RABBIN à COLMAR - Quelques souvenirs des années 1945-1986
par le Grand Rabbin Simon FUKS (suite)

Relations avec le monde non-juif

Défense et illustration du Judaïsme

Défense et illustration du judaïsme

L'Appel de Stockholm et le M.R.A.P.

Le Biafra

Ponce Pilate de B.C. Miel

La 25ème heure de V. Gheorgiu

Conférences et débats dans les écoles

Dialogue avec de jeunes couples chrétiens

Colloque d'Ostheim

Inauguration de la Yeshiva de Hegenheim

Manifestation contre Michel Debré

Les manuels d'instruction religieuse chrétiens

Sermon de Rosh Hashana 1979

Peut-être n’est-il pas trop tard pour que je dise comment j’ai conçu la tâche, ou si l’on veut, l’activité du rabbin.
Il s’agit, bien entendu, de faire entendre la voix de la Tora, au sein de la Communauté, pourvoir à tous ses besoins religieux, et participer aux activités de ses différentes sociétés. On me dira avec raison que ceci va de soi. Mais, de plus, qu’il le veuille ou non, aux yeux de la population non-juive, c’est lui qui représente le judaïsme, au même titre que le pasteur le fait pour les protestants, et le curé pour les catholiques. Ce qui n’enlève rien au rôle et à l’importance d’un président du Consistoire et de celui de la Communauté. Cette constatation s’impose plus particulièrement en Alsace-Lorraine, où n’existe pas la séparation entre l’Église et l’État. De sorte que la place du grand rabbin, dans les trois départements concordataires, est de premier plan.

Qu’il me suffise de citer, parmi d’autres, un cas bien caractéristique, à l’appui de cette affirmation. Je reçois, un jour, un coup de téléphone de M. SALZMANN, une personne que je connaissais, et qui était alors, directeur de la maison de retraite départementale, sise rue du Stauffen. Il me demanda : - Puis-je venir vous voir ?
Je lui répondis, bien entendu, par l’affirmative. Il vint donc pour me dire :
- Je viens de consulter la liste des personnalités que nous invitons pour notre fête de Noël. Or j’ai pu constater que vous y êtes inscrit, mais que vous n' êtes jamais venu.
Je lui répondis :
- Vous savez, je vais déjà à deux fêtes de Noël. C’est déjà pas mal. De plus, vous n’êtes pas sans savoir, que pour nous, Juifs, Noël ne compte pas.
Il rétorqua :
- Ce n’est pas une raison. Vous êtes le grand rabbin pour tous.
Ému par cette déclaration, je lui promis d’assister, dorénavant, à sa fête.

Il est certain, d’ailleurs, que dans les années qui suivirent 1945, nous avons bénéficié d’un capital important de sympathie, dû à la fois à la connaissance de la Shoah, à la création de l’État d’Israël, avec ses difficultés et la bravoure de son armée. Ce n’est que depuis que s’est posé le problème des Territoires, après la guerre des 6 jours, en 1967, que l’on a pu constater une dégradation de cet esprit de sympathie. Il n’en reste pas moins que jamais, avant la seconde guerre mondiale, l’intérêt des non-juifs à l’égard du judaïsme, n’avait été aussi grand.

Il fallait donc, plus qu’auparavant, être en mesure de le représenter, de pouvoir parler en son nom, faire entendre sa voix, bref, être présent partout, ne pas se contenter de se cantonner, uniquement dans la sphère de la communauté, et dans le domaine rituel. Ceux-ci peuvent d’ailleurs se présenter sous différents aspects. Et non-négligeables sont ceux qu’on peut avoir avec les autorités civiles et militaires. Enfin il y a des cas où il n’est pas toujours possible de faire la distinction entre la politique et la morale.


L'Appel de Stockholm et le M.R.A.P.

J’ai signé l’Appel de Stockholm, lorsque l’on me l’a demandé. Il me paraissait alors inconcevable de ne pas encourager ceux qui militaient pour la paix, après une guerre comme celle de 39-45. De même lorsque le M.R.A.P., Mouvement contre le Racisme, l’Antisémitisme, et pour la Paix, me demanda d’assister à sa journée nationale, en 1951, au Cirque d’Hiver, et d’y prendre la parole, j’ai accepté, comme de parler, plus tard, à l’Hôtel Moderne, près de la Place de la République, contre le réarmement allemand. Dans ces deux cas, ce fut de ma propre initiative.

Journée nationale du MRAP, 1951
MRAP

MRAP
Quelque temps après mon discours contre le réarmement allemand, il y eut une réception à la préfecture à laquelle je me rendis. Un des invités s’approcha de moi pour me dire :
- Il paraît que vous avez parlé contre le réarmement allemand ?
Je lui répondis :
- Pourquoi ? Vous voudriez que je sois pour ?
J’ignore s’il s’agissait d’une personnalité officielle. Quoi qu’il en soit, le dialogue s’arrêta court. Je fus, dès ce moment, étiqueté comme communiste, ou un rabbin rouge, si bien que, lorsque le grand rabbin KAPLAN, devenu grand rabbin de France, vint, peu après sa nomination, rendre visite à la Communauté de Colmar, accompagné par le vice-président du Consistoire Central, le Docteur BERNHEIM, beau-père d’André NEHER, je m’entendis dire par ce dernier :
- J’étais curieux de voir un rabbin communiste. Sur quoi je rétorquai :
- Je vais vous faire part d’un secret : je suis majeur et vacciné, et je sais ce que j’ai à faire.

