1962
par le Grand Rabbin Max Warschawski

Max et Mireille Warschawski en 1958
- © Etienne Klein
Warschawski
Un coup de téléphone de la Préfecture au secrétariat de la communauté, nous annonce qu'un avion en provenance de Marseille, va atterrir à Entzheim, avec des réfugiés juifs d'Algérie qui veulent s'installer en Alsace.
C'était il y a quarante ans, un vendredi, et il nous fallut retarder d'une heure l'entrée du Shabath et l'office de la Grande synagogue pour les accueillir.
Ainsi commence l'histoire de la rencontre de notre communauté avec le judaïsme séfarade.

Le centre communautaire, construit quatre ans auparavant, devait se préparer pour accueillir à titre temporaire des coreligionnaires qui quittaient l'Algérie.
Quelques heures plus tard atterrissaient une soixantaine de personnes, hommes, femmes et enfants membres d'une famille venue du sud algérien ( le M'zab), qui avaient demandé à venir dans une communauté ou ils pourraient manger cacher et trouver un environnement traditionnel.
Le Préfet de Marseille, Monsieur Haas Picard, les avaient orientés vers l'Alsace.

Il y avait alors très peu de juifs séfarades dans notre région. Apres la guerre, quelques soldats venus avec les armées de la Libération, étaient restés dans l'Hexagone et y avaient fondé des foyers. Au moment de la révolution en Egypte (1954) quelques familles s'étaient installées dans la banlieue de Strasbourg.
Puis de jeunes marocains étaient arrivés dans la ville pour y faire des études (surtout de médecine) sachant qu'ils pourraient vivre ici dans des milieux pratiquants.
Au moment de l'indépendance de l'Algérie, des parents, inquiets - et à juste titre - pour l'avenir acceptèrent d'envoyer à titre temporaire de jeunes enfants en Métropole en attendant la suite des événements. A Strasbourg, des familles s'étaient offertes à les héberger et quelques dizaines de jeunes vivaient avec nos enfants et fréquentaient l'Ecole Aquiba. D'autres furent logés dans les internats.

Lorsque débuta le grand exode, des milliers de Juifs quittèrent l'Algérie. La plupart d'entre eux choisirent le midi de la France, dont la population juive était séfarade, ou la région parisienne qui allait le devenir presque entièrement. Toutefois nos responsables communautaires se préparèrent à accueillir des réfugiés, se souvenant de leur propre situation lors de l'évacuation en 1939.

C'est ainsi que l'on mobilisa des locaux inoccupés dans des communautés rurales. Les colonies de vacances comme Schirmeck ou les centres communautaires de Lingolsheim et de Soultz sous Forêts furent transformés en centres d'accueil.

A Strasbourg, des responsables de tout bord se réunirent et décidèrent de transformer en dortoirs la salle des fêtes du nouveau centre communautaire(salle Léo Cohn) et la salle de gymnastique. L'arrivée de ce premier groupe ne nous prit donc point au dépourvu.

Pour assurer la nourriture, les internats de Strasbourg acceptèrent, à tour de rôle, de fournir le nécessaire.
L'Action Sociale Juive sera responsable des problèmes administratifs, aidée par un nombre de volontaires.
Quant aux questions de santé, une équipe féminine avec a sa tête une jeune infirmière (Lise Hanau) qui passait des journées entières au centre, s'occupa des soins à donner aux enfants et aux mamans. Un comité central regroupait l'ensemble des institutions sociales et éducatives et lança un appel angoissé pour recueillir des fonds pour une activité que l'on prévoyait longue et onéreuse.
Les écoles juives se préparèrent également à recevoir des jeunes rapatriés ainsi que les internats. On organisa des cours de rattrapage.
Les appels lancés par les rabbins et les responsables communautaires furent bien entendus et le FSJU centralisa les fonds recueillis.

En très peu de temps, le nombre de rapatriés se chiffra par centaine de familles. Si beaucoup d'entre elles trouvèrent des logements auprès de leurs proches déjà intégrés en Alsace, d'autres acceptèrent de s'installer dans les communautés de la région. Mais elles n'y restèrent que peu de temps, le temps de trouver à se loger. La Ville permit aussi à des réfugiés d'occuper pendant des semaines l'auberge de la jeunesse de Koenigshoffen.

