Communautés
juives d'Alsace
en Zone Sud
La Communauté israélite de Strasbourg repliée à Périgueux
à partir de la correspondance privée de
son président Léon Lévy
par Jean Daltroff
Extrait de Echos-Unir, mars 2004.


Léon Lévy (1893-1971) à son bureau dans les années 1960.
Coll. Claude-Lévy-Michel
Léon Lévy, qui fut le président de la Communauté israélite de Périgueux entre octobre 1944 et août 1945, fait partie des oubliées de l'Histoire. Et pourtant il a joué un rôle éminent tant à l'échelle locale qu'au niveau départemental voire national.
Après avoir replacé les faits dans leur contexte de l'époque, nous allons essayer d'évoquer le relèvement matériel et spirituel d'une partie de la Communauté israélite de Strasbourg repliée à Périgueux de la fin de 1944 jusqu'à la première moitié de 1945, à partir de la correspondance privée de Léon Lévy (1), et mettre en valeur son rôle dans cette restructuration.

Le contexte historique

Le 1er septembre 1939, l'armée allemande envahit la Pologne. Le 3, à la suite de l'Angleterre, la France déclare la guerre à l'Allemagne pour défendre l'alliée à laquelle elle a promis son aide. Le gouvernement français avait donné l'ordre général d'évacuation le 1er septembre dans les régions frontalières. Par crainte de bombardements immédiats, le plan français d'évacuation de 175 communes proches du Rhin fut appliqué. Ce sont 380000 Alsaciens qui prennent la direction du Périgord et du Limousin.

C'est donc une ville de près de cent-quatrevingt mille habitants qui allait se vider en deux jours. Le 3 septembre 1939 au soir, il demeurait à Strasbourg moins de deux mille personnes. Jusqu'à l'offensive de Hitler au printemps 1940, Strasbourg fut une ville désertée, une cité fantôme.

En 1936, la population juive de Strasbourg s'élevait à 9288 Juifs. L'évacuation de 1939 concernait plus des deux tiers des effectifs du judaïsme d'Alsace : 17 783 personnes, selon une évaluation de 1940 (2). Après juin 1940, ce sont plus de 3 000 Juifs alsaciens qui furent expulsés vers la zone non occupée.

La population qui se retrouve à Périgueux tente de s'organiser avec les personnalités qui, sur place, s'occupent de l'organisation cultuelle et philanthropique. Le grand rabbin René Hirschler et le rabbin Victor Marx prennent en charge la vie spirituelle.
Laure Weil et Fanny Schwab, "sa main droite", sont responsables des comités de bienfaisance et du service social à partir du 12 décembre 1939 et Monsieur Fuldheim est directeur de la caisse centrale, de l'administration de la bienfaisance et de la caisse des passants de Strasbourg (3). Lucien Cromback fut le "membre fondateur et le premier président de la Communauté israélite de Périgueux" (4).

Photo prise dans les années 40 regroupant une partie des personnalités ayant pris en charge l'organisation de la communauté repliée. On distingue au premier rang à gauche le rabbin Victor Marx, Laure Weil et Monsieur Fuldheim; au deuxième rang de gauche à droite, on aperçoit Monsieur Ledermann, Michel Epstein, Fanny Schwab, Lucien Cromback, premier président de la Communauté israélite de Périgueux, Andrée Salomon, le rabbin Elie Cyper et le grand rabbin de Strasbourg et du Bas-Rhin René Hirschler. (Collection particulière)

La situation à la fin de 1944

Mais qui était Léon Lévy ? Léon Lévy est né à Strasbourg en 1893. Il est le fils de Joseph Lévy, frère de David Lévy et d'Élise Prag. Après avoir passé son Abitur, il part à Paris puis à Londres pour améliorer son usage de la langue anglaise. Le conflit de la première guerre mondiale le mobilise dans l'armée allemande. Il combat à Verdun. Il perd un oeil. Il est soigné dans un hôpital à Berlin. Il rentre à Strasbourg. Il se marie en 1924 à Sarrebourg avec Germaine Blum dont il aura deux fils, Claude et Jean.