Par ailleurs, des amis de Zurich me firent savoir que j’étais inscrit sur une liste noire. Bien plus, lorsque le grand rabbin JAÏS, en tant qu’aumônier général de l’Armée, fut chargé de refaire une liste d’aumôniers en cas de conflit, il me fit savoir que j’étais le seul rabbin qu’on avait refusé de mettre sur cette liste, alors que j’avais été déjà aumônier militaire pendant la guerre 39-45 et que j’avais même passé quelques mois en captivité, malgré la Convention de Genève !

L’année suivante on me demanda d’assister à un congrès qui devait se tenir à Vienne. Et cette fois, je me préparai à m’y rendre avec l’accord de Gaston PICARD. Mais, au moment même où je préparais mes valises, il fut question de l’Affaire (1), et dès lors, je rompis tout contact avec le M.R.A.P.

Le fait d’être inscrit sur une liste noire ne me fit pas d’effet, de même d’ailleurs que le refus de l’Armée de faire de moi un aumônier militaire ”en cas de besoin”. Mais ce qui, avant tout, me frappa douloureusement, ce fut de constater qu’il ne s’agit pas d’être pour la Paix, mais avec qui on l’est. Je m’étais donc trompé, ou j’avais été trompé. Puisque ce que je croyais un problème d’ordre moral ressortissait, vu sous un certain angle, de la politique.

  1. Rudolf Slansky, secrétaire général du Parti Communiste tchèque, fut arrêté en novembre 1951 et accusé d'être le chef d'une conspiration "anti-Etat" comprenant 14 dirigeants de haut rang, dont onze étaient d'origine juive. Ils avouèrent tous, et le 3 décembre 1952, onze d'entre eux furent pendus et leurs cendres dispersées (N.D.L.R.).


Le Biafra

On sait les massacres que subirent, à une certaine époque, les Biafrais, qui étaient de religion chrétienne. Il me sembla tout naturel qu’un Juif, à plus forte raison un rabbin, se préoccupât du sort de population quelles que soient leur couleur ou leur religion. En agissant ainsi, n’est-on pas fidèle à l’enseignement le plus authentique du judaïsme ?

Je fis donc partie d’un comité qui se constitua à Colmar en faveur des Biafrais persécutés. Dans ce comité milita, notamment, Jacky DREYFUSS, devenu depuis, adjoint au Maire de Colmar. Il me semble que nous envoyâmes un médecin enquêter sur place, qui fit ensuite une conférence au Cinéma Central. Mais notre action trouva peu d’écho, du moins sur le plan local.


La pièce de théâtre Ponce Pilate de Charles-Bernard Miel

J’apprends par Madame Robert LÉVY, sœur du grand rabbin DEUTSCH et épouse de celui qui sera tour à tour, président de la Communauté, puis celui du Consistoire, que le Centre dramatique de l’Est, dont le siège se trouvait alors à Colmar, allait jouer une pièce dont le titre était Ponce-Pilate. Étant abonnée au théâtre, elle me dit craindre qu’il n’y ait dans cette pièce, des passages scabreux pour les Juifs. Je téléphone au théâtre. On me dit : ”Venez avec votre épouse ce soir, il y aura répétition générale, vous pourrez alors vous rendre compte de ce qu’il en est.” Nous assistâmes donc à cette répétition, qui dura fort longtemps, par suite de la reprise de certains passages, par les acteurs. Vers minuit, croyant que la répétition allait vers sa fin, et rassurés par ce que nous avions entendu, nous quittâmes le théâtre. Et dès le lendemain, je me suis empressé de rassurer Madame LÉVY.

Mais lorsque je lui demandai son impression, après qu’elle eut assisté à la représentation, elle me déclara qu’elle ne partageait pas mon opinion. D’ailleurs, à un certain moment, elle entendit des ricanements autour d’elle. Stupéfait, je téléphonai aussitôt au théâtre. Et il s’avéra que nous étions partis, ma femme et moi, de la séance de répétition générale, juste au moment où la pièce allait se terminer, et où se trouvait le passage, tiré d’ailleurs des Évangiles : ”Son sang sur nous et sur nos enfants”. Tenant compte de mon émotion, on me promit de supprimer ce passage, dès la représentation qui devait avoir lieu le soir même à Mulhouse. Et je reçus des lettres, à la fois du Centre dramatique de l’Est, et de l’auteur de la pièce, me confirmant la suppression du passage incriminé.


Le livre La vingt-cinquième heure de Virgil Gheorgiu

Il exista, à Colmar, pendant un certain temps, comme dans d’autres villes, un groupement des ”Intellectuels Chrétiens”, qui organisait des conférences très intéressantes. C’est dans ce cadre que Virgil GHEORGIU, auteur de La vingt-cinquième heure, était invité. L’aumônier des Lycées, l’abbé HIRLEMANN, cheville ouvrière des Intellectuels Chrétiens à Colmar, me dit qu’on désirait donner la parole aux représentants des cultes, afin qu’ils émettent leur avis sur le livre en question. Il me demanda de parler au nom du judaïsme. Ce que j’acceptai, bien entendu. J’avais lu ce livre, qui était unanimement loué. On en parlait comme du livre du siècle. Or, un fait m’avait frappé. Il y est question du pauvre Johann Moritz qui est mis par erreur dans un camp de concentration pour Juifs. Cela se passait en Roumanie.

