Directeur à l'AJIRA
par Esther et David Abenhaim

1. Création d'AJIRA

A la fin de l'année 1961 et au début de l'année 1962, sous l'impulsion de Monsieur le Professeur Neher "za"l" et de Monsieur le Grand Rabbin Hazan, la commission administrative de la Communauté de Strasbourg a créé le Comité d'Accueil des Repliés d'Algérie. Pour venir en aide aux jeunes Algériens, ce comité a mis en place AJIRA "AIDE AUX JEUNES ISRAELITES REPLIES D'ALGERIE". Cette institution était alors présidée par M. le Professeur Neher "za"l".

AJIRA avait l'intention de mettre en place un Centre d'Accueil pour recevoir les jeunes Algériens et soulager ainsi leurs parents qui pourraient alors s'occuper plus facilement de leur propre réimplantation.


2. Centre d'Accueil de Haguenau

Ayant enseigné pendant douze ans au Maroc, (mon épouse, dix ans) nous participions aux activités du DEJJ et plus particulièrement à celles qui étaient mises en œuvre par le Département des Unités Populaires qui organisait des activités post-scolaires et des camps de vacances.

Fort de cette expérience d'encadrement, nous avons été pressentis pour diriger le Centre d'Accueil pendant l'été 1962.
En mars 1962 nous avons été effectivement engagés pour cette direction. Il s'agissait d'un Centre d'Accueil qui commençait début juillet 1962 et concernait des jeunes de 12-18 ans. Les plus jeunes avaient été placés à la colonie de Schirmeck sous la direction du couple Lalloum.

Monsieur le Professeur Neher "za"l" avait obtenu de l'Académie de Strasbourg, la mise à disposition de l'internat du Lycée de Haguenau, avec une équipe technique : cuisinier et aides de cuisine avec à leur tête l'intendant du lycée.
A la fin du mois de juin, M. le Rabbin Elbaz accompagné de plusieurs aides, était venu de Strasbourg à Haguenau pour cachériser la cuisine et les ustensiles. Toute la faïence avait été renouvelée.

Le Centre d'Accueil s'est ouvert début juillet 1962 avec près de 120 jeunes filles et jeunes gens. Une cinquantaine de jeunes filles étaient logées à l'Orphelinat "Les Cigognes" encadrées par Mme le Docteur Marguerite Klein "za"l" en juillet et par Mme Claude Meyer en août.
Les garçons étaient logés à l'internat du Lycée et les repas étaient pris par l'ensemble des jeunes à l'Internat.
L'Education Nationale avait pris à sa charge tous les frais de nourriture.

3. Fonctionnement du Centre

Nous étions aidés dans notre tâche d'encadrement par un groupe de moniteurs constitué par sept-huit étudiants bénévoles, qui prenaient en charge les jeunes par classe d'âge et par groupes d'une douzaine d'enfants.

En fait, nous n'avons pas fonctionné comme une véritable colonie de vacances :
Les matinées étaient consacrées à des révisions scolaires et à des remises à niveau. Nous avons pu ainsi organiser des cours de français, de maths, et d'anglais au niveau du secondaire. Les cours étaient dirigés par les étudiants-moniteurs, chacun suivant sa spécialité.
Les jeunes qui nous étaient confiés n'avaient plus été en classe depuis le mois de février pour certains. Il fallait les préparer à reprendre une scolarité normale.
En dehors du Shabath, le temps était partagé entre l'étude et les jeux. Dès le réveil et après la toilette, les garçons descendaient pour la prière. Après le petit déjeuner, la matinée était consacrée au rangement des chambres, à la correspondance, aux cours de rattrapage ; l'après-midi : à la détente, aux promenades, jeux divers, visites des environs. Tout était minutieusement préparé.

Après le coucher des garçons, nous retrouvions l'ensemble des moniteurs pour évoquer les difficultés et les problèmes rencontrés au cours de la journée. Ce n'était pas simple, les enfants qui nous étaient confiés étaient perturbés, traumatisés par les événements tragiques de la guerre civile vécue en Algérie, par la séparation d'avec leurs familles. Nous notions beaucoup d'agressivité, de violences verbales qui se terminaient parfois par des bagarres. Ils avaient aussi perdu l'habitude du travail intellectuel et il fallait, avec beaucoup de patience, leur réapprendre à se concentrer, à réfléchir, à raisonner, à se calmer et à vaincre les peurs qui étaient en eux.

Le programme général de la semaine était mis au point le samedi soir, comme cela se fait dans toute maîtrise de colonie de vacances. Les activités décidées faisaient l'objet d'un affichage sur un tableau placé à l'entrée de la salle à manger.

