L'Hospice Elisa à Strasbourg
par Moïse Ginsburger
Extrait de Souvenir et Science Revue mensuelle d'histoire et de littérature juives 3ème Année 1932 N°1


Cerfberr de Médelsheim avait épousé, en secondes noces, Hanna Regensburger, veuve de Sussmann Brüll de Furth en Bavière.

Louis Ratisbonne
Ratisbonne
Hanna avait eu de son premier mari, Jacob Regensburger, deux fils, Louis et Auguste, qui vinrent, avec leur mère, à Strasbourg et changèrent plus tard leur nom Regensburger en celui de Ratisbonne. Louis Ratisbonne, né à Furth, en 1780, épousa Flore, fille de Marx Cerfberr et d'Esther Boas. Il était banquier, président du Consistoire israélite du Bas-Rhin et chevalier de la Légion d'honneur. Il demeurait au No 21 de la rue des Grandes Arcades et mourut, sans laisser d'enfants, le 12 avril 1855.
Il avait fondé, dans le courant de l'année 1853, dans une maison qui lui appartenait, rue de l'Écarlate 20, un hospice de dix-huit lits. Cet établissement était consacré à la mémoire de Madame Eliza Cerfberr, fille d'Auguste Ratisbonne et d'Adélaïde Cerfberr, épouse de Max Cerfberr, le jeune.
L'inauguration de cet hospice eut lieu le 10 mai 1853. Le lendemain, 11 mai, on pouvait lire, sur cette cérémonie, la notice suivante dans le Courrier du Bas-Rhin :
"Monsieur Louis Ratisbonne vient de fonder à ses propres frais un hospice pour les israélites. C'est un nouveau et immense bienfait qu'il ajoute à tous ceux dont il a déjà comblé sa communauté et qui témoigne encore du noble usage qu'il sait faire d'une fortune acquise par une longue et laborieuse carrière. Cet hospice est situé dans la rue de l'Ecarlate, et est destiné à offrir un asile à des israélites âgés des deux sexes, qui se recommandent par leur moralité, et qui sont privés de ressources.
Déjà dix admissions y sont faites ; six vieillards et quatre femmes. L'ensemble de l'établissement se compose de deux dortoirs, d'une salle à manger commune, d'un petit oratoire et de toutes les dépendances nécessaires ; une cour bien aérée et un jardinet sont à la disposition des pensionnaires. Tout est disposé avec beaucoup de commodité et une propreté remarquable.

