Lévy Auguste, Germaine, Simone, Éliane, Ninon

Interview de Madame Éliane Picard, née Lévy, dans L’Alsace du 27 janvier 2005, par Julie Keihin.

Eliane Levy

            En 1944, Éliane Picard a 19 ans. Le 5 mai, un jeudi, elle voit une traction avant de la Gestapo s’arrêter devant l’immeuble de Toulouse où elle est réfugiée avec sa famille depuis mai 1940. Tandis que son frère de 13 ans réussit à s’enfuir, Éliane est emmenée, avec son père, sa mère et sa sœur de 12 ans, au camp de rassemblement de Drancy. Le 20 mai, ils sont embarqués, avec des milliers d’autres juifs, dans des wagons à bestiaux.

Auguste Levy

            "On n’avait aucune idée où ils nous emmenaient. On savait grâce à Radio Londres qu’il se passait des choses terribles en Europe de l’Est. Mais un esprit humain peut-il imaginer ce qui nous attendait?"
Quatre jours plus tard, Éliane se retrouve face à celui qu’elle apprendra plus tard être le Dr Mengele, un médecin nazi rendu célèbre par ses expériences sur les prisonniers.
"“Il était entouré de deux SS, et il triait les arrivants. Ma mère et ma sœur ont été envoyées vers la porte de droite et moi vers celle de gauche. C’est la dernière fois que je les ai vues."

Germaine Levy


Une fois dans le camp, Éliane demande où sont passés ses parents. On lui montre quatre grandes cheminées qui crachent de la fumée, en lui parlant de "Himmelkommando" (commando du ciel)
            "D’abord je me suis dit que ces femmes étaient devenues folles. Mais elles avaient raison. À partir de ce moment-là j’ai compris ce qui se passait."
Aujourd’hui, Éliane Picard a 80 ans. Dans son regard se lisent encore la force, la volonté, la rage de vivre qui lui ont permis de résister au régime industrialisé d’extermination imaginé et mis en œuvre par les nazis.
            "J’étais jeune, je me disais: "Ils veulent nous tuer, mais ils n’y arriveront pas, ils ne m’auront pas au tournant. C’est la haine qui m’a portée."

Les enfants Levy

Éliane n’a jamais pensé à faire comme les femmes qui, ayant perdu tout espoir, se jetaient contre les clôtures électrifiées. Elle dit avoir eu de la chance, beaucoup de chance.
            "Toute la vie est faite de chance et de hasard, vous prenez la bonne porte ou la mauvaise…"
Elle affirme aussi devoir sa survie à la solidarité qui existait entre les prisonnières. Alors qu’elle est atteinte du typhus, ses camarades la nourrissent et la cachent pour lui éviter le travail à l’extérieur, dans le froid.
            "Au bout d’un mois, la chef de block m’a donné une aspirine. J’ai demandé: "Pourquoi moi?"  Elle m’a répondu :"J’ai fait un choix"… Je n’étais pas plus grosse, plus forte ou plus maligne que les autres. Sans la solidarité je n’aurais pas survécu. Car dans les camps, nous n’étions pas des êtres humains, nous étions des Stücke (des morceaux)."
Depuis une vingtaine d’années, Éliane Picard raconte. Dans les collèges et les lycées surtout, elle décrit la manière dont les nazis, "avec leur esprit tordu" inventaient chaque jour de nouvelles formes d’humiliation et d’avilissement.          
            "D’autres ont écrit, moi je parle. Nous ne sommes plus très nombreux à pouvoir le faire. Et il y a encore tant de choses qu’on ne dit pas…"

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