L'histoire du camp d'Auschwitz 60 ans
après sa libération
par Alain KAHN (*)

60 ans après la libération du camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz, il est possible à la fois de bien connaître ce que fut ce camp et ce qu’il représente aujourd’hui.

Connaître les rouages qui ont permis sa création et son fonctionnement jusqu’à sa libération, permet de cibler l’énormité du projet nazi relatif à la solution finale de la question juive. A la lumière des éléments ainsi récoltés, du puzzle reconstitué, le devoir de mémoire prend tout son sens pour l’avenir. Il s’agit de ne pas oublier pour que jamais pareil engrenage ne puisse à nouveau s’enclencher.

Il n’est pas vain de savoir comment tous ces événements dramatiques ont évolué car ils permettent de répondre à ceux qui nient la réalité et à démontrer la manipulation des esprits qu’ils cherchent à imposer. Cette démarche conduit à donner toute la résonance nécessaire à la Shoah et à ce qu’elle doit représenter pour toutes les générations qui suivent celles qui ont connu l’époque au cours de laquelle ces événements se sont produits.

Abordons le sujet en essayant de répondre à trois questions essentielles :

  1. Comment Auschwitz a été possible ?
  2. Quelle a été la réalité d’Auschwitz de sa création jusqu’à sa libération ?
  3. Comment Auschwitz est devenu le symbole de la Shoah ?
I - Comment Auschwitz a-t-il été possible ?

Il faut rappeler ici que les choses sont allées très vite. Hitler est au pouvoir depuis 1933 et met méthodiquement en place le programme qu’il avait annoncé en 1925 dans Mein Kampf d’une façon très claire :

« Aucun d’eux [les peuples dominés par les Juifs] ne peut écarter cette main [celle des Juifs] de sa gorge autrement que par le glaive. Seule, la force rassemblée et concentrée d’une passion nationale peut, d’un sursaut,braver les menées internationales qui tendent à réduire les peuples en esclavage. Mais un tel geste ne saurait aller sans effusion de sang »

Il avait annoncé sa volonté de détruire le peuple juif, il s’y attache désormais en posant les jalons qui aboutiront à la «solution finale».

Dès 1933 il avait fait construire un premier camp de concentration à Dachau, en 1935 il fait promulguer les lois de Nuremberg qui font des juifs des parias de la société allemande. En 1938 eut lieu la fameuse Nuit de Cristal qui fut un véritable pogrom organisé au niveau d’un pays. Il expulse petit à petit les juifs d’Allemagne et des pays conquis. Hitler veut terroriser les juifs et le 30 janvier 1939 il annonce publiquement qu’il allait exterminer les juifs d’Europe.

Auschwitz
Les SA fomentent des milliers de pogroms puis, les Einsatzgruppen, fin 1939, deviennent les pires massacreurs que l’on peut imaginer. Ces groupes mobiles de tuerie suivent l’armée allemande en Russie et avec une violence inouïe abattent des populations juives devant des fosses communes. Ils vont massacrer ainsi un million de juifs. Par exemple en un jour, le jour de Kippour 1941, à Baby Yar, une forêt près de Kiev, plus de 30 000 juifs ont été massacrés de la sorte et ensevelis dans des fosses creusées au préalable.

Par ailleurs, Hitler avait décidé en 1940 de rassembler les juifs dans des ghettos tout en continuant à les parquer dans de nombreux camps de concentration. Il les rassemble en fait systématiquement pour leur régler leur sort. La machine infernale se met en place. Déjà les centaines de milliers de juifs meurent de faim, de faiblesse, d’épuisement en raison des travaux qu’on leur impose, en raison de leur statut d’esclave qui permet aux SS de les abattre pour un oui ou pour un non.

Pendant que les Einsatzgruppen poursuivent leurs épouvantables massacres en 1941, les nazis veulent aller plus loin, ils veulent tout faire pour atteindre leur sinistre objectif. Ces massacres prennent trop de temps et en plus ils sont voyants. Alors plutôt que de les abattre à bout portant avec un fusil mitrailleur, ils vont les faire rentrer dans un camion de la mort, un camion dans lequel ils vont être asphyxiés par les gaz d’un moteur diesel. Ils font aussi des essais de gazage en exterminant 70 000 malades mentaux. Dès la fin de l’année 1941, deux camps d’exterminations sont ouverts à Chelmno et à Belzec.

