Bulletin

Les premières réactions de la Communauté de Strasbourg à l'arrivée des rapatriés d'Algérie
extraits du Bulletin de nos Communautés


LE TEMPS D'OEUVRER
(Vendredi 22 juin 1962)

Le centre communautaire transformé en dortoir
© Etienne Klein
L'intégration spirituelle, qui est un problème général, est plus difficile pour les communautés juives débarquant souvent dans le "désert du judaïsme français". Dans nos régions, qui se piquent d'être des oasis, cet accueil serait-il de qualité plus élevée? Le premier élan qui a vu la réception de cent enfants d'Alger, de Mostaganem, de Sidi-BelAbbès, de Tlemcen, d'Oran et d'Affreville dans les familles de Strasbourg et des environs, l'intégration de dizaines de foyers, la réception de nombreux autres enfants dans les admirables institutions sociales de la Communauté, les premières listes de souscription qui circulent dans les trois départements le prouveraient. Mais l'arrivée de 150 enfants d'Oran, de Tlemcen, d'autres centres d'Algérie est imminente, le repli d'innombrables familles qui rendront vie à nos petites communautés et apporteront chaleur et vitalité à de plus grandes se fait actuellement.
Claude HEMMENDINGER


A LA POPULATION JUIVE
(Vendredi 6 juillet 1962)

      Nous rev
iendrons sur les tâches de longue haleine qui nous attendent demain, mais pour lesquelles il est nécessaire que vous soyez psychologiquement prêts dès aujourd'hui (orientation, adaptation, réorganisation). Dans l'immédiat, nous vous mobilisons pour L'ACCUEIL. Nous vous demandons de comprendre et d'accepter ce terme dans ses exigences les plus généreuses et les plus efficaces :
1 Accueil moral
      Il ne suffit pas d'une pensée fugitive. Il faut la gamme inépuisable des actes, la présence constante auprès de nos frères, l'intérêt profond pour leurs soucis, le réconfort par le don de soi.
      Il ne suffit pas d'un soutien charitable. Il faut apprendre que le don de soi est un enrichissement exceptionnel, qu'en aidant nos frères à maintenir et à épanouir leurs admirables vertus humaines, religieuses, juives, nous avons la chance inouïe de nous revigorer nous-mêmes et notre vie juive et de sortir ainsi plus forts de l'épreuve.
2 Accueil matériel
      A la Collecte d'Accueil, il ne suffit pas d'un don symbolique. Il faut des souscriptions massives, estimées à la valeur exacte de vos moyens.
Pour le Comité d'Accueil du Bas-Rhin :
Professeur André NEHER.



TEMPS DE L'ÉPREUVE
(Vendredi 6 juillet 1962)

L'infirmerie installée au centre communautaire
© Etienne Klein
La réalité algérienne a fait irruption parmi nous. La détresse démesurée risque de dégénérer en crise nationale. Elle concerne chacun d'entre nous. Ni le pays tout entier, ni notre cité, moins encore notre communauté ne peuvent plus prétendre vivre en marge de ce drame bouleversant. Le lamentable cortège des pitoyables déracinés portant dans leur regard des horizons perdus, des enfants ballottés de tous côtés, des adolescents arrachés du cadre amarrant la cellule familiale à la tradition, au sol, à leur équilibre, s'avance au milieu de nous. Il décharge sur nous sa misère et son attente, ses deuils et son espérance, son amertume et ses soucis, mesquins et fondamentaux, et son avenir. Il nous apporte aussi, avec le privilège d'une renaissance de notre conscience sociale, d'une compréhension nouvelle de nos responsabilités collectives actualisées, d'une remontée de notre amour réel et pratique du prochain, un potentiel inespéré d'énergies neuves, d'un renouveau de notre vie communautaire. Il nous rappelle enfin que la menace dressée contre tout juif, et donc contre tout être humain dans le monde, est en même temps suspendue sur nous. La souffrance infligée à n'importe quel juif, parce qu'il est juif, nous est infligée simultanément. Nous sommes visés directement par la persécution du dernier de nos frères où qu'elle se déclenche. Et, plus encore que de prouver notre solidarité, nous sommes appelés, un par un, à témoigner notre amour, authentique et inconditionnel.           Dr Joseph WEILL.


