LES ISRAÉLITES À NANCY - Christian PFISTER (suite)

II. Les juifs sous Stanislas


Stanislas Leszczynski
par Jean Girardet

Quand Stanislas eut pris possession du duché de Lorraine, les anciennes ordonnances de Léopold et d'Élisabeth-Charlotte sur les juifs continuèrent d'être observées ; le roi dePologne se montra assez favorable aux israélites, qui, sous son règne, firent de grands progrès, Quand en 1737, il fut arrivé à Lunéville, il reçut les compliments de tous les corps de la nation ; entre autres, les juifs de Metz se présentèrent à lui, le 30 avril, avec leur rabbi Josua Falk, originaire de la Pologne (28). Falk remercia le souverain de la commisération que jadis il avait montrée pour les juifs polonais ; il exprima l'espoir qu'il étendrait aussi sa protection sur ceux de Lorraine (29).

Permission d'élire un rabbin

Et en effet, Stanislas donna bientôt aux juifs lorrains un grand avantage. Jusqu'alors, ils n'avaient point de rabbin ; leur tête étaient placés des syndics laïques. Il les autorisa à se choisir un pasteur, et ils élurent Néhémie Reicher, petit- fils de Jacob, ancien rabbin à Metz. Stanislas n'osa encore permettre à Reicher d'établir sa résidence en Lorraine ; celui-ci devait continuer de séjourner à Metz. ; mais il pouvait tenir des assemblées religieuses en territoire lorrain (30) : le 18 août 1737 (grande date dans l'histoire des juifs de nos pays) une première assemblée eut lieu à Morhange. Les juifs firent un règlement du culte ; ils spécifièrent aussi comment seraient jugés leurs petits procès (31).

Nouvelles familles juives à Nancy

Le 26 janvier 1753, Stanislas alla plus loin. Il abolit l'ordonnance de Léopold, de 1728, qui défendait aux juifs de passer des actes sous seing privé. Il fixa, comme par le passé, à cent quatre-vingts le nombre des juifs autorisés à résider en Lorraine avec leurs familles ; mais "famille", pris dans un sens très large, comprenait, avec le chef et ses enfants, tous les descendants mâles. Celles qui viendraient à s'éteindre pourraient être remplacées par de nouveaux occupants. Trois syndics furent donnés à la communauté, Salomon Alcan et Michel Goudchaux, en remplacement de leurs pères, Moïse et Lyon décédés, et un nouveau notable, Isaac Berr (32).

A l'édit est annexée une liste de deux cents noms, qui représentent les cent quatre-vingts familles autorisées à séjourner dans le pays, et cette liste est très intéressante à comparer à celle de 1721. Les localités où les juifs pouvaient résider se trouvent surtout dans la Lorraine allemande ; aux villages que nous avons cités dans ces contrées, nous pouvons ajouter ceux de Loudrefing, Lohr, Schalbach (33) etc. ; dans chacun, lesjuifs sont plus nombreux qu'autrefois. Dans la Lorraine française, nous trouvons des juifs pour la première fois à Essey, à Lav-Saint-Christophe, ; à Lunéville, il y a deux familles juives, Mayer Coulpe et Nathan Louis. Les juifs ont aussi pénétré à Fouq et A Étain. A Nancy, au lieu de quatre noms. nous en trouvons douze : la veuve de Moïse Alcan, Salomon Alcan, Isaac Berrm Michel Goudchaux, Abraham Goudchaux, Lazare Goudchaux, Isaac Assur, médecin, Michel Wolff, Mayer Berr, Mayer Landau, Lyon de Bonn, Jacob Goldschmidt.