En janvier 1942, la conférence de Wannsee donne l’impulsion définitive à la mise en œuvre de la solution finale, à l’extermination des juifs à l’échelle du continent. Himmler et Heydrich exécutent la volonté de Hitler sans aucun état d’âme. Il faut le voir pour le croire, une annexe au compte rendu de cette réunion estime à 11 millions le nombre de juifs à exterminer pays par pays. Goebbels, un autre sbire du régime, écrit clairement ce qui suit dans son journal qui a été retrouvé :

« 14 février 1942 : le Führer a de nouveau exprimé sa détermination à nettoyer l'Europe des juifs, sans pitié. Il ne doit pas y avoir le moindre sentimentalisme émotif à ce sujet. Les juifs méritent la catastrophe qui a déjà commencé à les engloutir. Leur destruction accompagnera main dans la main la destruction de nos ennemis. Nous devons hâter ce processus avec une froide inflexibilité. [...]
27 mars 1942 : La procédure est assez barbare et ne saurait être décrite ici de façon plus précise. Il ne restera pas grand chose des juifs. Globalement, on peut dire qu'environ 60 pour cent d'entre eux devront être liquidés alors que 40 pour cent peuvent être utilisé pour le travail forcé. »
Goebbels, Journal traduit de la version anglaise : Lochner, The Goebbels Diaries, 1948, pp. 86, 147-148
C’est ainsi que d’autres camps d’extermination vont être créés. Il s’agit des camps d’extermination de Chelmno et Belzec comme nous l’avons déjà vu et ils ont été suivis par ceux de Sobibor, Treblinka et Majdanek ce dernier ayant été à l’origine un camp de concentration. D’ailleurs de nombreux camps de concentration étaient déjà dotés de chambres à gaz pour accélérer la cadence des exécutions.

Pourtant le bilan pour les nazis n’était pas satisfaisant et c’est pourquoi ils vont faire d’Auschwitz le principal et le plus vaste centre de mise à mort qu’ils auront construit. Rudolf Höss, le commandant du camp le dira lui-même dans ses mémoires rédigés après son procès et dans lesquels il détaille les propos qu’il a entendu de Himmler. On peut dire que le camp d’Auschwitz représente à lui seul le système concentrationnaire nazi et son histoire est tragiquement révélatrice à cet égard.

2 – La réalité d’Auschwitz

Nous pouvons maintenant examiner comment Auschwitz a été créé, comment le camp a fonctionné et comment il a été libéré.

A – Comment Auschwitz a-t-il été créé ?

Auschwitz se trouve en Pologne à 60 km de Cracovie. La Pologne ayant été annexée en 1939, le site d’Auschwitz fut choisi la même année pour son emplacement central en Europe aux yeux des nazis, pour les possibilités d’extension de la caserne constituant le noyau du camp et pour son accessibilité par le réseau ferré.

Le four crématoire d'Auschwitz
Himmler avait fait ce choix en sachant très bien où cela allait mener. L’ordre formel de fonder le camp est donné en avril 1940 et sa construction commence immédiatement. Le camp d’Auschwitz, qu’on appelle Auschwitz I, sera constitué d’une trentaine de bâtiments incluant une chambre à gaz, un crématoire et un bâtiment réservé au sinistre Dr Mengele pour ses épouvantables expériences médicales. Il devient le camp principal (Stammlager) pour tout un ensemble de nouveaux camps. Près de 300 membres de la communauté juive qui existait dans la ville d’Auschwitz furent arrêtés pour être utilisés comme travailleurs dans la construction du camp.

Les premiers transports de prisonniers, composés de 728 civils polonais, arrivèrent au camp en juin 1940 et en mars 1941 il y avait déjà plus de 10 000 prisonniers. Les exécutions de masse commencèrent dès cette époque et très rapidement les nazis se rendirent compte qu’il fallait prévoir plus large dans la perspective de l’objectif qu’ils s’étaient donnés.

En effet, en mars 1941 Himmler visita le camp et ordonna son agrandissement ainsi que la création d’un nouveau camp pouvant accueillir 100 000 déportés et c’est ainsi que les SS entreprennent la construction d’un 2ème camp à Birkenau situé à 3 km d’Auschwitz. Le nom de Birkenau signifie «petite prairie aux bouleaux» et son appellation officielle sera Auschwitz II Birkenau. Himmler, nous l’ avons vu, expliqua bien à Höss en quoi consistait la «solution finale» qui petit à petit était réellement appliquée froidement sans état d’âme.

