Stopnicki Chil Charles, Esther, Nelly et Rachel

Interview de Thérèse Stopnicki par André Meyer, paru dans la presse locale, jeudi 23 octobre 1997

            Nelly, Rachel et les autres
            "Trop de gens nient l’histoire. Il faut les éclairer sans relâche, estime Thérèse Stopnicki, la Mulhousienne partie civile au procès Papon. Non ce n’est pas le désir de vengeance qui me guide. Je me bats pour qu’éclate la vérité. Il faut que les jeunes générations sachent ce qui s’est vraiment passé, comment une telle monstruosité a été possible. Afin que plus jamais cela ne se reproduise."

            La Mulhousienne Thérèse Stopnicki est partie civile au procès de Maurice Papon. Elle fait partie de l’association Les fils et filles de déportés juifs en France dont le patient travail a abouti à la mise en cause de l’ancien secrétaire général de la préfecture de Bordeaux. Thérèse Stopnicki veut que lumière et justice soient faites pour ses parents Charles et Esther, déportés le 18 juillet 1942, et pour ses deux sœurs Nelly et Rachel, déportées le 26 août 1942. Tous morts à Auschwitz. Nelly avait cinq ans, Rachel, deux ans.

N. Stopnicki
R. Stopnicky

     Fuyant la Pologne, les époux Stopnicki s’étaient établis à Remiremont dans les Vosges. Charles y créera un atelier de sacs en toile de jute, avant d’ouvrir à Nancy un magasin de confection.
Après la débâcle de 1940, la famille se disperse. Thérèse, l’aînée, alors âgée de six ans part avec ses grands-parents à Dijon, Mâcon, St-Julien, puis dans l’Ain, à Bellegarde. Elle échappera à un funeste destin grâce, entre autres, à l’attitude courageuse du maire de Bellegarde qui avait supprimé le port de l’étoile jaune pour les Juifs de sa commune.

            Ses parents et ses deux jeunes sœurs, nées à Nancy, se réfugient dans le Sud-Ouest à Salles près de Bordeaux. Thérèse Stopnicki n’aura plus de contacts avec eux. Elle apprendra après la guerre leur sort tragique, les circonstances de la déportation séparée des parents et des enfants.

 

R. Stopnicky
R. Stopnicky

            À l’hôpital d’abord
            "Mes parents et mes sœurs ont été arrêtées ensemble, à Salles le 18 juillet 1942 par la police française. Mais les Allemands ne voulaient pas des enfants. Ils ont fait hospitaliser Nelly et Rachel à l’hôpital des enfants malades de Bordeaux. La dame qui logeait ma famille à Salles est allée les chercher et les a gardées en pension. Maman lui avait écrit du camp de Mérignac pour lui demander ce service…"

            Thérèse Stopnicki conserve précieusement ce mot, une feuille arrachée d’un carnet, couverte d’une écriture presque illisible, au crayon. Le dernier courrier de sa mère.
Les enfants resteront chez la logeuse jusqu’au 26 août 1942. Ce jour-là la logeuse reçoit l’ordre de les confier à l’administration de la préfecture de Bordeaux. Elle croit qu’il s’agit d’un regroupement pour un départ en colonie de vacances. Quelques jours plus tard elle apprend que la jeune femme qui avait pris en charge Nelly et Rachel s’était donné la mort, ne supportant pas l’horreur faite aux enfants.
En fait, Nelly et Rachel ont été cherchées parce que l’administration de la préfecture de Bordeaux avait besoin de deux noms pour compléter un convoi à destination de Drancy puis Auschwitz. Dans la liste de ce convoi - l’une des pièces du procès Papon - Nelly et Rachel figurent tout à la fin.

            Une délivrance personnelle
En décembre 1990, sur TF1, Patrick Poivre d’Arvor avait présenté une première fois à Maurice Papon les photos de Nelly et Rachel. "Je les ai envoyées là-bas pour réunir la famille", dira alors ce dernier. Bouleversée par cette présentation des faits, Thérèse Stopnicki a écrit à Patrick Poivre d’Arvor.

            Au début de cette année, Paul Amar, dans son émission "Le monde de Léa" présente une nouvelle fois la photo à Maurice Papon qui l’a lancée à l’autre bout de la table, excédé.

