Le cent cinquantenaire de la synagogue de Mulhouse
1849-1999
Rabbin Edgard Weill


© M. Rothé
Exterieur de la synagogue
La synagogue a été construite en 1849 par Schacre, l’architecte de la ville. Après avoir insisté sur le fait que Mulhouse est pauvre en édifices de qualité, l’architecte en chef des monuments historiques de France affirme : "Il s’agit d’une des plus importantes synagogues par ses dimensions. Elle est encore dans son état d’origine et constitue à ce titre un témoin très intéressant de l’un des courants stylistique du milieu du 19ème siècle."

Aujourd’hui : sa restauration

Insérées dans l’éternité, 150 années représentent un laps de temps très court. Il en est tout autrement quand on les mesure à l’échelle humaine du temps. Que de choses, que d’événements se sont succédés au cours de cette période ! Pas moins de trois guerres : 1870, 1914, 1939, l’une plus meurtrière que l’autre. Toutes les trois ont réduit le nombre des fidèles. Toutes les trois ont provoqué des exodes. Toutes les trois ont bouleversé les options religieuses. Au gré de ces événements la peur ou la joie remplit ou vide les travées de cette synagogue. Le récit de chacun des fidèles mériterait d’être conté. Pour un grand nombre d’entre nous ce serait un vrai martyrologe. En 1870 la germanisation des provinces de l’Est a conduit certains à venir s’installer en France. En 1914 les Juifs sont nombreux à mourir sur le champ d’honneur, soit qu’ils tombent sous la mitraille, soit qu’ils succombent dans des corps à corps inhumains, à la baïonnette, soit qu’ils gèlent de froid dans les steppes russes. En 1939 un peuple dans une inexplicable folie dévastatrice, prône les prétendues pureté et supériorité d’une race de maîtres, allant jusqu’à exterminer ceux qui n’ont pas la "chance" d’en faire partie.

Comme partout ce n’est qu’une poignée de fidèles qui survivent à cet horrible génocide. La Shoah réduit de moitié la communauté juive de Mulhouse.. Même la synagogue n’échappera pas aux néfastes effets imputables à cette dégénérescence de l’esprit. Les galeries des dames sont détruites pour servir d’entrepôt et d’atelier de peinture aux décors du théâtre. Dans un tel contexte extraordinaire dans sa cruauté, comment ne pas s’accrocher à un geste consolant en signalant l’attitude courageuse d’un employé de la ville et lui rendre hommage. Pour sauver de la destruction deux ou trois sifrei Torah (rouleaux de la Torah) rangés dans l’armoire de l’oratoire, il a l’ingénieuse idée de suspendre à la porte de cette armoire les contenant, le portrait d’Hitler. Il est vrai que le "Sauvage" (*) enfin identifié a voulu protéger certains monuments et objets sacrés pour les exposer plus tard à l’admiration béate de ses séides comme étant les seuls vestiges d’une race inférieure exterminée.

Inauguration de la synagogue, le 14 mars 1950 : le G.R. Kaplan
entouré du G.R. Fuks et du R. Weill
Les 3 rabbins
Comme tous nos autres persécuteurs, il n’est Dieu merci pas arrivé à ses fins. Le 19 mars 1959, cent-un ans après sa construction, la synagogue est restaurée grâce à la générosité de nombreux donateurs. Ce jour-là une grande cérémonie fête l’événement. Le président de la communauté en y conviant les fidèles écrit : "chacun se souvient dans quel lamentable état nous l’avons retrouvée après la libération….ce temple où la joie et la peine nous ont si souvent réunis dans la prière commune".

Hier : sa construction

Longtemps la communauté se distingue de ses soeurs alsaciennes et particulièrement de celle de Colmar par un relatif libéralisme, n’ayant cependant rien de commun avec celui qui porte aujourd’hui ce nom..

Dans son opuscule Les Juifs à Mulhouse le G.R. René Hirschler de mémoire bénie écrit en parlant du regretté rabbin Samuel Dreyfus qui est sorti le premier de l’école Rabbinique de France : "il enseignait à ses condisciples le latin et le français, Mulhouse, on le voit, fut la première communauté de France à être dirigée par un rabbin de formation moderne. Ce ne fut d’ailleurs pas toujours sans créer des heurts entre le rabbin et certains éléments de la Communauté qui semblent avoir été dirigés par Reb Baruch Wahl. Tel paraît avoir été, à une époque qu’on ne peut préciser, l’origine du groupement orthodoxe qui, sans être séparé de la grande communauté, subsiste encore…".

C’est sous l’impulsion de ce rabbin que la communauté s’accroît et qu’elle : "construisit en 1848 la synagogue actuelle, claire et sympathique…. L’inauguration de la synagogue, à laquelle participaient les magistrats de la ville, la troupe et un public évalué à plus de 2000 personnes". Le 13 décembre 1849 la synagogue est consacrée au culte. A l’époque un événement d’une très grande portée. De nombreuses personnalités y prennent part ainsi qu’un fort détachement de la Garde Nationale. Une compagnie d’infanterie forme la haie des deux côtés de la rue. Entre cette double rangée de soldats les représentants de la communauté viennent solennellement apporter sur les bras les rouleaux de la loi, qui, jusque là se trouvaient dans l’ancien temple de la rue Sainte Claire.

