Bernheim Marcel

Témoignage de Gabrielle Weill-Bernheim, sœur de Marcel Bernheim

            Mon frère Marcel est né à Colmar le 22 août 1922.
Marcel BernheimAvant la guerre, il vivait à Strasbourg, où il travaillait comme contremaître chez notre oncle Jacques Bernheim, qui possédait l’usine de jouets "L’Atméga".
Au début de la guerre, l’usine a été évacuée à Orléans où elle a continué de fonctionner. Plus tard, l’usine a été aryanisée et Marcel a rejoint mes parents.
Mes parents ont été expulsés de Colmar à l’arrivée des Allemands, d’abord rassemblés à l’hôpital psychiatrique de Rouffach, d’où ils ont été chargés sur des camions et transportés vers la ligne de démarcation. Ils ont été abandonnés sur un pré près de Dôle. Ils ont été ensuite pris en charge par l’organisme officiel qui s’occupait des réfugiés d’Alsace. Ils ont habité à Ruffey-sur-Seille dans le Jura. Marcel a trouvé du travail comme ouvrier agricole à Villevieux. Moi-même je suis allée habiter chez une tante à Dieulefit dans la Drôme. J’y ai travaillé dans une maison d’enfants, l’École de Beauvallon, tenue par trois dames protestantes, Marguerite Soubeyran, Catherine Krafft et Simone Monnier. L’école a abrité des enfants juifs confiés par l’OSE. Un jour, trois de ces enfants ont été raflés par la milice. Les directrices sont allées à Lyon et ont réussi à reprendre ces enfants et à les cacher chez des paysans dans les parages de Dieulefit. Leurs noms figurent dans l’Allée des Justes au Yad Vachem.
En 1943, Marcel a décidé de rejoindre les maquis de la Drôme, et dans ce but, est venu me rendre visite. Il voulut d’abord retourner chez mes parents. C’est dans le train de Lyon qu’il a été arrêté et emprisonné, d’abord au fort de Montluc à Lyon, puis à Drancy.
Monsieur Miserey, l’agriculteur chez qui Marcel travaillait, a essayé sans succès de le faire libérer, en arguant de la nécessité de l’avoir comme main d’œuvre. La copie de sa démarche nous est restée:

 

Villevieux le 14 juin 1943

       M. Jean Miserey
       A Villevieux
       A Monsieur le Préfet du Jura
       Lons-le-Saunier

       Monsieur le Préfet,

   Pour les raisons motivées ci-dessous j’ai l’honneur de soumettre à votre Haute-Bienveillance le cas suivant en espérant qu’il vous sera possible d’intervenir et d’obtenir la libération de mon commis Marcel Bernheim.
   Mon commis M. Bernheim, né le 24-8-1922 à Colmar (H-R) a eu 8 jours de vacances payées du 1er au 9 juin 1943. Pendant ce temps il a reçu une invitation pour se présenter au bureau de recensement de la classe 42 où il a été affecté à mon exploitation de Villevieux.
   Après l’expiration de ses vacances Monsieur Marcel Bernheim n’a pas rejoint son lieu de travail. La mairie de Villevieux m’informe ce jour qu’il a été interné au Camp de Drancy sans motif connu.
   En vue de la pauvreté de la main-d’œuvre qualifiée, la présence de mon commis Marcel habitué au train de ma culture me sera d’un besoin urgent.
   Dans l’espoir que vous voudrez bien examiner ma demande avec bienveillance et qu’il vous sera possible d’obtenir la libération de mon commis, je vous présente, Monsieur le Préfet, l’expression de mon profond respect.
       Signature

   Je certifie que les déclarations de M. Miserey sont exactes. Je donne mon avis favorable.
       Le Maire

 

De Drancy, il me reste deux lettres de Marcel à nos parents :

 

Expéditeur : Matricule 21814, Marcel Bernheim, Escalier 21, chambre 4, Camp de Drancy, Seine.

