André ARON

Ceci est une histoire peu commune et très triste pour toute notre famille : la vie de notre oncle André ARON.
Cette vie exemplaire vous est racontée par
Monsieur Auguste DEBRA, Officier de Marine à la retraite.
Il a été chargé il y a quelques années par la délégation du Souvenir Français du Bas-Rhin, en Alsace Bossue, de recenser les hommes qui ont honoré la France. Pour notre famille, André ARON était quelqu'un des très gentil, d'une grande générosité, et d'une grande simplicité. Son patriotisme était extrême comme tous ces Juifs d'ALsace-Lorraine qui aimaient la France par-dessus tout.

Francine WOLFF, Metz
Pierre BLOCH, Lixheim

André ARON est né à Sarre-Union le 22 août 1909, il était le quatrième d'une famille de six enfants.
Son père Myrthil ARON, éleveur et marchand de bestiaux, est décédé en 1924, laissant à sa veuve Julie née WEILL la tâche d'élever six jeunes enfants. La famille ARON est une très ancienne famille israélite alsacienne qui a ses racines à Sarre-Union depuis plusieurs siècles elle a toujours joui de l'estime et du respect de tous. Leur grand-père, Cerf ARON, né à Sarre-Union en 1826, a fait les campagnes de Napoléon III, on le trouve chasseur au 16e Régiment d'Infanterie Légère à Constantine en Algérie le 22 décembre 1853.

André ARONAprès une bonne scolarité au Collège de Sarre-Union, André ARON entre comme interne au Lycée Henri Poincaré de Nancy à onze ans.
Dans cette école, André remporte chaque année des premiers prix et de nombreuses médailles, ce qui lui valait des Bourses d'Etat. En 1929, il prépare le concours d'entrée à l'Ecole Polytechnique au Lycée Louis le Grand à Paris.
Reçu parmi les premiers au concours d'entrée de cette grande école, il fréquente cet établissement de 1930 à 1932.
Sa classification à la sortie de Polytechnique le désigne pour entrer à l'Ecole d'Application de l'Artillerie Navale. Nommé ingénieur de l'artillerie navale de 3e classe le 1er octobre 1932, André fréquente cette école d'application en 1933 et 1934.
Promu ingénieur de l'artillerie navale de 2ème classe le 1er octobre 1934, André embarque en 1935 sur le croiseur “Dupleix”. C'est un navire de dix mille tonnes de déplacement en charge, armé de quatre tourelles doubles de 203 mm, qui venait d'entrer en service.
En 1936 et 1937, on le trouve dans la Fonderie Nationale de Ruelle où sont réalisées les pièces de l'artillerie “Marine”. Promu ingénieur de l'artillerie navale de 1ère classe le 1er octobre 1937, André embarque en 1938 sur le croiseur “Pluton”, un navire de huit mille tonnes de déplacement en charge. C'est un bâtiment mouilleur de mines, entré en service précédemment.

Les affectations d'André sur ces deux navires ont pour but de superviser la mise au point de l'armement de ces bâtiments.
Puis il retourne à la Fonderie Nationale de Ruelle fin 1938 et y reste jusqu'à juin 1940. A cette époque, on élaborait dans cet établissement les tourelles quadruples de 330 mm destinées aux croiseurs de bataille “Dunkerque” et “Strasbourg” de trente-cinq mille tonnes de déplacement en charge. Cet armement devait conduire la fonderie à réaliser les tourelles quadruples de 380 mm pour les croiseurs de bataille cuirassés “Richelieu” et “Jean Bart”, navires de quarante-huit mille tonnes de déplacement en charge qui devaient entrer en service en 1940. Les tourelles de cette grosse artillerie étaient placées l'une derrière l'autre sur l'avant des navires.

André ARON faisait partie de cette équipe d'ingénieurs de l'artillerie navale qui avait développé cet armement admiré et envié par toutes les Marines du monde. Le “Richelieu”, entré à Dakar en juin 1940, pouvait débiter une salve de quatre obus de 380 mm, dont chacun pesait près d'une tonne, à une distance de 35 km toutes les cinquante secondes.

Lors de la débâcle de l'armée de terre en France en juin 1940, on fait sortir précipitemment le “Jean Bart”, des chantiers de Saint-Nazaire le 19 juin 1940, afin de soustraire ce bâtiment aux bombardements aériens et aussi à la capture par les blindés ennemis tout proches. André ARON est alors envoyé à Casablanca où ce navire arrivre le 22 juin 1940. En effet, l'Amirauté française a décidé l'achèvement du “Jean-Bart” dans ce port et André, porteur de la documentation secrète de l'armement de ce navire, envisage même, paraît-il, de construire une fonderie au Maroc.

