Le Rabbin Zacharias WOLFF
(1840-1915)
par le Rabbin Charles Friedemann
Extrait du Bulletins de nos Communautés 8 octobre 1965

Pour le cinquantième anniversaire de sa mort
Quand vous entrerez au cimetière israélite de Bischheim, vous remarquerez au bord de l'allée une pierre de granit brut primitivement équarrie. Ses nombreuses aspérités vous induiront en erreur, car n'imaginez pas que l'homme qui dort ici de son dernier sommeil, ai eu l'habitude de se retirer derrière sa carapace comme un hérisson. Bien au contraire, le "Dr. Wolff", rabbin de Bischheim était l'homme le plus aimable qui soit. Les louanges que j'ai pu entendre çà et là dans la bouche de ses anciens élèves et administrés, m'ont engagé à quérir des renseignements de première main chez deux de ses fervents admirateurs. M. Armand Asch, véritable encyclopédie vivante du folklore judéo-alsacien et le vénérable Grand Rabbin Joseph Bloch de Haguenau mont confié leurs souvenirs et je suis particulièrement heureux de pouvoir les remercier. Et quand ce dernier m'a avoué que, pendant toute sa carrière rabbinique, il avait essayé d'être fidèle a l'enseignement et aux méthodes de son maître, au fruit j'ai reconnu l'arbre et pensé que le cinquantième anniversaire du décès du Rabbin Wolf ne devait pas passer inaperçu.

Né dans une honorable famille de Pfungstadt dans le pays de Hesse, le Dr. Wolff allait manifester une vocation rabbinique précoce. Il devient l'élève de la Yeshiva du Rabbin Ezriel Hildesheimer à Eisenstadt (Autriche), celui-là même qui dota l'Allemagne du Séminaire orthodoxe de Berlin, dont la disparition nous est encore aujourd'hui tellement préjudiciable. A Eisenstadt, le Rabbin Wolff sut se distinguer à tel point qu'il devint bientôt précepteur privé des enfants du maître et membre de la commission administrative de la Yeshiva. Honneurs considérables qui ne pouvaient être témoignés qu'à un homme d'élite.

Dans le vaste éventail des préoccupations rabbiniques, il montra très tôt une prédilection pour les activités pédagogiques et devint directeur d'une école juive à Biblis. Et lorsqu'en 1880 fut fondée à Colmar, l'école rabbinique devant préparer à leur sacerdoce les jeunes alsaciens que le Traité de Versailles de 1871 avait coupés du Séminaire israélite de Paris, un champ d'action considérable allait s'ouvrir devant lui. En 1882, il fut nommé directeur. Et il suffit de rappeler qu'une vingtaine d'élèves, devenus pour la plupart rabbins de communauté alsacienne, y entreprirent et parfois même y achevèrent leurs études, pour saisir combien l'influence du Rabbin Wolff a dû être déterminante sur le judaïsme d'Alsace. Parmi eux, je citerai le grand rabbin Jacques Kahn, professeur à l'école rabbinique de France, les grands rabbins Netter (Metz) et Wiener (Durmenach - Anvers), les rabbins Marx, Uhry, Cyvie, Lehmann, Schüller, Arthur Weil (Bischheim, Bâle) et Arthur Lévy, Emile Schwartz, Armand Bloch, le grand rabbin Ernest Weill et nos vénérables doyens les grands rabbins Joseph Bloch et Max Gugenheim. Pendant 17 ans, il donne le meilleur de soi-même, de ses vastes connaissances et de son grand cœur, à ses élèves. Une seule voix discordante, l'article du Dr A. Reh dans le no 61 de la revue "A.M.I.F.", a osé fort curieusement prétendre le contraire. Une espèce de guerre froide doctrinale latente, entre le rabbin Wolff, traditionaliste el le grand rabbin de Colmar Isidore Weil, libéralisant, contribue à hâter la fermeture de l'Ecole rabbinique de Colmar. Et en 1899, la petite communauté de Schirhein hérita ainsi d'un prestigieux pasteur.

