Laurenti Marguerite et Georges

Information transmise par Edith Kaufmann, Nice, parente de la famille Kaufmann et Laurenti

Extrait de  "l’Ergot" revue niçoise, en mai 1946:

L’heure de la Justice et du Châtiment

La Panthère Rouge
par T.Zuccarelli

            Un grand père inconsolable
C’est bien le cas de M. Laurenti, contrôleur principal de la Garantie, qui, avec une émotion bien légitime, à peine contenue, nous fait le récit des heures dramatiques qu’il a vécues en février 1944. Écoutez-le:
"Ma belle-fille, née Kaufmann Marguerite, et mon petit-fils Georges, âgé de 3 ans, ont été arrêtés par la Gestapo à leur domicile, 100 avenue de Candia, puis déportés, torturés et exterminés au camp de concentration d’Auschwitz.


Georges et Marguerite Laurenti

Le père et la mère de ma belle-fille, les époux Kaufmann, ont subi l’horrible sort réservé aux Israélites.

Marie et Moise Kaufmann


Mon fils, Joseph Laurenti, père du petit Georges, qui fut grièvement blessé en juin 1940 et, à cette occasion, fut cité à l’ordre de la division, dut partir au Sénégal.
C’est pendant cette séparation que devait se produire le drame: le Boche assassin et voleur devait lui ravir sa femme, son petit qu’il aimait tant!...
            Le sort, voyez-vous, est terrible, cruel !

À l’Hermitage
Le lendemain de cette arrestation odieuse, je me suis rendu à l’Hôtel Hermitage, si tristement célèbre, afin d’essayer de sauver ce pauvre petit innocent.
Je demande à voir la secrétaire générale, Alice Mackert, dite "Alice-la-Blonde" :
Je fus reçu froidement. J’exposais que le petit était de père français et aryen, qu’il était baptisé à l’église Saint-Étienne, qu’il n’était pas circoncis.
"Impossible de vous rendre l’enfant. Les lois raciales doivent s’appliquer même aux enfants de demi-sang juif. Je regrette", ajoute l’horrible mégère.

            Alice se met à table. Elle avoue son crime.

Linographie crée par le journal niçois pour illustrer "la panthère"

J’insistais, essayant de fléchir cette créature au cœur de pierre; cette femme, voyez-vous, qui avait une influence considérable, décisive à la Gestapo.
Alors, levant les bras au ciel, et les laissant retomber sur son bureau dictatorial:
"Et puis, dit-elle, j’assistais à l’arrestation ; en voyant l’enfant dans le berceau, il avait bien le faciès d’un juif.
            Je m’oppose formellement à vous le rendre, étant sur ce point d’accord avec mes inspecteurs."
"Mes inspecteurs !". Vous sentez dans ces mots et ces mots implacables, la puissance, le pouvoir redoutable d’Alice Mackert, l’âme pétrie de boue et d’ordure !
Ainsi donc, elle avouait elle-même avoir pris part à l’arrestation de la famille Kaufmann et avoir même dirigé cette opération criminelle. Et ces aveux cyniques sont confirmés par les témoignages formels des voisins de palier de l’appartement des époux Kaufmann, M. et Mme Pierron, qui assistèrent impuissants à la scène dramatique.

            À l’Hôtel Excelsior
Encore un lieu sinistre où furent rassemblés les familles israélites avant le départ pour les camps de la mort. C’est là qu’on interrogeait, qu’on torturait, qu’on tuait. Car il y a eu des cadavres, des suicides. Il y a eu des permis d’inhumer, donnés par le 4ème arrondissement.
Les voisins de l’Excelsior purent, pendant le jour, la nuit, entendre les cris poussés par les malheureux, cris de douleur… appels déchirants.
C’est là que la famille Kaufmann devait rester jusqu’au 27 février.

Mme et M. Laurenti s’en allèrent le lendemain de leur visite à l’Hermitage voir si, à l’Excelsior, ils pouvaient obtenir la grâce du petit Georges. Ils y furent reçus par un petit homme trapu, à la figure bestiale: l’interprète dévoué de la Gestapo : Gilardo Besati.

            "Inutile d’insister, allez-vous en, ici ce n’est pas une agence de police."
Telle fut la réponse sèche et brutale de celui qui, chef d’équipe d’arrestations, fut surnommé "Gérard-le-Tueur".
Comme la veille, Mme et M. Laurenti s’en retournèrent, le cœur brisé, anéantis par la douleur.

