RODEZ- 23 avril 2009- collège Favre.

Mesdames et Messieurs,

Chère famille Blum
 

Sur la plaque qui va être dévoilée tout à l’heure, vous ne trouverez pas seulement les noms de Janine et Madeleine Blum, jeunes lycéennes arrachées à leur jeunesse et envoyées en déportation, mais aussi celui d’Emile Baas, mon Père, professeur de philosophie au lycée Foch pendant ces années sombres.

La rencontre entre nos deux familles, la vôtre , chère Janine, et la mienne, relève du hasard. Vos parents, au gré des déplacements liés à la politique anti-sémite, avaient trouvé refuge dans le village de St Geniez d’Olt. Les miens passaient quelques jours de vacances avec leurs aînés et les parents de ma mère. Les deux familles se sont rencontrées et ont sympathisé. Apprenant que mon Père était professeur au lycée de garçons , les Blum lui ont demandé d’être correspondant de leurs deux filles, inscrites au lycée de jeunes - filles. Bien entendu, il accepta volontiers cette mission ; Mais, quand quelques mois plus tard il apprit que vous aviez été arrêtées lors d’une rafle, son premier souci a été de prévenir vos parents, de les mettre en garde face à un légitime désir d’aller vous voir à la prison, et de leur recommander de quitter Saint- Geniez au plus vite, avant l’arrivée des Allemands, ce qu’ils ont fait. La suite, pour Janine et Madeleine, vous la connaissez,elles ont toutes deux subi les horreurs de la déportation et Madeleine n’y a pas survécue.

Cette histoire, je n’étais pas née lorsqu’elle est arrivée , mais mes parents me l’ont racontée quand j’étais adolescente ; ils m’ont montré une photo sur laquelle se trouvait Madeleine, ils n’avaient pas d’autres nouvelles que celle de son décès et du retour de Janine. Cette histoire, pour moi le premier contact concret avec la déportation, m’a bouleversée , comme elle avait bouleversé mes parents et mes grands - parents. Mais, et c’est sur cela que je voudrais insister, ce qui préoccupait le plus mes parents, ce n’est pas tant ce qu’ils avaient fait (protéger vos parents), dont ils n’ont d’ailleurs pas beaucoup parlé, que ce qu’ils n’avaient pas pu empêcher. Plusieurs fois nous en avons parlé et c’est cet aspect qu’ils retenaient le plus et qui les perturbait.


De votre côté Janine, il vous a fallu de longues années d’abord pour oublier, et c’est bien normal, mais ensuite pour vouloir remonter les fils de cette histoire si douloureuse et retrouver ceux qui y avaient d’une façon ou d’une autre contribué. C’est aussi pour cela, chère Janine, que lorsque vous avez repris contact avec ma famille, mon Père étant déjà décédé, nous avons eu du mal parfois à remettre bout à bout les pièces de votre histoire. Grâce aux recherches des uns et des autres, vous avez pu y arriver après tant d’années et dès lors vous n’avez eu de cesse d’en porter témoignage. Cette cérémonie en est peut-être le point le plus important, pour que nul n’oublie mais plus particulièrement les jeunes générations.

 

Vous avez voulu que mon Père soit cité sur cette plaque et, au nom de ma famille, je vous en remercie ; mais j’espère que là-haut, il ne nous en voudra pas : c’était un homme discret qui n’a jamais cherché à se mettre en vedette. Les justes ne sont pas seulement ceux qui se vantent.

 

Quant à nous, chère Janine, nous sommes devenues amies. C’est en partie en hommage à votre sœur, mais bien sûr aussi à vous, que j’ai toujours estimé, avant même que nous nous retrouvions, que l’histoire de la Shoah était un temps fort de mon enseignement C’est pour cette raison que j’ai tenu par deux fois à faire le voyage à Auschwitz, avec des lycéens, cela me semblait nécessaire de faire ce « devoir de mémoire » pour toutes les victimes, mais plus particulièrement pour Madeleine et pour vous. Puissiez-vous maintenant, chère Janine, après ces cérémonies, vous retrouver en paix avec vous-même , votre famille , et ceux qui vous ont contribué à recomposer ce passé si douloureux. C’est le souhait que je formule aujourd’hui.

 

Geneviève BAAS avril 2009