Bulletin

1963
par le Grand Rabbin Albert Hazan

Conduite et Reconduction
par le Grand Rabbin Albert Hazan - Bulletin de nos Communautés, Vendredi 19 juillet 1963

Pour lire la traduction des mots colorés dans le texte, posez le pointeur de la souris sur le mot, sans cliquer : la traduction apparaîtra dans une bulle. Les mots colorés et soulignés sont de vrais liens
La re-création du culte de rite sefardi des communautés nord-africaines en France pose deux problèmes essentiels: l'un interne, l'autre externe. C'est du problème interne que nous désirons parler. Les communautés se sont reconstituées au hasard des points de chute au moment de l'exode. Dans le Maghreb comme dans toutes les régions géographiques où les judaïcités ont pris souche, partout où la communauté est ancienne, des maîtres de la Halakha ont jalonné son histoire, ils ont marqué le "dîn" par le minhag. Dans le monde aschkenazi, un juif alsacien est dépaysé dans un office de rite polonais, de la même façon un juif tunisien connaîtra l'étonnement dans une communauté marocaine en prières. Bien plus, dans un même pays, dans une même région et jusque dans une même ville, l'emprise importante et d'ailleurs légitime de certains minhaguim constituera une différence et conditionnera souvent le geste et le climat.
Il est donc évident que pour une "Knesseth" réunissant Constantinois, Tunisiens, Cairotes, Oranais et Algérois, la question d'unification des habitudes et des comportements rituels disparates se pose.

Le Rabbin Albert Hazan za"l
© Etienne Klein
Lire sa biographie
Aux yeux de la Halakha l'attachement aux minhaguim est envisagé comme une chose importante voire grave. A partir du moment de la destruction du temple et de la dispersion de la kedousha aux quatre vents historico-géographiques du monde, chacune des pierres de cette kedousha, chaque parcelle de ce temple de Jérusalem est allée féconder les points où s'est renouée la continuité de notre peuple. Le sens du Sacré n'a pas eu de discontinuité, il s'est au contraire élaboré. Sur chaque pierre de ce temple de Jérusalem une synagogue a été édifiée, que ce soit à Téhéran, Voloczin, Alger, Paris ou Marrakech. Multiplicité de kedouchoth qui se cristallisent sur la base d'UNE kedoucha et qui aussi totalisent la kedoucha au sommet.

C'est entre ces deux points de la Kedoucha que l'on s'appelle Achkenazi ou Sefardi et que peuvent éclater les mille nuances des particularismes. Entre ces deux points, jamais en eux, jamais jusqu'à les entamer.

Le problème peut donc être formulé ainsi :
Conserver sa spécificité sans jamais oublier l'unicité de notre Histoire et les devoirs sacrés de ses grands objectifs.
"Si tu arrives dans une ville, adopte son nimouss", c'est-à-dire sa politesse au sens premier et au sens plénier du terme, disent nos Sages.

Lorsqu'un juif sefardi arrive dans une communauté achkenazi, il doit donc adopter le nimous de cette dernière et y sacrifier certains comportements spécifiques à sa démarche. S'il doit avoir une conscience de plus en plus fortifiée de la nécessité du maintien de ses minhaguim, il ne doit pas perdre de vue qu'au delà de son sefardisme, il appartient à l'entité juive partout où elle manifeste sa présence. Et, plutôt que d'affronter, il doit confronter avec intelligence et en connaissance profonde de l'importance de ses minhaguim, non qu'il faille les hiérarchiser mais carrément distinguer entre ceux que le Talmud de Jérusalem définit ainsi :

"Il est des minhaguim dont l'importance et la force originelle peuvent conduire jusqu'à l'annulation d'une Halakha, et ceux dont Rabbénou Tam et bien d'autres Maîtres disent qu'ils procèdent du MINHAG dont les lettres inversées (non vocalisées) constituent le mot Guehinom : "Enfer".

Si, en effet, il faut être soi-même, il deviendrait dangereux et infernal sous prétexte d'identité et même de fidélité de devenir exclusif.