La plupart des instruments d’extermination de masse furent installés à Birkenau et les conditions dans lesquels ce camp a été construit furent épouvantables comme le dit encore Höss lui-même. Finalement le camp est composé de plus de 300 baraquements. Parmi ceux-ci, furent édifiés deux chambres à gaz provisoires dans des fermes spécialement aménagées ainsi que ces fameux Krematorium qui réunissaient chacun, chambre de déshabillage, chambre à gaz et fours crématoires.

Ces installations furent livrées par la Société Topf d’ Erfurt après des études méticuleuses pour les rendre efficaces. C’est dès le 3 septembre 1941, que des prisonniers soviétiques du camp principal furent utilisés comme cobayes lors d’essais sur l’efficacité du Zyklon-B. Ce produit mortel fut livré sans vergogne par la Société Degesch et rien qu’à Auschwitz les nazis en ont utilisé 20 tonnes.

Enfin, entre 1941 et 1944, les nazis installèrent plus de 40 camps annexes. Le plus important de ceux-ci fut appelé Auschwitz III Monowitz, situé à 6 km d’Auschwitz et comportant une trentaine de blocs. Il avait été construit pour fournir à l’usine qui existait à cet endroit, l’usine Buna d’ IG Farben, une main-d’œuvre gratuite ; c’étaient les SS qui recevaient les rémunérations pour le service rendu ! Cette usine produisait du caoutchouc synthétique et les déportés y effectuaient un travail insupportable d’esclaves qui mouraient d’épuisement, c’était l’extermination par le travail. D’autres entreprises utilisaient cette main d’œuvre gratuite comme Krupp, Siemens ou la Deutsche Ausrüstungswerke. Certaines entreprises comme le laboratoire Bayer utilisaient même les déportées comme des cobayes et les monnayaient comme de la marchandise.

Nous pouvons maintenant aborder les aspects de la vie et la mort des déportés dans tous ces camps où tout était organisé et où les SS pouvaient donner libre court à leur haine, à leur violence et à leur sadisme.

B – Comment fonctionnait le complexe concentrationnaire d’Auschwitz ?

Le Bâtiment 20 où fut interné Silvain Kahn
Les déportés arrivaient dans des wagons à bestiaux dans des conditions effroyables après avoir enduré un voyage épouvantable. La solution finale s’appliquait déjà dans ces trains puisque beaucoup de vieillards, d’enfants, de malades avaient été retrouvés morts à l’arrivée à Auschwitz. Dans le train les déportés avaient cru avoir vécu le pire, ils se rendirent très vite compte que ce n’était que le début. Mon regretté père, Silvain Kahn avec lequel j’ai relaté dans un livre tout son parcours jusqu’à Auschwitz, a décrit ce qu’il a vécu en sortant de son wagon, le déferlement de violence, le sang et tout de suite les morts (La Mémoire Ardente/Oberlin).

Jusqu’en 1944, les trains s’arrêtaient à la gare de marchandise d’Auschwitz. Puis, les SS firent construire une énorme plate-forme de déchargement à l’intérieur même du camp de Birkenau et sur laquelle ils procédaient à la sélection des déportés. Tous ceux qui étaient jugés trop faibles pour pouvoir travailler comme forçats étaient dirigés vers le Krématorium où ils devaient se déshabiller, puis ils allaient être gazés au Ziklon B dans une fausse salle de douche pour finalement être réduits en cendre dans le four crématoire. Les installations permettaient d’appliquer le «traitement spécial» à plus de 2000 martyrs par jour. Voici comment Höss lui-même, et il sait de quoi il parle, décrit ce processus :
Le Bâtiment 20 à l'intérieur
« Les deux grands crématoires I et II furent construits au cours de l’hiver 1942-43 et mis en exploitation au printemps 43. Ils disposaient chacun de cinq fours à trois foyers et pouvaient incinérer en 24h environ 2000 cadavres ».
Ceux qui étaient jugés aptes au travail allaient vivre le pire esclavage des temps modernes. Il y avait ceux qui était dirigés vers le Sonderkommando qui s’occupait des malheureuses victimes, les sortaient des chambres à gaz et amenaient les corps aux fours crématoires. L’un des rares survivant de ce Kommando, le Dr Bendel, à rapporté le témoignage suivant concernant les chambres à gaz :
« Pendant deux minutes interminables, des coups contre les murs, des cris qui n’ont plus rien d’humain. Ensuite rien. »