Il va de soi, et on le comprenait, que l’on plaigne Moritz, et que des efforts soient entrepris pour que l’erreur dont il est victime, soit réparée, car il n’est pas juif, lui ! Mais au fond, telle fut ma réflexion après la lecture de ce livre, si je comprends bien, il est tout à fait naturel que les Juifs, eux, soient mis dans des camps de concentration pour Juifs. Mais en quoi ont-ils mérité un tel sort ? N’est-ce pas scandaleux ? C’est ce que j’expliquai à mes élèves de première et de philo. Car on parlait en classe de ce qu’on considérait comme un chef-d’oeuvre, et je leur dis de faire connaître mon opinion à leurs camarades. De plus, dans la salle des professeurs, je fis savoir ce que je pensais de La vingt-cinquième heure.

A ma grande stupéfaction, même des professeurs de philosophie n’avaient pas été frappés par ce qui pourtant était si choquant. Puis, un beau jour, je lis dans le journal du K.K.L., La Terre Retrouvée, un très court article de RECHEF, qui était, je crois, délégué de l’Agence Juive. Il y déclarait que GHEORGIU était un grand antisémite, qu’il avait publié en Roumanie, un livre qui n’avait pas paru en français, et dont le titre pouvait être traduit par Les bords du Dniestr brûlent. C’était un véritable appel au pogrom.

J’écrivis à RECHEF pour lui demander s’il pouvait confirmer cette accusation, et si je pouvais le citer publiquement, au cours d’une réunion organisée au sujet du livre de GHEORGIU, et en sa présence, et j’attendis avec impatience sa réponse, car le jour de la réunion approchait. Elle me parvint en fin de compte. Il s’excusa de son retard. Mais ma lettre l’avait suivi dans toutes ses pérégrinations à travers l’Europe. Oui, il me confirmait ce qu’il avait écrit dans La Terre Retrouvée, et je pouvais le citer. J’en avisais aussitôt l’Abbé HIRLEMANN, sans toutefois renoncer à participer à ce colloque, si on ne me demandait pas de le faire, bien au contraire. Mais lorsque l’Abbé me dit qu’après la réunion on prendrait ”un pot” avec GHEORGIU, je lui répondis qu’il n’en n’était pas question, en ce qui me concernait. Et je lui dis : ”Si voulez que je me retire, je suis prêt à le faire. Mais si ce n’est pas le cas, je demande à être libre de mes déclarations. C’est à prendre ou à laisser.”

L’Abbé tint à ce que je reste, malgré mes conditions. Les élèves de lere et des terminales étaient particulièrement chauffés à blanc, pourrait-on dire, car ils avaient été mis au courant par leurs camarades juifs, de mon état d’esprit. Entre temps nous apprîmes, que GHEORGIU avait été reçu à Metz. Nous prévînmes Jean POLIATCHEK, qui y était aumônier de la Jeunesse, de ce que nous savions du triste personnage. Mais il joua de malchance, et lorsqu’il essaya de critiquer GHEORGIU, c’est lui qui fut conspué.

Le soir fatidique arriva. Et voilà que vers 18 h 30, on sonne à notre porte. C’était l’abbé HIRLEMANN, qui venait me demander de ne pas utiliser les renseignements d’ordre personnel que je possédais sur GHEORGIU. Stupéfait, je lui dis : ”Monsieur l’Abbé, je vous ai prévenu, et j’étais prêt à me retirer, si vous me le demandiez, et si je n’étais pas libre de parler comme je l’entendais. Eh bien ! je vais réfléchir, et remettre en question ma participation à la réunion.” Je puis affirmer que l’Abbé n’était pas très fier en partant. Nous nous concertâmes, ma femme et moi. Et une fois de plus, elle fut de bon conseil. Elle me dit : ”Tu ne peux pas être absent. Ce serait considéré comme une défaite.”

Nous allâmes donc, avec les sentiments qu’on peut imaginer, à ce qui se présentait d’ailleurs, non pas comme une conférence, mais plutôt comme un colloque. Les protestants étaient représentés par le pasteur Roger MEHL, professeur à la Faculté de Théologie protestante de Strasbourg, les Catholiques par l’abbé HIRLEMANN, et j’étais le porte-parole du judaïsme. La salle du Koïfhus, où avait lieu cette réunion était archi-comble, et nombreux furent ceux qui, parmi les jeunes, se placèrent sur les rebords des fenêtres. Avant le début de la séance eurent lieu les présentations de ceux qui allaient prendre la parole, dans l’antichambre de la salle. Mais je fis comme si je ne voyais pas GHEORGIU.