On ne doit être soi-même que dans le but d'être connu de l'autre et de le connaître; pour atteindre à cette connaissance mutuelle et enrichissante, il faut d'une part accepter et assumer sa personne et d'autre part refuser de se laisser enfermer dans le carcan d'un personnalisme qui à la fin risque d'être débilitant et étriquera au contraire notre personnalité.

Au moment où le Judaïsme sefardi met en France son patrimoine à 'épreuve de la fraternité et de l'unité du peuple juif, il est important que dans cette "remise en cause" il tende à se reformuler, à poser des jalons dans une volonté intégriste et de "limites" mais aussi d'ouverture et de marche en avant.


AJIRA vous parle
par le Grand Rabbin Albert Hazan - Bulletin de nos Communautés, Vendredi 29 novembre 1963

Un peu d'histoire
Vous souvenez-vous, amis du Bas-Rhin, de ces jours d'attente anxieuse de mai et juin 1962, où toutes les forces vives de notre Communauté étaient mobilisées ?

Des enfants juifs d'Algérie étaient attendus au nombre de 450, Strasbourg et le Bas-Rhin leur avaient offert l'hospitalité; en théorie, toutes les capacités d'accueil présentées par les internats juifs de Strasbourg étaient submergées ; des listes de famille d'accueil étaient dressées dans la hâte et la fièvre ; on nous signalait par télégramme des regroupements d'enfants dans les villes portuaires; des convois étaient en partance, éprouvaient des difficultés de regroupement et de moyens de transport; les Mostaganemois arrivaient, une partie de ceux attendu d'Alger aussi; Marseille était alertée ; et puis les craquements successifs, la politique des heurts des communautés qui s'affrontaient en Algérie arrivait à son paroxysme, faisait sauter les bouchons qui retenaient prisonnière, dans une Algérie déchirée, ensanglantée, apeurée, la population européenne qui maintenant pouvait s'écouler en flots libres et désordonnés vers la Métropole. Notre accueil d'enfants s'est transformé en accueil des familles. Pourtant, la question des enfants accueillis isolément restait entière. A ces enfants isolés s'ajoutaient ceux des familles présentes dans notre région.

Le Comité d'Accueil chargeait le Professeur André Neher d'assumer la terrible tâche, de regrouper, de placer, d'instruire, d'éduquer, d'encadrer, d'ouvrir des camps et colonies de vacances pour ces enfants.

AJIRA naissait Aide aux Jeunes Israélites Repliés d'Algérie. Consistoire, Communauté, A.S.J., Ecole Aquiba, A.I.U., Pouvoirs Publics, Education Nationale, autorités et institutions juives locales, régionales et nationales, Aînés du Mercaz, O.R.T., Home Laure Weil, Violettes, Foyer des Jeunes Gens, Mouvements de Jeunesse, Adath Israël, Ets-Haïm, et j'en passe, hommes et femmes de bonne volonté étaient alertés.

Cours de vacances, cours de rattrapage, problèmes sanitaires, colonies et camps de vacances.., les questions se multipliaient. Le Professeur André Neher, entouré d'une équipe qui avait choisi son programme et sa dénomination en conjuguant le verbe "agir", admirablement secondé par son épouse, multipliait les démarches et les actes.

Pour la première année scolaire à Strasbourg, les enfants repliés étaient placés en nombre au Home Laure Weil, à l'O.R.T., aux Violettes, au Foyer des Jeunes Gens. Mais ces internats ne suffisaient pas, AJIRA avec l'aide de l'Alliance Israélite Universelle et du Consistoire du Bas-Rhin, ouvrait une maison à Oberschaeffolsheim et avec l'aide de la Colonie Henry Lévy employait Schirmeck. Nous ne parlerons pas statistique pour cette période, mais il faut signaler que l'on n'improvise pas dans l'installation, l'encadrement, la marche d'un internat ; les efforts déployés, pour le démarrage et pour un constant réajustement dans la conduite de ces maisons fournissaient à AJIRA un pain quotidien de complications, de difficultés, de soucis et de préoccupations; le tout arrosé de la sueur d'angoisse d'origine financière. Le FSJU de Paris enfin acceptait de colmater les brèches béantes, énormes, de notre édifice budgétaire.