Beaucoup ne restaient que deux ou trois semaines et retrouvaient leur famille plus ou moins stabilisée.

En somme, le Centre fonctionnait comme une colonie de vacances, mais l'atmosphère y était toute différente, surtout au mois de juillet. Il soufflait un vent de violence, de révolte. Les jeunes étaient hantés par des images de mort, de torture, de feu, de sang, de cris qu'il fallait effacer de leur esprit. Nous avons alors pensé à la musique "la musique adoucit les mœurs", dit-on; nous leur avons appris des chants. Toutes occasions étaient bonnes pour chanter ! Ceci m'a valu le surnom de "Dario"  comme Dario Moreno, le chanteur.

C'est notre vigilance de tous les instants qui avait épargné les locaux qu'on nous avait confiés et avait évité que l'on ne trouve partout des inscriptions à la gloire de l'OAS. Nous faisions des rondes très tard le soir (à deux heures du matin) pour vérifier la présence de chacun dans son lit et la tranquillité dans les dortoirs. En dehors du fait qu'ils étaient hantés par leurs cauchemars, ils n'avaient pas l'habitude de vivre en collectivité et se pliaient mal à sa discipline.

Un dimanche, pendant que je terminais d'inscrire sur le tableau d'affichage le programme des activités de la semaine, quelqu'un vint m'avertir de l'arrivée d'une délégation qui venait inspecter le Centre d'Accueil.
Il y avait là le Président d'AJIRA, Monsieur le Professeur Neher, accompagné de Monsieur le Grand Rabbin Hazan et de Monsieur Angelloz, Recteur d'Académie, entouré de ses collaborateurs.
Celui-ci s'étonna de l'absence des jeunes. Nous avons alors guidé le groupe vers le tableau d'activités. Monsieur le Recteur fut agréablement surpris et satisfait. Il demanda à visiter les chambres et le reste de l'internat. Les dortoirs étaient propres, aérés. Les lits n'étaient bien sûr pas faits "au carré", ce qui m'a valu une gentille remarque. Les armoires étaient à peu près bien rangées. Pour des garçons gâtés par leur maman, n'ayant jamais connu la vie collective, n'ayant jamais aidé leur maman, il était difficile de demander mieux en si peu de temps.
Ils avaient plus ou moins pris le pli et fait l'apprentissage de l'autonomie : faire leur lit, ranger leur armoire, leurs chaussures, etc. faisait partir des contraintes.

4. Internat d'Oberschaeffolsheim


Au terme de l'accueil, fin août, il s'est avéré que nombre de parents n'avaient pas encore trouvé à se stabiliser. Il a fallu prévoir un foyer d'accueil pour l'année scolaire.
Pour les plus jeunes, la colonie de vacances de Schirmeck était le toit tout trouvé. L'inscription à l'école primaire ne posait que le problème de Shabath, problème réglé par Monsieur et Madame Lalloum. Pour les plus grands, il a fallu créer un foyer.
Celui-ci fut tout trouvé dans l'ancienne synagogue désaffectée d'Oberschaeffolsheim, synagogue transformée en foyer d'accueil de week-end pour les mouvements de jeunesse.

Cette maison a été mise à notre disposition par le Président de la Communauté du village pour l'année scolaire. Elle présentait l'avantage d'être disponible mais avec certains inconvénients majeurs qu'il a fallu régler très rapidement : éloignement de Strasbourg, exiguïté des lieux, manque de mobilier. En ce qui concerne ce dernier point, mon épouse, grâce à l'intervention de Monsieur le Professeur Neher, put aller à Nancy au Centre d'Achats de l'Education Nationale pour acquérir le mobilier nécessaire au meilleur prix avec livraison immédiate.

Nous avons réussi à doubler la capacité d'accueil en installant dans les dortoirs des lits superposés. Une chambre plus grande fut aménagée en salle d'étude avec des tables trapézoïdales, chaises en bois, placards. Une autre pièce servait de bureau, et devenait notre chambre à coucher la nuit. Quant à nos deux petits enfants, ils campaient sur des lits superposés, dans un local servant d'infirmerie. Le moniteur Jacob Sibony avait sa petite chambre.
Au rez-de-chaussée, nous avons transformé l'Oratoire en réfectoire séparé par un rideau que nous tirions pour la Tefilah (prière).

Madame Weil, épouse du Shamash  (bedeau) de la synagogue de Wolfisheim fut engagée comme cuisinière. La famille Weil occupait un logement de fonction situé au rez-de-chaussée du bâtiment.

