Communautés
juives d'Alsace
en Zone Sud
RAPPORT
sur la tournée effectuée par Monsieur le Grand Rabbin HIRSCHLER dans les centres de repliement des populations Israélites de STRASBOURG et du Bas-Rhin (8 au 25 décembre 1939)


I°- LA SITUATION AU DEBUT DE DECEMBRE

Biographie du Grand Rabbin Hirschler


Dés le début des hostilités, la population de Strasbourg et de certains centres , villes ou villages du Bas-Rhin a été évacuée d’office. Partis d'autres lieux de la même Région où l’autorité militaire n’avait pas cru devoir prendre pareille mesure, bien des gens se replièrent volontairement. L’Administration avait prévu des centres de correspondance, mais l’émigration volontaire s’étendit aussitôt sur tout le pays.

Dans la mesure où le repli était organisé administrativement, on imagine les difficultés qui se présentèrent, à l’heure même où le pays vivait le grand drame de la mise sur pied de guerre. L’improvisation fut fréquente et l’initiative privée dut aussitôt répondre aux besoins immédiats.

La population de la Basse-Alsace et les oeuvres de nos communautés subirent le sort commun. La sollicitude des pouvoirs publics, de merveilleux dévouements essayèrent d'apporter quelque adoucissement à leur situation morale et matérielle. Mais le problème offrait, en ce qui les concerne, de particulières difficultés. Minorité perdue dans la masse, leur dispersion était extrême. Beaucoup de familles étaient isolées et difficilement accessibles. Les chefs de nos communautés, les membres des conseils d’administration de nos œuvres étaient mobilisés ou disséminés à travers le pays. Nos rabbins, réduits au nombre de deux, en dehors de l’Alsace, essayaient péniblement de reprendre le contact perdu, Le Grand-Rabbin du Bas-Rhin avait été mobilisé avant même la déclaration de guerre

Deux institutions avaient, à peu près seules, prévu un lieu de repli. Le Secrétariat du Consistoire Israélite du Bas-Rhin et de la Communauté Israélite de Strasbourg devaient s'installer à ROSHEIM ; la Caisse Centrale à SAUMUR. Certains ont cru devoir critiquer avec quelque apparence de raison cette dernière décision prise par le président, Grand Rabbin de Strasbourg, à la veille des événements. Il apparaît en effet que le grand nombre des évacués d’office devaient être dirigés dans les départements de la Dordogne et de la Haute-Vienne. Il convient cependant de comprendre la nécessité qu’il y avait de prévoir d'urgence un lieu sûr, avec adresse précise , où, dans le plus bref délai possible, la Caisse Centrale pouvait reprendre son activité. Les responsabilités qu’exigeait cette activité invitaient le Président à prévoir un endroit où des membres dirigeants de cette organisation devaient eux-mêmes se replier. SAUMUR où devaient de trouver MM. Raymond WEYL et Oscar LEVY, s’imposait d’autant plus que la Banque où étaient déposés les fonds de la Caisse Centrale, de la Caisse des Passants et de l’Administration de la Bienfaisance Israélite de STRASBOURG, fonds peut-être immédiatement nécessaires, se repliait elle-même dans cette ville. Au surplus cette destination n 'était en rien définitive et la Caisse Centrale dirigée par Monsieur le Rabbin MARX, pouvait être déplacée selon les nécessités.

Sur la demande d’un Comité d’action formé par Madame et Monsieur C. MEYER à LIMOGES, sur le désir de Monsieur le Grand Rabbin de France et en complet accord avec le Grand Rabbin de STRASBOURG, président, la Caisse Centrale se rendit à Périgueux, où elle s’établit 20 rue Lagrange-Chance dés le mois d‘octobre avec ses cadres administratifs. Dans cette ville, elle devait immédiatement collaborer avec les personnes qui , dès la première heure, avaient manifesté l’ardeur de leur dévouement.

Pendant le même temps nos oeuvres s’installaient péniblement : La Clinique ADASSA, transformée en asile pour Vieillards isolés, aux Eysies ; l'Hospice ELISA, à Sarlat ; l'Orphelinat de Jeunes Filles et le Nid réunis à Velines. On doit rendre un particulier hommage à M. CROMBACK, architecte du Gouvernement qui dés la première heure, se dévoua sans compter au profit de ces Oeuvres que leurs Conseils d’Administration pouvaient difficilement diriger en raison de leur dispersion.