            Le procès Papon vient-il trop tard? "Bien sûr, estime Thérèse Stopnicki, plus de 50 ans après les faits, beaucoup d’acteurs, de responsables, de complices des crimes, beaucoup de témoins sont morts. Bousquet et le préfet de Gironde ne sont plus. Et l’on a peut-être eu le temps aussi de faire disparaître des documents compromettants. Mais il n’est jamais trop tard pour faire éclater la vérité."
Pour Thérèse Stopnicki, le procès Papon agira comme une délivrance personnelle.

            Une vie à l’envers
            "Pendant longtemps je n’ai pas pu voir de petits enfants. Je pensais chaque fois "Mon Dieu que va-t-il leur arriver, ils sont en danger". Je n’ai pas fondé de foyer. Je me suis occupée de mes grands-parents, de ma tante. J’ai eu une vie à l’envers"”

            Les cauchemars qu’elle a traversés, les fols espoirs qui l’ont longtemps habitée, qu’un jour ses sœurs viendront sonner à sa porte, n’ont cependant pas entamé sa confiance en l’humanité.
Aujourd’hui, Thérèse Stopnicki, qui a été à l’ouverture du procès Papon et y retournera encore avant le verdict, veut parler "pour ceux et celles qui sont partis en fumée", témoigner dans les écoles, par exemple, à l’invitation d’enseignants, afin que nul n’oublie et que d’une génération à l’autre, tout le monde sache.

            "Les jeunes, Dieu merci, sont très réceptifs au message. Mais voyez autour de vous, pour qui les gens votent, les jeux de mots significatifs, les stratégies pour le pouvoir. Il y a des gens, trop de gens, qui nient l’Histoire".
Est-ce seulement par manque d’information?

            Lettre de Charles Stopnicki au maire de Salles

Charles Stopnicki
Camp du Beau Désert
Camp des étrangers – baraquement C
Mérignac (Gironde

       Monsieur le Maire de Salles (Gironde)

       Mérignac le 16.7.1942

       Monsieur le Maire!
       Je viens vous faire savoir que je suis au camp et on m’a enlevé les 2 enfants. Elles sont à l’Hôpital des enfants.

       Monsieur le Maire, je voudrais vous demander un grand service. Ce service, c’est de placer mes deux petits enfants chez des braves gens. Si oui, Monsieur le Maire, écrivez-moi toutes les conditions que ces braves gens demandent. Vous comprenez, Monsieur le Maire. Vous voyez notre situation. Nous sommes de simples ouvriers. Alors, Monsieur le Maire, je vous donne toute confiance pour placer mes deux enfants.

       Monsieur le Maire, j’ai un autre service à vous demander, c’est d’ouvrir mon appartement dont vous détenez la clé, c’est pour m’envoyer ce peu de ravitaillement que j’ai à la maison. C’est le pain et les autres affaires que j’ai laissées sur la table, ainsi que les pots de confiture qui se trouvent tout en haut à côté de la cheminée, avec mon appareil Gilette avec les lames qui se trouvent à côté sur le petit buffet tout en haut.

       Monsieur le Maire, je n’ai plus rien à vous écrire.
       En vous remerciant pour le dérangement, recevez mes sincères salutations

       Signé Ch. Stopnicki

 

Lettre de Madame Stopnicki à la famille Descat

       Chère famille Descat,

       Je suis arrivée ce matin au camp de Mérignac avec mon mari.
       Nelly et Lucienne ne sont pas avec nous; on les a gardées à Bordeaux.
       Ils veulent envoyer les enfants à Bachete-Salles.
       Mais je ne sais pas à quelle personne les confier, à vous Mme Descat ou chez Mme X
       Et après, on pourrait peut-être s’arranger pour envoyer les enfants chez ma sœur en zone libre.

       J’ai laissé sur la table un panier avec du ravitaillement. Si vous pouvez, vous serez bien aimable de me faire un paquet et me l’envoyer, et moi, je payerai les frais. La confiture et le sucre, vous pourrez me les envoyer petit à petit.
       Vous serez bien aimable de garder toutes mes affaires.
       Affectueuses pensées pour tout le monde

Signé

Les clés se trouvent à la mairie chez Melle Denèse.
Et je vous prie de bien vouloir nous répondre aussitôt.

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