Bientôt allait sonner l’heure de la retraite.
Près d’une année
avant la date fixée, j’eus encore l’occasion de faire une déclaration qui me
parut important :
Le secrétaire général du Consistoire, René LÉVY, avait appris que le Président de la République Fédérale Allemande, avait fait pour le 40e anniversaire de la fin de la guerre, un discours qui constituait en quelque sorte un Mea Culpa. Je demandai à René LÉVY de me le procurer . A sa lecture Jean-Claude KATZ, alors Président du Consistoire, me pria de faire part au Président de R.F.A. de l’impression que nous fit sa déclaration. Je lui ai donc écrit, et il m’accusa réception de ma lettre, en me remerciant.
Je voudrais souligner qu’elle ne s’est pas contentée d’être pour moi, une aide de tous les instants, mais que ses initiatives les plus variées, ses activités de toutes sortes, son ouverture d’esprit pour tout ce qui est humain, sont dignes des plus grands éloges. J’ai parlé, plus haut des camps de jeunes qu’elle organisa, et de ceux auquels sa participation fut du plus heureux effet. C’est elle qui m’entraîna, me poussa, en quelque sorte, à prendre part à ce genre d’activités.
Mais elle fit bien plus. Et dans l’énumération qui suit, il ne faut voir que des têtes de chapitres :
Et je ne puis m’empêcher d’ajouter, ce qu’elle accomplit depuis qu’est venue l’heure de la
retraite.
Depuis, elle est donneuse de voix. Après avoir enregistré 150 livres pour la Société des
Aveugles du Haut-Rhin, n’est-elle pas sur le point d’en faire autant pour la section de Yechouroun, qui s’occupe des malvoyants juifs ?
Et ce n’est pas rien, non plus, de prendre régulièrement la parole, le lundi après-midi, devant un groupe féminin, en traitant devant elles les sujets les plus divers.
Cet hommage, je l’aurais rendu à toute personne qui aurait déployé une activité pareille. Dois-je m’en abstenir parce qu’il s’agit de ma femme ? Qu’elle reçoive donc, de ma part, l’éloge qui lui est dû.
Cette Communauté de Colmar, au milieu de laquelle je vis depuis 1945, et à laquelle je me suis consacré jusqu’en 1986, je lui demeure profondément attaché. Je la considère, un peu, comme ma famille. Il peut y avoir des brouilles, comme c’est le cas dans bien des familles. Mais en fin de compte, l’unité de la famille qu’est la communauté, a été préservé.
Mais je pense aussi à tous ces braves gens, que j’ai eu la tristesse de conduire vers leur dernière demeure terrestre, vers ce cimetière de Ladhof, où la Communauté des morts semble dépasser celle des vivants.
Avec certains d’entre eux a disparu aussi un aspect bien caractéristique du judaïsme alsacien. Ce bon sens qui ne s’en laissait pas compter, qui n’était pas impressionné par de grandes phrases qui ne parvenaient pas à masquer le vide de la pensée, ou son caractère superficiel.
C’est ce président du Consistoire, qui après avoir pris la parole, lors de la réception du grand rabbin de France, ou de l’ambassadeur d’Israël (je ne me souviens plus de qui il s’agissait), se tournant vers ma femme, lui dit : “l’ai-je bien impressionné ?”, pour "improviser", bien entendu.
C’est cette dame, qui, parlant d’une autre, déclara qu’elle ne nageait pas dans l’ambulance (pour "opulence").
C’est ce responsable de la Hevra (Hevra kadisha : société funéraire), qui, rendant visite à un malade, s’entendit dire par celui-ci : “Écoute, ce n’est pas le moment”.
C’est la responsable de la section féminine de la Hevra qui dit à ma femme, qui en était
la présidente, à propos d’une vieille personne gravement malade, et dont les jours semblaient
comptés : “Écoutez, Madame Fuks, dites-lui de se faire hospitaliser à l’Hôpital Pasteur, car chez elle, ce n’est pas pratique de faire la Metar (Toilette mortuaire)”.
C’est la même qui
déclara : “Depuis qu’on a le nouveau Metarbrett (la planche servant pour la toilette mortuaire), c’est un vrai plaisir !”
Sans doute, le long des années, ai-je entendu d’autres réflexions aussi savoureuses, mais ces quelques exemples montrent ce qu’on peut qualifier d’humour, sans que leurs auteurs en soient d’ailleurs conscients. Peut-être ai-je tort de terminer ainsi mes souvenirs des années 1945-1986, mais à supposer qu’on me lise, je voudrais qu’on y voie surtout une preuve de ma nostalgie des jours qui ne sont plus.
Colmar, le 15 juin 1994
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