Puis la séance commença. Lorsque vint mon tour de prendre la parole, je fus relativement bref, et, sans me laisser aller à de vastes et nobles échappées sur l’humanisme, je fonçai droit au but : ” Monsieur GHEORGIU, dans son livre, nous parle avec émotion, d’un brave homme, à qui il arrive cette chose épouvantable. Figurez-vous qu’il est pris, par erreur, pour un Juif, et envoyé comme tel dans un camp de concentration pour Juifs. Nous ne pouvons que compatir au sort du malheureux Johann Moritz. Mais les Juifs, qui ont été pris pour ce qu’ils étaient, méritaient-ils d’être mis dans un tel camp ? Or, dans ce livre qu’on nous présente comme particulièrement admirable par le ton humaniste qui s’y trouve exprimé, je cherche en vain un mot de pitié pour les Juifs.
Monsieur GHEORGIU, qui est Roumain, peut-il ignorer ce qui s’est passé un jour à Bucarest, ville qu’il connaît sans aucun doute ? Et bien, un jour, on y arrêta mille juifs, qu’on amena aux abattoirs. Et là on les égorgea avec les couteaux qui servaient à l’abattage rituel juif, puis on les pendit aux crochets, et on mit sur eux l'écriteau ”viande cashère”.
A ce moment la foule réagit avec stupeur et indignation. Elle fut comme secouée par une houle en prenant connaissance d’une telle monstruosité. Je terminai en concluant : (Monsieur GHEORGIU se plaint d’avoir été arrêté et d’avoir subi, pendant quelque temps, le sort d’un prisonnier. Je ne suis pas commissaire de police. Il ne m’appartient pas de prendre position à ce sujet.)

Inutile de souligner les répercussions qu’eut mon intervention. Bien des personnes me témoignèrent de la sympathie, notamment le docteur WORINGER, un des grands spécialistes français de la neurochirurgie. Dès qu’il me voyait au service de neurologie de l’Hôpital Pasteur, pour me rendre au chevet d’un malade, il s’écriait : ”Vous vous rappelez GHEORGIU ?”, et il me conduisait lui-même au chevet de la personne que j’allais visiter.


Conférences et débats dans les écoles

La première fois que j’eus à parler du judaïsme à l’école, ce fut, si je me souviens, à des élèves d’une classe d’orientation, et ceci, à la demande d’un aumônier catholique. Au lieu de leur parler, si je puis dire, ex cathedra, je proposai aux élèves de me poser des questions sans la moindre hésitation. Car une question qu’on ne pose pas “vous reste sur l’estomac, ce qui est nuisible à la santé.” Du coup, il n’y eut pas la moindre réticence, de la part de mon auditoire. Et une question fusa aussitôt : “Comment se fait-il que tous les Juifs soient des commerçants, qu’ils demeurent en ville, qu’on ne trouve pas chez eux des paysans ?” J’indiquai donc les causes de cette situation : religieuses et économiques. Je vins dans cette classe deux semaines de suite.

Si ma mémoire est fidèle, je me rendis à deux reprises à Bergheim, à la demande d’une institutrice, qui désirait que je parle à ses élèves de la Pâque Juive, que je leur explique le Séder, d’une manière concrète. Je leur amenai donc tout ce qu’il fallait pour leur montrer en quoi il consistait. Toute la classe avait été ornée de fanions israéliens, et l’accueil fut très chaleureux.


Dialogue avec de jeunes couples chrétiens


Le grand rabbin Fuks vers 1982 - coll. Famille Roth, Colmar
Qu’il ne soit pas toujours facile de répondre aux questions posées, je veux en donner un exemple caractéristique :
Il s’agit d’un groupe de jeunes ménages qui passait le week-end dans les Vosges, et m’invita à aller les voir, car on désirait me poser un certain nombre de questions, notamment au sujet d’Israël. Je me rendis donc à l’auberge où ils se trouvaient. Parmi les questions, l’une d’entre elles m’est demeurée en mémoire, sans doute parce qu’elle était embarrassante. La voici : ”A supposer qu’éclate un conflit entre la France et Israël, quelle sera l’attitude des Juifs de France ? Quelle situation pénible pour vous ! Comment réagirez-vous ?”

Je répondis : "Il va de soi que je considérerais une telle situation comme un terrible malheur. Je pourrais dire que nous ne voulons même pas envisager une telle possibilité. Mais ce serait reculer devant une difficulté, et je n’ai pas l’habitude de me ”défiler”. Voilà ce que je peux dire à ce sujet, et qui n’engage que ma personne.
La réaction devant une telle situation relève de la conscience individuelle. Et il est impossible de savoir d’avance et en quelque sorte à froid, quelle décision sera prise. On a pu constater pendant la guerre, combien les réactions ont pu être imprévisibles.
A supposer même que l’hypothèse avancée devienne réalité, on peut trouver, à mon avis, une solution qui évite que ne se pose ce problème de conscience. On pourrait s’inspirer, si ce conflit ne se limite pas à la France et à Israël, à ce qui s’est passé lors de la première guerre mondiale. La plupart des Alsaciens furent envoyés sur le front de l’Est, pour ne pas avoir à se battre contre des soldats français."


Colloque d'Ostheim

Me rencontrant un jour au Lycée Bartholdi, où nous donnions, tous les deux, des cours de religion, le pasteur MEYER me dit : - Nous avons l’habitude de nous réunir régulièrement, prêtres et pasteurs. Est-ce que vous accepteriez de venir une fois, à une de ces réunions, pour nous parler du schéma sur les Juifs, de Vatican II ?
- D’accord, dis-je, mais comment cela se passera-t-il ?
- Vous pouvez parler pendant une vingtaine de minutes, et on vous posera des questions.
- Pour ce que j’ai à dire à ce sujet, répondis-je, cinq minutes me suffiront amplement.

