Le SHALOM, idéal des Prophètes et des Maîtres d'Israël
Conférence du Grand Rabbin Warschawski à la Journée Biblique de la Wizo, le 13 octobre 1975
(Les sous-titres sont de la Rédaction du Site)


"Mesdames les Présidentes, Mesdames, Messieurs, il y a un adage de nos maîtres qui dit "que chaque rivière, chaque fleuve a son débit, ou a ses affluents". Et de même, chaque groupe a son rythme, son style, sa dynamique. Et ce sont les Journées Bibliques de la Wizo qui me donnent l'occasion de me rendre compte de la vérité de ce dicton ; car j'ai eu le privilège, et -dois-je vous dire - la grande joie d'assister à diverses Journées Bibliques da la Wizo, que ce soit en France ou en Belgique. Et j'avoue que chaque fois que j'assiste à une de ces réunions, j'y apprends énormément de choses ; d'autant plus qu'être amené à parler lors d'une réunion de ce genre vous oblige à approfondir des thèmes qui habituellement vous paraissent acquis et que l'on est obligé de reprendre, d'essayer de présenter d'une autre manière lorsqu'il faut les exposer, et lorsque le Talmud dit au nom de nos maîtres :"J'ai appris beaucoup de mes maîtres, j'ai appris davantage de mes camarades et j'ai appris le plus de mes élèves." ; cela est d'autant plus vrai lorsqu'on est obligé de faire des conférences bibliques à l'occasion de journées comme celle-ci.

J'ai eu l'occasion de lire ce matin une des conférences qui a déjà été faite sur la Paix. Et je me suis rendu compte de la somme d'érudition qui vous a été exposée et tout ce que l'un a déjà pu vous apporter. Vous verrez ce soir que beaucoup de choses que je vous amènerai, moi, vous les connaissez déjà pour les avoir entendues dans le cycle de ces conférences, que ce soit sur "la Paix de Caïn à Abraham", sur "Aaron, l'homme de la Paix" ou "Shlomo, le roi de la Paix". On m'a demandé de conclure, c'est-à-dire de vous présenter la Paix dans son sens d'idéal, aussi bien dans la littérature des Prophètes que dans la pensée rabbinique. Or, lorsque j'ai participé à la Journée Biblique à Anvers cette année, la division avait été faite différemment de celle que vous avez choisie : on avait tout simplement réparti pour une journée entière des exposés sur le Shalom :
- le Shalom dans le Pentateuque
- le Shalom chez les Prophètes
- le Shalom dans la tradition Rabbinique

Et c'est mon ami le Grand Rabbin du Luxembourg qui avait présenté un exposé remarquable sur la Paix chez les Prophètes. Alors ce que moi je vais vous exposer cet après-midi, c'est une espèce de synthèse dans laquelle je reprendrai l'essentiel de ce qui avait été donné à Anvers sur la Paix chez les Prophètes (évidemment accommodé à ma propre sauce) et je passerai ensuite au Shalom dans la tradition rabbinique. Autant vous dire que je vous amènerai des quantités de citations et beaucoup de textes et j'espère ne pas trop  vous ennuyer avec autant de thèmes et de citations.

la Paix chez les Prophètes

"Qu'ils sont gracieux sur les montagnes les pieds du messager qui annonce la Paix, du messager de bonne nouvelle qui annonce la délivrance et qui dit à Sion : ton Dieu est roi" (Isaïe 52 : 7).
Il y a dans ce verset quatre parties distinctes :
- il annonce la paix
- il est le messager des bonnes nouvelles
- il annonce le salut
- il dit à Sion : ton Dieu est roi.

Il s'agit bien entendu d'un des textes les plus merveilleux par lequel Isaïe annonce l'époque messianique. Et tout cela commence par "l'annonce de la paix". Tout ceci est englobé dans cette annonce de Paix qui est le début de tout un processus. Maldin, qui est un commentateur rabbinique de la deuxième moitié du 19ème siècle, interprète ainsi ces quatre parties :

- "Qu'ils sont gracieux sur les montagnes" ; les montagnes, c'est le verset "monte sur une montagne élevée, annonciatrice de Sion".
- Il annonce la Paix, "la Paix face à l'ennemi".
- Il annonce le bonheur, "la construction du Temple de Jérusalem et la restauration de la dynastie de David.
- Il annonce le salut, le "rassemblement des exilés".
- Et il dit à Sion : "ton Dieu est roi", c'est la reconnaissance de la royauté divine dans tous les pays et par tous les peuples.