M. Ratisbonne a nommé un comité d'administration chargé des admissions et d'une surveillance constante. Ce comité se compose de MM. Aron, grand-rabbin, Aronssohn, docteur-médecin, chevalier de la Légion d'Honneur, L. Bloch, membre du consistoire israélite, R. Lippmann, maître de poste, H. Weil, membre du comité de l'école israélite des arts et métiers, Ch. Hirsch, directeur du comptoir d'escompte, Ed. Bamberger, docteur en. médecine, Simon Cerf, membre de la commission administrative du temple.
Hier soir a eu lieu l'inauguration de cette belle institution, en présence d'un petit nombre de personnes qui toutes étaient vivement émues par la touchante simplicité de cette cérémonie et par l'aspect de ces dix pensionnaires naguère encore dans la plus grande indigence et auxquels la générosité de M, Ratisbonne assure une vie douce et même confortable jusqu'à la fin de leurs jours."
Le 5 avril 1854, Louis Ratisbonne fit un testament mystique qu'il déposa, chez le notaire Rencker. Il y inséra un article spécial au sujet de l'Hospice Elisa. On y lit, en effet, les passages suivants :
Ecarlate"J'ai créé à Strasbourg, rue du Dragon, un hospice, où, sont admis quinze Invalides israélites des deux sexes.
Désirant que cette institution soit maintenue et augmentée au profit d'autres Invalides ou de personnes âgées et infirmes, je déclare affecter à cette Institution par mon Testament toute la maison et ses dépendances, rue du Dragon, y compris le Mobilier y affecté et dont je suis propriétaire, à condition que cet immeuble ne pourra jamais recevoir d'autre destination que celle ci-dessus indiquée et lui conserver le nom d'Hospice Elisa ainsi que l'indique l'inscription au-dessus de la Porte du Réfectoire.
La nouvelle Maison qui sera ajoutée devra porter mon nom Louis Ratisbonne et l'inscription devra l'indiquer.
Pour doter cet établissement d'une manière convenable, j'y attache une rente annuelle et perpétuelle de six mille francs que mes légataires universels seront tenus de garantir régulièrement par hypothèques, rente sur l'État ou tout autrement.
Mais attendu que cette fondation ne peut avoir lieu régulièrement sans autorisation du gouvernement, je charge mes légataires universels et mon exécuteur testamentaire de continuer après mon décès les démarches nécessaires à l'effet d'obtenir cette autorisation et en même temps, celle nécessaire pour l'acceptation du legs, et dans le cas où l'autorisation ne serait pas obtenue dans les deux années de mon décès, je donne et lègue l'immeuble ci-dessus désigné, avec la dotation de six mille francs de rente, au nom du Consistoire Israélite de Strasbourg avec la condition formelle que l'immeuble conservera perpétuellement la destination que je lui donne et que la dotation ne pourra être employée qu'aux dépenses nécessaires à l'établissement et au bien-être des pensionnaires, à défaut de quoi, mes légataires universels ou leurs représentants pourront poursuivre la révocation du legs par tous les moyens de droit.
Je donne à cet hospice encore trois lits complets de chez moi et que je désignerai à mon honorable confident, Monsieur Charles, pour les malades.
Je maintiens aussi le lit affecté par Madame veuve Brisach en tant qu'elle ou ses héritiers continueront à payer la dépense annuelle pour l'entretien d'un Invalide.
Je demande que, pendant une année, à partir de mon décès et tous les jours, matin et soir, la Prière (Minjan) se fasse à mon hospice en ma mémoire pour dire Kaddisch d`après le rite prescrit par ma religion ; à cette prière il y a à désigner indépendamment des Invalides de l'Établissement, huit pauvres de la Communauté Israélite de Strasbourg désignés par Monsieur le grand-rabbin et les membres de la Commission du Temple.
Ce choix devra être fait parmi les plus nécessiteux et les plus méritants de la ville ; il y aura dans ce nombre deux rabbins, dont l'un sera Reb Moschele (Utenheim) et le second au choix de la Commission.
Je donne à chacun des six Pauvres trois cents francs pour l'année, soit vingt-cinq francs par mois, et à chaque rabbin cinq cents francs pour l'année. Ces sommes devront être payées par douzièmes de mois en mois.
Je tiens à ce qu'en mémoire de la création de l'Hospice, mon portrait soit placé dans la salle du Réfectoire en souvenir de ma personne qui s'est occupée de leur donner un asile où ils finiront tranquillement leur vieillesse sans soucis en n'oubliant pas de 1a comprendre dans leurs prières journalières. Indépendamment de ce portrait isolément placé au Réfectoire, je charge mon honorable et fidèle ami Charles Hirsch de faire placer dans une salle de l'hospice à son choix, six autres portraits de famille que je lui ai désignés, celui du grand-père feu M. Cerfberr, celui de ma mère chérie sa femme en secondes noces, celui de mon frère et de sa femme et celui de ma femme faisant pendant au mien et de la nièce de ma femme et de Madame Auguste."
ElisaLes légataires universels de Ratisbonne continuèrent à faire les démarches nécessaires à l'effet d'obtenir l'autorisation du Gouvernement pour son œuvre, et ces démarches furent couronnées de succès. L'Hospice fut reconnu comme Établissement d'utilité publique par décret impérial du 27 avril 1859.
On y lit, entre autres, ce qui suit :
"Sur le rapport de notre ministre secrétaire d'État au département de l'Intérieur ;
Vu… la demande de la Communauté administrative de la communauté israélite de Strasbourg, quant à l'acceptation du bénéfice de l'oeuvre pie…, les statuts de l'institution, le procès-verbal d'enquête, l'avis du commissaire enquêteur et autres pièces à l'appui… les avis du conseil municipal de Strasbourg et du préfet du Bas-Rhin, la lettre du ministre de l'instruction publique et des cultes du 7 décembre 1858,… Avons décrété et décrétons ce qui suit :
Art. 1. L'œuvre charitable fondée à Strasbourg par le sieur L. Ratisbonne sous le nom d'Hospice Elisa , dans le but de secourir les israélites âgés et infirmes des deux sexes, est reconnu comme établissement d'utilité publique,
Art. 2. Sont approuvés les statuts de cette OEuvre tels qu'ils sont annexés au présent décrit.
Art. 3. La commission administrative de l'hospice Elisa est autorisée à accepter au nom de cet établissement, et aux clauses et conditions stipulées, le bénéfice des libéralités résultant pour lui du testament susmentionné.
Les premiers statuts avaient été établis en 1857, Ils contenaient, sur l'administration de l'Hospice, le passage suivant :
L'Hospice est administré par une commission composée de neuf membres nommés par M. le préfet, sur la présentation du consistoire départemental.
Il est pourvu aux dépenses de la maison à l'aide :
1. De la dotation annuelle et viagère due à la piété de son fondateur, M. Louis Ratisbonne.
2. Des revenus de toute nature provenant des biens et valeurs appartenant à l'établissement.
3. Des quêtes et autres moyens par lesquels l'œuvre pourrait se faire autoriser à solliciter la charité privée ;
4. Des dons et legs dont l'acceptation est autorisée par le Gouvernement.
5. Des subventions qui pourront lui être accordées par le Gouvernement, le département ou la ville de Strasbourg.
En 1856, les recettes s'étaient montées à 8780 francs, savoir : la dotation de M. Ratisbonne 6000 francs, le loyer du bâtiment 2280 Francs et un don de Madame Brisac 500 francs.
En 1860, le solde en caisse était au 1er janvier de 1742,20 frs,, les loyers perçus 1190 frs., les rentes 6000 frs., les intérêts 18,53 frs, le produit de la vente d'une bascule 25,70 frs. Total 8976,43 frs. Les dépenses se montaient à 6518,85 frs.
En 1861, un nouveau legs fut fait au profit de l'Hospice, Madame Weil Barbe dite Bissele de Muttersholz légua la somme de 500 francs à l'Hospice Elisa suivant son testament olographe, déposé, le 6 mai 1861, en l'étude de Me Heckmann Hintzy, notaire à Muttersholz.