Le reste des déportés aptes au travail sont répartis dans d’autres kommandos, affamés, transits de froid, malades, rongés par la gale, les poux, les appels inopinés, les sélections subites, en sachant que s’ils allaient à l’infirmerie ils n’en sortiraient pas ou qu’ils seraient soumis aux sinistres expériences du Dr Mengele. Dans tous les camps d’Auschwitz un règlement inhumain était appliqué à la lettre comme l’établit un sbire de Himmler, Oswald Pohl :

  1. Le commandant du camp est seul responsable de la main-d'œuvre. Cette exploitation doit être épuisante dans le vrai sens du mot (muss im wahren Sinn desWortes erschöpfend sein), afin que le travail puisse atteindre le plus grand rendement.
  2. La durée du travail est illimitée. Cette durée dépend de la structure et de la nature du travail; elle est fixée par le commandant seul.
  3. Toutes les circonstances qui peuvent limiter la durée du travail (repas, appels, etc.) sont donc à réduire à un strict minimum. Les longues marches et les pauses pour les repas de midi sont interdites...
Les fosses d'aisance
C’est ainsi que l’extermination était réalisée par cet esclavage innommable. Plus les nazis subissaient des revers militaires et politiques, plus ils s’acharnaient à faire aboutir la solution finale dans cette violence inouïe.

Les punitions et les tortures étaient multiples et permanentes, les déportés étaient battus, torturés et humiliés. L’appel est chaque fois un moment d’effroi. Chaque jour les SS contrôlaient les effectifs du camp et procédaient aux bastonnades ou aux exécutions publiques sur la place d’appel. Chaque détenu était compté et recompté. Ils devaient rester debout dans la neige et le froid dans leurs misérables haillons pendant des heures interminables et quelquefois, en cas de tentative d’évasion ou tentatives de révoltes, jusqu’à 10 ou19 heures sans interruption !

Les sélections inopinées se multipliaient au Revier, à l’infirmerie, antichambre de la mort, ou directement dans les baraques. A tout instant elles pouvaient emmener des dizaines de déportés vers la chambre à gaz. Les SS avaient droit de vie ou de mort sur ceux qu’ils considéraient comme des «Untermenschen», des sous-hommes, de la vermine à éliminer.

Dans ces conditions, chacun aspirait tant à la fin du cauchemar, et celle-ci, si elle se rapprochait, allait se concrétiser encore dans la souffrance.


Les cheveux...

...les chaussures

C – Comment Auschwitz allait être libéré ?

L’année 1944 fut l’année de l’accélération de l’extermination à Auschwitz. Ainsi au printemps de cette anée 154 trains y amenèrent 437 000 hommes, femmes et enfants. Et pourtant ce sont les semaines du commencement de la fin pour les nazis. En été 44 les soviétiques libèrent Majdaneck que les nazis avaient vidé en amenant les détenus à Auschwitz. En août arrive le dernier convoi de France. Les nazis continuent leurs basses œuvres tout en voulant faire disparaître toute trace de la solution finale. Ils font exploser la plupart des krématorium et brûlent leurs archives.

La libération du complexe concentrationnaire d’Auschwitz s’est déroulée en plusieurs étapes. En octobre 1944, le Sonderkommando du crématoire IV se révolta, tous les déportés qui en faisaient partie furent tous massacrés après avoir réussi à détruire plusieurs fours crématoires. En novembre Himmler ordonna l’arrêt des gazages et une opération de nettoyage fut mise en place pour effacer toute trace d’extermination. Les Allemands voulaient précipiter les choses, aussi pour avoir les mains libres pour détruire crématorium et archives, il fallait se débarrasser des prisonniers qui leur restaient sur les bras.

Le 18 janvier 1945, ils imposèrent aux survivants qui pouvaient encore se tenir debout, une marche de la mort pour les éloigner d’Auschwitz. Les malheureux durent marcher des dizaines de kilomètres dans un froid sibérien, ceux qui ne pouvaient plus avancer étaient abattus immédiatement au bord de la route. En tout près de 60 000 déportés subirent ce traitement infâme. Voilà comment mon père décrit son calvaire :

« Les allemands nous faisaient avancer à coup de « gummi », une espèce de bâton flexible qui faisait affreusement mal. Ils tiraient sur les traînards sans hésiter si bien que notre marche forcée était jalonnée de cadavres ».
Mon regretté oncle, Marcel Kahn, déporté en même temps que mon père ainsi que leur regretté frère Bertrand qui lui n’est pas revenu, avait été affecté à Auschwitz 3 – Monowitz et travaillait comme soudeur pour une usine d’armement. Il raconte que ce camp fut évacué un peu plus tard et son récit montre également combien les nazis ne savaient plus que faire sauf agir avec une brutalité toujours aussi bestiale.