Il y a donc une progression qui commence par la fin de l'état de guerre et qui se poursuit étape par étape jusqu'au moment où le salut d'Israël se complète par le salut du monde qui reconnaît l'unité de Dieu. Mais le Shalom dans la Bible est - on le disait il y a quelques instants seulement -, le Shalom dans la Bible, ce n'est pas simplement la Paix, c'est-à-dire l'absence de conflit, le calme dans le domaine militaire, car la première chose dans la Shalom, c'est la racine de chaleïm (de plénitude) : lorsque la Bible, dans la Genèse, parlant de Jacob retourné dans son pays dit :"intègre dans son corps, dans sa fortune, dans ses biens, dans sa connaissance, dans son étude, dans sa valeur morale", nous voyons que la plénitude matérielle et spirituelle est un des aspects du Shalom. Mais le Shalom, c'est également le bien-être, la santé. Lorsque, dans la Bible, on demande ;"votre père est-il en Shalom?", Joseph alors pense à la santé, au bien-être de son père. Shalom, c'est encore l'alliance entre des hommes ou entre des pays. Lorsque, dans le Livre des Juges, on parle de  Yaël et de Siserah, on dit : "une alliance existait entre le roi de Haçor et les Kendeens". Et enfin, et c'est seulement l'un de ses aspects, le Shalom, c'est l'opposition entre le Shalom et la guerre ; dans le Psaume "Je suis Paix, et lorsque je parle, eux me répondent par la guerre".

Or, si vous essayez de retrouver le Shalom chez les Prophètes, vous le trouverez surtout parmi ceux qui ont vécu à une époque troublée ; on ne trouve pas d'allusion au Shalom ni dans Osée, ni dans Amos, très peu dans Michée, dans Nahoum et dans Hagaï. Peut-être parce qu'ils ont vécu à une époque où le bien-être matériel et le calme régnaient dans la Paix et que, par conséquent, il n'y avait pas cette espèce d'angoisse, de souci du Shalom. Mais si Jérémie, lui, revient souvent sur la notion du Shalom, si Ezéchiel lui, en parle et s'y attarde, je n'ai pas besoin de vous dire que c'est dans Isaïe que le Shalom prend une place centrale, dès le début du Livre d' Isaïe, au chapitre 2 : "Lorsque dans la suite des temps la montagne du Temple se trouvera placée au centre du monde, lorsque c'est de Sion que sortira la Torah, la parole de Dieu de Jérusalem, on forgera alors les glaives en socs de charrue", poursuit le Prophète. Ce texte que vous avez vu ce matin dans Michée, on en est encore à se demander qui l'a emprunté à qui. Si Mishée l'a emprunté à Isaïe, ou Isaïe à Mishée ; nous retrouvons à peu près la même promesse et la même vision d'avenir.

Or, la conclusion qui est : "aucun peuple ne lèvera plus le glaive contre aucun peuple et l'on n'apprendra plus l'art de la guerre", est le summum de toute prophétie concernant la Paix. Mais ne vous trompez pas : dans la tradition juive, l’époque messianique, ce n'est pas la fin des temps ; une époque eschatologique, idéale, où le monde ne serait plus le monde. Elle représente un avenir, une époque humaine comme celle que nous vivons, mais qui sera l'époque messianique et, dans le traité Sanhe­drin, nos maîtres enseignent : "que la seule différence qu'il y a entre l'époque où nous vivons et l'époque messianique, c'est simplement que lors de cette dernière, il n'y aura plus l'asservissement par les nations. Il n'y aura plus de peuples conquérants ni de peuples oppresseurs. C'est-à-dire : fin des conflits." Ce qu’Isaïe appelle "aucun peuple ne lèvera plus le glaive contre un autre". Mais il y aura transformation de la vie, également : lorsqu'on parle de forger les glaives et de les transformer en socs de charrue, de prendre des lances et d'en faire des serpettes, c'est aussi un retour à un autre mode de vie, à une vie plus simple, plus intègre, également ; et, par conséquent, il y aura disparition de l'oppression qui trop souvent provient du désir de la richesse ou de l'oppression par la richesse. Et les Prophètes font souvent - et nos maîtres surtout - un jeu de mot entre deux termes identiques ou proches : la richesse et l'oppression. Et la seconde de ces conséquences, qui en découle inévitablement, c'est la suppression de l'idolâtrie. Car rien n'est plus propice à l'inégalité, à l'oppression, que la multiplicité des divinités et l'idolâtrie dans le monde. Et alors, l'unité des hommes, le retour à une humanité une se fera par la parole divine. L'époque messianique n'est pas une époque métaphysique. Et cette époque alors dépassera celle du bonheur d'Israël ; c'est là l'enseignement fondamental d'Isaïe. Elle concerne tous les hommes et dépassera le stade de l'indépendance, de la paix, du bonheur individuel d'Israël ; c'est la paix sociale et la paix familiale universelle ; une Paix universelle dans un Gan Eden retrouvé par tous les hommes.