Le journal de l’époque va jusqu’à souligner "l’heureuse innovation, dont il faut tenir compte à la Commission de Construction, qui atteste l’esprit de progrès dont elle est animée, c’est l’éclairage du temple au moyen de gaz. Trois cents becs, allumés pendant la cérémonie répandent la plus vive clarté dans tout l’édifice." Le grand lustre, placé au-dessus de l’estrade porte à lui seul 60 becs. A la chute du jour, cette brillante illumination a produit le plus bel "effet". Ce même journal note aussi que les chants religieux, avec accompagnement de la musique militaire se font alors entendre et sont écoutés "au milieu du recueillement général , "tant la solennité religieuse a quelque culte qu’elle appartienne, impressionne vivement les esprits.

C'est à cette époque que le président Lazare Lantz cherche un chanteur d’opéras nommé Kahn pour en faire un "Kantor" un ministre-officiant, avec l’espoir qu’il attirerait des fidèles au moins les amateurs de bel canto. L’orgue et le choeur mixte sont alors aussi autorisés par les rabbins en fonction. Après la dernière guerre cette façon de concevoir les offices disparaît progressivement. La venue massive des Juifs d’Afrique du Nord donne définitivement le coup de grâce à cette forme d’office. Certaines nouvelles habitudes religieuses s’installent. En outre, le fidèle ashkenaze s’aperçoit que chacun peut être apte à faire l’office, et que réciter à haute voix chaque prière, serait une intéressante innovation pédagogique. Cependant, il y a lieu de déplorer la naissance de plusieurs offices. La communauté se disperse et se divise en petites communautés. Rien de nouveau sous le soleil. C’est une réédition d’une tradition ancienne. Autrefois elles étaient créées par les Juifs polonais et, comme on vient de le lire, par les tenants de la stricte observance, ce seront les Sephardim qui les remplaceront.

Dans les années 60 la venue massive des Juifs d'Afrique du Nord donne à la communauté une nouvelle vigueur. Aujourd’hui plus que jamais l’union harmonieuse de tous s’impose pour que demain la synagogue ait encore sa raison d’être.

Exterieur
Avant-hier : ses petites soeurs

Avant de conclure, il me paraît intéressant de noter quelques détails concernant les Juifs à Mulhouse dans le passé, passé lointain : une situation singulière. De 1290 presque jusqu’à l’époque de la Réforme l’ensemble de l’histoire des Juifs en Alsace est la même. En 1290 Rodolphe de Habsbourg s’octroie le versement de la dette que les citoyens de Mulhouse aurait dû rembourser au Juif Salomon de Neuenbourg.. Déjà à cette époque des Juifs habitent à Mulhouse. A la fin du XIIIème siècle il est fait mention d’un Juif nommé Roubin qui doit une Livre à titre de loyer pour la maison qu’il habite.

Le 14ème siècle se distingue tristement par une persécution dont souffrent tous les Juifs en Alsace. Dans le Haut-Rhin c’est Armleder de sinistre mémoire qui sévit violemment. La seule mention de ce nom inspire longtemps la peur. L’évêque Berthold de Strasbourg le bat en cruauté. Il est à ce point assoiffé d’argent que le nombre de ses victimes parmi les Juifs dépasse en importance les précédentes persécutions perpétrées à Colmar, Rouffach et Strasbourg. Les responsables de ces tueries ont été innocentés moyennant le versement de la moitié de leur butin à l’Empereur romain Charles IV. Par cupidité, Wenceslaus son successeur applique une semblable décision en 1385 aux citoyens mulhousiens.

La synagogue en 1976 - le Rabbin Weill en chaire
Le R. Weill en chaire

Au 15ème siècle la situation des Juifs s’améliore sensiblement, particulièrement à Mulhouse. Il faut préciser que les Juifs y sont peu nombreux. C’est sans doute en raison de cette faible présence en nombre qu’on n’y trouve ni Ghetto ni rue des Juifs. On y mentionne par contre une rue des Rabbins à la Porte du Miroir. Ce qui est extrêmement important c’est que de tout temps les Juifs à Mulhouse disposent d’une synagogue et d’une école. Sans en fournir la preuve, Graf, dans son Histoire de Mulhouse, parle d’un Moyses grand-rabbin en 1484. Il est peu probable que ce soit vrai. A moins que le nom de la rue des Rabbins peut être cité comme preuve. Il est souvent fait mention de maîtres d’école. On parle d’un Melamed nommé Benedikt qui a acheté en 1410 ses droits de citoyen. La première synagogue est située près du restaurant "A la couronne" et au 15ème siècle elle déménagera rue du Sauvage. La possibilité d’achat du droit de citoyen fait bénéficier les Juifs de Mulhouse d’un privilège particulier celui de pouvoir librement se livrer au commerce.

Demain : notre espoir

Le signataire de ces lignes, auquel est revenu l’honneur de succéder au regretté grand rabbin René Hirschler espère pouvoir conclure comme lui en 1938 : "A l’ombre de la synagogue se développera ainsi une génération joyeuse et forte, une génération qui devra continuer l’histoire de la Communauté Israélite de Mulhouse et qui est... notre espoir ."



Vers les pages du Rabbin Weill za"l

(*) "Sauvage" est le nom de la rue principale à Mulhouse. Pendant la guerre, elle portait le nom d'Adolphe Hitler.


© A . S . I . J . A .