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C'est une histoire extraordinaire...
Histoire du Sefer Torah de mon arrière-grand-père Jonas Rein
par Azaria REIN


Intronisation du rabbin Kaplan en la synagogue de Mulhouse (1922 )
En bas: Azaria Rien au même endroit, dans la cour de la synagogue
Cette histoire extraordinaire que je vais raconter aurait pu être un conte hassidique, si ce n'est que cette histoire authentique se passait en Alsace, en novembre 2013.

J'avais été invité à participer à un colloque de la Fondation Dreyfus à Mulhouse les 6 et 7 novembre 2013. Le colloque était organisé par le Docteur Fernand Hessel, cardiologue président et fondateur de cette fondation. Comme il savait que mon confrère Zeev Perles et moi-même mangions casher, le docteur Hessel avait demandé au Rabbin Hayoun de la communauté de Mulhouse de nous fournir les repas casher pendant toute la durée de ce colloque. Je dois dire que l'organisation était parfaite. Étant dans l'année de deuil de mon père, je cherchais le premier soir un minyan dans lequel je pourrais dire Kadish. Je téléphonais au Rabbin Amar qui me suggéra de me joindre au minyan de la communauté le soir pour la prière d'arvith.

Je découvris ce petit oratoire attenant à la synagogue consistoriale de Mulhouse avec un minyan de rite ashkénaze alsacien et néanmoins de prononciation séfarade. A la fin de cet office récité par le ministre officiant, Mr. Jacky Herrmann, je demandai au rabbin Amar s'il était possible de visiter la grande synagogue. Il me dit de revenir le lendemain pour la prière du matin, et que ayant les clés, il se ferait un plaisir de me la faire visiter.

Cette synagogue, je la connaissais depuis 1956, alors que petit enfant, je venais visiter ma grand-mère paternelle qui résidait chez mon oncle Raymond Rein qui habitait Mulhouse. En fait, je n'étais jamais rentré dans cette magnifique synagogue parce qu'il y avait un orgue et nous considérions, comme les orthodoxes allemands du 19ème siècle qu'il était incorrect de rentrer dans une synagogue où il y avait un orgue qui était le symbole de la synagogue réformée contre laquelle luttait cette orthodoxie. Mon oncle Raymond Rein suivait régulièrement les offices de cette synagogue. Je savais aussi que mon père, Armand Rein (za"l) et son frère Jean-Jacques (za"l) (déporté à Sobibor en 1943) y organisaient des oneg shabath entre 1930 et 1939. Je savais aussi que mon grand-père paternel, Nathan Rein, était un fidèle de cette synagogue. Il avait même posé sur une photo aux pieds de cet escalier magistral sur le côté de la synagogue en 1922 lors de l'intronisation du rabbin Kaplan (flèche). D'où la curiosité de visiter cette synagogue qui m'avait été interdite dans ma jeunesse.


Les rouleaux de la Torah dans l'arche sainte de
la synagogue de Mulhouse
Le lendemain matin, après l'office du matin dans le petit oratoire, nous sommes allés dans la cour au pied de cet escalier magistral et avons pris une photo à l'endroit même où la photo de mon grand-père avait été prise plus de 90 ans auparavant. Puis, avec l'paide de monsieur le rabbin Amar, nous y sommes entrés. Je découvris alors une très belle synagogue construite en 1849 avec ses meubles peints en blanc et étoffés de rouge, les murs blancs, de grands tableaux muraux de marbre citant des versets en hébreu et en français écrits en caractères gothiques de part et d'autres du majestueux Aron Hakodesh. A l'arrière, on pouvait encore distinguer l'emplacement de l'orgue qui, entretemps, avait brûlé. Le rabbin Amar me raconta que pendant la seconde guerre mondiale, cette synagogue avait été transformée en manège à chevaux par les Allemands.

