Lévy constatait que les portes monumentales n'étaient pas prêtes, que les raccords de peinture n'étaient pas faits et qu'en raison des congés payés, de nombreux corps de métiers ne pourraient terminer leurs travaux [4]. Le 10 mars 1958, la Commission de Reconstruction se réunissait avec les architectes Claude Meyer-Lévy et René Heller. Une véritable course contre la montre était engagée pour coller les panneaux de l'oratoire des jeunes et pour nettoyer la façade extérieure. Les maisons Del Fallo, Tronik, Classmann et Kaufmann étaient priées d'accélérer les travaux dans le vestibule [5].

La consécration de la synagogue de la Paix donna lieu le dimanche 23 mars 1958 à une manifestation de haute spiritualité. Elle fut précédée par un dernier office dans la synagogue provisoire place Broglie le samedi soir 22 mars. Les Tables de la Loi passèrent devant le square de l'ancienne synagogue du quai Kléber où une minute de silence fut observée [6]. Ainsi un pont avait été établi entre la synagogue du quai Kléber, celle de la place Broglie et la synagogue de la Paix.

Très différente de l'ancienne synagogue par son style et par sa conception architecturale moderne, la synagogue de la Paix n'était pas seulement un édifice à vocation cultuelle, c'était aussi un centre culturel par la juxtaposition autour des lieux de prières des locaux propres aux activités administratives, éducatives et sociales les plus diverses.

Intérieur de la synagogue de la Paix - © J. Daltroff

La synagogue de la Paix qui pouvait accueillir plus de 1600 personnes marquait le retour à la monumentalité. Un emplacement nouveau, un matériau (la pierre naturelle taillée, le béton armé brut et métal) et un mobilier résolument modernes caractérisaient l'édifice. L'architecte conçut un sobre vaisseau de béton dans la lignée des frères Perret, mais avec une remarquable adaptation du matériau au symbolisme judaïque. La vaste voûte est portée par douze colonnes évoquant les douze tribus d'Israël. Les deux premières encadrent le portail extérieur tout en symbolisant Yakin et Boaz les deux colonnes du Temple de Salomon et les dix autres à l'intérieur évoquent les Dix commandements. La façade principale donnant sur l'avenue de la Paix est composée d'un réseau d'étoiles de David, monumental ouvrage de ferronnerie, à la base duquel en fer également s'ouvre le portail orné par les emblèmes des douze tribus. Au-dessus du portail figure une inscription une inscription en hébreu du livre de Zacharie (4:6)  "Plus fort que le glaive est mon esprit".

À l’intérieur, la structure de la nef est d’une hauteur de vingt-deux mètres [7].  L'estrade s'élève progressivement en direction de l'Arche sainte, petit sanctuaire rond en fer forgé, œuvre du prestigieux ferronnier d'art parisien Gérard Poillerat. Le rideau de l'Arche sainte interchangeable est une tapisserie de Jean Lurçat présentant les traditionnels lions annonçant la royauté de la Torah et le buisson ardent de Moïse. Deux monumentaux chandeliers à huit branches éclairent l'estrade. Sur le fronton, on remarque une inscription en hébreu : "N'avons-nous pas tous le même père ?"

Claude Meyer-Lévy a conçu et construit la synagogue de la Paix avec foi et avec amour. Il croyait de toutes ses forces bien des années après l'inauguration de la synagogue "qu'un Temple doit, avant tout, être un geste symbolique, au niveau du sacré : une maison communautaire, dans le sens le plus élevé, un lieu de synthèse et de foi".

Puisse son  message être transmis à la nouvelle génération comme un signe fort de solidarité et d'unité pour la communauté juive strasbourgeoise.

Sommet de l'Arche sainte - © M. Rothé
Notes :
  1. Jean Daltroff, 1898-1940 La synagogue consistoriale de Strasbourg, Strasbourg, Editions Ronald Hirlé, 1996, p. 57.    Retour au texte.
  2. Bulletin de nos Communautés (BDNC par la suite), N° 25, vendredi 12 décembre 1952,  La synagogue consistoriale de Strasbourg sera reconstruite au Contades , p.13-16.    Retour au texte.
  3. Archives de la communauté israélite de Strasbourg, (ACIS par la suite) P.V. de la séance du 31 août 154.    Retour au texte.
  4. ACIS, P.V. de la séance du 17 juin 1957.    Retour au texte.
  5. ACIS, P.V. de la séance du 10 mars 1958.    Retour au texte.
  6. Les Dernières Nouvelles d’Alsace, N° 70, dimanche 23 mars et lundi 24 mars 1958 : Emouvante cérémonie d’adieu hier à la synagogue Broglie ; les D.N.A., N° 71, mardi 25 mars 1958 :  La consécration de la synagogue de la Paix ; BDNC, N° 7, vendredi 4 avril 1958 : Consécration de la synagogue de la Paix, p. 8-10.    Retour au texte.
  7. Patrick Bertrand, La synagogue de la Paix, Histoire et patrimoine de l’architecture contemporaine, 3e cycle, Strasbourg 2001, p. 31 et p. 37.


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