Bref, je vins à Ostheim. Le pasteur introduisit la séance en déclarant :
- Nous accueillons le Grand Rabbin FUKS avec un esprit fraternel.
- Je viens dans ce même état d’esprit, ce qui n’exclut pas une totale franchise et une divergence de vues,déclarai-je.

”Nous ne pouvons pas prétendre connaître toute la vérité. Elle n’est l’apanage que d’un SEUL. Mais nous croyons, nous espérons, en connaître une partie. Ce qui n’est déjà pas si mal. Dans tous les cas, nous sommes animés d’un esprit de totale sincérité.”
Puis, j’en vins au vif du sujet, déclarant que le schéma sur les Juifs est décevant, même s’il marque un progrès par rapport à l’attitude antérieure de l’Église à l’égard des Juifs et du judaïsme. J’avais lu les compte-rendus publiés dans le Figaro, par l’abbé LAURENTIN, observateur au Concile. J’avais donc pu constater qu’il y avait eu de grandes discussions, au sujet de ce fameux schéma. Il y eut différentes motions. L’une d’entre elles demandait qu’on précise qu’il était interdit de parler de déicide. Mais, par suite de certaines pressions, elle ne fut pas retenue, parce que s’y opposèrent les évêques des pays musulmans, par crainte, entre autres, de l’opinion de ces pays. Je déclarai que j’ai la plus grande considération pour l’islam. Mais, en l’occurrence, il s’agit d’un problème d’ordre théologique qui concerne le judaïsme et le christianisme. L’islam n’a donc pas à s’en mêler. Je sus que Mgr ELCHINGER, par exemple, fut désolé que ne fut pas adoptée la motion interdisant de prononcer encore le mot de ”déicide”. Il tenta, d’ailleurs, de nous consoler, en quelque sorte, en nous disant que de toutes façons, le mot de déicide ne veut rien dire, puisqu’on ne peut pas tuer Dieu.
“Ainsi, déclarai-je à mon auditoire, c’est au nom d’une impossibilité, d’une absurdité, que l’on a traité les Juifs, au cours de siècles sans nombre, de la façon que l’on sait.”

Sur quoi un pasteur déclara :
– Il n’y a plus d’antisémitisme.
– Très bien, dis-je, nous allons sortir dans la rue, faire un barrage, pour arrêter les gens et leur demander ce qu’ils pensent des Juifs.
Et je me suis levé pour sortir, mais personne ne bougea, de sorte que je pus continuer mon exposé.

”Vous avez tous entendu parler de l’écrivain juif Edmond FLEG. Dans son autobiographie, il raconte le fait suivant : il habitait Genève, dans son jeune âge. Sa famille, sans être des plus pratiquantes, n’avait jamais caché son appartenance à la communauté juive. Or, il avait des camarades, voire des amis chrétiens, protestants, je suppose. Un beau jour, il voulut connaître ”ce Jésus qu’on leur prêchait”. Il se procura donc le Nouveau Testament. Le résultat fut que le soir, dans son lit, en pleurant, il s’écria : ”Sales Juifs, sales Juifs !!”. Voilà donc la réaction d’un enfant juif ! Que dire de ce que peut être celle d’un enfant  chrétien ?” Je venais, d’ailleurs, de terminer la lecture du Jésus-Christ du R.P. BRUCKBERGER, qui écrit que c’est vrai qu’on enseigne aux petits chrétiens à haïr les Juifs, en leur racontant l’histoire de la Passion.

On en vint, tout naturellement, à parler de la Shoah, et de  l’attitude générale qui a résulté de “l’enseignement du mépris”. Sur ce, un brave chanoine déclara que les nazis n’étaient pas des chrétiens. ”Je vais vous faire de la peine”, lui dis-je, ”mais ce n’est pas de ma faute, si un archevêque de Fribourg fut membre d’honneur des S.S., et si dans le gouvernement de Prusse, ayant à sa tête GÖRING, il y eut un évêque.”

Le lendemain, un jeune pasteur, me rencontrant, me dit :
- Qu’est-ce que vous leur en avez dit ! D’ailleurs, nous autres protestants, nous avons aussi des reproches à nous faire .
- Ce n’était pas le sujet, lui déclarai-je.


Inauguration de la Yeshiva de Hégenheim

Dessin de Tim paru dans L'Express à la suite de la déclaration du Général de Gaulle (Extrait de L'autocaricature de Tim Ed. Stock)

Le préfet BERNYS fut invité à l’inauguration. Je crois même qu’il devait y prendre la parole, et présider la cérémonie, en même temps que le grand rabbin de France, Jacob KAPLAN. Lorsque le préfet apprit que ce dernier allait aussi être présent, il me fit part de sa crainte que le grand rabbin ne vienne à critiquer la France, étant donné la réaction qu’il avait manifestée lors des paroles du Général de Gaulle, chef de l’Etat, qui, on se souvient, avaient été prononcées à propos de la guerre des six jours : ”Israël, peuple d’élite, dominateur et sûr de lui.”

Lorsque je me rendis à Mulhouse pour y accueillir le grand rabbin KAPLAN, je lui fis part de l’inquiétude du préfet. En cas de paroles désobligeantes, il serait évidemment obligé de quitter les lieux. Le grand rabbin se mit à rire et me dit : ”Vous pouvez rassurer le Préfet, je serai sage.” Tout se passa admirablement et Rav HOROWITZ, de Strasbourg, présent à cette manifestation, parla même de ”Kidoush Hashem” (Sanctification du Nom divin).


