La communauté juive de Strasbourg
entre le libéralisme et la tradition (1808-1988)
Robert WEYL

Compte rendu d’une conférence faite par M. Robert Weyl dans le cadre du colloque annuel de la
Société d’Histoire des Israélites d’Alsace et de Lorraine le 13 février 1988 au Centre Communautaire de Strasbourg.
paru dans Communauté nouvelle n°38, 1988

En deux cents ans, les Juifs de Strasbourg ont connu la Révolution et ses conséquences, bénéfiques pour leur statut personnel mais dangereuses pour la survie de leur religion.La lutte entre les tenants de la tradition et les réformateurs n’a pas atteint le degré de violence qu’elle eut en Allemagne. Après un long passage par un culte libéral contraignant une petite partie de la communauté à faire sécession, on en est revenu, après la shoah, à un culte assez proche de l’orthodoxie. Mais les quelques mesures qui devraient être prises pour se conformer à la halakha (me’hiza almemor central, chœur moins envahissant...) sont impopulaires de sorte que la grande communauté demeurera dans cette zone intermédiaire entre l’orthodoxie et le libéralisme.


Lorsque l’on ouvre le Registre du Dénombrement des Juifs tolérés en la Province d’Alsace de 1784 (1) sur la page Strasbourg, on a l’impression qu’une petite communauté juive de 68 personnes y habitait très normalement.

Dénombrement général des Juifs, qui sont tolérés en la Province d’Alsace, 1784 - Photo Michel Lévy ©

En fait, le droit d’habitation était toujours refusé aux Juifs, mais, grâce à la protection royale, Cerf Berr avait, dès 1768, obtenu pour lui-même, ses fils et ses gendres, ses employés et ses domestiques, un droit d’habitation temporaire et toujours révocable. Puis, en 1771, grâce à la complicité d’un prête-nom, il avait pu acheter une propriété au Finkwiller. En 1775, le roi lui avait octroyé des lettres de naturalité (2), pour lui-même et sa famille, et en faisait un sujet français. Mais il n’est pas possible de parler de communauté, car il lui avait été formellement interdit par le Magistrat de Strasbourg de tenir synagogue, de sorte que, chaque fin de semaine, il faisait atteler sa voiture et se rendait dans la toute proche communauté de Bischheim, où il avait sa maison, pour y passer le Shabath.
Durant l’hiver 1778-1779, faisait-il trop froid, y avait-il trop de neige, Cerf Berr était-il souffrant ? Toujours est-il qu’il décida de passer le shabbat à Strasbourg et de faire l’office dans sa bibliothèque. Mal lui en prit, car des voisins, intrigués par le va-et-vient, s’approchèrent et crurent entendre des chants religieux. Ils le dénoncèrent au Magistrat qui réclama des explications à Cerf Berr (3). Même après la prise de la Bastille et son équivalent strasbourgeois, le sac de l’Hôtel de Ville du 21 juillet 1789, le Magistrat s’ancrait dans l’idée que Cerf Berr, bien que bénéficiant des Lettres de Naturalité du roi, ce qui lui donnait la nationalité française, était juif avant d’être Français, et que de ce fait les dispositions sur les Juifs édictées par la Ville et implicitement reconnues par la Capitulation de 1681, devaient lui être appliquées (4).

Il n’est donc pas possible de parler d’une communauté juive à Strasbourg avant le Décret de l’Assemblée Nationale du 27 septembre 1791 accordant l’égalité des droits à tous les Juifs qui auront prêté le serment civique. Et encore la Ville y mit beaucoup de mauvaise volonté, refusant de recevoir le serment civique durant de longs mois.

Obstiné, têtu, sûr de son bon droit, Cerf Berr ne prêta pas le serment civique, mais ses fils et ses gendres se prêtèrent à cette formalité le 21 février 1792 (5), suivis en cela par de nombreux Juifs des environs de Strasbourg. On organisa aussi de petits oratoires. Il y en eut un à l’auberge à l’enseigne de St Georges dans la rue des Orfèvres, tenue par Isaac Netter de Bergheim (6), un autre chez Moyse Isaac au 87 rue du Vieux Marché aux Vins, un autre chez Joseph Lehmann, au 12 rue du Jeu des Enfants, un autre encore chez le rabbin Abraham Auerbach, neveu et gendre du rabbin David Sintzheim dans la rue Elisabeth (7). La population juive de Strasbourg progressa très rapidement.

Un recensement de 1806 porte sur 234 Juifs ainsi répartis :

Il y avait 5 synagogues (?) plus 4 oratoires dans des maisons particulières. Un rabbin (David Sintzheim), 21 hommes de lettres, chantres et employés du culte (8).

Le 24 octobre 1805, David Sintzheim prononça un discours dans la grande synagogue de Strasbourg pour célébrer les glorieuses victoires de l’Empereur, discours qui fut imprimé. La synagogue se trouvait dans la rue des Fribourgeois (9).



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