Ma curiosité me poussa à lui demander s'il était possible de voir les Sepharim. En ouvrant l'arche sainte, je découvris une quinzaine de rouleaux de la Torah, majestueux, très hauts et sans doute très lourds. Le premier Sefer que je vois se trouve sur le côté gauche, un peu plus petit, enveloppée d'un manteau rouge, sur lequel on peut lire qu'il avait été offert par Raymond Rein (mon oncle), en souvenir de sa femme Marguerite Weill au mois de nissane 1978. Sur sa droite, se trouvait une Torah encore plus petite, enveloppée elle aussi d'un manteau rouge, qui tenait mal en équilibre : chaque fois que je voulais la remettre en place, elle pivotait sur un pied, car les deux bois, ou etz 'haïm, n'étaient pas à la même hauteur. Ainsi, cette Torah se retournait comme pour me dire "viens prends-moi et répare mon déséquilibre". Je suggérai alors au rabbin Amar de la prendre sur la bima, l'estrade centrale, afin de la ré-enrouler et de rétablir les deux etz 'haïm à la même hauteur.

Quelle ne fut pas notre stupéfaction que de découvrir alors, sur les disques du bas des etz 'haïm cette dédicace : (Traduction française de ce qu'on peut lire en caractères hébraïques) "Le petit Jacob Tzvi fils du regretté (littéralement kaparath mishkavo - le rachat de sa mort) Nathan Rein de Uffheim - La Torah ne quittera pas ma bouche ni celle de ma descendance ni celle de la descendance de ma descendance jusqu'à l'éternité". Et sur le deuxième bois on pouvait lire : "Béni soit tu D-ieu d'Israël qui m'a donné la force d'accomplir le commandement (ainsi qu'il est écrit) - et maintenant écrivez la pour vous -, de (faire) écrire cette Torah en mon nom dans la ville sainte de Jérusalem". Et de conclure : "En l'honneur de la Torah et l'honneur du Makom, en l'année 5666 (1906)". De plus, en ouvrant le Sefer Torah à l'endroit même où il avait été enroulé, on lisait ce dernier verset en bas de la colonne, oh combien symbolique : "cette fois aussi D-ieu n'a pas voulu te détruire".

L'inscription sur le rouleau de la Torah

C'était donc un Sefer Torah offert par le grand-père de mon père, qu'il avait fait écrire à Jérusalem en 1906 pour honorer la mort de son propre père. Il faut ici relever que mon arrière-grand-père, Jacob Tzvi (ou Jonas) bien qu'étant lui-même scribe, avait commandé et fait écrire ce Sefer Torah à Jérusalem, démarche qui, tel qu'il nous sera confirmé plus tard, était extrêmement rare en ces temps. Il faut aussi remarquer que 1906 était l'année du mariage de son unique fils Nathan, mon grand-père.

C'était une découverte extraordinaire faite dans des circonstances presque miraculeuses : mon père, Armand Rein (za"l) était décédé quelques mois auparavant ; la découverte de ce Sefer Torah n'aurait pas eu lieu si je n'avais pas eu besoin de dire Kaddish. Je ne m'attendais pas à cela en venant à Mulhouse. Personne dans la famille, pas même mon père, ne m'avait jamais parlé de cette Torah offerte par son grand-père. J'étais rentré dans cette synagogue par hasard, j'avais ouvert cette arche sainte contenant des Torah sans but précis si ce n'était que de décosuvrir un passé textuel. Cette petite Torah, à côté de celle de mon oncle et qui ne tenait pas bien avait attiré mon attention, je l'avais prise et portée sur l'estrade pour la remettre en place et la ré-enrouler. Ce n'est qu'à ce moment-là que j'ai fait cette découverte véritablement extraordinaire qui m'émut beaucoup. Le docteur Zeev Perles et le rabbin Amar qui étaient témoins en temps réel de cet événement étaient eux aussi émus que moi.

Je demandai alors au rabbin Amar quel serait le devenir de ce Sefer Torah, question à laquelle il répondit en m'informant que celui-ci avait été récemment examiné par un sofer (scribe), Monsieur Jean-Jacques Lévy de Strasbourg, qui l'avait déclaré passoul (inutilisable) dû à l'effacement de certaines lettres et qu'ainsi, il était destiné à la Genizah (être enterré). Je lui demandai s'il était possible de récupérer cette Torah pour la rapporter à Jérusalem, là où elle avait été écrite plus de cent ans auparavant. Le rabbin Amar me suggéra alors de demander au rabbin Hayoun si cela était envisageable. Celui-ci donna immédiatement son accord tout en me demandant de patienter afin de recevoir l'autorisation du président de la communauté..