En 1900, le poste rabbinique de Bischheim fut déclaré vacant, le Rabbin Wolff vint s'y installer. Il avait à peine trouvé un lieu pour déployer, après de longues années d'activité pédagogique, sa vocation pastorale, que son foyer fut ébranlé par le décès de son épouse et admirable collaboratrice (née Rubensohn de Cologne). Le rabbin Wolff était homme à assumer en tout temps ses responsabilités. Sa personnalité était bien trop forte pour qu'il abdique par simple souci de confort personnel. C'est ainsi qu'une tenace "Makhloketh lechem chamayim" (controverse religieuse) l'opposa à Jules Klein עייה le fils du grand rabbin Chelomo Wolf-Klein de Colmar, membre du Consistoire, qui avait d'ailleurs grandement contribué à l'amener à Bischheim. Pour ressusciter la couleur locale, sachez que le Dr. Wolff s'était rendu coupable d'avoir supprimé dans un souci d'unification les nombreux lernen (études) shabbatiques et les Yom Kippour katan multiples, organisés en dépit du bon sens en des lieux différents au nom de Hevroth (sociétés) distinctes. Eternel conflit entre la centralisation et la décentralisation !

Mais ces nuages insignifiants n'ont jamais sur ternir le caractère gai et enjoué, l'humour corrosif du rabbin Wolff. A Bischheim, on se souvient des festivités de Pourim, organisées par les étudiants juifs de Strasbourg à son domicile, des poésies de circonstance et des bons mots par lesquels ce docte maître savait détendre les visages les plus ridés. Auteur d'un livre d'homilétique sur les sidroth (Maguid 1906) et d'un catéchisme à l'usage des élèves de l'enseignement religieux, la curiosité intellectuelle de ce rabbin s'étendait à bien d'autres domaines. Beaucoup de ses élèves de Colmar lui doivent la bonne note récoltée pour tel ou tel devoir de mathématiques, et combien d'autres , une nouvelle combinaison au jeu d'échec. Ajoutez à cela sa profonde compassion pour les malheureux, son vibrant amour d'Eretz Israël, et vous aurez un portrait, imparfait certes, mais véridique, de cet homme qui n'est pas passé inaperçu en Alsace.

Sa grande charité ne fut d'ailleurs pas toujours récompensée. Un vendredi soir, alors que le maître avait déjà rangé son portefeuille dans son armoire, se présente un mendiant. Encore une mitsva à accomplir avant de courir à la synagogue ! Le Dr. Wolff se retire, revient avec une copieuse aumône. L'étranger prend congé et lorsque de retour de la synagogue, on veut passer au Kidouche, stupeur ! la belle coupe du Kidouche s'était envolée avec le visiteur.

C'était aussi l'époque des premiers pas du sionisme à Strasbourg. Une profonde communion de pensée unissait le rabbin Wolff au professeur Dreyfuss de la Faculté de Médecine, grand animateur du nouvel idéal dans notre cité. Le va-et-vient des livres et brochures de la bibliothèque de l'un dans celle de l'autre ne jamais interrompu. Et à cette époque, où le sionisme n'avait pas encore pignon sur rue dans nos faubourgs, un certain nombre de fines bouches bischheimoises ont dû néanmoins apprécier les bouteilles capiteuses de vin d'Israël que notre rabbin se faisait un plaisir de leur offrir à l'occasion des jours de fêtes.

Charles Friedemann

Mise au point dans le Bulletin de nos Communautés du 22 octobre 1965

Dans un autre ordre d'idée et faisant suite à l'article de M. le Rabbin Friedemann sur le Rabbin Zacharias Wolf, Mme Ruth David-Dreyfuss nous fait remarquer qu'a été omis involontairement le nom de son père le Rabbin Henri Dreyfuss, qui faisait partie de cette équipe de rabbins, dont parlait l'article.

Il était en effet l'ami intime des Rabbins Arthur Weil, Max Gugenheim et Joseph Bloch, pour lequel pendant de longues années il corrigeait les calendriers. Il faisait partie des rabbins orthodoxes et était le beau-frère de feu M. Jacques Salomon , président de la communauté de Bischheim avant la guerre, du temps du Rabbin Deutsch.

Mme Dreyfuss nous donne en outre des informations très précieuses pour l'histoire du judaïsme alsacien :
"Mon père était successivement rabbin à Durmenach et Morhange, avant et pendant la guerre de 14-18, et Westhoffen et Guebwiller entre les deux guerres. Très aimé de tout le monde, tant pour son savoir, grand mathématicien et grand talmudiste, sa gaîté, sa jovialité et sa grande simplicité, il est décédé prématurément à l'âge de 57 ans à Guebwiller, dont il était le dernier rabbin."
"Parmi les élèves du Rabbin Wolff, il faut encore ajouter le Rabbin Debré, beau-père du Grand Rabbin Joseph Bloch, qui était rabbin à Sarre-Union avant 1914 et qui avait succédé au père du grand rabbin Max Gugenheim."

