La communauté juive de Strasbourg entre le libéralisme et la tradition (1808-1988) Robert WEYL - suite et fin-

Reconstitution de la communauté

Le retour à Strasbourg, le dialogue avec les alsaciens demeurés ou retournés en Alsace durant l’occupation nazie fut difficile. Nous apprenions peu à peu ce qui s’était passé dans les camps. L’ampleur du désastre nous frappa de stupeur. La synagogue du quai Kléber avait disparu, rasée au niveau du sol. Nous nous demandions s’il fallait la reconstruire, s’il ne valait pas mieux aller ailleurs. Mais l’attirance de la terre de nos ancêtres fut la plus forte, et nous sommes restés.

Le Grand Rabbin Abraham Deutsch

Le rabbin Abraham Deutsch fut chargé de la reconstitution de la communauté et nommé grand rabbin à titre intérimaire, jusqu’à ce que le décès du grand rabbin René Hirschler fut reconnu officiellement. Miraculeusement la synagogue Ez ‘Hayim fut retrouvée intacte, car elle se trouvait coincée entre deux immeubles d’habitation. En revanche, tout le mobilier avait disparu, un menuisier alsacien s’en était porté acquéreur. Léon Lévy, le fils du fondateur, se donna pour tâche de restaurer la synagogue. Les survivants, anciens d’Ez ‘Hayim ou du quai Kléber se retrouvèrent sans distinction dans la synagogue de la rue Kageneck.

Pour les grandes fêtes on loua une grande salle au Palais des Fêtes. En 1948, la ville de Strasbourg mit à la disposition de la communauté juive un bâtiment de l’ancien arsenal, Place Broglie, bel édifice de la Renaissance, s’élevant dans la cour de l’ancien couvent des Franciscains de Sainte-Claire. Une belle synagogue put être aménagée sur les plans de l’architecte Lucien Cromback, président du Consistoire. Les communautés étaient à nouveau séparées, mais il s’était produit un phénomène nouveau. Le rabbin Robert Brunschwig de la communauté Ez ‘Hayim et le grand rabbin René Hirschler étaient tous deux morts en déportation.

Le grand rabbin Abraham Deutsch, intérimaire en 1945, titularisé en 1947 était un homme d’une orthodoxie sans faille. Ses connaissances talmudiques avaient de quoi satisfaire la communauté orthodoxe la plus exigeante, et il ne pouvait être question de lui imposer orgue ou harmonium. Il fut bien accueilli, aussi bien par la grande communauté que par la communauté Ez ‘Hayim.

La synagogue de la Paix
Le 23 mars 1958, la nouvelle synagogue fut inaugurée. Elle avait été construite, non pas à l’emplacement de l’ancienne, au quai Kléber, mais au parc des Contades, sur les plans de l’architecte Claude Meyer-Lévy de Paris. Il s’agit d’une construction moderne, dans laquelle la pierre a laissé la place au béton. Le vaste berceau plat de la voûte est porté par douze colonnes de béton armé, légèrement cannelées dont le diamètre s’élargit de bas en haut. Le plan est celui de la basilique. Le chœur, nettement séparé de la nef, renferme l’aron ha-qodesh d’une conception originale, en forme de petit sanctuaire rond, rappelant la Tente du désert, surmonté d’un dais en forme d’étoile de David posée à plat et dont les pointes sont portées par cinq colonnes, le tout en fer forgé. La table de lecture, l’almemor, est placée devant l’Arche sainte. Deux candélabres monumentaux à huit branches sont fixés aux deux premières colonnes, celles du chœur. Derrière et de part et d’autre de l’Arche sainte se creuse la fosse des chanteurs. On accède progressivement à l’Arche Sainte par une succession de marches, d’abord six, puis quatre et encore quatre. Les sièges des rabbins, des chantres et des notables sont situés dans le chœur.