Permissions individuelles de résidence

A partir de 1753, on peut considérer la communauté des juifs de Lorraine comme complètement organisée. Depuis cette date, elle se multiplia, tant à Nancy que dans les autres endroits cités. Presque toutes les familles indiquées dans l'édit de Stanislas ont fait souche ; les enfants qui se mariaient en Lorraine pouvaient résider avec leurs parents ; fondaient-ils une nouvelle maison, elle était tolérée. Si, par hasard, l'une ou l'autre des cent quatre-vingts familles venait à s'éteindre, aussitôt les demandes affluaient de juifs étrangers qui voulaient prendre sa place, Ce n'est pas tout : Stanislas d'abord, les rois de France ensuite, donnèrent à certains juifs des permissions individuelles ; les familles qui les obtenaient venaient s'ajouter aux cent quatre-vingts familles primitives. Déjà, le 6 avril 1743, la ville de Nancy avait autorisé Isaac Berr, marchand "magasinier" (c'est-à-dire possédant un magasin sur la rue), à s'établir dans le ville, à cause de son commerce ; Berr était devenu fournisseur de Sa Majesté et Stanislas lui avait confirmé, par lettres de 1749, la permission de résidence ; il lui avait même accordé pouvoir d'acquérir des maisons dans n'importe quel quartier de la ville (34). Voilà pourquoi son nom se trouve sur la liste de 1753. Plus tard, nous voyons le ministre Choiseul donner, le 12 novembre 1768, permission à Moïse Goudchaux de s'installer à Nancy (35) ; en janvier 1774, semblable faveur est accordée à Alexandre Aaron (36).

Progrès faits par les juifs

Sous Louis XVI, au moment où s'annonçait la Révolution, au moment où Malesherbes, après avoir rendu les droits civils aux protestants, songeait à s'occuper des juifs. on fermait les yeux sur les infractions commises aux vieux règlements ; malgré les arrêts de la Cour souveraine de Nancy (37), on laissait s'installer dans la ville ou dans l'étendue du duché, des juifs qui ne descendaient pas des anciennes familles et qui n'avaient pas obtenu de privilèges individuels. Pour toutes ces raisons, le nombre des juifs s'était sensiblement accru de 1753 à 1789. Nous estimons - ces appréciations sont toujours un peu arbitraires - que les familles étaient au nombre de 500 environ; à Lunéville, on en comptait deux en 1753, 16 avant la Révolution (38). A Nancy, au lieu de douze ménages en 1753, il y en avait 40 en 1789.

D'après les règlements, non seulement les juifs étaient en nombre limité dans le duché, mais encore ils habitaient des localités déterminées qu'ils ne pouvaient quitter sans autorisation. Il y avait des villages où les juifs étaient admis, d'autres où ils étaient bannis. Aujourd'hui encore, on devine quels étaient les uns et les autres. Un juif ne pouvait même quitter sa résidence pour une autre où ses coreligionnaires étaient tolérés ; ainsi, un juif de Boulay ne pouvait s'installer à Nancy, s'il n'avait reçu une permission en règle. Il faut dire que les juifs de Nancy rappelaient volontiers ce principe, toutes les fois qu'il s'agissait d'écarter un concurrent ou un pauvre diable qu'ils auraient été obligé d'entretenir (39). Pourtant, vers 1789, cette vieille barrière tomba, et il en fut de même des autres.

Nous avons dit que, dans la plupart des endroits où ils étaient admis, les juifs, en vertu de l'édit de Léopold de 1726, devaient habiter un quartier particulier ; il en fut ainsi à Boulay, qui eut sa juiverie. Il leur était interdit aussi de traverser certaines places, certains quartiers ; ainsi, à Lunéville, ils ne pouvaient pénétrer dans les Bosquets, ni dans la cour du Château, A Nancy, ces prohibitions cessèrent de bonne heure. Les juifs ne tardèrent pas à quitter la rue Saint-François et à créer de belles maisons dans les rues commerçantes de Saint-Jean et de Saint-Georges ; ils vivaient dans la ville confondus avec les chrétiens.

Tous les juifs de Lorraine formaient une communauté unique ; ceux de Boulay, de Puttelange, de Sarreguemines, etc., étaient par suite solidaires de ceux de Nancy. Cette communauté eut un sceau spécial, fait après la réunion de la Lorraine à la France. Il portait le chardon de Nancy et les lis de France, avec la légende : "Sceau de la communauté de Lorraine" (40). Le roi nommait, sur la désignation de la communauté , deux ou trois syndics qui étaient placés à sa tète, et qui habitaient en général Nancy. Nous avons vu qu'en 1753 Stanislas avait désigné Salomon Alcan, Michel Goudchaux, et Isaac Berr. Ce dernier fut plus tard remplacé par son fils Berr-Isaac Berr. D'assez bonne heure, les juifs de Lorraine se plaignirent de cette prééminence des juifs de Nancy et voulurent former des communautés autonomes.