Il travaillait avec un associé, son cousin Samuel Lévy (David Lévy et Frères - 14, place de la Gare à Strasbourg) (5). En plus existait une manufacture à Drusenheim et à Angy-sur-Oise, des magasins de détails à Sélestat, Colmar, Guebwiller et un hôtel au centre de Paris. Il appartenait à la Commission administrative de la Communauté israélite de Strasbourg repliée à Périgueux depuis 1942.

Plusieurs rafles eurent lieu en avril 1944. La famille de Léon Lévy fut arrêtée le 13 avril puis libérée le lendemain car le maquis avait détruit la veille les voies ferrées et les ponts. Léon Lévy deviendra le Président de la communauté à la fin octobre 1944 pour en donner sa démission le 19 août 1945 (6).

Léon Lévy adressait le 31 décembre 1944 dans un texte dactylographié et signé à Monsieur Léon Meiss, originaire de Sarrebourg, vice-président du Consistoire central, une très intéressante lettre de quatre pages.

Il dressait un rapport en ces termes :

"La Communauté israélite de Strasbourg, repliée à Périgueux, la plus importante des communautés de réfugiés en France, avait pendant l'année 1943 environ 450 membres.
Par suite des persécutions extrêmement sévères de la part de l'armée d'occupation et surtout de la Gestapo allemande et de la milice, bon nombre de nos coreligionnaires ont dû se soustraire en se cachant dans les environs ou dans d'autres départements."

II ajoutait "qu'à partir du deuxième trimestre 1944, le nombre des membres payant leurs cotisations est tombé sous les 200 membres. Les dirigeants de la Communauté s'efforcent de rassembler à nouveau les Israélites qui sont revenus ou qui reviennent peu à peu et nous comptons au cours du troisième trimestre 350 membres. Les charges de la Communauté, surtout les dépenses pour les fonctionnaires n'ont pas baissé durant 1944, au contraire, par suite de décès et déportations, nous sommes obligés de continuer à verser à leurs familles un secours, parfois supérieur au traitement. Le nombre de nos fonctionnaires est actuellement de 10 et en plus nous payons des subventions aux familles de trois fonctionnaires absents."

Léon Lévy joint le nom, l'emploi et le détail du traitement mensuel des fonctionnaires en 1943 et au quatrième trimestre 1944. Monsieur Borin est le premier ministre-officiant absent pour cause de maladie jusqu'au ler octobre 1944. Il touche le salaire le plus élevé des fonctionnaires au quatrième trimestre 1944. Monsieur Weiss est le deuxième ministre-officiant. Monsieur Gerst, le trésorier a un salaire presque aussi élevé que Monsieur Borin. Monsieur Horwitz est sacrificateur et Monsieur Bochner est payé en tant que chef de choeur de Strasbourg. Camille Bloch est employé au titre de bedeau. Mlle Loeb est secrétaire, Messieurs Kornbluth et Mischka sont d'anciens professeurs d'instruction religieuse à Strasbourg. La veuve du rabbin Victor Marx touche une pension pour son mari décédé le 25 février 1944 au 25, rue Lagrange Chancel à Périgueux (7). Madame Cyper, depuis la déportation de son mari, reçoit aussi un traitement, de même que le fils d'Armand Bloch, bedeau déporté et enfin Monsieur Kugelhof (8), ministre-officiant de Soultz (Bas-Rhin) fait office de rabbin....

"Jusqu'au début 1944, la communauté israélite de Périgueux touchait mensuellement du bureau de la communauté de Strasbourg dont le siège était à Vichy 1358 francs mais depuis la déportation du Secrétaire-Général Monsieur Sylvain Lévy, cette subvention ne nous était plus parvenue. Grâce à la gestion prudente de ses dirigeants pendant les années précédentes, en constituant de petites réserves, notre communauté a pu continuer de tenir ses engagements vis-à-vis de ses fonctionnaires, mais nous sommes arrivés au bout de nos ressources. Les membres du Consistoire Central comprendront que si nous restons sans aide de l'extérieur, sans subvention, il sera impossible d'équilibrer notre budget.