Affiche La direction de l'Hospice avait été confiée, par Louis Ratisbonne, à une dame Lehmann qui avait rempli ses fonctions à la satisfaction de tout le monde. Mais elle tomba malade, vers 1864, et se vit forcée de donner sa démission. La Commission administrative croyant agir suivant les vues et désirs du testataire lui accorda une rente viagère de 400 francs par an.
R. Lippmann, adjoint au maire de Strasbourg, un des héritiers du fondateur de l'établissement, demanda l'annulation de cette décision comme ayant détourné une partie de 1a dotation de l'établissement de son affectation spéciale.
L'affaire passa par toutes les instances et arriva jusqu'au Ministre. Celui-ci remarqua, dans une première dépêche du 7 juin 1864 que l'opposition de Lippmann paraissait avoir pour cause des dissentiments personnels, que cependant les termes du testament étaient formels…
Dans une seconde lettre, le même ministre recommanda à la Commission administrative de faire appel à des personnes charitables et de prélever la pension de l'ancienne directrice sur le produit de quêtes et souscriptions et pria le préfet de faire la conciliation. On peut supposer que ce conseil fut suivi, puisque le dossier conservé aux Archives départementales ne contient plus aucune pièce sur cet incident.

Cinq ans après, l'immeuble de l'Hospice Elisa fut agrandi par un terrain sis à Strasbourg, rue du Dragon No 10 acheté, au prix de 15 600 francs, d'un sieur Oppermann, le 8 avril 1869.
Par décret du 26 janvier 1870, 1a Commission administrative fut autorisée à acquérir ce terrain et à aliéner, en vue de solder les 6000 francs d'acompte une rente de 3 % sur l'état de 250 frs. Le surplus était à payer en trois annuités. Le terrain était destiné à l'établissement d'un petit jardin avec promenoir.

Les statuts de l'Hospice établis par la Commission administrative, dans sa séance du 17 décembre 1856, furent modifiés, en 1910, en vue de pouvoir accepter des dons et des legs et de pouvoir se dispenser de louer des appartements. Ces appartements devaient être employés plutôt pour y loger des vieillards qui sollicitaient l'admission à l'Hospice. Le but a été atteint, puisque le nombre des pensionnaires a plus que doublé ; il se monte, à présent, à 34 hommes et femmes.

D'autres innovations avantageuses ont été introduites dans l'établissement. Le chauffage central, des lavabos à écoulement d'eau, des salles de bain et des chambres particulières y ont été installées.En 1928 il a. été créé, dans une aile de l'établissement, louée jusqu'alors à des particuliers, trois dortoirs comprenant dix lits avec chauffage central et cabinet de toilette.

La situation financière de l'Hospice s'est surtout améliorée depuis l'année 1900, puisque l'Assistance publique a consenti de payer une subvention pour chaque indigent hospitalisé dans l'établissement,

Cela ne veut naturellement pas dire que l'Hospice Elisa peut se passer entièrement du secours de nos coreligionnaires. C'est ce que l'on sait parfaitement à Strasbourg et dans tout le Bas-Rhin, où l'Hospice ne compte que des amis. La direction de la Maison est confiée, depuis de longues années, à Madame Cerf qui, par suite de son amabilité et de sa bonté, jouit de la sympathie et de l'affection de tous les pensionnaires et de toutes les personnes qui sont en rapport avec elle.

Mathieu La Commission administrative est composée de M.M. J. Schwartz, grand-rabbin, Mathieu Bloch, président, Maurice Weil-Kinsbourg, vice-président, Fernand Schwartz, trésorier, Sylvain Weil, secrétaire, Lazare Blum, Paul Haas, Fernand Kahn, Camille Meyer, Dr. D. Schmoll.

Je remercie, ici encore, MM. Mathieu Bloch, président, et Maurice Weil-Kinsbourg, vice-président, d'avoir bien voulu me communiquer les documents et les renseignements relatifs à l'Hospice Elisa.
M. Ginsburger.     


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