Haenel Théodore

Article de Nicolas Roquejoffre publié dans les Dernières Nouvelles d’Alsace

Un camp de concentration sur une île anglo-normande
            Juif alsacien, Théodore Haenel a été raflé en 1943 par la Gestapo et envoyé sur l’île anglo-normande d’Aurigny où les Allemands avaient établi un camp de concentration. Son père et sa grande soeur ont été gazés à Auschwitz.

T. Haenel            Aucune larme n’est venue perturber le récit de Théodore Haenel dont la souffrance, pourtant perceptible, transparaît difficilement. Si cet Alsacien, originaire de Weiterswiller et âgé de 82 ans retient son émotion, celle-ci pourtant se décèle quand il évoque la rafle de mars 1944 organisée par les Allemands dans l’est de la France.
Ses parents, sa tante et quatre de ses cinq frères et sœurs s’étaient installés à Gérardmer depuis 1940. "La population locale nous était plutôt favorable. S’il y avait des collabos, on les trouvait plutôt chez les industriels qui cherchaient à travailler avec l’occupant."

            À l’aube du printemps 44, la Gestapo embarque son père, Simon, Simon Haenelet sa grande sœur Nelly. Nelly Haenel

Par miracle, le reste de la famille échappe aux griffes des nazis, grâce à un ancien officier français qui prend le risque de les cacher. "Ils ont réussi à gagner Le Mans sous une nouvelle identité et n’ont plus été inquiétés."
Internés à Drancy, Simon et Nelly font partie des 1500 juifs du convoi 71 qui seront exterminés à Auschwitz. Les deux Alsaciens ont d’ailleurs été gazés peu de temps après leur arrivée en Pologne.

            Théodore Haenel n’a pas vécu cet épisode douloureux. La Gestapo l’avait arrêté plus tôt, en août 1943 à Épinal-88. Et contrairement à la majorité des israélites français déportés, il n’a pas pris le chemin de l’Europe de l’est mais celui d’une île anglo-normande, Aurigny, occupée dès 1940.

Humiliations quotidiennes
            Sur ce bout de terre, les Allemands avaient construit un camp de concentration rattaché administrativement à Neuengamme. Ce kommando était composé de milliers de Russes, de républicain espagnols, de Nords-Africains et de Français dont plusieurs centaines de "demi-juifs", vocable nazi pour les conjoins d’aryens. "Il y avait aussi une cinquantaine de jeunes juifs comme moi qui venaient de Lorraine ou de la région parisienne. En réalité, je n’ai jamais compris pourquoi nous n’avons pas été déportés à Auschwitz."
Aurigny n’a rien à envier aux autres camps nazis. Le régime concentrationnaire est inhumain, les humiliations quotidiennes. "On était bastonné par les SS qui hurlaient continuellement. On travaillait 12 à 14 heures par jour à faire des bunkers ou des plateformes d’artillerie lourde." La nourriture se résume à un morceau de pain et de la soupe claire.     
            "Sur l’île, l’eau pure était réservée aux Allemands. Alors, on devait faire bouillir de l’eau saumâtre. On dormait assis. Chaque nuit, des régiments de rats voraces envahissaient le baraquement." Les SS sont particulièrement sadiques avec les Russes qui meurent par centaines dans des conditions atroces. N’ayant pas de chambre à gaz ni de crématoire, les Allemands avaient prévu de transformer un vaste tunnel en tombeau vivant pour les déportés en cas d’invasion alliée.

            Le 7 mai 1944, l’île est évacuée. "À Cherbourg, on nous a embarqués dans des wagons à bestiaux où l’on est resté dix jours et dix nuits. On crevait de faim et de soif." Bombardements obligent, le train, qui devait rejoindre Neuengamme, stoppe à Hazebrouk. Théodore Haenel est réquisitionné pour déterrer des bombes non explosées sur les plages de la mer du Nord. De cette période, il garde le souvenir d’une étrange rencontre avec un Alsacien, portant l’uniforme ennemi. "Avec un autre prisonnier, on a murmuré ensemble "Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine". Et puis on a chialé."

            Fin août, Théodore Haenel s’échappe du camp, se réfugie trois jours dans une maison à l’abandon puis voit avec soulagement l’arrivée des troupes canadiennes. Il retrouve au Mans une mère qui le croyait mort. "Elle avait encore l’espoir de revoir mon père…"

            Il s’engagera dans l’armée française le 1er octobre 1944.

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