"Nous nous permettons encore de vous faire observer que les charges qui nous incombent d'israélites dispersés dans environ soixante petites communes de la Dordogne ne cessent d'augmenter et vu l'absence de toute organisation dans ces villages, ces petites communautés ne nous rapportent rien. Pendant la présence de Monsieur le Rabbin Cyper, les rentrées de ces petites communes se chiffraient annuellement à une quinzaine de mille francs, car notre Rabbin les visitait régulièrement jusqu'à la fin de 1943. Depuis sa déportation, ces visites ont complètement cessé et ces 15000 francs nous font défaut..."

Lettre du rabbin Deutsch adressée au président de la Communauté israélite de Périgueux, Léon Lévy.
Coll. Claude-Lévy-Michel
En août 1940, le rabbin Élie Cyper avait été nommé Rabbin des réfugiés à Dôle (Jura). En décembre 1940, vu l'afflux considérable des réfugiés en Dordogne (douze mille environ), il fut nommé à Périgueux. Il organisa des cercles d'études, travailla en relations étroites avec l'aide sociale, pour le camouflage des enfants, servit d'agent de liaison et de renseignements aux organisations de résistance et en particulier au groupe "Combat" dont le chef du service des renseignements en Dordogne, l'abbé Jean Ségala, professeur de philosophie au collège de Périgueux, lui donna maintes preuves de son amitié.

"Depuis neuf mois que Périgueux est resté sans rabbin, la nécessité de désigner un nouveau titulaire devient de plus en plus pressante, aussi bien au point de vue matériel que moral et surtout à cause de l'absence de toute direction et surveillance compétentes de l'instruction religieuse.
Monsieur le Rabbin Deutsch de Limoges a bien voulu se charger de l'intérim du rabbinat de la Dordogne à titre provisoire, mais son temps est pris à Limoges; il ne peut consacrer son activité à notre Communauté que pour régler les affaires les plus urgentes."

Notes :
  1. Mes vifs remerciements vont à Monsieur Claude Lévy-Michel, un des deux fils de Léon Lévy pour m'avoir transmis des documents inédits de la correspondance privée datant de cette époque troublée, ce qui m'a permis d'écrire cet article.    Retour au texte.
  2. Léon Strauss, Exil, exclusion, extermination, les juifs alsaciens en zone sud, la guerre totale, 1943 , Saisons d'Alsace N° 121, 1993, p. 184.    Retour au texte.
  3. Jean Daltroff, 1898-1940 La synagogue consistoriale de Strasbourg, Strasbourg, Éditions Ronald Hirlé, 1996, p. 56 et Jean Daltroff, Nouveau Dictionnaire de biographie alsacienne, N° 29, Strasbourg, février 2002, p. 4125.    Retour au texte.
  4. Voir les souvenirs de Madame Jeannette Bloch-Cromback, Strasbourg-en-Périgord (septembre 1939) , Tribune Juive, N° 63 et 64, sept., 1969. Jules Weil-Sulzer, Lucien Cromback, Échos-Unir N° 87, sept-oct. 1991.    Retour au texte.
  5. Samuel Lévy n'est autre que le fils de David Lévy, le premier président de la Communauté Etz 'Hayim.    Retour au texte.
  6. Archives privées, lettre dactylographiée de Léon Lévy, Mes chers Collègues, 19/8/1945.    Retour au texte.
  7. Archives municipales de Périgueux, acte de décès N° 177 de Victor Marx, rabbin, fils de Maurice Marx et de Mélanie Weil, époux de Marie Hollaender.    Retour au texte.
  8. Il s'agit en fait de Monsieur Oscar KUGLER ministre-officiant à Soultz-sous-forêts (67), qui termina sa carrière comme 1er ministre officiant à Haguenau.    Retour au texte.


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