De Wissembourg à Clermont-Ferrand
par Laure Blum-Wertheimer


Je suis née à Karlsruhe, en Allemagne en 1925 dans une famille dont les deux membres ont des attaches depuis au moins 1700 dans le couloir rhénan, c'est-à-dire d'un côté ou de l'autre du Rhin. Ceci sera très important par la suite.

En 1933, sentant venir l'orage, mes parents ont immigré en Alsace à Wissembourg, où ils ont repris une affaire de Textiles ; ils y ont retrouvé l'atmosphère juive de leurs origines. Je dois dire qu'à l'époque, l'accueil des collègues on plutôt des concurrents juifs n'a pas été très cordiale et il s'est trouvé un Juif pour essayer de faire expulser ùes parents tous deux déjà fragilisés el malades. Mon père est d'ailleurs décédé en 1937.

Heureusement il s'est trouvé, du fait de cette ascendance rhénane, une grand-mère originaire du Haut-Rhin, ce qui a permis à mon père la réintégration réservée aux Alsaciens après 1918. Je dois un coup de chapeau posthume au Docteur Meyer, urologue za’’l, qui s'est beaucoup donné pour faire régulariser la situation.

Du fait de la situation de Wissembourg devant la ligne Maginot, toute la population a été évacuée le 1er septembre 1339. Ma mère et moi avions quitté Wissembourg quelques jours avant, et nous nous sommes réfugiées à Molsheim, dans la famille, pour rejoindre, après diverses péripéties non intéressantes  les Wissembourgeois au Dorat (Haute-Vienne), où nous avons fini par trouver un logement. Je suis allée normalement à l'école (Ecole Supérieure Primaire) au Dorat.

Quand en 1940, après le choc de l'Armistice, les autres Wissembourgeois sont retournés à Wissembourg - A de rares exceptions près -, nous sommes restées au Dorat, où d'autres réfugiés Juifs sont restés aussi, ainsi qu'à Magnac-Laval. Notre langue était l'allemand badois qui se rapproche beaucoup de 1’alsacien, cependant mes études se sont poursuivies sans aucun problème en Français. Nous avens du à nette époque, renoncer à la casherouth, ce qui  a été un déchirement pour ma mère.

L'année 41 fut relativement tranquille au Dorat, mis à part le choc qu'a constitué pour nous la nouvelle de l’existence du Camp de Gurs,  où plusieurs membres de la famille et des amis avaient été déportés. Plus grave encore, la nouvelle que ma tante,  la sœur de ma mère, qui habitait Mannheim et que nous espérions retrouver à Gurs, s'était suicidée au moment de son arrestation. Elle était célibataire, anciennement professeur de Lycée à Mannheim et très proche de nous. Par des amis de Gurs, et par l'intermédiaire d'un oncle en Suisse, nous avons donc appris son décès qui fut pour nous un grand chagrin.

Nous avons parfois fait des colis pour Gurs, mais plusieurs personnes sont décédées d'infections intestinales. Une des personnes a été transférée dans un camp près de Limoges dont j’ai oublié le nom et je suis allée la voir à vélo. On m'a laissé un quart d'heure avec elle, mais par la suite elle a disparu, sans doute déportée en Pologne. J'ai encore dans mes papiers quelques lettres poignantes de Gurs !

Ceci dit, ma scolarité a pu se dérouler normalement et en juin 41, j'ai passé mon BEPC.
A la rentrée ma mère, ne voulant pas que je perde non temps, m'a inscrite à l'Ecole Supérieure de Commerce de Clermont-Ferrand, malgré le sacrifice financier et affectif que cela représentait. Nous avions tout perdu en quittant Wissembourg et ma mère, déjà souffrante, ne pouvait pas travailler.

J'ai donc pané un concours qui m'a permis, sans année préparatoire, d'entrer en première année de l’'Ecole dont la scolarité s'étalait sur deux ans. Je logeais à l’internat et les repas se prenaient à la Cité Universitaire ; je n'ai pas mangé de porc et assimilés, mais pour le reste il était impossible de faire autrement.