Isaïe parle du Prince de Paix, "d'une paix qui n'a pas de limite", et nous trouvons ce merveilleux Psaume 72 que nos maitres interprètent également comme le Psaume de la Paix : "Ô, Seigneur, inspire au roi tes sentences équitables, ta justice au fils du roi.
 Qu'il juge ton peuple avec droiture et tes pauvres avec loyauté !
Que les montagnes soient fécondes en paix pour le peuple, ainsi que les collines par l'action de la justice !
Qu'il fasse droit aux pauvres du peuple et qu'il prête son assistance aux fils de l'indigent, et accable celui qui use de violence !"

 La Paix sera toujours et obligatoirement, dans les Prophètes, la conséquence de l'équité. Isaïe, au chapitre 32, dit :  "Paix, oui, Paix à celui qui est éloigné comme à celui qui est proche", mais, deux versets plus loin : "pour le méchant, il ne saurait y avoir de Paix".

Mais nous savons que la Paix, on en parle souvent ; elle sert souvent de prétexte et elle est souvent fallacieuse : c'est là la crainte du Prophète Jérémie (chapitre 6, verset 14 ou chapitre 8, verset 11) lorsqu'il dit : "on ne fait que parler de la Paix, alors qu'il n'y a point de Paix". Pour un Jérémie qui a vécu et ressenti chacun de ces drames, plongé dans la mêlée, avec le peuple, avec le petit peuple "il n'y aura aucune Paix pour toute chair" (chapitre 12), et si Israël veut retrouver la Paix, il lui faut hélas, pour la rencontrer, d'abord le creuset de la Gola, le creuset de l'exil. Et c'est alors que vient le chapitre sur "mon serviteur Nabuchodonosor" (chapitre 23) : "je vous livrerai entre les mains de Nabuchodonosor, roi de Babylone, mon serviteur". Ezéchiel, lui, parlant de la Paix, fustige les mauvais bergers : "s'il n'y a point de Paix, la faute en est à ces mauvais bergers, ceux qui disent: voyez la Paix là, alors qu'en réalité, il n'y a point de Paix". (Ezéchiel, chapitre 13) "ces faux prophètes qui prétendent avoir des visions de Paix, alors qu'il n'y a point de Paix". Et c'est pourquoi Ezéchiel rajoute : "je susciterai de nouveaux bergers et je conclurai une alliance de Paix avec vous". Mais alors, une alliance de Paix qui sera l'image d'une sécurité totale, une sécurité qui ira jusqu’à la disparition des bêtes sauvages. Une Paix entre toute la création : "je conclurai avec vous une alliance de Paix, et je ferai disparaitre les bêtes sauvages de la terre." (34:25). La même chose au chapitre 37 :"je conclurai pour eux une alliance de Paix et ce sera une Paix d'éternité. Mais j'établirai alors parmi eux mon sanctuaire, à tout jamais". Et nous retrouvons enfin les images de Paix et l'annonce de la Paix au chapitre 8 de Zacharie, verset 16 : "voilà ce que vous ferez :  parlez en vérité, ne prononcez que la vérité l'un envers l'autre". Et Malachie le dernier de nos Prophètes, définira le rôle de ce "Roi-Messie" que Zacharie, au chapitre 9 annonce en disant : "voici ton roi qui viendra pour toi", Malachie lui, au chapitre 2, insiste en s'adressant à tous les hommes, sur le principe : "nous n'avons qu'un seul père ; le rôle du Messie sera de rétablir ce père unique", c'est-à-dire l'unité de Dieu parmi les hommes, et enfin "il ramènera le cœur des pères auprès des enfants et le cœur des enfants près des pères" : après l'unité de Dieu, l'entente des générations : deux choses indispensables à la paix des hommes.