Extrait du Bulletin de nos Communautés du 3 décembre 1965

QUELQUES RECTIFICATIONS

M. le grand rabbin Joseph BLOCH a bien voulu nous adresser les lignes suivantes:
"Aussi bien l'article de M. le rabbin Ch. Friedemann sur mon maître Zacharias Wolff, que celui, complémentaire, de Mme David Dreyfuss contiennent de petites erreurs que je voudrais corriger à mon tour, en donnant en même temps une liste complète des rabbins qui ont eu leur première formation au "Séminaire Rabbinique" de Colmar.

  1. Le rabbin Armand BLOCH (Soultz-sous-Forêt, Obernai, Saverne) n'était pas élève de notre Ecole ; il a été préparé pour les études rabbiniques supérieures par son père, le rabbin David BLOCH de Strasbourg, lui-même fils du rabbin célèbre, Moïse BLOCH d'Uttenheim.

  2. Jacques KAHN, de Sarrebourg, a été élève exclusivement de l'Ecole Rabbinique de Paris.

  3. Le rabbin Moïse DEBRE, mon beau-frère (et non pas mon beau-père) a été formé, pour les études préparatoires, par les rabbins Armand BLOCH (Obernai) et Ernest WEILL (Bouxwiller).
  4. Voici la liste des rabbins ayant fait leurs études préparatoires à Colmar (*) :
    • Simon AUSCHER (Durmenach, Altkirch, Haguenau).
    • Camille BLOCH (Soultz-sous-Forêt, Dornach-Mulhouse).
    • Joseph BLOCH (Dambach, Barr, Clermont-Ferrand, Haguenau).
    • Henri DREYFUSS (Durmenach, Morhange, Westhoffen, Guebwiller).
    • Isaac DREYFUSS (Fegersheim, Brumath, Sarreguemines).
    • Moïse GINSBURGER (Soultz [Haut-Rhin], Guebwiller, Colmar, Strasbourg).
    • Max GUGENHEIM (Quatzenheim, Westhoffen, Bouxwiller, Saverne).
    • Charles KOCH (Barmen, Gothenbourg-Suède).
    • Léonard KOCH (Marmoutier, Wissembourg).
    • Sylvain LEHMANN (Schirrhoffen, Bischwiller).
    • Alfred LEVY (Nordhausen, Bonn).
    • Arthur LEVY (Berlin, Kiriat-Bialik [Israël]).
    • Henri LEVY (Sierentz).
    • Isaac LEVY (Lauterbourg, Brumath).
    • Louis LEVY (Brunn [Moravie]).
    • Victor MARX (Westhoffen, Strasbourg).
    • Benjamin MEYER (Lauterbourg et Thann).
    • Nathan NETTER (Bouxwiller, Metz).
    • Salomon SCHULER (Hegenheim, St-Louis).
    • Emile SCHWARZ (Lauterbourg, Soultz-sous-Forêt, Wissembourg, Obernai).
    • Lucien UHRY (Fegersheim, Sélestat).
    • Arthur WEIL (Bischheim, Bâle).
    • Edmond WEILL (Fegersheim, Sélestat, Erstein).
    • Ernest WEILL (Fegersheim, Bouxwiller, Colmar).
    • Joseph WIENER (Durmenach, Phalsbourg, Anvers, Bruxelles).
    • Joseph ZIVI (Wintzenheim [Haut-Rhin]).
    Elèves de notre Ecole qui sont devenus :
    - Médecins : Jérôme Guthman et Alfred Reh (les deux à Strasbourg).
    - Pharmacien : Camille Weill (Metz).
    - Professeurs : Maurice Zeliqzon (Ohio) Sylvain Koch (plus tard directeur de notre Orphelinat) ; Lucien Dreyfuss (lycée St-Jean de Strasbourg).
    Jos. BLOCH           

* Pour faciliter la lecture de cette liste, nous en avons rétabli l'ordre alphabétique. On pourra la consulter telle qu'elle a été établie par le grand rabbin Bloch, dans le facsimile à droite.


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