Quand les troupes soviétiques libérèrent Auschwitz le 27 janvier 1945, ils trouvèrent les survivants dans un état pitoyable. Ils découvrirent en même temps 836 525 vêtements féminins, 348 820 vêtements masculins, 45 525 paires de chaussures ainsi qu’un nombre incroyable de brosse à dents, miroirs et autres effets personnels. Ils découvrirent de même 460 prothèses, 7 tonnes de cheveux humains provenant des victimes gazées. Voici comment le Général russe Petrenko décrivit ce qu’il a vu le jour de son arrivée le 29 janvier 1945 :

« Le jour de mon arrivée à Auschwitz, on avait compté sept mille cinq cents rescapés.
Je n'ai pas vu de gens « normaux ». Les Allemands avaient laissé les impotents. Les autres, tous ceux qui pouvaient marcher, avaient été emmenés le 18 janvier. Ils avaient laissé les malades, les affaiblis ; on nous a dit qu'il y en avait plus de dix mille. Ceux qui pouvaient encore marcher, peu nombreux, se sont enfuis alors que notre armée s'approchait du camp.
On m'a montré les pièces où l'on asphyxiait au gaz avant le crématoire. Le crématoire lui-même et une chambre à gaz avaient été dynamités.
J'ai vu aussi des enfants... C'était un tableau terrible : ils avaient le ventre gonflé par la faim, les yeux vagues, des jambes très maigres, des bras comme des cordes, et tout le reste ne me semblait pas humain, comme si c'était cousu. Les gamins se taisaient et ne montraient que les numéros qu'on leur avait tatoués sur le bras. »

Mon oncle a été libéré avant mon père par les soviétiques. Il a transité par le camp de Katowice et il y est resté jusque fin mars 1945. Le 27 mars il a été pris en charge par la Croix Rouge, logé dans une caserne à Odessa et a pu rentrer en France le 8 mai 1945 pour retrouver les siens deux jours plus tard. Quant à mon père, après avoir marché 70 km, avoir été transporté dans des wagons ouverts par un froid sibérien, il a transité par d’autres camps de concentration, ceux de Buchenwald et de Flossenbourg ou la mort et la violence continuait à régner. Comme il l’a dit, l’enfer a duré jusqu’en mai 1945, le 15 mai plus précisément, le jour où il a été libéré par les Américains dans cette région non loin Nuremberg. Dès le 22 mai, il a pu rejoindre Lyon et sa famille le lendemain.

La dernière question que l’on peut se poser est celle de l’impact qu’à Auschwitz aujourd’hui.

3 – Alors, voyons comment Auschwitz est devenu le symbole de la Shoah

Délégation de la CIS et du CIBR à Auschwitz le 19 mars 2003 ;
au premier plan, Jean Kahn, président du CIBR
L’histoire d’ Auschwitz est parallèle à l’histoire de la Shoah. Ce camp a été à la fois un camp de concentration et le plus grand camp d’extermination. La solution finale y a été appliquée aussi bien par l’esclavage que par l’extermination systématique. La sauvagerie nazie s’y est exprimée sans fard pour continuer l’horreur perpétrée par les Einsatzgruppen, ces groupes mobiles de tuerie dont nous avons déjà parlé.

Une seule question vient à l’esprit : comment peut on seulement imaginer que ce centre d’extermination a été construit par des êtres humains, qu’il a fonctionné par la main de l’homme ? Au départ des marchés ont été passés en sachant parfaitement ce qui allait s’y dérouler. Des entreprises criminelles ont soumissionné pour obtenir le marché, elles ont démontré que leurs installations seront les plus efficaces pour permettre la réalisation des meurtres en masse. Quand on voit les plans d’un crématorium, avec tous les détails, la salle de déshabillage, la chambre à gaz avec les lucarnes pour y verser le zyklon B, les fausses douches, les portes étanches, les fours crématoires, on mesure l’ampleur de l’entreprise criminelle.

Qu’un pouvoir ait pu organiser tout cela, planifier et réaliser l’horreur, c’est quelque chose qui dépasse l’entendement. Comment peut on imaginer que des bureaux d’études aient pu froidement mettre en œuvre de tels projets, que des bureaux administratifs aient pu les valider et confier aux entreprises la construction et l’équipement prévu. Et qu’une fois que tout cela a été réalisé, le système ait pu fonctionner avec cette froide et inouï violence, en terrorisant hommes, femmes et enfants qui sombraient pratiquement du jour au lendemain dans l’inhumanité la plus complète.