Et puisque nous faisons par certains côtés l'histoire de l'Accueil du Bas-Rhin, remarquons en passant que de nombreuses familles ont élu domicile en notre Communauté en venant rejoindre les enfants d'AJIRA qui les avaient précédés dans notre région.

Enfin peu à peu, la tempête s'apaisait, au fil des jours, le nerf de l'action se situait de moins en moins dans le champ de l'angoisse et de l'urgence. De cette tourmente plus ou moins calmé un îlot émergeait, AJIRA décidait d'oeuvrer en fonction de ses conceptions pédagogiques juives et de ses convictions en matière d'éducation.

Où en sommes-nous aujourd'hui ?
A la dernière rentrée scolaire, une centaine d'enfants restent à notre charge répartis entre le Home Laure Weil, les Violettes, et le Foyer des Jeunes Gens géré depuis cette année par AJIRA. Cette dernière institution qui s'occupe de garçons, en a placé une quinzaine - les plus jeunes - au dernier étage du Home Laure Weil.

D'où viennent-ils?
Les parents de certains sont encore en Algérie.
Les autres viennent des quatre coins de la France et AJIRA a eu le souci d'accorder la priorité aux demandes émanant des villes ou villages où l'éducation juive est déficiente ou même inexistante. Pourquoi les avons-nous accueillis pour l'année scolaire 1963-1964

AJIRA pouvait-elle renvoyer les enfants aux parents habitait encore l'Algérie ? Pouvait-elle renvoyer ceux qui ont bénéficié de l'accueil dès les premiers jours de la tourmente, alors qu'une vie de famille normale est encore impossible pour certains d'entre eux.
Vers qui renverra-t-elle les cas sociaux, insolubles, sans espoir : les orphelins...
Enfin AJIRA renverra-t-elle ceux qui ne peuvent être logés - faute de place - chez leurs parents et ceux qui ne peuvent être nourris - faute de pain - à leur table familiale.

Que voulons-nous pour eux ?
Notre ambition est de leur assurer une instruction juive et générale,
De les faire bénéficier de l'équipement pédagogique juif de Strasbourg.
Pour eux comme pour ceux des repliés qui habitent Strasbourg et la région, pour eux comme pour ceux de tous les repliés en France, AJIRA pense, souhaite l'école juive à plein temps, AJIRA pense que le plus sûr garant de l'avenir juif de la population repliée est l'école juive à plein temps.

Quels sont nos moyens ?
Nous sommes aidés par les services de la Population du Bas-Rhin, le FSJU National, par le FSJU Régional.
Le Département de l'Education par la Thora de l'Agence Juive vient de nous déléguer un éducateur.
Mais notre construction budgétaire est précaire, elle tient miraculeusement, elle tient plus grâce aux convictions qu'aux chiffres, nous vivons presque chaque jour sur la limite.
Nous sommes débordés par des soucis matériels et moraux, nous avons besoin de votre aide à tous et à toutes.

Nos objectifs ?
Notre organisme a acquis droit de cité non seulement sur le plan local mais sur le plan national.
Notre plus cher souhait est que notre expérience prenne valeur d'exemple, que partout où une communauté existe, on se soucie de réhabiliter nos valeurs par le rétablissement d'une véritable éducation juive qui ne peut être dispensée hors de l'école juive.
Nous sommes intimement convaincus que cette école juive - pour réussir - doit se hisser par les conditions qu'elle offre à un niveau compétitif avec les autres établissements scolaires.
Nous désirons faire partager ces ambitions d'abord à tous nos coreligionnaires du Bas-Rhin, que chacun de nous prenne conscience de ce qui est en jeu.
Qu'au-delà des frontières de notre département l'action conduite par l'ensemble de notre communauté soit digue d'être connue et puise en elle-même, le dynamisme de sa propagation.

Que pouvez-vous faire ?
Photographies : écoliers juifs d'origine algérienne à Strasbourg - © Etienne Klein

© A . S . I . J . A .