Le grand rabbin Abraham Deutsch avait approuvé les plans de la nouvelle synagogue. Sans doute dut-il dépenser beaucoup d’énergie pour que l’orgue ne soit pas réintroduit dans la synagogue, de sorte qu’il céda sur d’autres points, comme l’almemor placé devant l’Arche sainte, ou l’absence de me’hiza (rideau séparant les hommes et les femmes), ou encore la forme de l’Arche sainte, si peu conforme à la tradition. Bien que cette synagogue soit très belle, les Juifs orthodoxes éprouvent des scrupules à y pénétrer. La synagogue comptait au jour de son inauguration 1658 places, nombre qui fut augmenté par la suite en réduisant la largeur des allées. Le décor consiste essentiellement dans la multiplication à l’infini d’une dalle en béton ajourée en Magen David. A côté de la synagogue on avait prévu de nombreuses annexes, oratoires, bureaux administratifs, salles de classe, jardin d’enfants, bibliothèque, restaurant... Volontairement ou non, le bain rituel fut oublié. Les personnes scrupuleuses allèrent au bain rituel de la communauté Ez ‘Hayim. Cet oubli fut réparé par le successeur du grand rabbin Deutsch, Max Warchawski.

Le grand rabbin Abraham Deutsch avait en sa personne réussi à unifier les deux communautés. Le vendredi soir, il présidait l’office à la grande synagogue, et, le samedi matin, il présidait l’office à la synagogue Ez ‘Hayim. Il en revenait, entouré d’une cour respectueuse et familière. Mais la communauté Ez ‘Hayim pensait à l’avenir, au jour où le grand rabbin Deutsch prendrait sa retraite, et nomma un rabbin propre à sa synagogue. Son choix se porta sur le rabbin Samuel Aquiba Yafé Schlesinger, homme d’une vaste érudition et de réputation internationale (ne lui confia-t-on pas l’édition commentée du Yad David de Rabbi David Joseph Sintzheim) susceptible de donner à cette communauté en perte de vitesse un éclat, un prestige nouveau, et d’attirer de nouveaux membres.

Les deux communautés étaient à nouveau séparées, comme elles le furent si longtemps, mais cette séparation n’a plus l’importance qu’elle avait jadis. Il n’y a plus face à face des deux communautés, l’une farouchement orthodoxe, l’autre franchement libérale. Il s’était créé à Strasbourg de nombreux minyanim où chacun pouvait trouver sa tradition familiale, ou ses aspirations personnelles.

Il y a la grande synagogue, sans orgue, mais aux offices pompeux, que l’on peut aimer ou ne pas aimer. Il y a le très voisin Mercaz, dans le même bâtiment, qui est le point de rencontre de nombreuses traditions. L’office y est dit selon le rite ashkenaz, par des officiants amateurs selon le niggun, l’intonation alsacienne, ou sefarad, ou polonaise, ou israélienne selon l’officiant. Il en est de même pour la lecture de la Torah, au cours de laquelle se succèdent les cantilations alsaciennes, sefarad, polonaises, celles des Juifs de Constantine et, une fois par an, celle des Juifs du Comtat. Dans une autre salle, les Juifs sefarads trouveront un office selon leur minhag, leur tradition. Il existe encore, dispersés sur Strasbourg et sa banlieue de nombreux offices, la synagogue de rite polonais, celle de la rue Silbermann, celle de l’Esplanade, celle de la Yeshiva des étudiants. Cette diversité fait que la frange la plus orthodoxe de la communauté n’est plus obligée d’adhérer à la synagogue Ez ‘Hayim, par ailleurs géographiquement mal placée, ce qui ne manque pas de créer des problèmes de recrutement et de financement, donc de survie.

Le Grand Rabbin Max Warschawski

Il n’y a pas, à Strasbourg, de synagogue libérale, mais des Juifs plus ou moins respectueux des Mitzvot.

Le grand rabbin Warschawski, qui succéda au grand rabbin Deutsch et qui régna de 1970 à 1987, fut aussi strict dans l’application de la Halakha que son prédécesseur et maître. Il alla même plus loin, puisqu’on lui doit l’aménagement du bain rituel, et que, l’office de Neila, le jour de Kippur, est célébré sur un almemor de fortune, placé au milieu des fidèles. Faute de n’avoir pu, durant son règne, faire replacer l’almemor au milieu des fidèles comme il l’avait souhaité.

Il existe aussi à Strasbourg une école juive à plein temps, depuis le jardin d’enfants jusqu’à la préparation du baccalauréat, ainsi qu’une école professionnelle. Les adultes peuvent compléter leurs connaissances s’ils le souhaitent car de nombreux cours, conférences ou cycles d’études sont à leur disposition.



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