A Metz on ajoute …
par Daniel Warschawski


Depuis mon plus jeune âge j'ai été intrigué par une note figurant dans la Tefila Bloch (livre de prières traduit et commenté par le grand rabbin Joseph Bloch zatza"l) selon laquelle à Metz on ajoute, aux "bénédictions de l'aube" (ברכת השחר) une bénédiction supplémentaire connue sous le nom de מגביה שפלים [Magbi'a shfelim].

Dernièrement Michel Rothé m'a demandé les raisons de cet ajout. J'ai donc décidé d'étudier la question et, à ma stupéfaction, je me suis aperçu que la bénédiction en question a soulevé des controverses chez les décisionnaires.

Le conflit entre la prière spontanée et la prière immuable
Le Talmud de Babylone (Traité Berakhoth ch.60) traite du conflit entre la prière institutionnalisée face à la prière spontanée. Pour le Talmud de Babylone, dans les "prières de l'aube" peuvent cohabiter côte à côte des "bénédictions institutionnalisées", donc immuables et obligatoires, avec des bénédictions personnelles à travers lesquelles le Juif remercie Dieu de manière "spontanée". La bénédiction de מגביה שפלים ([sois loué Eternel notre Dieu Roi du monde] qui redresse les humbles) est un exemple de ces bénédictions qui ne figurent pas dans le Talmud. Nous allons essayer d'analyser ce conflit à travers l'historique de cette bénédiction.

La bénédiction "מגביה שפלים" et la période des Géonim
Natrounaï Gaon est le premier décisionnaire à mentionner cette bénédiction dans la liste des cent bénédictions que chaque Juif se doit de dire quotidiennement. Il est possible d'affirmer qu'au temps des Géonim la bénédiction fait partie des bénédictions obligatoires de l'aube (voir le Sidour d'Amram Gaon ainsi que le Sidour de Saadia Gaon).

La bénédiction chez les premiers décisionnaires Ashkénazes
Dans le Sidour de Rachi ainsi que dans le Mahzor Vitry (Rabbi Simha de Vitry, élève de Rachi), la bénédiction figure parmi les "bénédictions de l'aube" obligatoires et non spontanées. La bénédiction figure dans le livre de prières du Rokeah ainsi que dans les responsa du Rabbin Israël Iserlein (Leketh Yocher). Le Maharil (père de la tradition ashkénaze et de la tradition de la Valée du Rhin) dans ses responsa incorpore cette bénédiction parmi celles figurant dans les bénédictions de l'aube.

L'opposition à l'incorporation
Certains décisionnaires importants (Maïmonide, Le Tour ou encore l'auteur du Sefer Mitzvoth Gadol) s'opposent à l'incorporation de la bénédiction. Le Rav Abraham, fils de Maïmonide, écrit "nous connaissons des bénédictions n'ayant pas de raison d'être, comme la bénédiction מגביה שפלים suivant celle de זוקף כפופים ([sois loué Eternel notre Dieu Roi du monde] qui redresse ceux qui sont courbés) (Responsa d'Abraham fils du Rambam).
Les opposants à l'incorporation se fondent sur deux principes :
1. L'incompétence d'incorporer une prière non fixée (ils s'opposent à la prière spontanée)
2. Le contenu similaire avec les autres bénédictions (ברכה לבטלה - une bénédiction inutile).

La victoire des opposants à l'insertion de la bénédiction après 1600
Rabbi Yossef Carro dans le Shoulhan Aroukh (livre qui fixe définitivement la loi juive) écrit " Il existe une tradition consistant à faire des bénédictions non instituées cette attitude est blâmable " le Shoulhan Aroukh fait allusion entre autres, à la bénédiction מגביה שפלים (voir la position de rabbi Yossef Caro contre Aboudraham partisan de la bénédiction). Aux motifs précités s'ajoute le fait que le talmud ne cite pas la bénédiction (voir le Chla 138/2).
Dans le livre de Moshé Halamich La cabale dans la prière, dans la loi et dans la tradition (page 471) l'auteur remarque que malgré la déscision du Shoulhan Aroukh, ils reste certaines communautés, dont celle de Metz, qui ont continué la tradition ancestrale ashkénaze datant de l'époque de Rachi.

Commentaire de Michel Kottek

Après le Shoulhan Aroukh on continue d'en parler !
Le BA'H sur le Tour (ch.46) écrit longuement que cette bénédiction figurait dans certaines versions du Talmud, ce qui lui donne plus de poids que d'autres bénédictions qui ne sont pas de source talmudique et donc tout ceux qui la citent ensuite, se fondent sur cette version que nous n'avons pas de nos jours, mais qui existait du temps des Richonim Ashekenazes. Il s'oppose à ce qu'on l'enlève des rituels de prière.
 Le la citent qui n'avait pas cette version et n'avait pas entendu cette source s'oppose catégoriquement à cette bénédiction.
Les Décisionnaires plus tardifs rapportent encore cette bénédiction (Levouch) et donc ils concluent que la Halakha est de ne pas la dire, comme le Shoulhan Aroukh, mais que pourceux qui ont cette habitude ancienne on ne les empêche pas de la dire (Magen Avraham ch.46,13 et Taz 46,7).
Pour conclure, la Michna Beroura (46,23) n'a pas l'air d'être d'accord avec le Magen Avraham car le Peri Megadim s'oppose à cette bénédiction.

Ce qui reste intérressant :
- Pourquoi justement à Metz a-t-on a eu cette habitude plus que dans les autres villes d'Europe ?
- A-t-on a une preuve que du temps de Rabbi Yonathan Eibeshuts et du Chaagat Arié qui vivaient à Metz, on disait aussi cette bénédiction ; et si c'est le cas, qu'en pensaient ces rabbins ?

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