La Paix dans la littérature rabbinique

Voilà donc, très brièvement présentés, quelques aspects du Shalom parmi les Prophètes. Et je pense vous avoir montré que, dans les Prophètes, l'idée de Shalom revêt divers aspects : à la fois paix sociale, paix familiale, paix universelle, paix messianique. Et c'est en rassemblant historiquement - à travers la Bible - tous les textes sur le Shalom, que ce soit celui du Pentateuque, que ce soit Aaron ou les Prophètes, que l'on peut se faire déjà une idée de ce qu'est la Bible dans la tradition juive. Mais vous savez bien que pour les Juifs, lire la Bible, c'est la lire selon "la tradition orale", et par conséquent, c'est dans la littérature rabbinique que nous trouverons l'interprétation de tous ces textes concernant la Paix et la projection, si vous voulez, de leur actualisation. Il est un texte qui m'a toujours frappé et qui dit :"Rabbi Eliezer a enseigné au nom de Rabbi Hanina : les Sages multiplient la Paix dans le monde", comme il est dit dans Isaïe [chapitre 54) :"lorsque tous tes fils sont pleins de la science de Dieu, grande alors est la Paix de tes fils". Ce texte, à ma grands surprise, je ne l'ai pas troué une fois seulement dans le Talmud, mais il conclue quatre traités du Talmud ; nous le trouvons à la fin du traité de Berakhoth, le premier traité talmudique, celui des Bénédictions, et il se trouve à la fin du traité qui parle du Lévirat ; on le trouve à la fin du traité de Nazir, qui parle du Nazir qui consacre sa vie à Dieu, et enfin à la fin du traité des Keritoth qui parle des châtiments que provoquent certaines transgressions.

Or, en quoi les Sages apportent-ils la Paix alors que chaque traité du Talmud est rempli de discussions de l'un et l'autre de ces Sages ? En quoi ce débat contribue-t-il à la Paix ? A cela nos maîtres répondent : un débat dont le but n'est pas d'acquérir sa propre gloire mais dont le but est de faire ressortir la parole divine et de définir avec précision quels sont les devoirs ou quelles sont les voies que nous avons à suivre, un débat comme celui-là, même si apparemment il se présente comme uns discussion, est un apport fondamental à l'harmonie et à la Paix.

Il y a un texte terrible dans le Talmud, que beaucoup d'entre vous connaissent peut-être et qui est répété à trois reprises : Rabbi Gamaliel, le chef du Sanhedrin, discute avec Rabbi, un de ses collègues et, à trois reprises, Rabbi Gamaliel a fait preuve d'autorité, et a exigé que Rabbi se rétracte. Jusqu'au point que les autres maîtres en ont eu assez et ont déposé Rabbi Gamaliel pour abus d'autorité ; alors, Rabbi Gamaliel a continué à venir à l'école, et s'est assis à côté de ses condisciples, lui qui les présidait. Et il s'est adressé à Dieu en disant : "Tu sais bien, Seigneur, que ce que j'ai fait, je ne l'ai fait ni peur ma gloire, ni pour la gloire de ma famille ; mais je l'ai fait pour éviter que se multiplient les disputes et les divergences en Israël". J'avoue que c'est un texte qui m'a beaucoup bouleversé, et d'ailleurs, Rabbi Gamaliel a été ensuite rétabli dans ses fonctions.