Construction d'une synagogue en 1788

Les juifs purent avoir à Nancy une salle de culte dès l'année 1747. Auparavant ils célébraient leurs cérémonies dans la maison particulière de l'un d'entre eux. La nouvelle salle fut bâtie dans la rue Saint-François ; d'après une tradition qui doit être exacte, c'est celle-là même où se tint pendant longtemps l'école israélite et qui aujourd'hui sert d'oratoire pendant l'hiver. Mais en1788, les juifs sollicitèrent. la permission d'élever une vraie synagogue : ils l'obtinrent ; on les invita seulement à construire leur temple loin de la rue, pour que leurs cérémonies ne pussent être aperçues ni leurs chants entendus du dehors. C'est pourquoi la synagogue se trouve au milieu d'une cour, séparée de la rue de l'Equitation par un grand bâtiment, qui fut acheté à la même époque par la communauté juive. L'historien de Nancy, Lionnois, nous décrit avec complaisance cette synagogue, qu'il a vu s'élever (41). Il s'arrête, en curieux fort intéressé, sur les divers objets propres au culte israélite ; il nous décrit la piscine établie à l'entrée et qui sert aux fidèles à se laver les mains, l'armoire où sont enfermées les tables de la Loi et qu'encadrent "deux colonnes de marbre noir avec chapiteaux et entablement d'ordre corinthien et fronton carré", les candélabres à neuf branches, les lustres accrochés au plafond. Il insiste sur la grande tribune, au-dessus de la porte d'entrée, où s'installent les femmes, qui "dans la prière n'ont aucune communication avec les hommes". Au temps de Lionnois même, les femmes étaient entièrement cachées à la vue des hommes par des vitraux opaques, qui leur permettaient de voir sans être vues.

Agrandissements de la synagogue


La synagogue de Nancy avant 1934
La synagogue, avec ses quatre fenêtres latérales cintrées, était devenue insuffisante au 19ème siècle, étant donnée l'augmentation de la population israélite. Elle a été agrandie à deux reprises, en 1842 et en 1861 ; on y a ajouté chaque fois des travées ; et l'on voit encore sur le mur extérieur la trace de ces additions. On a aussi construit, sur les deux côtés, de nouvelles tribunes pour les femmes. Contrairement à la vieille tradition judaïque, qui repoussait tout changement, on a placé dans la synagogue un orque qui rehausse l'éclat des cérémonies, par un usage emprunté aux chrétiens. On assure que cette grave innovation, qui a fait frémir les vieux talmudistes, a été pratiquée pour la première fois à la synagogue de Nancy .

Il y eut aussi avant 1789 des salles de culte dans certaines autres localités lorraines où les juifs étaient tolérés. En 1785, les juifs de Lunéville purent même avoir une synagogue et ils dépensèrent pour cet édifice une somme de 40,000 livres. Ils sculptèrent sur la façade une grappe de raisin rappelant la vigne d'or qui ornait le temple de Jérusalem (42).

Le rabbin Schweich peut s'établir à Nancy

Depuis 1737, les juifs de Lorraine avaient un grand rabbin ; mais, par une anomalie étrange, ce grand rabbin ne pouvait résider dans le pays ; il devait habiter la ville de Metz. Néhémie Reicher remplit longtemps ce poste. avec beaucoup de dévouement ; après lui on cite, comme rabbin de Lorraine, Jacob Perl, dont on vante la science dans la langue hébraïque ; il composa des prières funèbres sur la mort de Louis XV, des prières d'actions de grâces sur l'avènement de Louis XVI, et ces morceaux furent traduits en français par son plus illustre élève, Berr-Isaac Berr. En 1777 Perl, qui venait de mourir, fut remplacé par Jacob Schweich, ancien rabbin d'Endingen en Brisgau. Au moment où s'élevait la synagogue de Nancy, Schweich obtint la permission de s'établir définitivement dans la ville ; il occupa la vaste maison, en bordure sur la rue de l'Equitation, qui sert toujours de logement au grand rabbin. Schweich fut encore rabbin de la Lorraine entière ; cependant, déjà les tendances séparatistes se faisaient jour : en avril 1788, les Juifs de Lunéville demandèrent la permission de se choisir un ministre spécial.