Je me souviens d'un détail curieux. Aux premiers jours de non séjour en internat, j'entendis des filles discuter dans la chambre voisine sur la guerre et l'armistice. L'une d'elles fit la remarque "tout cela est de la faute de Léon Blum et des Juifs », alors que ces filles venant du fin fond de  l'Auvergne n'avaient encore jamais eu affaire à un juif de leur vie et ignoraient - du moins au début - que je l'étais, mon nom (Wertheimer) pouvant facilement passer pour un nom alsacien.

Par la suite, je n'ai jamais subi  une remarque antisémite. Les deux années se passèrent normalement ; j'ai préparé en même temps que l'examen de sortie de l'Ecole, les deux parties du Bac, en prenant quelques leçons particulières. A la fin de l'année, le directeur me demanda d'accepter le poste de secrétaire de 1' Ecole et je commençai à travailler au début des vacances pour assurer la permanence.

Quand le directeur revint, il me convoqua pour ne dire qu'il ne pouvait malheureusement pas ne garder, vu ma confession juive - il dépendait de la Chambre de Commerce du Puy-de-Dôme. Mais il me proposa de me placer aux Allocations familiales, pépinière d'anciens élèves de l’ESC où, en tant qu'employée, je serais moins voyante.

Ainsi fut fait. Ma mère restant au Dorat, je me trouvai une chambre meublée en face de la Caisse et dans le quartier des Universités, chez un couple qui en louait beaucoup et j'avais deux voisines qui étaient - je le remarquai à certains détails - des juives allemandes qui évitaient tout contact avec l’extérieur. Le Directeur des Allocations familiales me permit même de suivre certains cours de Droit à la Fac.

J'ai échappé à une demi-heure près à la grande rafle de l'Université de Strasbourg, qui a eu lieu à Clermont-Ferrand en novembre 1943. Ma propriétaire m’a fait  admettre  pendant 3-4 jours dans un couvent des environs, dont le nom m'échappe, mais dont je me rappelle les draps

Le  calme revenu, j'ai retravaillé aux A.F. jusqu'en 1945 à l'Armistice. J’avais quelques bonnes amies non-juives qui connaissaient ma situation et ne n'avaient jamais "lâchée » et, dans le groupe, un garçon fils de colonel très à droite, dont le frère militait dans les PPF (*) et qui, est toujours  resté amical.

Je ne souviens aussi d'une visite de Pétain, acclamé avec  enthousiasme par la foule, qui accueillera après la Victoire, avec le même enthousiasme, le Général de ­Gaulle dans le même Clermont-Ferrand.

Il y avait à Clermont-Ferrand une toute petits choule dans une rue tranquille, ouverte aux Fêtes de Septembre et j'ai parfois été invitée par M. et Mme Heumann za’’l, parents du fabricant de matzoth à Soultz-Sous-Forêts ; ces personnes travaillaient alors toutes deux au Prisunic de la ville.

Par civisme mal placé, j’ai fait mettre le tampon "Juif" sur ma carde d'identité, mais dans l'ensemble, je n'ai pas eu à souffrir de l'antisémitisme, pas plus que ma mère restée au Dorat.

Fin 45, nous sommes retournées à Wissembourg avec les réfugiés restants, en nous avons eu du mal à récupérer notre logement. Malheureusement, suite aux privations et aux mauvais soins durant la guerre ma mère, déjà fragile, est décédée en 46.

L'année suivante en 1947, je me suis mariée ; mon mari qui était originaire de Hochfelden,  avait été d'abord  prisonnier de guerre avant de se  réfugier dans le Jura, pour prendre enfin le maquis.

Voilà l'histoire ce ces années noires et j'estime que j'ai eu beaucoup de chance de m'en sortir, bien qu'ayant perdu mes parents et n'ayant pas vraiment connu la jeunesse.

J'ai tendance à voir le côté positif des choses et bien qu'ayant perdu mon mari très jeune, je suis contente d'être restée là et de voir mes enfants, et nombreux petits enfants autour de moi.

Wissembourg, le 10 Juin 1993


* Le Parti populaire français ou PPF (1936-1945), fondé et dirigé par Jacques Doriot, était le principal parti politique d’inspiration fasciste français en 1936-1939 et l’un des deux principaux partis collaborationnistes en 1940-1944, avec le Rassemblement national populaire (RNP) de Marcel Déat.


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