Les conditions étaient à peu près remplies pour accueillir 26 garçons âgés de 12 à 16 ans.
Ils étaient inscrits à l'Ecole Aquiba ; un seul était placé en apprentissage dans le secteur. Nous avions loué les services d'un bus de la CTS pour faire l'aller-retour de Strasbourg Oberschaeffolsheim (environ 6 km) quatre fois par jour.

Jacob Sibony, étudiant en année de doctorat d'Hébreu, animait la Tefilah et occupait le poste de surveillant. J'avais pris en charge, en même temps que la direction administrative et pédagogique, celle d'intendant. Mon épouse s'occupait de l'économat, de l'infirmerie et du secrétariat.

Malgré les mauvaises conditions d'installation, pour nous et nos deux petits enfants (8 et 4 ans), nous avons essayé, au maximum, de créer dans la maison un climat familial chaleureux.
Le Shabath nous chantions. Pendant la Seoudah shelishith (le repas), un petit limoud  (étude) était assuré soit par Jacob Sibony soit par moi-même parfois par un élève, et toujours ponctué de chants

Dans la semaine, les jeunes étaient stressés par un emploi du temps chargé : lever à 6 h 30, Tefilah 7 h puis petit déjeuner rapide ; le car les attendait à 7 h 45 pour être rendus à l'école à 8 h. Le bus les ramenait à midi ; repas et retour à l'école pour 13 h 55. Ils rentraient le soir vers 18 h 30. Le repas était prévu à 19 h suivi de Maariv  (l'office du soir) et d'une étude jusqu'à 22 h. L'extinction des feux se faisait à 22 h 30. En semaine, ils n'avaient pas de moments de détente.

De plus, ayant vécu les événements d'Algérie, ils réglaient souvent leurs différends par la violence, à coups de poing, de bâton, de barres de fer.
Un vendredi soir, alors que nous étions tous à table, un jeune a même sorti un cran d'arrêt. Il en menaçait un camarade. Il était fou de rage et je ne sais pas comment j'ai pu le désarmer. Cela nous a obligés à faire une fouille méticuleuse dans leurs affaires. Nous en avons fait des découvertes ! Entre autre, le jeune apprenti fabriquait des couteaux au travail, couteaux de toutes tailles qui réapparaissaient au fur et à mesure de leur confiscation. C'était un cas spécial que nous surveillions de près. Un autre a même essayé de se suicider en avalant une bouteille de Pétrole Hahn. Il a fallu le transporter d'urgence à l'hôpital où on lui a fait un lavage d'estomac.

Au fil des jours, une vie plus calme, plus sereine s'est installée. Mais nous ne pouvions éviter des bagarres de temps en temps, bagarres qui prenaient leurs sources pour des raisons futiles.
A l'approche de Hanouka, les jeunes avaient appris à se supporter.

C'est à cette époque que s'est créée l'Association sportive Menorah
C'est à cette époque que j'ai été contacté par Monsieur Jean Kahn. Il voulait créer une association sportive qui aurait pour vocation de développer chez nos jeunes des aptitudes pour le sport collectif : foot, basket. J'ai été très heureux de cette initiative qui permettait notamment d'occuper nos jeunes les après-midi de dimanche. Hanouka a été l'occasion pour Monsieur Kahn d'appeler cette association A.S. MENORA. L'enthousiasme général a permis très vite à l'A.S. MENORA de remporter des matchs de basket et foot au plan local et régional. Du reste, cette association existe encore aujourd'hui à Strasbourg. Elle recrute ses adhérents parmi les jeunes de la région.

La fin de l'année scolaire arrivait à grands pas et beaucoup de parents ne pouvaient pas reprendre leurs enfants. De plus, au secrétariat d'AJIRA arrivaient des demandes pressantes de prises en charge de jeunes de classes secondaires. Le foyer à Oberschaeffolsheim était complet, et nous cherchions une solution, quand Monsieur Blum "za"l", directeur d'un foyer de garçons décéda :

5. Internat de Strasbourg

Des pourparlers entre les deux comités se sont établis et AJIRA put disposer de ce foyer. Les installations de celui-ci furent mises à notre disposition aux conditions suivantes :
  1. Réserver cinq places pour des élèves de l'Ecole Aquiba originaires de RFA.
  2. Laisser l'Oratoire à la disposition du Minyan de quartier appelé AMOFI pour Shabath et les fêtes
  3. Prendre en charge le restaurant universitaire.
Je ne connais pas les conditions financières de cet accord, je ne gérais pas le budget AJIRA. C'était Monsieur Louis Lehmann  "za"l" qui en était le trésorier. Je rends ici hommage à sa mémoire car dans les moments les plus difficiles, il a toujours honoré les comptes du foyer et je n'ai, quant à moi, jamais eu de difficultés avec les fournisseurs.