Evacuation de la Synagogue de Strasbourg - au centre : l'Aumônier Justin Schuhl

Monsieur Isaïe SCHWARTZ, Grand Rabbin de France, ancien Grand Rabbin de Strasbourg, effectua une première tournée dans ces Régions. Monsieur Lazare BLUM, Président de la Communauté Israélite de STRASBOURG s’y rendit également. Monsieur ALEXANDRE, membre du Consistoire du Bas-Rhin, chargé de Mission, les y avait précédés. Monsieur Sylvain LEVY, Secrétaire général du Consistoire du Bas-Rhin et de la Communauté Israélite de STRASBOURG fit de même. Dans l’impossibilité où il était de quitter son Secteur, le Grand Rabbin de Strasbourg et du Bas-Rhin avait, dés les premières semaines, délégué madame HISRSCHLER dans la Dordogne pour lui faire un rapport sur la situation.

Monsieur le Grand Rabbin de France, ayant vu les besoins qui s'imposaient lança, au retour de sa tournée, un appel un appel à certaines personnalités Israélites de France, afin de recueillir des fonds qui, versés d’abord au secours national, devaient parvenir ensuite à la caisse centrale. Monsieur Lazare BLUM conçut la formation de trois centres cultuels : à PERIGUEUX, à LIMOGES et à LACHATRE. Le premier était dirigé par Monsieur le Rabbin MARX ; le second par Monsieur le Rabbin DEUTSCH; quant au troisième, la question est encore à l’étude

En quelques endroits, le culte s’était organisé par la volonté de quelques coreligionnaires. À PERIGUEUX, à LIMOGES et en dehors de départements de correspondance, à SAUMUR, à VICHY, à PLOMBIERES, sous la direction de Mademoiselle Laure WEILL et de M.GERSOHEL, vice-président de la Communauté de STRASBOURG ; avec Monsieur Edmond ISRAEL, vice-président du Consistoire , en collaboration avec des personnalités parisiennes ou Vichyssoises, parmi lesquels il convient de citer M.Louis ASCHER ; à SAUMUR avec MM. Oscar LEVY, Raymond WEYL, Raymond BAUMANN, se mettaient travail. A PARIS, Monsieur le Baron Robert de ROTSCHILD, M.Roger OLCHANSKI sur l’intervention de Monsieur le Grand Rabbin de France s’intéressaient de près à la question. Il convient de rendre un total hommage à tant de dévouements et le Judaïsme d’Alsace gardera une infinie reconnaissance à tous ceux qui, en des circonstances dramatiques, lui sont venus en aide morale et matérielle.

L’organisation cultuelle de la Communauté Israélite de et des communautés repliées du. Bas-Rhin a particulièrement souffert de la dispersion. Le secrétariat de la Communauté Israélite de STRASBOURG a essayé de retrouverles adresses des familles disséminées afin d’opérer moralement au moins un regroupement et de faire rentrer les ressources nécessaires au paiement des fonctionnaires. Le résultat fut tout à fait incomplet. Dans ces conditions, l’Administration s‘est vue contrainte de "supprimer, en principe, le paiement des salaires jusqu'à nouvel ordre", assurant toutefois "qu'elle ne négligerait rien pour faire entrer les cotisations de 1940 et au fur et à mesure que les fonds rentreront, de payer mensuellement à la fin de chaque moins une certaine indemnité ou subvention" (lettres aux fonctionnaires de la Communauté Israélite de STRASBOURG, Décembre 1939).

Au cours de mes déplacements, je me suis assuré qu’un grand nombre de membres de la communauté de STRASBOURG n’ont pu être touchés par les circulaires du Secrétariat. On comprend les difficultés qui se sont levées devant 1’effort de regroupement tenté par le Secrétariat, mais elles doivent être vaincues par 1’adoption d’un nouveau système plus direct.