Manifestation contre Michel DEBRÉ en février 1970

Il était prévu que Michel DEBRÉ, ministre des Armées, assiste aux cérémonies marquant le 25eme anniversaire de la libération de Colmar. Or, peu auparavant, on apprit que la France allait livrer cent Mirage à la Libye. On comprend l’effet que fit cette nouvelle sur la population juive ! Je fus chargé par le Consistoire de rédiger un message de mise en garde, qui parut dans les deux journaux alsaciens, et portait la signature de Jules CAHN, président du Consistoire, Robert LÉVY, président de la Communauté de Colmar, Jean-Claude KATZ, président du Comité local des organisations juives de France, et de moi-même.

Les cérémonies d’anniversaire s’étalaient sur deux jours, samedi et dimanche. L’office solennel à la synagogue était prévu pour le samedi matin. Mais il nous sembla qu’il serait un peu terne, sans musique, sans orchestre. C’est pourquoi Me LéVY alla trouver le maire M. REY, pour lui demander de le déplacer au dimanche. Cette demande fut satisfaite. Mais des fidèles nous dirent : ”Vous n’allez tout de même pas recevoir DEBRÉ à la synagogue !” Or, on nous apprit que le ministre n’allait arriver à Colmar que le samedi soir. De sorte que nous aurions pu éviter sa présence si nous en étions restés au programme fixé primitivement. Que faire ? Me LEVY retourna voir le maire pour lui dire, qu’après mûres réflexions, et pour des questions de commodité, nous préfèrerions en fin de compte que la cérémonie à la synagogue ait lieu le samedi matin.
- Accordé.
Sur quoi Me LÉVY dit au maire :
- Nous ne tenons pas à recevoir ce monsieur chez nous.
- Comme je vous comprends” dit le maire.

Et la cérémonie eut lieu le samedi matin en présence de nombreuses personnalités civiles et militaires, et, bien-entendu, de la Maréchale de Lattre de Tassigny. Je terminai mon discours par : “et que vienne pour Sion un libérateur”, et je sentis chez certains auditeurs, comme un frisson d’inquiétude, car ils s’imaginaient que j’allais peut-être m’étendre sur le problème des rapports entre la France et Israël, et la question des Mirage.

J’avais appris, par ailleurs, que des étudiants juifs de Strasbourg avaient l’intention de venir à Colmar pour manifester bruyamment contre la présence de Debré. De plus, des policiers passèrent dans les maisons du Boulevard du champ de Mars, où devait avoir lieu le parcours du cortège des autorités, pour savoir s’il n’y demeuraient pas des Juifs, ou si certains habitants n’avaient pas l’intention d’inviter chez eux des Juifs, afin qu’ils puissent voir, eux-aussi, le défilé. Bref, il semblait que la ville allait être mise comme en état de siège. Je fis alors venir de Strasbourg, l’étudiant colmarien Roland ROTH qui, depuis, a fait son alya, dont je pensais qu’il était un des organisateurs de la manifestation prévue, pour lui dire qu’à Colmar, c’était moi qui commandais, et non pas des Strasbourgeois. Je lui indiquai comment une manifestation pouvait avoir lieu, et que j’en prendrais toute la responsabilité. Ce serait un parcours silencieux jusqu’à la Maison de Communauté.

Puis je demandai un rendez-vous d’urgence au préfet, déclarant à la secrétaire qui était au bout du fil que je ne quitterai pas le lieu d’où je lui téléphonais, pour attendre la réponse. Elle me parvint très rapidement, et le rendez-vous était fixé pour 14 h 00. je m’y rendis avec Jacquy DREYFUSS. En nous accueillant, le Préfet me dit : “je n’ai pas pris le temps de déjeuner, parce que j’ai compris qu’il s’agissait de choses sérieuses”. Je le préviens donc, qu’il y aurait une manifestation, lui en indiquai le parcours, à savoir de la plaque dédiée aux martyrs de la Résistance et de la déportation, jusqu’à la Maison de la Communauté. Cette manifestation serait silencieuse, j’en avais donné l’ordre, et j’en prenais toute la responsabilité. Il prit bonne note de ma mise au point.

Tout se passa bien. Je fis cesser toute tentative de lancer des slogans. J’avais prévenu le Commissaire de police que je serais à la tête de la manifestation et que ses agents, en cas de besoin, n’avaient qu’à être en contact avec moi. On vint, si je ne me trompe, de toutes les villes de la France de l’Est. La manifestation fut télévisée. Il en fut question, non seulement dans les journaux régionaux, mais aussi dans la presse nationale. On en parla jusqu’en Afrique du Sud, et en Israël, et dans le célèbre journal Yiddish, le Forward, qui paraît à New-York, il y eut un long article, le 9 février 1970, dont je détache ces lignes : “La manifestation pour le 25e anniversaire de la libération de Colmar. Une rare manifestation dans l’histoire du judaïsme français. A nouveau, des rabbins ont montré un exemple de courage et d dignité.” Ce n’est que quelques années plus tard, qu’un Mulhousien me fit parvenir cet article.

Si je me suis étendu sur cet événement, c’est que le Préfet BERNYS, par son esprit de compréhension, et sans doute, par sa sympathie à notre égard, fit que tout se passa correctement et dignement.