Le cimetière juif

Au temps où les juifs construisaient à Nancy leur synagogue, ils sollicitèrent l'autorisation de créer un cimetière pour leurs coreligionnaires. Jusqu'en 1788, les israélites défunts étaient transportés à Metz et enterrés au cimetière de Chambière. L'autorité écouta les doléances, et un cimetière juif fut créé cette année-là à Nancy, en dehors de la porte Saint-Jean. Il fut placé au nord de la rue de la Commanderie, et la maison qui servait au gardien est encore debout sur cette voie (43).
Le cimetière juif fut ensuite transporté, en 1840, dans un coin de Préville et entouré d'un mur particulier. Les israélites de Lunéville réclamèrent aussi, avant la Révolution, un cimetière pour eux ; ils ne l'obtinrent, qu'en 1791, où la commune leur donna un terrain sur le chemin d'Einville.

L'hôpital juif

A côté du cimetière juif de Nancy, les israélites achetèrent du sieur L'Hermite une maison pour y créer un hôpital. Ce fut une simple auberge où les juifs pauvres venant à Nancy trouvaient le logement et quelque nourriture conforme au rite.

Situation juridique des juifs

Les juifs de Lorraine et de Nancy continuaient d'être soumis à des impôts spéciaux. La somme de 10,000 livres qu'on exigeait d'eux fut portée à 13,000 livres, sans compter un millier de livres que payaient ceux de Fénétrange. Plus tard. l'impôt atteignit 15,000 à 16,000 livres. Les juifs répartissaient et levaient eux-mêmes cette somme. Ceux de Nancy payaient pour leur part environ 2,700 livres. Outre cette imposition, ils étaient soumis aux taxes municipales. Ils devaient aussi loger les gens de guerre ; à diverses reprises, ils demandèrent à être déchargés de cette dernière obligation, assez lourde ; mais presque toujours on repoussa leur supplique (44).

Les juifs de Lorraine avaient des privilèges judiciaires. Leur rabbin et leurs syndics jugeaient selon les prescriptions de la loi judaïque les procès civils qu'ils avaient entre eux. Il y avait appel de ce tribunal à la Cour souveraine ou parlement ; aussi un recueil de leurs lois, traduites en langue française, était-il déposé au greffe. Quand les juifs étaient cités devant les tribunaux ordinaires, l'un des leurs, délégué par le rabbin, recevait leurs serments more judaico.

Leur situation morale ; leurs professions

La plupart des juifs de Lorraine étaient assez pauvres ; ils se livraient surtout au petit commerce ; ils étaient fripiers ou maquignons. D'autres faisaient l'usure en cachette. On essaya de les faire travailler aux champs ou dans une usine. Aux approches de la Révolution, on distribua à quelquesuns des terrains près de Tomblaine ; les frères Cerfberr fondèrent dans ce village une manufacture de drap, pannes et serges (45), pour y attirer leurs coreligionnaires pauvres ; mais les deux tentatives échouèrent : on ne put faire de juif lorrain ni un paysan ni un ouvrier. Quelques-uns d'entre eux exerçaient, depuis 1768, le métier de boucher, et 27 maîtres bouchers de Nancy, irrités des taxes que la municipalité leur avait imposées, venaient de donner leur démission. Sur la demande du lieutenant général de police, la Cour souveraine donna, le 28 juin 1768, l'autorisation à tons les sujets du roi, même aux juifs, au nombre de 12 seulement, d'exercer à Nancy la profession de boucher, d'y tuer, vendre et distribuer des viandes (46). Un certain nombre de juifs en profitèrent. Il y eut naturellement entre eux et les bouchers chrétiens, surtout avec ceux qui avaient donné leur démission, des conflits violents, et l'on en vint aux coups.

Enfin, un petit nombre de juifs étaient de riches banquiers ou commerçants ; comme tels, ils ont rendu à la ville de Nancy de grands services. Ils ont activé la circulation des espèces et celle des marchandises. Ce sont eux surtout qui ont établi dans la cité, au rez-de-chaussée sur la rue, des magasins où les objets en vente attirent l'œil du client, au lieu d'être entassés les uns sur les autres dans un coin de l'arrière-boutique. Berr-Isaac Berr a ouvert un grand magasin d'indiennes ; d'autres ont introduit à Nancy le commerce en gros des épices, etc. Nous venons de voir que Cerfberr s'est fait industriel à Tromblaine. Quelques juifs prenaient en association les grandes entreprises ; ils fournissaient les fourrages ou les vivres à l'armée.