Plusieurs fonctionnaires, ministres-officiants, sho'hetim, se trouvent sans emploi, cependant qu’en de nombreux endroits, des groupes souvent importants de familles repliées seraient heureuses d’organiser des offices réguliers et le service de la Schechita (abattage rituel).

L’organisation du culte dans les centres nouveaux formés par nos évacués permettrait :

1) D’opérer le regroupement toujours plus complet de nos dispersés,
2) l’emploide nos fonctionnaires,
3) la rentrée du budget nécessaire pour les payer,
4) la création de centres de propagande susceptibles de s'intéresser à nos institutions de solidarité et de bienfaisance.

De toutes façons, nos administrations cultuelles ont le strict devoir d’assurer le culte partout où il est possible au service de nos repliés. On évitera ainsi que certains groupes se forment en associations cultuelles sur la base de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, comme ce fut presque le cas à LIMOGES. Une telle solution, contraire au désir du Gouvernement, pourrait comporter de sérieuses conséquences d'ordre financier et moral.

L’organisation qu'il faudrait mettre sur pied se heurte à une très importante difficulté. La Commission de la Communauté Israélite de STRASBOURG est disloquée et dans son rapport du 6 novembre 1939; M. Lazare BLUM, président de la Communauté faisait savoir ce qui suit :

"La Commission Administrative de la Communauté de STRASBOURG est dispersée pour ainsi dire dans différentes villes de France. En raison de ce fait et étant donné que moi-même, j'ai pris domicile à DINARD, il ne me sera à l'avenir guère possible de gérer les affaires de ce Centre." Il s'agit ici du Centre de PERIGUEUX l'un des nombreux centres formés par nos évacués.

Dans ces conditions, il appartient au Consistoire Israélite du Bas-Rhin de prendre toutes les mesures nécessaires à la permanence du Judaïsme alsacien replié.


II° - MA TOURNEE

Telle était la situation, rapidement brossée, lorsque je reçus, l'ayant sollicitée depuis deux mois, une permission exceptionnelle du Général GAMELIN, laquelle me permettait d’aller visiter nos familles repliées. Les quelques jours qui me furent accordés me conduisirent avec Mme HIRSCHLER dans la Dordogne , la Haute-Vienne, dans les vi1les de VICHY, NANTES et ANGERS.

A PERIGUEUX, 200 personnes étaient réunies pour l'Office de Sabbat au cours duquel je pris la parole. Je me mis immédiatement, dés le 9 décembre en rapports avec les personnalités qui, sur place, avaient pris en mains l’organisation cultuelle et philanthropique ainsi qu’avec les autorités administratives.

D'une part, Mmes Laure WEIL, Fanny SCHWAB, CROMBACK, MM.les Rabbins MARX, FULDHEIM, CROMBACH, etc.

d’autre part MM. le Directeur les Cultes, le Recteur, le Maire de PERIGUEUX, le Sénateur ECCARD, BARAUD de la Préfecture STRASBOURG.

A) DEMARCHES :

Direction des Cultes .- M. ALTORFFER avec qui je me suis entretenu longuement et à plusieurs reprises, m’a informé qu’il avait fait une demande de délégation de crédits, jusqu’ici demeurée sans réponse. Il prévoit que soit allouépar l’Etat, devant la carence de la ville de STRASBOURG une indemnité de logement de frs 500 par mois pour chaque Ministre du culte Israélite. Il prévoit également pour chacun d'eux, en raison de l'extrême dispersion des fidèles, le paiement des frais de déplacement pour une moyenne mensuelle de frs 500. Il prévoit enfin pour l'établissement d’un secrétariat de la communauté de STRASBOURG une allocation mensuelle fournie par l’Etat de frs. 850. Ces propositions étant restées jusqu’ici sans réponse, une lettre collective signée par les représentants de l’autorité ecclésiastique des trois cultes dans les départements de correspondance, a été adressée à M. CHAUTEMPS pour lui demander d’examiner dans le plus bref délai possible la question des subventions à accorder. Il importe en effet que ce problème soit réglé avant l’achèvement de l’année budgétaire.