Les manuels d'instruction religieuse chrétiens

Nous abordons maintenant un autre domaine, nous abordons un autre sujet, celui du dénigrement, non pas uniquement d’Israël en tant que peuple ou État, mais de la religion juive, du judaïsme proprement dit, et ceci dans des textes ou documents émanant de représentants du monde religieux chrétien. Je crois me rappeler que les choses se passèrent ainsi.

Mon fils Daniel, alors étudiant à l’école Polytechnique Fédérale, à Zurich, en discussion sur l’antisémitisme à notre époque ; c’est à dire même après la guerre et la Shoah, me demanda de lui fournir de la documentation à ce sujet. Il m’intéressait d’ailleurs, moi-aussi, de savoir ce qui était écrit dans les manuels d’instruction religieuse en cours d’utilisation. Je fis appel à ma femme, alors professeur dans des classes d’orientation. Elle put m’apporter les Lectures Bibliques – L’histoire du Salut par A. ELCHINGER, publié après la guerre. Quelle ne furent pas ma stupeur et mon indignation d’y trouver des phrases comme : “Dieu a mis près de vingt siècles pour former le peuple où naîtra le messie. Trois années à peine auront suffi aux dirigeants attitrés de ce peuple, aux “scribes et aux pharisiens”, pour le mettre à mort.”
“C’était le conflit entre le Dieu de la vraie religion et une religion sans Dieu."

Il était évident qu’il m’était impossible de ne pas réagir. Mais comment procéder ? Je ne connaissais pas Mgr ELCHINGER, alors évêque auxiliaire de Strasbourg, mais qui n’avait été que chanoine lorsque ce livre parut. J’allais voir M. Richard NEHER, le frère d’André NEHER, qui était conseiller à la Cour d’Appel de Colmar, lui montrant ce texte, que j’avais recopié et que je portais toujours dans mon portefeuille. Je lui demandai de faire agir son frère, qui jouissait d’un grand prestige également dans les milieux non-juifs, afin qu’il intervienne auprès de Mgr ELCHINGER. Peine perdue. Me rendant fréquemment à Bâle, à cette période, j’allai voir le Dr EHRLICH, qui jouait un rôle important dans le cadre du District de l’Europe Continentale 19 du B’nai Brit. Nous nous rencontrâmes à deux reprises, et nous correspondîmes également, pour chercher la tactique à employer pour toucher Mgr ELCHINGER.

Mais l’aide vint de façon inattendue. La ville de Guebwiller, célébrant solennellement le 20e anniversaire de sa libération, nous invita, M. Jules CAHN et moi-même, aux cérémonies de cette célébration. Nous nous y rendîmes. Au cours d’une pause, le préfet PICARD, m’interpellant gaiement me dit :
- Alors, Monsieur le Grand Rabbin vous n’êtes plus des déicides !
C’était, je le rappelle, après Vatican II. Je lui répondis :
- Vous savez, Monsieur le Préfet, cette accusation ne m’a jamais empêché de dormir. Mais trouvez-vous admissible qu’on puisse lire dans des manuels d’instruction religieuse, de telles déclarations ?
Et je lui montrai le texte.
Il me dit : Mais ce n’est pas possible !
Je lui rétorquai : Mais cela est.
Il me demanda : Pouvez-vous me procurer cet ouvrage ?
- Vous l’aurez demain, fut ma réponse.
Ce qui fut le cas. Trois-quatre jours plus tard, alors que je revenais de l’office du soir, ma femme me dit : “Le préfet a téléphoné. Il demande que tu le contactes le plus tôt possible.” Je téléphonai immédiatement à M. PICARD, qui me déclara : “J’ai eu l’occasion de rencontrer Mgr ELCHINGER. Je lui ai parlé du fameux passage. Il est catastrophé. D’ailleurs, il se mettra en rapport avec vous.”

Je reçus, en effet, une lettre d’explication et d’excuse. Et je me souviens que peu de temps après, invité à l’inauguration du cimetière militaire de Sigolsheim, Mgr ELCHINGER, dès qu’il me vit arriver, se précipita sur moi pour me dire : “C’est moi-même qui ferai la correction du texte à la page 282 des Lectures Bibliques.”

Nos relations quoique espacées devinrent cordiales. C’est ainsi qu’un dimanche après-midi, on sonna à notre porte. C’était Mgr ELCHINGER, qui de passage à Colmar, venait nous rendre visite. Je le félicitai pour son attitude à notre égard lors de Vatican II, et nous trinquâmes à une meilleure compréhension entre Juifs et Chrétiens. Et à l’occasion d’un anniversaire, je lui envoyai mes félicitations, dont il me sut gré.
Grand merci donc, au préfet PICARD, qui avait pris à coeur que soit réparée une injustice à l’égard du judaïsme.

Mais dans ce domaine de l’anti-judaïsme, qu’on peut relever dans certaines publications de responsables chrétiens, le cas que je viens de citer est-il le seul que j’aie connu ? Non point.
J’avais pu me procurer, je ne me souviens plus comment, un autre ouvrage d’instruction religieuse, qui se présentait sous forme de deux fascicules : Le Christ est venu, tel était le titre. Ils sont très bien faits, et ont paru aux éditions du Chalet, avec le nihil obstat évidemment de l’Imprimatur de Lyon. Il y a surtout des images coloriées, que le texte ne fait que commenter. Dans une page, on voit un Juif barbu, au regard malveillant. C’est le texte qui est particulièrement choquant :
           “La haine des Juifs, comme un filet, se resserre autour de Jésus.”
Et ce texte se trouve sur la même page que l’image.