Mes chers parents,

Je suis en bonne santé au camp de Drancy.
Rassurez vous, tout va bien et je ne me plains pas. Vous aurez des étiquettes pour m’envoyer chaque semaine 1 colis par chemin de fer (colis express) et 1 valise de linge. Si vous arrivez à m’envoyer 1 colis par semaine tout va bien. Faites vous aider par Jean Miserey et par Cornet et par Douceau. Ne mettez jamais ni tabac ni alcool. C’est interdit et je m’en passe très bien. Si vous pouvez, expédiez moi du pain, des légumes secs de toutes sortes que je ferai cuire ici, du beurre, du fromage, de la confiture, de la graisse de cochon (demander Cornet), conserves en tous genres, des pâtes et surtout des œufs durs. Si vous n’avez rien d’autre mettez des carottes, pommes de terre et légumes frais.
Mettez à l’intérieur du colis toujours votre adresse et la mienne dans le cas où l’étiquette se perd dessus. Les étiquettes des 2 premiers colis sont jointes à cette lettre ; j’écrirai de nouveau dans 15 jours et vous aurez 2 nouvelles étiquettes. Vous aurez 1 carte pour m’écrire tous les 15 jours.
Chaque colis peut peser 5 kg. Écrivez très lisiblement l’adresse. Collez toujours bien les étiquettes et regardez si elles sont bien remplies. Que Gaby vous renvoie toutes mes affaires. Elle a 1 kg de sucre à moi là-bas. Envoyez-le moi aussi. Surtout ne perdez pas la Tête, bon courage et tâchez de m’envoyer régulièrement mes colis, n’oubliez pas de les faire partir par colis express afin qu’ils me parviennent rapidement. Lolo Dreyfus et cousin Aaron sont également ici et j’ai rencontré un tas de monde que je connais. On n’a pas le temps de s’ennuyer. Si vous pouvez avoir du lard, envoyez le cuit, il se conservera. Des saucisses si vous en trouvez aussi. Je suis désolé de tous les nouveaux ennuis que je vous fais mais hélas…
Soyez mille fois embrassés par votre fils

Marcel

Lettre datée du 25.6.1943:

Mes chers Parents,

J’ai bien reçu votre carte qui m’annonce le 1er colis. Je pense l’avoir demain samedi. J’en suis bien content. Le poids du colis que je vous ai indiqué est exact, ils peuvent même être plus lourds de 1 ou 2 kg, on ne dit rien ici. Il se peut que je sois prochainement affecté à un camp de travail dans le nord de la France. Tant mieux, car là-bas on a du travail et on est bien nourri. Si cela devait arriver, je ne pourrais pas vous écrire pendant un certain temps mais il ne faudra pas vous inquiéter, je serai là-bas bien mieux qu’ici. Dès que j’aurai mon bleu de travail, je vous renverrai mon complet neuf et mes chemises blanches. Vous aurez le droit de m’envoyer tous les 15 jours du linge. Je vous avertirai encore comment. Surtout ne faites pas de frais inutiles, ce qu’il me faut surtout, c’est du pain, des œufs, un peu de graisse pour cuire, et si vous pouvez, du fromage et du beurre, seulement si vous en avez. Envoyez moi du sucre et des choses nourrissantes qui supportent quelques jours de voyage. Le moral est très bon et surtout ne vous faites pas du souci pour moi. Tout le monde m’aide ici et j’ai de bons amis, entre autre le rabbin de Lyon Mr Schönberg, arrêté en même temps que moi.
Si Gaby peut vous aider en quelque chose pour moi, qu’elle vous l’envoie pour le joindre à mes colis ; des conserves, par exemple du lait condensé. Écrivez lui de ma part et embrassez la bien. Nous nous reverrons tous bientôt. Il ne faut ni se faire des reproches, ni en faire à d’autres, la fatalité en a voulu ainsi et D.ieu nous sortira de là une fois de plus. Dis moi dans ta prochaine carte si Mr Miserey et les voisins t’aident pour mes colis ; je l’espère. Surtout n’achetez pas de choses qui sont chères, cela ne me ferait pas plaisir ; il faut être économe. Vous avez le droit de m’envoyer un mandat de 50 F tous les mois. Envoyez moi donc 1 mandat pour le mois de juin et d’ici 8 jours un 2ème mandat pour le mois de juillet. Cette somme sert à payer les fais de correspondance, coiffeur, etc… N’oubliez pas que les colis peuvent faire 1 et 2 kg de plus que ce que je vous ai indiqué. Faites de solides paquets. Je vous renverrai les emballages vides en même temps que le linge. S’il fait chaud, envoyez des œufs frais au lieu des œufs durs.

Soyez mille fois embrassés de votre fils Marcel.

Grüss und Küss Dein Marcel

Ajouts sur les côtés de la lettre, après réception du colis :

"Le pain était un peu moisi. Le lard est très bon. Cuisez les œufs dans l’eau salée bien durs.
Expédiez toujours par colis EXPRESS tous les lundi.
Reçu colis trop petit. Envoyez 3-4-kg en plus.
Si possible des biscottes à la place du pain"

Marcel a été déporté à Auschwitz le 18 juillet 1943 par le convoi n° 57.

Après la séquestration de son entreprise, l’oncle Jacques et sa famille se sont réfugiés dans le midi. Il a été déporté ainsi que ma tante Suzanne, et mes cousins Nicole et Gaston, ainsi que des grands parents et oncles et tantes.

Seule Nicole est revenue d’Auschwitz.
Elle a émigré aux Etats Unis chez une parente.

 

 

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