J’ai cru devoir faire remarquer à M. le Directeur des Cultes qui, avec compréhension reconnaît la particulière difficulté des questions qui touchent aux Israélites, qu’un seul secrétariat serait tout à fait insuffisant et qu’il faudrait en prévoir deux, sinon trois. M. Directeur des Cultes voudra bien faire cette suggestion dans ses prochaines propositions.

Enseignement.- M. le Recteur également très compréhensif, a bien voulu reconnaître que le nombre restreint des Ministres du Culte (deux pour les départements de correspondance), et l‘absence de professeurs attitrés exigeaient une mesure exceptionnelle. En principe, il accepterait que des volontaires, proposés par le Consistoire, et reconnus par lui pourraient donner l’enseignement religieux israélite dans les lycées et autres écoles et seraient rétribués par l'État (850.-frs par heure et par an pour les Lycées ; environ 300.-frs par heure et par an pour les autres écoles).
M. le Recteur demande seulement, pour éviter certaines complications, que cet enseignement soit donné en dehors des locaux scolaires.
Par ailleurs, M. le Recteur accepte de payer sur les crédits de l’Etat et après entente préalable avec lui, les livres scolaires dont nos élèves ont besoin pour suivre l’enseignement religieux.
Pour confirmation, j’ai adressé à M. le Recteur la lettre dont on trouvera copie en appendice de ce rapport.

Synagogue.- Le local dans lequel se trouvaient les assemblées du culte était retiré à la Communauté de Périgueux. Sur mon intervention auprès de Monsieur le Maire de PERIGUEUX et grâce à M. le Préfet de la Dordogne, M. le Président du Tribunal de PERIGUEUX mit à notre disposition la salle des Assises, au Palais de Justice. Sont à payer seulement les frais de chauffage et d’entretien.

B) VISITES LOCALES DANS LA DORDOGNE

J’ai effectué avec Mme HIRSCHLER, dans les environs de PERIGUEUX deux tournées dont la première en compagnie de M. le Rabbin MARX et M. CROMBACH. Le dimanche 10 décembre, j'ai ainsi visité les communes de les Grèses-Chancellade, Château l'Evêque, Brantôme et Bourdelles .

A Brantôme et à les Grèses-Chancellade, qui comportent chacune un nombre suffisant de familles israélites que j’ai pu réunir, ici à la Mairie, là dans un local privé, j’ai. organisé une sorte de communauté avec un commissaire président qui doit rester en contact permanent avec le centre cultuel de PERIGUEUX. Dans cesdeux endroits, un volontaire est chargé d’assurer le service religieux régulier. Le même, en attendant que fonctionne un système plus heureux, donnera l’enseignement religieux aux enfants. Il est nécessaire qu’en des lieux comme ceux-ci, la Ccommunauté israélite de STRASBOURG procure les objets essentiels à la célébration du culte.

Ma deuxième tournée m'a conduit le mardi 18 décembre vers les Eyzies, Sarlat, Martignac et Thonon.

Aux Eyzies, la Clinique Adassa , convertie en asile pour Vieillards isolés, est maintenant convenablement installée ; les pensionnaires s'y déclarent heureux. La gérance m’a paru aussi parfaite que possible ; les aménagements nouveaux ont permis l’amélioration hygiénique indispensable. Il est à noter que l’Administration Préfectorale règle tous les frais. Toutefois, de nombreuses personnes possèdent un trousseau très incomplet. Certaines femmes n’ont qu’une chemise. J’ai signalé le fait à PERIGUEUX. Le nombre restreint des hommes empêche de célébrer un service religieux.

L’Hospice Elisa, à Sarlat , est moins bien partagé pour l' installation ; tous les pensionnaires sont maintenant couchés sur des lits et la diligence de la direction a permis une amélioration sensible des conditions hygiéniques. Il convient de remarquer que les pensionnaires hommes ne font pas l’effort nécessaire pour que l’office religieux soit régulièrement assuré. A l'heure prévue, ils sont le plus souvent absents. Je mesuis permis de faire dire à Madame CERF, que je n’ai pu rencontrer, du priver de sortie ceux qui montreraient de la mauvaise volonté, comme ce fut particulièrement le cas pour Hannouca.