Nous avons donc emménagé dans ce foyer, 42 avenue de la Forêt Noire à Strasbourg, le 1er juillet 1963. Le lendemain, nous est née une adorable petite fille nommée Muriel "za"l" qui fût dans la tourmente des années AJIRA, bébé sourire, notre soleil des journées trop longues et très pénibles pour sa maman surtout. Esher avait la responsabilité du personnel, la répartition des tâches de chacun : cuisinier, aide-cuisinières, aides, femmes de ménage, économat, surveillance des repas et contrôle de ces travaux répartis sur trois niveaux, plus l'infirmerie et le secrétariat. Plus tard, l'AJIRA lui a adjoint une secrétaire à mi-temps. Il a fallu souvent "boucher" les trous des absences parmi le personnel et c'est souvent mon épouse qui s'en chargeait. Une fois, pendant toute une semaine, elle a remplacé le cuisinier et fait face à la confection des repas.

Avec nos trois jeunes enfants et toujours à l'écoute des jeunes et de leurs problèmes, il ne lui restait que peu de temps pour s'occuper de son bébé. Après avoir passé les deux mois d'été dans un panier sur le rebord d'une fenêtre donnant sur le jardin botanique, Muriel "za"l" fut installée confortablement dans un parc pendant la journée et fut nommée "bébé sourire" tant elle était gentille et souriante malgré le peu de temps que nous pouvions lui consacrer. Après, ce fut le jouet des internes et du personnel. Malheureusement, elle nous a quittés à la fleur de l'âge, à 30 ans, un 15 octobre 1993, nous laissant deux petites filles et des tonnes de chagrin.

Pour en revenir au foyer, nous avions gardé le personnel de service de Monsieur Blum, et nous disposions des vacances pour organiser le travail de la prochaine année scolaire.

Les demandes affluaient de parents originaires d'Algérie et qui n'avaient pas encore réussi à s'installer. Nous avions aussi des demandes émanant de familles installées au Maroc ou en Tunisie, mais qui craignaient que leur situation ne se dégrade. En plaçant leurs enfants en sécurité en France, ils pourraient voir venir. AJIRA et la création d'un foyer d'accueil pour garçons dans une ville juive comme Strasbourg, avec l'Ecole Aquiba, ne pouvaient qu'attirer l'attention de toutes familles juives d'Afrique du Nord.

Le foyer, bien que comportant trois étages et un vaste sous-sol, ne pouvait recevoir plus de 35 élèves. Les dossiers de demandes étaient bien plus nombreux. Monsieur le Grand Rabbin Hazan avait obtenu de la part de la Société Rhin-et-Moselle, la location d'un appartement de quatre pièces, situé au n° 28 avenue de la Forêt Noire, pour y loger une dizaine de jeunes parmi les plus âgés. Globalement, nous disposions d'une cinquantaine de places, pour des jeunes, tous inscrits à l'Ecole Aquiba.

Dès le mois d'octobre, le restaurant universitaire put fonctionner. Cela représentait 200 à 250 repas répartis en deux et parfois trois services.
Heureusement pour moi, les denrées : viande, épicerie, fruits et légumes, produits d'entretien, étaient livrées sur place. A Oberschaeffolsheim, j'allais deux fois par semaine aux halles en ville pour m'approvisionner en fruits et légumes.

Malgré tout, la tâche était lourde, les locaux exigus, pas adaptés à recevoir tant de monde. Le personnel hérité, était peu habitué à un tel rythme. Le cuisinier, souvent malade, obligeait mon épouse à "enfiler le tablier" pour assurer des repas ; nous avons fini par en changer.

Pendant toute cette période d' AJIRA au "Foyer Blum", nous avons eu deuxéducateurs pour encadrer les garçons : Elie Cohen et Michel Serfaty, alors eux-mêmes étudiants. Leurs principales tâches étaient : réveil du matin, exiger les dortoirs propres et rangés, Tefilah, déjeuner du matin sans trop de chahut… départ en classe et goûter. Puis, Tefilah du soir, repas et étude. Ils nous ont beaucoup aidés dans notre tâche quotidienne. En fait, Michel Serfaty avait pris en charge notamment l'organisation des offices et intervenait avec Elie Cohen dans la surveillance des études et de la vie quotidienne des jeunes. Je rends hommage à leur travail car il a souvent été difficile et surtout ingrat.

A l'annexe, nous avons pu loger huit élèves de première, sous la responsabilité du jeune couple Berdugo.
L'année scolaire suivante, nous avons pu être déchargés du restaurant universitaire, déplacé au home de jeunes filles rue Sellénick.