C’est cela que représente le souvenir d’Auschwitz, il montre ce qu’a été la Shoah. Il montre ce qu’a été la spirale de l’horreur. Il montre qu’à partir de Mein Kampf en 1925, Hitler a pu arriver à ses fins parce que personne n’a pu l’arrêter. D’abord on a minimisé ses propos, ensuite on l’a laisser gravir les échelons du pouvoir par lâcheté, par opportunisme, par soif de pouvoir. Un chef qui galvanise ses troupes, son auditoire, on le laisse faire parce qu’il y a le pouvoir au bout. On se met des œillères et après on se laisse entraîner, on ne distingue plus entre le bien et le mal. L’engrenage est là, personne ne peut plus l’arrêter et alors c’est trop tard.

Quand on voit ce qui s’est passé à Auschwitz qui a été le centre de la solution finale, où plus de 1 100 000 juifs sont morts sur les pratiquement 6 000 000 de victimes, il faut se révolter. Il faut prendre conscience de l’engrenage infernal qui a mené au pire. Il faut alors tout faire pour que plus jamais quelque chose de semblable ne puisse se reproduire. Pour cela il faut que la vigilance soit omniprésente. Il faut montrer du doigt toute forme de résurgence. Il faut montrer que toute manifestation prônant le mépris de l’autre doit être proscrite. Il faut lutter contre l’apparition de tout phénomène qui a mené à la Shoah.

C’est pourquoi, on ne parlera jamais assez d’Auschwitz, de la Shoah. C’est se taire qui serait criminel. Rester silencieux devant des phénomènes qui rappelle le pire, c’est risquer d’être complice d’un recommencement. A la maison, à l’école, entre amis, il faut se donner le mot et débusquer la bête immonde là où elle se terre.

Elle se terre parmi les négationnistes qui travestissent l’histoire, elle se terre parmi ces extrémistes qui font si peu cas de la vie humaine. Ne pas oublier Auschwitz, toujours mieux connaître ce qu’a été la Shoah doit être salutaire car c’est la condition qui permettra toujours de barrer la route à ceux qui ne veulent pas que la paix règne entre les hommes.

Ce dont il faut aussi se souvenir c’est que les nazis n’ont pas réussi non seulement à exterminer les juifs, les tziganes, leurs opposants, mais il n’ont pas non plus réussi à effacer l’homme, à ôter l’humanité qui s’accrochait à l’âme des suppliciés. L’entraide existait malgré tout, les uns et les autres essayaient de soulager celui qui souffrait encore plus qu’eux.

Même l’émounah, la foi demeurait dans les esprits et mon père s’est toujours souvenu de ce petit morceau de matzah, de pain azyme, que des déportés avaient fabriqué au moment de Pessah. Malgré la violence imposée dans une sauvagerie au pas de course, à un rythme effréné, la résistance s’exprimait malgré tout comme nous l’avons vu lorsque des fours crématoires ont été sabotés dans un sursaut salutaire même s’il fallait y laisser sa vie.

Que dire en conclusion sinon que connaître ce que fut Auschwitz, c’est connaître ce que fut la Shoah, c’est connaître sa terrible réalité pour qu’elle interpelle toutes les générations qui se succèdent. Il s’agit de garder confiance en l’homme en restant vigilant en permanence, en repérant à temps les engrenages qui peuvent rappeler le pire d’entre eux et surtout pour les combattre à temps.

« La mémoire contre l’oubli
Est un appel douloureux
Opposé au sang et au feu
Pour faire triompher la vie

Il émane du survivant
Suppliant les vivants
De rejeter l’exclusion
Avec détermination.

Qu’au nom de la Shoah,
L’incessant combat
Contre cette souffrance
Permette l’espérance.

Kaddich pour les martyrs
Afin que leur souvenir
Conduise l’humanité
Sur le chemin de vérité.

Supplique pour le monde.
Que la « bête immonde »
Disparaisse à tout jamais.
Qu’enfin rayonne la Paix ! »

Alain Kahn

(*) auteur de : La Mémoire Ardente, ed. Oberlin (récit préfacé par Adrien Zeller et le Grand Rabbin Max Warschawski) ; et Le Cri de la Mémoire, ACM Editions (recueil d’élégies préfacé par Elie Wiesel et Claude Vigée).    Retour au texte

Photographies : Yoni LEMGBHEIM et Gadiel ROTHÉ, septembre 2004
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