A Montignac, 6 familles ; j'ai désigné un responsable qui s'est mis en contact avec le centre de PERIGUEUX.

J'en ai fait de même à Thenon où se trouvent environ une dizaine de familles, parmi lesquelles une dame de 73 ans isolée et presque aveugle qui doit être conduite par nos soins dans un endroit où l'on pourra s’occuper d'elle. Ici la personne responsable est une demoiselle employée à la Mairie.

C) PROBLEMES POSES PAR LA DISPERSION DANS LES VILLAGES DE LA DORDOGNE :

a) REGROUPEMENT : L’Administration a prévu la possibilité d’un regroupement des familles israélites dispersées et isolées. Sur la demande de M. le Rabbin DEUTSCH pour la Haute-Vienne, le Préfet s'est même déclaré d’accord pour affecter un village spécial, le Blant, à cet effet.

Si du point de vue théorique ce regroupement est désirable il n'est enfait praticable que pour des familles Israélites tout à fait isolées et à la condition que ces familles, qui souvent sont enfin parvenues à s’installer à peu près convenablement, acceptent de changer de résidence. Ce système, généralisé, serait une erreur psychologique en raison de l’état d’esprit général de la population alsacienne repliée dans les mêmes endroits.

b) ORGANISATION : Dans l’impossibilité où l’on est d'effectuer le regroupement, il convient d’organiser dans les départements de correspondance, un réseau de petites communautés rattachées aux centres cultuels de PERIGUEUX ou de LIMOGES.
Chacune d’elle serait dirigée par un commissaire Président et le service religieux serait effectué par un volontaire accepté par le rabbin du centre cultuel.
Cette organisation commencée par mes soins en Dordogne, doit être effectuée par le Rabbin du centre cultuel.

c) ORGANISATION PHILANTHROPIQUE : Le Commissaire-président doit signaler à PERIGUEUX tous les besoins des familles israélites confiées à sa responsabilité et les difficultés qu’elles pourraient rencontrer auprès des autorités locales.

d) SERVICE de VIANDE RITUELLE : Les centres cultuels doivent étudier le moyen de fournir par le moyen de tournées au moins bi-hebdomadaires, la viande rituelle aux familles israélites dispersées ainsi qu’aux œuvres.
Le prix de cette viande étant parfois trop élevé pour les moyens de nos évacués, la Communauté israélite ou le Consistoire du Bas-Rhin de it envisager la surveillance stricte des prix en vigueur. Actuellement les bouchers paient l’abattage des bêtes et certains profitent de ce fait pour demander des prix trop élevés.

e) ENSEIGNEMENT RELIGIEUX : Absolument impossible dans les circonstances actuelles hors des centres cultuels où se trouvent des rabbins ; il devient praticable dés qu’est mis en vigueur le système des auxiliaires ambulants, proposé par moi à M. le Recteur, comme il est dit plus haut.

D) CENTRALISATION DU TRAVAIL :

Les expériences faites aux différents points où nous avait conduits cette tournée dans la Dordogne, lesconversations privées que j'avais pu avoir avec ceux qui, jusqu’à présent avaient travaillé au profit te nos évacués, m'ont conduit à proposer une organisation rationnelle de l’oeuvre à accomplir.

Le Mardi 12 décembre ses tint une séance au Siège de la Caisse Centrale à PERIGUEUX. Étaient présents :
Mmes HIRSCHLER, Laure WEILL, Andrée SALOMON, Fanny SCHWAB, CROMBACK, GENDREAU, Dr BLOCH, BAMBERGER, P. WEILL, JACOB et
MM. le Grand Rabbin HIRSCHLER, les Rabbins MARX et DEUTSCH, CROMBACH, Dr Joseph WEILL, LEDERMANN, FULDHEIM.
Excusés: Mme Camille MEYER, MM. Oscar LEVY, Raymond WEYLL, Raymond BAUMANN.
M. le Rabbin DEUTSCH, et Mme Camille MEYER devaient représenter la Région de LIMOGES.

Au cours de cette séance, sur ma proposition, furent prises les décisions suivantes :

1/ Étant entendu qu’il convient en principe que les israélites d'Alsace doivent en premier lieu venir en aide à leurs coreligionnaires d’Alsace, les organisations représentées organisent ce travail.