Or, sur quoi porte l'enseignement de nos maîtres lorsqu'ils parlent de Paix ? Il porte sur tous les domaines de l'existence, essayant d'y apporter cet équilibre et cette harmonie qui permettent au Juif de vivre son judaïsme. Qu'il s'agisse des relations entre les hommes et Dieu, des relations de l'homme envers son prochain, des relations de l'homme et de sa famille. Or, des quatre traités dont je vous parlais, le traité de Berakhoth parle des Bénédictions qui ont été instituées afin qu'en les prononçant dans chacun des actes, nous réalisions la Paix entre Dieu et l'humanité ; les règles du Lévirat ont été instituées pour réaliser la Paix entre l'homme et sa femme ; les règles du Nazira, où un homme renonce à certaines choses autori­sées pour se consacrer davantage à Dieu, prenez Samson, prenez Samuel sont l'image idéale, selon nos maîtres, des relations entre Israël et son prochain ; et enfin ce traité de Keritoth, où l'on parle de transgression, traite à la fin de ces prêtres qui sont indignes ou qui ont trahi leurs fonctions : le rôle des prêtres est justement de réaliser la Paix entre Israël et Dieu.

Et nous comprenons maintenant pourquoi, dans ces quatre traités qui parlent de la Paix entre Dieu et les hommes, de la Paix entre l'homme et sa famille, d'Israël et son prochain, de l'homme et son prochain, et d'Israël envers Dieu, chacun de ces traités se termine par cette phrase qui glorifie la Paix, et montre le rôle de nos maîtres dans la réalisation de cette Paix. Oui, le souci des maîtres du Talmud est la Paix et l'équilibre dans le monde, d'où cette formule, cet adage de Rabbi Shimon :"le monde subsiste grâce à trois choses : la vérité, le droit et la Paix." Et dans le   Talmud de Jérusalem, au traité de Taanith, Rabbi Mouna ajoute : "ces trois thèmes - vérité, droit et Paix - ne forment qu'une seule chose, car si on agit d'après le droit, on agit en vérité, et on agit pour la Paix" ; comme le disait Zacharie, et je reviens à ce verset : "Jugez dans vos portiques (c'est-à-dire dans vos tribunaux) selon la vérité et selon un droit qui apporte, qui provoquera la Paix",

Ainsi, voyons-nous, la littérature rabbinique est truffée de textes sur le Shalom. Shalom dans les domaines les plus divers : "dans le domaine familial, social, le Shalom universel et enfin le Shalom, la Paix messianique". Ce sont là les trois thèmes que je vais essayer de vous présenter dans les textes.

la Paix familiale

La Paix domestique d'abord, la Paix familiale. Tout homme qui vit sans femme ne peut pas connaître la Paix "tout homme qui n'a point de femme est non-Shalom" (Kidddushîn, 62b). Je pense que vous comprendrez pourquoi le MLF n'a pas eu beaucoup de succès dans les milieux juifs. Et lorsqu'on parle de la Bénédiction sacerdo­tale, que nous reprendrons constamment au cours de cet exposé, dont le dernier mot est "Qu'il te donne la Paix", le Talmud ajoute "la Paix dans ton foyer". Et cette Paix, la Paix des foyers, la Torah cherche à la protéger par tous les moyens. Lorsqu'on n'a pas suffisamment d'argent pour acheter des lumières de Hanouka et des lumières du Shabath, la loi veut que l'on achète les lumières du Shabath," celles qu'allume la maitresse de maison" : elles ont priorité, car ce sont elles, ces lumières, qui apportent le Shalom,"la Paix dans le foyer" (Shabath  23 b). Pour sauver la Paix dans le foyer, la Bible admet même le mensonge : rappelez-vous, lorsque Sarah apprend qu'elle va avoir un fils ; que dit(elle ? "Comment est(il possible que j'aie un enfant ? Alors que mon mari est vieux?" Et lorsque Dieu répète les paroles à Abraham, que lui dit-il ? "Pourquoi Sarah a-t-elle ri en disant : comment puis-je enfanter alors que je suis vieille ?" Pour maintenir la Paix dans le foyer, "les versets déforment même la vérité". Dieu autorise même que l'on efface le nom sacré pour préserver la Paix dans le foyer : lorsqu'une femme est soupçonnée d'infidélité, et qu'on lui fait boire les eaux amères, on gratte le texte de la malédiction dans lequel se trouve le nom de Dieu, on le gratte pour le mettre dans cette eau disant que Dieu préfère que son nom soit effacé afin de pouvoir maintenir la Paix dans un foyer.