Les juifs embrassaient-ils aussi les carrières libérales ? Sur la liste de 1753, nous trouvons le nom d'Isaac Assur, médecin. Mais. selon toute apparence, il n'avait point fait ses études dans quelque université, il s'était formé à une école judaïque et fut seulement à Nancy le médecin des juifs ; il ne dut même point songer à se faire agréer au collège rural de médecine de la ville. Ce ne fut qu'aux approches de la Révolution qu'on permit à des juifs d'exercer leur art. Jacob Berr, qui avait étudié la chirurgie à Épinal (47), obtint, après de multiples démarches, l'autorisation de pratiquer à Nancy.

Les juifs en arrivèrent même à acquérir des fiefs en Lorraine. Cerfberr devint seigneur du village de Tomblaine, où il établit sa fabrique de drap ; il leva les droits seigneuriaux et tint les plaids annaux.
Ainsi, peu à peu, les juifs de Nancy commencèrent à se mêler à la population, et un avocat au parlement, Thiéry, trace d'eux, en 1788, le portrait suivant : "A Nancy, où les juifs ne sont pas entassés dans un quartier isolé, où ils n'ont que très peu, ou pourrait même dire : point de signes extérieurs qui les distinguent, le peuple ne répugne pas de les aborder ; il ne s'étonne point de leur trouver quelquefois de la dignité dans le maintien, de la recherche dans les meubles et les vêtements, du goût pour se procurer toutes les jouissances et toutes les douceurs de la vie. Les juifs, de leur côté, moins persécutés, moins avilis, se sont montrés plus d'une fois jaloux de la considération publique, et ont su la mériter et en jouir. Fiers d'être regardés comme des hommes, ils cherchent à lutter contre l'opprobre et le besoin, et ne demandent que les moyens d'être utiles".

Hostilité de la population ; l'antisémitisme au XVIIIe siècle

Thiéry était une âme généreuse ; quoi qu'il prétende, l'opinion publique restait toujours hostile aux juifs. Le mot antisémitisme n'était pas encore inventé, mais le sentiment existait, très vivace. Quelques juifs commirent des crimes : ils furent condamnés impitoyablement. Le 23 juin 1760, dix-neuf israélites de Bitche furent jugés pour vol par la Cour souveraine ; quatorze furent pendus et cinq envoyés aux galères (48). Les chrétiens se réjouissaient de ces exécutions et imputaient à toute la race les méfaits de quelques-uns. Puis, le public fut jaloux de la richesse de certains juifs ; ou les soupçonnait d'accaparement. Après la "révolte de Nancy", la foule contraignit, le 11 avril 1772, le juif Élie, de Malzéville, à baiser le cadavre du commissaire Rochette. A la veille de la Révolution, ou accusait le juif Cerfbeer, qui trafiquait sur les grains, d'avoir provoqué la hausse du pain. Quand, le février 1788, on apprit que la miche de 6 livres avait augmenté d'un sou, la foule pilla ses greniers, cassa les fenêtres de sa maison et celles des autres demeures israélites; il fallut appeler les garnisons de Lunéville et de Pont-à-Mousson pour rétablir l'ordre (49).

D'ailleurs, cette haine, des juifs se manifesta dans les cahiers des états généraux que rédigea la ville de Nancy. Ces cahiers, remplis de tant d'idées généreuses, ne contiennent qu'une restriction : on demande la liberté pour tous, excepté pour les juifs. Nancy exprime le vœu que les juifs de Lorraine soient ramenés au nombre fixé par les ordonnances, c'est-à-dire aux 180 familles primitives ; elle souhaite en outre que, de même qu'à l'époque de Léopold, ils ne puissent prêter de l'argent que par un acte public devant notaire (49). Les vœux des autres communautés étaient à peu près les mêmes ; le cri : Guerre aux juifs! était dans ces cahiers, on l'on répétait le mot fraternité !


© A . S . I . J . A .