2/ La Caisse Centrale pour l’Est étant une Fédération de Caisses de secours aux réfugiés d’Allemagne, d’Autriche, de Tchécoslovaquie et maintenant de Pologne, dans l’Est de la France, conserve ce rôle, établit le contact entre ses différentes caisses qu’elles soient ou nonrepliées, reste en rapport avec les organisations parisiennes, H.I.O. Comité de Coordination, etc. Elle conserve ses cadres.
Il est rappelé que la Caisse centrale n’étant qu’un organisme de centralisation et de compensation n’a pas et ne peut avoir de fortune. Ce que l’on appelle improprement la réserve de la Caisse centrale n’est que la réserve de la Caisse des Passants de Strasbourg, Oeuvre affiliée à la Caisse Centrale.
Dans ces conditions, la Caisse centrale ne saurait avoir la gestion des fonds recueillis pour les évacués d'Alsace et la charge de l’oeuvre à accomplir.

3/ L’œuvre de secours est confiée à l’administration de la Bienfaisance Israélite de STRASBOURG, reconnue d'utilité publique, avec un comité d'action dont la composition sera indiquée plus loin.

4/ Les réserves de la Bienfaisance de STRASBOURG et de la Caisse des Passants de Strasbourg sont mêlées dans une Caisse commune, comme il a été admis depuis le début des hostilités.
Toutefois, pour répondre aux engagements antérieurs de la Bienfaisance, une somme de frs:100.000. est réservée.
Les dépenses affectées auxréfugiés d’Allemagne, d’Autriche, de Tchécoslovaquie et de Pologne, seront portées sur un livre spécial, aux fins de compensation par le JOINT.

5/ L’Administration de la Bienfaisance israélite de STRASBOURG ainsi modifiée, doit financer toute entreprise décidée par le Comité d’Action dans la mesure de ses possibilités.
Elle rembourse intégralement les dépenses des bureaux qui lui sont affiliés ou qu’elle sera conduite à ouvrir.
Elle est seule à recueillir tous dons ou cotisations pourles évacués israélites de la Basse-Alsace.
Dans ce but , elle organise dans chaque lieu où se trouvent des familles évacuées d’Alsace, un comité affilié dirigé par un commissaire, lequel s’occupe de recueillir des fonds et des effets qu’il dirige sur le Siège de la Bienfaisance israélite de STRASBOURG, 20 rue Lagrange Chancel à PERIGUEUX.

6/ Le travail de l'Administration de la Bienfaisance israélite de STRASBOURG est essentiellement social.

7/ Le comité est formé pour la durée des hostilités par les personnes invitées à la présente réunion. Il sera loisible de compter toute personne dont la collaboration serait nécessaire.
Huit sections ont été organisées pour sérier le travail.
La réunion des Présidents de section forme le comité d’action qui aura la décision en toute matière.
Le Comité d’action se réunira aussi souvent que nécessaire, la majorité des présents dictant la décision.

8/ Mademoiselle Fanny SCHWAB est nommée Directrice du Service Social aux appointements de frs : 2.000 par mois.

9/ Monsieur FULDHEIM, Directeur de la Caisse centrale de l'Administration de la Bienfaisance et de la Caisse des passants de STRASBOURG, sans appointements depuis le début de la guerre, recevra désormais frs:8.000 par mois.

Telles sont les bases sur lesquelles le travail sera désormais fondé. Dés le lendemain mercredi, le Comité d’action se réunissait à 14h30 , à. l’Hôtel Domino, sous la Présidence de M. le Grand Rabbin HIRSCHLER.

Entre autres décisions, le Comité d’action décidait d'inviter Me BING à venir à PERIGUEUX à des conditions qui seraient à décider. Me BING pourrait être considéré comme professeur auxiliaire et à ce titre serait appointé en partie par l'administration rectorale. Le traitement serait complété par la Bienfaisance à laquelle sa collaboration est infiniment désirable. En suite de cette décision, j’ai fait connaître à Me BING qu’il était attendu à PERIGUEUX où il m'a répondu depuis devoir se rendre vers le 10 janvier.

