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Présentation

Par Jacky Dreyfus
Grand Rabbin du Haut-Rhin

            C’est une double préoccupation qui a motivé la réalisation de l’ouvrage que vous tenez en main.

D’abord, celle de préserver la mémoire des déportés et fusillés de notre département du Haut-Rhin, morts pendant les années terribles qui se sont écoulées de 1939 à 1945.
Si, au lendemain de la Shoah, nos prédécesseurs ont érigé des monuments dans les cimetières du département pour y graver les noms des morts et immortaliser l’existence de ceux qui furent lâchement assassinés, si encore les trop rares rescapés ont observé pendant des décennies, pour des raisons qui leur étaient propres et qui sont compréhensibles, le silence le plus total sur cette tragédie, il nous a semblé indispensable, au moment où les derniers survivants se faisaient de plus en plus rares, de consigner par écrit et de laisser une trace de ceux qui ont subi le calvaire absolu et le plus inhumain.
Un motif supplémentaire pour conforter notre démarche trouve sa source dans la lente mais constante érosion, à la fois du souvenir et du respect envers nos disparus, et dont d’aucuns cherchent à relativiser ou à banaliser le côté exceptionnel de l’horreur qu’ils ont eu à endurer.
C’est ainsi qu’il y a presque dix ans déjà, est née notre volonté de contribuer et de témoigner, afin que nul ne puisse jamais nier l’étendue des ravages de la Shoah dans ce département. Et notre velléité s’est transformée en volonté forte et persistante à la lueur de maints événements et incidents qui se sont produits et qui justifient pleinement à nos yeux la publication, qui n’avait jamais été entreprise, de tous les martyrs de nos communautés haut-rhinoises.

La seconde préoccupation qui nous a animés est la conséquence logique de ce qui vient d’être constaté et déploré, à savoir que, si cette tragédie s’estompait dans le temps, si son impact dans l’Histoire s’érodait et risquait d’être effacé ou noyé dans les brumes du vingtième siècle, c’est tout simplement parce que nous, les descendants des survivants, n’aurions pas fait assez, n’aurions pas agi avec suffisamment de persévérance pour entretenir la flamme du souvenir, indispensable et nécessaire pour que plus jamais pareille tragédie ne puisse se reproduire et même à une échelle moins monstrueuse.
Aucune famille juive alsacienne ne peut affirmer ne pas avoir été touchée, de près ou de loin, par la Shoah; innombrables sont, par contre, ceux d’entre nous, qui ont été et qui restent meurtris par ce qui fut le plus grand crime collectif jamais réalisé depuis que les hommes existent sur terre.
À la lecture de ce martyrologe, l’on ne peut qu’être frappé par l’accumulation des drames individuels qui, pour nombreux qu’ils ont été, n’en rendent que plus prenant ce que chacun a pu vivre et parfois continue de vivre.
C’est ainsi que toutes les situations se retrouvent. Tantôt, c’est une fratrie entière qui a été anéantie, tantôt ce sont des parents ou des grands-parents qui ont eu à déplorer la mort de leurs enfants ou de leurs petits-enfants, tantôt des conjoints qui ont perdu celui ou celle qui leur était le plus cher, tantôt des enfants qui ont été privés de ce qui y a de plus précieux, à savoir l’affection d’une mère ou le conseil d’un père, parfois c’est à l’addition de toutes ces situations que nous avons été confrontés, alors que dans beaucoup de familles, il reste un veuf ou une veuve, un frère ou une sœur, un père ou une mère, un enfant ou plusieurs qui peuvent témoigner de l’immensité de la perte qu’ils ont subie et avec eux, nous ne pouvons pas ne pas songer au verset du livre des Lamentations qui affirme «Voyez s’il est une douleur comparable à ma douleur ! (chapitre 1, verset 12)».

Le but du présent ouvrage consiste précisément à rendre et à restituer à chaque victime une identité, un nom, un prénom, un état-civil, une adresse, une filiation et parfois d’autres détails biographiques qui doivent nous permettre de mieux la connaître, soit à travers quelques lignes, soit à travers un récit soit par une photo. Ces indications, ces témoignages, ces images, ces éléments réunis, doivent permettre de personnaliser chacun et chacune de nos malheureux frères et sœurs, en ne les laissant ni dans l’anonymat, ni dans l’abstraction des chiffres, mais en leur redonnant, malgré leur disparition, une vie, une personnalité, une famille, une profession, un enracinement et une histoire personnelle.

L’on voudra bien ne pas nous tenir rigueur pour des erreurs ou des omissions qui auraient pu se glisser, à notre insu, dans ce travail que nous ne pouvons d’aucune manière considérer comme achevé, trop de facteurs ayant rendu cette recherche et ce retour en arrière difficile et aléatoire.

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