LETTRE DE PARIS
Les Assises du judaïsme français
(Vendredi 6 juillet 1962)

      En province, le problème de l'accueil semble être actuellement un problème alsacien et lorrain. Personne ne l'a dit an cours de ces Assises, mais il semble que le moteur de ce reflux des rapatriés israélites vers les régions de l'est de la France soit M. Haas-Picard, préfet des Bouches-du-Rhône et inspecteur général de l'administration en mission extraordinaire pour la région de Marseille. Il n'est pas téméraire de lui imputer l'idée d'un reflux vers l'Est des israélites algériens, car là ils trouvent plus fréquemment et plus intensément que partout ailleurs des synagogues, des maisons communautaires, des cours d'instruction religieuse.
      L'effort de l'Alsace et de la communauté de Strasbourg est particulièrement remarquable. Le grand rabbin Warschawski l'a montré, qui a énuméré les initiatives, mis en valeur les bonnes volontés, tout comme son collègue Claude Gensburger devait le faire pour la région de Haguenau. On trouve des chambres, des emplois, mais l'accélération de la cadence des arrivées va, sans délai, montrer une face aiguë de la question, de plus en plus difficile à résoudre. On peut se demander comment on pourra acclimater ces populations venues du sud algérien, dont les membres ne parlent que le judéo-arabe et dont les rapports même verbaux avec les Israélites alsaciens semblent ne devoir pas être commodes.            Roger BERG.


LA CHRONIQUE DE L'ACTION JUMELÉE
(Vendredi 3 août 1962)

      Il y a bien des semaines que nous n'avons plus eu l'honneur de nous adresser à vous dans nos messages devenus traditionnels. Mais dans l'intervalle a surgi le drame algérien qui, impérativement, a revendiqué la première place dans la hiérarchie de la solidarité humaine. Si nous reprenons la parole, cela n'est point pour clore un chapitre et pour en ouvrir un autre. Le drame du Juif algérien n'est qu'à ses débuts. Tant que, dans un coin quelconque de la métropole, se trouvent groupées des familles entières, tant que, par une lente progression, les repliés d'Algérie n'auront pas trouvé le port d'attache, tant durera l'action spécifique à laquelle de ne pas souscrire, il n'existe aucune dispense.
A.DEUTSCH,
Président d'honneur de l'Action Jumelée


LA COMMUNAUTÉ S'AGRANDIT
(Vendredi 26 octobre1962)

La Salle Léo Cohn transformée en dortoir
© Etienne Klein
Tout le monde sait qu'une assez importante population juive de rite sefarade est implantée à Strasbourg depuis le début de l'été. Mais ce que l'on sait peut-être moins, c'est que, maintenant encore, eu plein octobre, il ne se passe pas de semaine sans qu'une ou plusieurs familles rapatriées d'Algérie ne viennent se fixer à Strasbourg. Ces nouveaux arrivants débarquent parfois directement de leurs régions d'origine; souvent aussi, après un séjour plus ou moins prolongé à Paris ou dans telle autre ville, dans des conditions insatisfaisantes, ils viennent à Strasbourg poussés par l'espoir de trouver une communauté plus cohérente, plus accueillante, où le rythme de la vie juive leur sera plus aisé à suivre. (…)
      Mais, quand nous aurons fait des dons en argent et en nature, il nous restera encore à consentir le don le plus beau et le plus précieux : celui de notre coeur. Les réfugiés ont besoin de beaucoup de choses : mais ils ont plus que tout, peut-être, besoin d'amis. Nouons ces amitiés, qui seront une joie pour eux et pour nous, et qui leur rendront plus douces les rigueurs de l'hiver strasbourgeois.           Renée NEHER.


La Politique de l'heure
(Vendredi 31 août 1962)

      Nous ne pouvons conclure sans attirer l'attention urgente sur la nécessité de scolariser la nombreuse jeunesse que nous vaut l'afflux des rapatriés. Cette scolarisation appelle impérieusement la création d'un réseau d'écoles juives de plein temps, d'internats où les enfants qui nous sont confiés en attendant puissent trouver un foyer. C'est le moment ou jamais pour la Communauté juive de France de se réveiller de sa torpeur, pour justifier son titre de gloire d'être démographiquement la première Communauté du vieux Continent. Le laisser-aller qui est impensable, conduirait cette extraordinaire richesse humaine, habituée à un climat d'identité juive que nous-même n'avons jamais connue, à une totale désaffection, dont nous, la Communauté d'accueil, porterions devant Dieu et les hommes, la cuisante responsabilité. Personne ne pourra par conséquent se désolidariser, personne ne pourra s'en remettre à l'autre : nous tous, sans exception, avons à suivre, jour pour jour, avec intelligence et coeur, le développement d'un drame, afin que son épilogue ne se traduise pas quelque jour par un réquisitoire sans merci.           (non signé)


© A . S . I . J . A .