Il fallait donc intervenir. J’ai alerté le Dr EHRLICH, qui s’est mis en rapport avec les Amitiés judéo-chrétiennes, qui, elles-mêmes sont intervenues auprès de l’éditeur, et en dernière instance auprès des auteurs, dont on apprit qu’ils étaient des spécialistes de l’enseignement catéchistique. Bravo !

L'agneau
"L'agneau" - motif du panneau "La Crucifixion" figurant sur le Rétable d'Issenheim, exposé au Musée d'Unterlinden à Colmar
Quoi qu’il en soit, il y eut des modifications. La deuxième version portait toujours le même texte, mais l’image du Juif fut mise à une autre page, et en bas au coin de la page.
Enfin, dans la troisième version, le texte est :
           “La haine, comme un filet, se resserre autour de Jésus.”
On n’y trouve plus “La haine des Juifs” et l’image a disparu.

Mais, n’ai-je eu rien à glaner du côté protestant ? Bien sûr que oui !

C’est ainsi que je reçois un jour, un coup de téléphone du rabbin Marc Meyer, de Saint Louis. Un document publié par la Fédération Protestante de France, intitulé Méditations radiodiffusées et daté du 15 octobre 1972, a été mis par erreur dans sa boîte aux lettres, alors qu’il était envoyé et destiné à un autre MEYER. Or dans ce document, on trouve à la fin de la première page, et au début de la deuxième, un passage particulièrement choquant pour nous.
Que doit-il faire, me demande-t-il ? “Envoyez-moi ce texte” fut ma réponse. Je le reçois, et en le lisant, j’y relève qu’évidemment Israël est infidèle au message qui concerne le monde entier :

“Alors, oui, il faut vaincre cet orgueil… Il faut lui faire toucher les épaules, à ce peuple rebelle qui se croit pur et sans tache. Il faut l’endurcir, l’enfoncer, l’étouffer, le faire mourir… Le faire mourir, car en vérité, ce n’est qu’au fond de sa détresse, qu’il trouvera la lumière, et à travers sa mort, qu’il trouvera le chemin d’une véritable résurrection. Ce peuple servira d’exemple aux autres qui verront ce qu'il en coûte de tourner le dos au Dieu Vivant.”

On comprendra qu’à la suite de la lecture de ce passage, j’aie alerté le grand rabbin de France, Jacob KAPLAN, qui s’est mis en rapport avec le président de la Fédération Protestante de France, qui fut embarrassé dans sa réponse.


Le Rabbin Fuks en 1979
Le Rabbin Fuks en 1979
Sermon de Rosh-Hashana 1979

Pourquoi donc, peut-on se demander, accorder tant de place, tant d’importance, à cette lutte contre l’ignorance, l’incompréhension, l’antisémitisme du monde non-juif ? Le rabbin ne doit-il pas se cantonner dans une activité strictement communautaire, pourvoir uniquement aux besoins de la Communauté, et laisser à d’autres, le Consistoire, le Congrès Juif Mondial, le CRIF, de parler au nom de la communauté juive sur tous les problèmes qui ressortissent, en quelque sorte, de la politique et de la défense du judaïsme ?

Tel n’est pas mon avis. Et peut-être pourrait-on me reprocher de me comporter comme un anarchiste, en quelque sorte, d’avoir agi, parfois, en franc-tireur. Mais n’y a-t-il pas des problèmes qui ressortent, à la fois, de la politique et de la morale ? D’autre part, en luttant contre l’antisémitisme, il ne s’agit pas uniquement d’adopter une attitude de défense, mais de faire connaître le vrai visage du judaïsme, de faire entendre sa voix, lorsque le droit humain est bafoué, et tenter de répondre aux problèmes de l’heure, où, dans tous les cas, ne pas les ignorer.

Et c’est la raison pour laquelle, il m’est arrivé de prononcer des paroles qui me furent durement reprochées. Il s’agit d’un sermon que j’ai prononcé à Rosh-Hashana (le nouvel an) 1979. J’y déclarai : “C’est parce que nous aimons Israël d’un amour indéfectible… que si difficile que cela puisse être, il doit ëtre tenu compte de ceux qui, eux-aussi, ont droit à une patrie.” A la suite de quoi, je fus interviewé par Tribune Juive.

Est-ce toujours mon opinion, en ce mois de juin 1994, malgré la fourberie, la malhonnêteté intellectuelle du chef de l’OLP, et le fait que le n°2 dans la hiérarchie de cet organisme, à savoir Abou Iyad, ait pu déclarer que “les Juifs sont l’excrément de l’espèce humaine” ?

Mon sentiment est que, quels que soient les aléas de la politique, les flambées de violence, la mauvaise foi de certains responsables de la politique, le problème n'a pas changé : comment maintenir sous la tutelle, si douce puisse-t-elle être, 1 à 2 millions d'Arabes palestiniens ? Mais la solution de ce problème doit être liée à l'établissement d'une paix véritable, et pour tout dire, d'une réconciliation entre Israël et Ismaël. Comme nous en sommes loin, hélas !


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