Quelques jours plus tard, alors que j'étais déjà de retour à Jérusalem, le rabbin Amar m'annonça par téléphone qu'il avait obtenu l'accord du président de la communauté.
Le rabbin Hayoun me fournit des informations supplémentaires sur ce Sefer : il le connaissait car il avait été utilisé pendant de nombreuses années en tant que Sefer portable ; c'était le plus petit de l'arche sainte et en conséquence c'était celui-ci qu'on transportait (dans une boite spéciale) pour les services de prière dans les maisons de deuil de la communauté. Le rabbin Hayoun était personnellement très heureux de cette décision qui permettrait de ramener ce Sefer Torah à son "lieu de naissance". Tout en le remerciant pour son aide, je lui révélai que j'essaierai de faire corriger ce Sefer Torah en Israël et ainsi de lui donner une seconde vie dans sa ville natale.


Invitation à la cérémonie d'introduction du rouleau de la Torah rénové en la synagogue Emek Refaïm
de Jérusalem, le 20 mai 2014
Le 29 décembre 2013, le 26 tevet 5774, soit 106 ans après l'avoir quitté, le Sefer Torah, apporté par le rabbin Amar lui-même, avait rejoint son lieu de naissance. Trois des arrières petits-enfants de Jonas Rein de Uffheim, deux de mes sœurs (Evelyne et Nadine) et moi-même, leurs maris ainsi qu'un de mes fils (Netaniel) étions là pour l'accueillir à l'aéroport Ben-Gourion en Israël et le reconduire dans sa demeure à Jérusalem.

Le mardi 4 Février 2014, le 4 adar-rishon 5774, je déposai le Sefer Torah à l'Institut Oth de Jérusalem, spécialisé dans la vérification visuelle et digitale des rouleaux de la Torah et leur demandai de vérifier si la réparation était possible. Le rabbin Itzhak Goldstein de cet institut, qui expertisa ce Sefer identifia immédiatement l'origine du Sefer et confirma son origine israélienne : il est écrit sur une peau de chèvre typique de la facture israélienne du début du 20ème siècle et non sur du parchemin de veau comme c'est le cas aujourd'hui. De plus, certains détails de l'écriture tels que les débuts de colonnes (vavei amudim), le nombre de lignes par colonne (52 au lieu des 42 typiques d'aujourd‘hui), les lettres de différentes tailles et d'autres détails confirmaient l'origine israélienne du sofer (scribe).
Et surtout, il m'annonçait à ma plus grande joie, qu'ils étaient en mesure, après vérification, de corriger ce vieux Sefer, de lui donner une nouvelle vie et que si D-ieu veut, il serait disponible la veille de Pessah.

Ainsi, cette histoire authentique et merveilleuse se conclut sur une fin inespérée.
Rabbi Yohanan nous apprend (Baba Metzia 85a) que si un talmid 'hakham (sage) a un fils et un petit-fils qui eux aussi sont des talmidei 'hakhamim, la Torah ne quittera pas ses descendants. Et le verset sur lequel il fonde cette réflexion n'est autre que celui cité plus haut, que mon ancêtre inscrit sur les disques des bois de la Torah : "Et moi, voici mon alliance avec eux... La Torah ne quittera pas ta bouche ni celle de ta descendance ni de celle de la descendance de ta descendance jusqu'à l'éternité". Rabbi Yohanan de conclure : "la Torah est à la recherche de sa akhsania" littéralement son auberge, du lieu où elle peut reposer. Elle revient à Jérusalem.

L'inscription prémonitoire de mon arrière-grand-père s'est miraculeusement trouvée en résonnance avec mon voyage à Mulhouse
Ce Sefer transmis de générations en générations dans la famille Rein est destinée à être le Sefer utilisé par un de mes fils, Netaniel Rein, qui lit régulièrement le passage hebdomadaire de la Torah dans une des synagogues de Jérusalem.

La réinsertion du Sefer Thorah dans la synagogue sera une fête à laquelle seront conviées les centaines de descendants de mon arrière-grand-père. J'ai eu le zekhouth, le mérite, d'avoir pu rétablir cette transmission alors que le Sefer Torah avait disparu de la mémoire familiale.

Jérusalem, le 12 Adar rishon 5774
Azaria Jean-Jacques Théodore REIN
Médecin-Cardiologue à l'Hopital Hadassah de Jérusalem

 
Cérémonie d'introduction du Sefer Torah dans la synagogue Emek Refaim
à Jérusalem - à dr. Azaria Rein
  Allocution de David Lau, grand rabbin d'Israël


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