            À Drancy
            L’irréparable se produisait fin février 1944 : les pauvres parents recevaient quelques mots griffonnés au crayon. Écoutez, lisez plutôt l’appel de cette mère qui veut sauver son enfant :

            "Vendredi, février 1944
            Mes chers Laurenti, beau-père et belle-mère,
            Pour sauver et me laisser vivre et sortir éventuellement avec mon Georges du camp d’internement (dans le plus bref délai) il faut que je puisse justifier et fournir les certificats suivants : acte de baptême du père de notre enfant, que Joseph Laurenti est aryen; 2° le même acte attestant que sa grand’mère est baptisée et aryenne d’origine ; 3° l’acte de baptême du "petit".
            De Georges, bons baisers de notre chéri qui joue toute la journée, vous embrasse. Mes parents se joignent à vous par leurs pensées et souhaits.
Marguerite Laurenti
Judenlager, Drancy"

            Aussitôt on fit les démarches… mais la famille Laurenti se heurta partout à la mauvaise volonté des uns, à l’indifférence et intransigeance des autres.

            Auschwitz
            Le 7 mars 1944, la famille Kaufmann fut transportée en Haute Silésie, à Auschwitz d’où elle ne devait plus revenir…
Il n’y a plus guère d’espoir maintenant, nous dit M. Laurenti. Dont la douleur est toujours très vive.
"Voyez-vous, dit-il, le seul survivant des Kaufmann est le fils … qui vient de revenir. C’est un brave qui fut cité à l’ordre du jour en juin 1940 comme chef de section. Fait prisonnier, il s’évada d’Allemagne. Il commanda un groupe de résistants tchécoslovaques. A son retour au Chalet des Roses, il trouve son appartement saccagé et apprend que tous les siens ont été exterminés dans un camp de la Mort."

            Le Chalet des Roses. Le récit du crime.
            Interrogé, le voisin de palier de l’appartement des Kaufmann, M. Pierron, s’exprime ainsi :
"La veille de l’arrestation, dans le courant de l’après-midi, je vis une voiture rôdant dans le quartier qui monta plus haut que chez moi, aux alentours du Chalet des Roses. Les occupants de l’auto demandèrent des renseignements aux propriétaires du Chalet, MM. Voisine et Ardilliers. Ils repartirent ensuite sans plus rien faire.
            Le jour suivant, vers huit heures du soir, alors que je me trouvais attablé dans ma cuisine, ayant négligé de fermer ma porte d’entrée, trois individus et une femme grande et blonde firent irruption devant moi, me demandant brutalement s’ils se trouvaient bien chez les "Kaufmann". Je leur fis remarquer que c’était une façon plutôt grossière de s’adresser aux gens. Sur quoi, l’un d’eux sortit un revolver et m’exhiba une plaque "Police allemande"; il parlait d’ailleurs le français avec un accent allemand prononcé. Il était grand, 1 m 75 au moins, châtain foncé, aux yeux gris très clair. La femme blonde lui intima l’ordre de redescendre dans la voiture ; il obéit aussitôt.
            Les autres se retirèrent et moi, comprenant ce qu’ils allaient faire chez les Kaufmann, j’entrebâillais la porte pour voir ce qui se passerait.
            En effet, j’entendis peu après des cris, des pleurs et je vis ressortir toute la famille que les individus firent monter dans leur voiture.
            J’essayais d’intervenir pour garder au moins le bébé de 26mois. Je fus menacé et je dus me retirer."

 

            Le pillage
            "Le lendemain de l’arrestation, je vis un nommé Balentfly, agent de la Gestapo, avec quelques individus, mettre à sac l’appartement des Kaufmann et emporter ce qu’il y avait de plus précieux. Je l’ai vu brisant à coup de talon une cassette qui contenait une forte somme constituant le pécule que M. Kaufmann réservait à son fils prisonnier."
Ainsi s’achève la déposition de M. Pierron, qui fit partie de la police française.

            Alice-la-Blonde
            Alice-la-Blonde va bientôt comparaître devant le Tribunal militaire de la 9ème Région. Elle attend aux Baumettes, à Marseille, paraît-il, la clémence des juges militaires, car peut-être aura-t-elle fait double jeu ! On ne sait jamais : il ne faut pas s’étonner de rien ! Il y a des résistants même chez les criminels!

            À la justice militaire
            Au nom des morts, au nom des rescapés, vous qui allez juger, sans crainte, sans haine, sans faiblesse, nous vous adressons en toute confiance, à vous qui allez décider, demain, du sort de "la Panthère Rouge".
Dimanche 30 juin, à Paris, nous avons assisté à une bien triste cérémonie:
Nous avons accompagné jusqu’au Père-Lachaise un immense fourgon recouvert du drapeau tricolore et de fleurs. Ce fourgon contenait les cendres ramenées de fours crématoires d’Auschwitz, de ce camp d’extermination d’où tant de malheureux ne sont pas revenus.
Écoutez la voix de ces petits enfants innocents, écoutez les cris de tous ces martyrs qui furent envoyés à la torture et à la mort par Alice-la-Blonde et ses complices.

            QUE JUSTICE SOIT FAITE !

 

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