La Yeshiva Eschel
Eschel
Mais avec l'augmentation de la population rapatriée, d'autres besoins se firent jour.
Un lycée yechiva (Eshel) s'ouvrit à côté des écoles existantes et le rabbin Abitbol créa, avec le rabbin Klapish, la Yechiva des étudiants, destinée à des jeunes qui voulaient compléter leurs études universitaires par un enseignement kodesh.

Les mois passèrent et les fêtes approchaient. Il fallait trouver des locaux pour permettre la tenue d'offices de rite séfarade.
En 1960 déjà la communauté avait organisé des minyanim pour Roch Hachana et Yom Kippour.
L'année suivante, des offices réguliers eurent lieu tous les Shabath dans la salle Hallel du centre communautaire.
En 1962, des lieux de culte furent ouverts à Cronenbourg et à la Canardière.
Mais tous ces locaux s'avérèrent trop exigus lors des fêtes de Tishri et des offices eurent lieu dans la salle Joffre, sous la direction du rabbin Albert Hazan, aumônier militaire.
La population dépassa bientôt le nombre de 500 familles et il fallut songer à établir des oratoires permanents dans la périphérie. Pour la ville, la Salle Léo Cohn servit d'oratoire aux rapatriés habitant le centre de Strasbourg, avant d'être transformée en véritable synagogue.
Les nouveaux quartiers connurent une population séfarade de plus en plus nombreuse. Il en sera ainsi de l'Esplanade. Une synagogue préfabriquée provisoire fut construite, permettant-elle aussi la tenue d'offices réguliers auxquels se joignaient les Juifs alsaciens habitant ces quartiers.

La communauté de Strasbourg était et resta une Kehila unifiée. Mais il n'était pas question d'imposer un rite commun.
Le Rabbin Hazan fut désigné comme le guide spirituel du Kahal séfarade, qu'il dirigea de facon exemplaire. Lorsqu'il décida de s'installer en Israël, il fut remplacé par le Rabbin Roger Touitou, avant que celui ci ne soit nommé à la tête d'une des grandes synagogues parisiennes.

La synagogue de l'Esplanade - © Etienne Klein
La population séfarade ne cessa de grandir. : Cronenbourg, la Meinau, l'Esplanade étaient devenus des sections de la grande communauté. Leurs rabbins faisaient partie de l'équipe rabbinique de Strasbourg. Mais de plus en plus, on sentit le besoin de remplacer le provisoire par du permanent ; c'est pourquoi la communauté aida les fidèles à construire des synagogues.
La première fut édifiée à Cronenbourg. Le rabbin Raphael Perez en sera le chef spirituel avant de succéder au rabbin Touitou comme rabbin du rite séfarade de la communauté de Strasbourg.
En 1985, on construisit la synagogue de la Meinau avec à sa tête le rabbin David Abergel.
Ces synagogues devaient servir à la fois pour le public ashkénaze et séfarade et les offices devaient être alternés. Mais la population séfarade était tellement supérieure en nombre que seul son rite fut maintenu.
Depuis 1977, une synagogue provisoire a été construite à l'Esplanade. Elle sera remplacée en 1992 par un bel édifice que dirige encore aujourd'hui le rabbin Claude Spingarn (un des rabbins ashkénazes de la communauté).

Les années ont passé : la communauté de Strasbourg a changé d'aspect.
Deux générations sont nées en Alsace. Nos enfants fréquentent les mêmes écoles, les mêmes mouvements de jeunesse. La plupart des mariages se font entre les jeunes issus des deux communautés.
Je dirai que cette osmose aura été une bénédiction pour le judaïsme alsacien.
La construction, à côté du centre communautaire de la Paix, de cette merveilleuse synagogue Rambam, il y a un an, est la meilleure preuve d'une intégration réussie.
Ceci grâce au dévouement des responsables spirituels et administratifs des deux composants de la communauté.