Malgré tout, nous, AJIRA, n'étions pas seul dans la maison. Nous partagions l'Oratoire avec l'AMOFI et il nous a fallu des tonnes de diplomatie pour éviter que les frictions ne dégénèrent. L'oratoire avait été rénové et meublé par l'AMOFI et dès qu'une charnière fonctionnait mal ou qu'une égratignure apparaissait, nous vivions le drame. Ces personnes âgées du quartier n'étaient pas habituées à la vivacité et au verbe haut de nos "pieds noirs", et restaient méfiantes à leur égard. Par la suite, les relations avec l'AMOFI se sont plus ou moins améliorées et les difficultés ont pratiquement disparu lorsque enfin, nous avons été acceptés.

D'autres problèmes plus graves ont surgi. AJIRA connaissait de graves difficultés financières :
Il faut signaler qu'AJIRA a également contribué au placement dans des colonies de vacances juives d'enfants repliés d'Algérie, installés dans la communauté urbaine de Strasbourg. Ce service a fonctionné pendant les étés 1963-64-65.

6. En guise de conclusion

Nous avons perdu la trace de la plupart des enfants AJIRA qui sont maintenant dispersés dans l'hexagone et parfois au-delà. Nous savons que beaucoup d'anciens élèves ont réussi, tels que les frères Abib, l'un médecin-mohel à Strasbourg, l'autre avocat en Israël.

Avant de finir, je voudrais signaler deux anecdotes bien différentes l'une de l'autre.

Voici la première : Dans le cours de l'année 1964-65, notre petit bonhomme Nathan qui avait huit ans, s'approche de sa maman pour lui demander une explication scolaire. Esther, toujours très prise, répondit précipitamment "Oh fiche-moi la paix ! je n'ai pas le temps", le petit se plante alors devant sa maman, tape du pied et très courroucé lui répond : "Oui, t'as toujours le temps pour les autres et jamais pour moi". Mon épouse s'est sentie si ulcérée, si malheureuse qu'elle voulait tout abandonner sur-le-champ. Nous en avons bien sûr parlé très longuement et envisagé un emploi du temps un peu plus souple. Ne parlons pas de Marlène qui était la seule fille parmi ces garçons.

La deuxième est la suivante : Nous avons eu la surprise, quelques années après notre départ d'AJIRA, de recevoir un coup de téléphone de Paris d'Henri Dahan. Il nous invitait, avec une dizaine d'anciens élèves, à un déjeuner préparé par leurs épouses respectives. Ce déjeuner a eu lieu comme prévu un dimanche après-midi à Oberschaeffolsheim. Nous avons eu ainsi la joie non seulement de revoir des anciens d'AJIRA mais aussi de faire la connaissance de leurs femmes et enfants.

Cette attention nous a beaucoup émus. Nous nous sommes trouvés devant des adultes responsables et équilibrés ; face à des juifs actifs dans leur communauté.

Le comité d'accueil pour les repliés d'Algérie a offert, à Strasbourg, au judaïsme algérien une structure d'accueil qui a permis son épanouissement. Il a évité les heurts qu'on a connus à Lyon, Marseille… et a permis aux uns et aux autres askenazes et séfarades de s'enrichir mutuellement. L'émanation de ce comité, c'est-à-dire AJIRA, a contribué efficacement au développement intellectuel, moral et spirituel des jeunes repliés d'Algérie. Il a veillé au bien-être de ces jeunes, à leur scolarité et à leur développement harmonieux.

Pour Esther et moi-même, le retour à la "vie civile" en juillet 1967 a été laborieux. Pour ma part, j'ai pu réintégrer l'Education Nationale, mais Esther a dû courageusement changer trois fois de métier avant de trouver un emploi rémunérateur.

Par contre, l'expérience AJIRA nous a enrichis sur les plans relationnel, psychologique, pédagogiques et connaissance du judaïsme ; mais surtout cette expérience nous a permis d'approcher le Professeur et Madame André Neher qui nous ont honorés de leur amitié. Pendant cinq ans, nous avons vécu à l'ombre de ce couple merveilleux, à l'ombre de cette sommité du judaïsme français. Aujourd'hui, nos relations avec Madame Neher continuent d'être affectueuses et amicales.

1962 -1967 a été pour nous une période souvent pénible avec des moments de découragement, mais aussi des moments d'enthousiasme et de joie. En y repensant aujourd'hui, je me rends compte que nous avons été privilégiés par le sort pour avoir côtoyé des personnalités importantes et pour avoir participé avec eux à une action sociale d'envergure.


© A . S . I . J . A .