Le Comité d’action prit également différentes mesures qui figurent au procès-verbal.

E) INDRE :

Mademoiselle Paulette Weil-Jacob est chargée d’installer à LA CHATRE un bureau affilié à la Bienfaisance.

F) HAUTE VIENNE :

Après avoir quitté PERIGUEUX, Madame HIRSCHLER et moi-même sommes allés à Limoges. M. le Rabbin DEUTSCH m’avait déjà mis aucourant de la situation et j’ai pu constater l'entière harmonie qui règne dans le groupement alsacien qui en collaboration avec l’association cultuelle de LIMOGES a pris en mains 1a direction des affaires cultuelles et philanthropiques de la ville et de la Région.

J'ai pris la parole dans le local servant de synagogue, devant un important public qui avait été prévenu de mon passage. S'est ensuite tenue une séance de l’Administration de l'Association cultuelle en ma présence. J'appris que nos évacués, devant l’absence de toute activité de la part de nos institutions alsaciennes avaient décidé de reformer l’association cultuelle locale affiliée auConsistoire Central des Israélites de France, laquelle n’existait jusqu’à leur arrivée qu’en théorie. J’ai eu connaissance de la correspondance déjà entreprise avec le Consistoire central. J’ai été assez heureux pour faire comprendre à ces messieurs les dangers moraux et financiers d’une telle solution. Il fut alors décidé d’attendre l’organisation sur la base concordataire des groupements alsaciens repliés par le Consistoire du Bas-Rhin au cas où une telle initiative que je préconisais devait être prise.

Quant à l'organisation philanthropique, le Comité se déclarait d’accord avec le plan adopté à PERIGUEUX, demandant seulement d’être informé régulièrement du travail effectué.

G) VICHY

A Vichy, devant une nombreuse assistance parmi laquelle on remarquait MM.les Grands Rabbins J. KAHN, BACH, EINSENSTAT, Monsieur le Rabbin WILLLARD, M. SCHMOLL, Président du consistoire du Bas-Rhin, MM. E. ISRAEL, vice-président, Albert BLOCH et Léon MOOH, membres du Consistoire du Bas-Rhin, le président et le vice-président de la Communauté de Vichy et de nombreux membres de nos communautés alsaciennes repliées. M. Grand Rabbin J. KAHN à qui je répondis, me souhaita affectueusement la bienvenue dans la synagogue, le vendredi soir.

Le samedi matin je prenais à nouveau la parole pour remercier la communauté de Vichy pour l’accueil qu'elle avait réservée à nos évacués.

Quatre réunions eurent lieu durant mon séjour à Vichy. Au cours d’une première réunion du Consistoire du Bas-Rhin convoquée par les soins de M. SCHMOLL, président, je fis un rapport oral sur la situation telle qu’elle m’était apparue et sur les mesures qui me paraissaient s’imposer. Un plan d’organisation fut adapté à l’unanimité au cours d’une seconde séance du Consistoire. Les procès-verbaux de ces doux réunions figurent en appendice à ce rapport.

J'assistai également à une réunion de l’Administration de 1a Communauté de Vichy et à une réunion du Comité de Réfugiés de cette même ville. M.Edmond ISRAEL représentait ici et là nous familles repliées. Les deux comités furent mis au courant par nos soins des dispositions prévues pour l'organisation centralisée de nos repliés tant au point de vue cultuel que philanthropique, et se déclarèrent d’accord.

Il est prévu d’inviter M. BORIN à venir à VICHY. La communauté de cette ville participera à ses appointements avec la communauté do STRASBOURG pour une somme immédiatement fixée.

Dans 1e domaine de la Bienfaisance, l'avis de M. ASCHER, Président-fondateur du Comité des Réfugiés, est demandé,sur l’éventualité très nécessaire d’une affiliation à la Bienfaisance de STRASBOURG, sur les bases dont il est question au paragraphe D.