Par la suite, à Casablanca, André se trouve atteint par la loi du 3 octobre 1940 du Gouvernement Pétain sur le Statut des Juifs et il est congédié de la Marine Nationale le 21 décembre 1940.
Cependant, le 5 mars 1942, exceptionnellement par convention, il est rappelé au Service de l'Amirauté française.
Peu après sa réintégration dans la Marine, André est envoyé en mission de Casablanca à Toulon. Le but de cette mission est un secret que le Centre d'Archives de l'Armement du Ministère de la Défense, conformément à la réglementation en vigueur, ne pourra communiquer qu'à 120 ans d'âge d'André ARON.

Il semble toutefois, que la mission consistait à donner les instructions techniques nécessaires pour le dynamitage de l'artillerie principale des navires de ligne “Dunkerque” et “Strasbourg” qui se trouvaient au mouillage à Toulon sous contrôle de la Commission d'Armistice. Il fallait, en cas d'intervention de l'occupant, éviter que ce système d'arme marine ne tombe entre les mains de l'ennemi qui pourrait, par la suite, être utilisé contre les Alliés.

André connaissait à fond ces armements, mais cette mission était pour lui très dangereuse en sa qualité de Juif.

Le 27 novembre 1942, les Allemands investissent le port de Toulon et la Flotte française qui stationnait dans cette base se saborde. Les tourelles quadruples de la grosse artillerie du “Dunkerque” et du “Strasbourg” sont hors de combat, ce qui a, probablement, sauvé la vie à beaucoup d'Alliés.

L'Allemagne nazie, informée de la personnalité d'André ARON le suit et l'arrêteà Lyon le 22 août 1943, puis l'interne dans les camps de Drancy, Auschwitz et Mauthausen.

Le 5 mai 1945, le camp de Mauthausen est libéré par les Américains et André a pu fêter la victoire des Alliés. Mais, très malade, il est envoyé au Sanatorium de Saint Blasien dans la Forêt-noire. C'est là que, après recherches, sa soeur Jeanne le retrouve le 4 juillet 1945.

Très faible, mais lucide, il a raconté, entre autres, que ses geôliers savaient quel était son métier et de ses connaissances techniques, et lui avaient proposé à plusieurs reprises, de le faire sortir du camp de concentration s'il acceptait de travailler pour eux, librement, dans leurs bureaux d'études techniques d'armements. Mais il a toujours refusé cette offre.

AronLe 6 juillet 1945, en présence de sa soeur, il entre dans le coma et s'éteint avec le sentiment d'avoir accompli son devoir. Le lendemain, 7 juillet 1945, André est enterré à Saint Basien avec les honneurs militaires dus à son rang par la Première Armée française.
Par la suite, son corps sera ramené à Sarre-Union et sa sépulture se trouve dans le cimetière israélite de son pays natal.
Déclaré “Mort pour la France” par l'Amirauté, une plaque en fonte, réalisée à la Fonderie Nationale de Ruelle, a été déposée sur sa tombe à Sarre-Union. André ARON a été promu Ingénieur Principal de l'artillerie navale, post-mortem, à compter du 15 avril 1943 : Décret du Président du Gouvernement provisoire de la République du 11juin 1946.

Et voilà l'histoire d'une vie pleine d'espérances d'un petit garçon de Sarre-Union. Une vie qui s'est terminée à l'âge de 36 ans, au début d'une grande carrière.

André ARON était enthousiaste et capable, honnête, généreux et bûcheur. Il était un grand patriote et faisait partie de cette jeunesse alsacienne qui avait vécu le retour glorieux de notre province à la France en 1918. Il était très attaché à la Marine Nationale de la France et à sa famille. Pendant ses vacances à Sarre-Union, il aimait retourner à la nature et travaillait dans les champs avec la famille.

En hommage à sa mémoire, l'Association des Anciens de la Marine de Sarre-Union a donné le nom de André Aron à la plage qu'elle avait aménagée rive droite, de la Sarre en amont du barrage établi sur cette rivière. L'inauguration a eu lieu le 29 juin 1952. Dans le cortège qui se rendait de l'Hôtel de Ville à la plage avaient pris place le capitaine de vaisseau commandant les forces maritimes françaises du Rhin et un détachement de fusiliers marins de Marine Strasbourg. L'auteur de cet article en avait pris le commandement.

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