Témoignage de Mireille Warschawski

J'aimerais ajouter mes souvenirs personnels liés à l'arrivée des Juifs d'Afrique du Nord et à leur intégration dans la vie de la communauté de Strasbourg.
J'aimerai immédiatement préciser que je ne me suis personnellement que très peu investie dans l'action. J'étais très proche de mon mari qui a consacré beaucoup de temps et de cœur à l'organisation de la vie de gens qui avaient dû abandonner non seulement l'endroit dans lequel ils avaient vécu pendant des générations, mais également leur métier, leur parnassa, leurs habitudes aussi bien culturelles que religieuses.
Il fallait avant tout résoudre leurs problèmes matériels, leur vie de tous les jours.
Il était indispensable pour cela d'éviter deux pièges : évidemment ne pas mépriser et faire la charité à ces "pauvres réfugiés" si étrangers à la vie en Alsace et d'autre part ne pas tomber dans une attitude paternaliste de protecteurs ; il fallait conserver à ces gens dépaysés leur dignité humaine, pour eux-mêmes et vis à vis de leurs enfants.
Il était indispensable de leur préparer ainsi une place de membres de la communauté à part entière, tout en respectant leurs spécificités… s'ils décidaient de rester à Strasbourg.

Je voudrais rappeler ici quelques exemples que la discrétion des volontaires concernés a conduite à l'oubli. J'évoquerai pour commencer le travail indispensable et exemplaire exécuté par Lise Hanau en temps qu'infirmière présente au centre communautaire chaque jour du matin jusqu'au soir. Sa modestie l'empêche d'en parler elle-même ; mais elle fut d'une efficacité exceptionnelle.
Je ne voudrais pas oublier de mentionner le médecin, qui tous les matins, avant de s'occuper de ses patients, passait au centre communautaire pour examiner et traiter les malades éventuels : le Docteur Léon Bergmann avait pris sur lui d'assumer cette tâche.
J'aimerai également évoquer un souvenir plus personnel. Cela se passait à l'approche de la fête de Pessah. Il fallait d'urgence trouver le moyen de permettre aux nouveaux arrivés de se procurer le ravitaillement et en particulier la viande, à un prix abordable. Mon mari avec l'aide efficace et discrète de Loup Meyer Moog, s'est occupé de l'achat et de la she'hita, l'abattage rituel (à prix abordable) de l'énorme quantité de volailles indispensables pour la période des fêtes.
J'insiste sur ce fait : sans la collaboration et l'aide illimitée de Loup, jamais le but n'aurait pu être atteint.

Rapatriés d'Algérie au Centre communautaire - © Etienne Klein
Rapatriés6
J'ai parlé de Lyse, de Loup et de Léon, car du fait de leur modestie, à cause du naturel et de la spontanéité de leur collaboration jamais ils ne se sont vantés de leur contribution. Je suis persuadée que tous ceux qui les ont côtoyés durant cette période conservent la mémoire de leur dévouement quotidien.

Quarante ans plus tard !!!…Je lis avec attention le carnet familial de Chabbat Chalom et je m'aperçois qu'il y a de moins en moins de mariage entre ashkenazim, qu'ils soient alsaciens ou d'origine polonaise. Les mariages sont de plus en plus souvent "mixtes", dans le bon sens du terme.
Je me tourne vers ma propre famille, enracinée en Alsace depuis de siècles, et je mentionnerai un des exemples les plus caractéristiques et les plus émouvants.
Mes cousins Simone et Jean-Jacques Franck ont cinq enfants. Ils ont été élevés d'une façon on ne peut plus alsacienne. Tous, filles et garçons ont épousé des séfardim.
Il y a quelques mois le plus jeune s'est marié et a choisi comme compagne….. une descendante de la famille Sebban-Balouka, une petite fille des Balouka arrivés en 1962, le fameux Erev Shabath, du sud algérien, du M'zab.
Une petite jeune fille, née et élevée à Strasbourg ayant eu la même éducation que les enfants du cru, ayant su garder des liens avec ses origines comme son jeune mari avec les siennes. J'ai pleuré d'émotion en voyant la grand-mère accompagner sa petite fille sous la 'Houpa. Et le soir, avec quelle joie partagée, nous avons toutes les deux dansé ensemble. Inutile d'ajouter quoi que ce soit à ce récit : la communauté séfarade a su s'épanouir à Strasbourg, s'adapter sans perdre son identité, pour le plus grand bien du judaïsme local.


Vous entendez actuellement le discours du Grand Rabbin Warschawski,
prononcé lors de l'inauguration de l'Oratoire Léo Cohn en 1982
Si le son ne vous parvient pas, il vous faut télécharger REAL AUDIO
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© A . S . I . J . A .