H) NANTES

Hanouka a Nantes
Le Grand Rabbin Hirschler allume les lumières de Hanouka comme aumônier militaire en 1939, dans la Synagogue de Nantes
Une réunion tenue à Nantes par les familles repliées d’Alsace en présence de M. SEXER Président de l’Association cultuelle, sur ma proposition a formé le groupement nantais qui pourra entrer dans l’organisation prévue par le Consistoire du Bas-Rhin et la Bienfaisance de Strasbourg,

M. Gaston CAHEN de Strasbourg-Schiltigheim, 2 rue de Bitche à NANTES , dirige avec son frère le travail cultuel et philanthropique des vingt et une familles jusqu’ici repliées dans cotte ville avec l’appui des deux comités distincts.

Un ouvroir est fondéau profit de nos évacués, sous la direction de Mme HIRSCHLER.

Il est prévu de demander à la Communauté de STRASBOURG d’envoyer à NANTES M. KAUFMANN pour y être ministre-officiant. L’association cultuelle de Nantes participerait avec la communauté de STRASBOURG à ses appointements.

Les cotisations des membres évacués de nos communautés alsaciennes seront versées à la Caisse commune prévue par le Consistoire du Bas-Rhin.

J’ai pris la parole à la synagogue le vendredi 28 décembre pour faire connaître ce travail aux membres de la Communauté.

I ) ANGERS

Les chefs de familles repliées d’Alsace à Angers, réunis par mes soins se sont organisés comme ceux de Nantes sur les mêmes bases.
Commissaire-Président : M. ROTH, 10 bis rue Lenepveu, ANGERS.


CONCLUSION

Ainsi s’achevait la tournée effectuée par Mme HIRSCHLER et moi-même dans les centres repliement de nos populations alsaciennes du Bas-Rhin. Nous pensions également nous rendre à Saumur, mais en l’absence momentanée des personnalités alsaciennes demeurant dans cette ville, nous nous en sommes abstenus. Saumur a vu d'ailleurs partir ces dernières semaines le grand nombre de ceux qui au début de la guerre y avaient formé un groupe important. MM. Baumann et Raymond Weyl de qui le dévouement est bien connu, m’ont néanmoins affirmé qu’ils agiraient conformément aux directives qui leur seraient adressées.

On comprendra le sentiment de tristesse infinie qui fut souvent le nôtre, en présence de la situation pénible de nos évacués. Nos yeuxgardent encore l’image tragique d’une femme de 73 ans, agonisante, àla lueur blafarde d’une lampe fumeuse, sous une cage d’escalier, dans certain village.

On peut trembler avec quelque raison, à l’idée des conséquences futures de l’état de choses actuel, tant dans le domaine social que dans le domaine religieux. Craignons, si nous n’y prenons garde qu’une nouvelle classe de schnorrers, de mendiants professionnels, ne se crée dans l’inactivité forcée du grand nombre. Nos organisations étaient parvenues ces dernières années par un travail rationnel et coordonné, à faire disparaître cet élément pittoresque, mais dégradant de l'Alsace juive. Devront-elles recommencer leur effort au lendemain de la victoire ? Avec quel succès, alors que tant de problèmes seront à résoudre ? Je sais bien que les autorités administratives et gouvernementales s’occupent de cet aspect de la question des repliés. L’initiative privée leur doit un concours efficace et rapide.

Craignons aussi, si nos organisations responsables ne prennent pas les mesures qui s’imposent, la déjudaïsation, la perte plus ou moins partielle peut-être, de la plus fidèle partie du Judaïsme français, son berceau et son espérance à la fois. Que seraient nos communautés et nos oeuvres, au lendemain de cette guerre, que serait la piété héritée de cent générations ?

Mais à côté des dangers et de ces menaces qu’il serait coupable de ne pas voir et de ne pas écarter, malgré tant d’autres problèmes où se joue la vie même de la nation , que de raisons de confiance ! Partout le dévouement et la générosité se révèlent. Encertains endroits l’arrivée de nos alsaciens ressuscite des communautés mourantes. Le bien peut sortir du mal. Encore faut-il que l’organisation, la centralisation, l’initiative des autorités compétentes donnent un cadre à ces bonnes volontés dispersées. Le Judaïsme alsacien doit vivre dans l’exil et sa dignité veut qu’il trouve d’abord on son sein les raisons et les moyens de vivre. Dieu voudra les y aider.

R. HIRSCHLER


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