La Paix dans le foyer, c'est le thème du texte célèbre où Aaron nous est présenté comme aimant et poursuivant la Paix ; le Talmud nous parle d'Aaron cherchant à rétablir la Paix dans les foyers, préférant qu'une femme l'insulte pour obéir à son mari plutôt que de risquer que le foyer ne soit détruit à cause de lui. Dans le Talmud, on nous raconte qu'une femme vient trouver Rabba Ben Zoutra, munie de deux chandeliers avec lesquels elle lui frappe la tète ; et Rabba Ben Zoutra lui demande : "Pourquoi faisètu cela ?", "Mon mari me l'a ordonné", répond-elle ; et Rabba Ben Zoutra lui dit :"Puisque tu as obéi à ton mari, je te bénis en souhaitant que tu aies des enfants sages et instruits." On pourrait multiplier ces textes qui cherchent à nous montrer combien on considère comme fondamentales l'harmonie et la paix dans le foyer.

la Paix sociale

La Paix entre les hommes, la Paix sociale, devient, dans la tradition rabbinique, une obligation et pas seulement une mitzvah comme les autres. Voyez-vous, la Torah comprend une quantité de mitzvoth. Vous savez que selon nos maitres, il y a 248 commandements positifs. Ces commandements positifs, je ne suis pas obligé de les rechercher. Je ne suis pas obligé de chercher à acquérir une maison pour que je puisse mettre une barrière autour de la terrasse ; toutes ces mitzvoth, je suis tenu de les observer quand elles se présentent à moi. Il y a une seule mitzvah que je suis obligé de rechercher, de poursuivre : c'est celle de la Paix, "recherche la Paix, et poursuis-la" (Psaume 34 :15). Ne te contente pas seulement du l'appliquer lorsqu'elle se présente devant toi, sois un combattant de la Paix. "Sois le premier à souhaiter la Paix à ton prochain .

Et là encore, la Torah a autorisé des déformations de la vérité pour maintenir la Paix. Rappelez-vous l'histoire des frères de Joseph. Lorsque Jacob est mort, les frères de Joseph viennent le trouver et lui disent :"Ton père a ordonné avant de mourir de te dire de ne pas tirer vengeance de tes frères qui t'ont vendu en Egypte". Ceci n'a jamais été dans les textes bibliques, et néanmoins, le texte autorise les frères à faire dire à leur père ce qu'il n'a point dit pour que la Paix se maintienne parmi eux. Et à cause de ce terme du maintien de la Paix sociale parmi les hommes, des obligations nous sont imposées, qui dépassent le cadre de la communauté juive, qui nous demandent de rechercher la paix et l'harmonie avec nos voisins non-juifs, qui nous obligent de tenir compte du pauvre non-juif au même titre que du pauvre Juif, de distribuer dans les actes de bienfaisance également la part à ceux qui ne sont pas des nôtres. "On donne à manger aux pauvres non-juifs avec les pauvres d'Israël", on visite leurs malades en môme temps que les nôtres, on s'occupe de rendre les derniers devoirs à leurs morts comme aux nôtres, "à cause de la Paix". Et c'est pourquoi aussi nos maîtres enseignent :" Prie pour la Paix du pays dans lequel tu vis". Et nos maîtres interprètent le texte du Shema "afin que se prolongent tes jours sur la terre" en expliquant que cela veut dire : "Oeuvrez pour maintenir la Paix entre l'homme et son prochain."

la Paix en général

Et l'on arrive à la Paix en général. Lorsque j'ai essayé de préparer cet exposé sur la Paix dans la tradition rabbinique, j'ai rassemblé le matériel que je pouvais trouver. Mais je me suis rendu compte qu'il y e à peu près deux cents textes dans la littérature talmudique, qui parlent de Paix. Et lorsque je parle de littérature talmudique, je parle du Talmud, je parle du Midrash Halakha, c'est-à-dire du mi­drash dont le but est de souligner la Loi, et du Midrash Agada qui est le midrash le plus sensible aux questions morales et à l'enseignement philosophique.

"La Paix est le fondement du monde", enseigne Rabbi Yoshuah en se fondant sur le texte de Jo b: "Lui qui fait la Paix dans les hauteurs". Paix est le nom de Dieu. Comme il est dit dans le Livre des Juges, "Il l'a appelé Dieu Paix". Et c'est pourquoi le Talmud répète à diverses reprises combien grande est la Paix, puisque Dieu a voulu que son nom fut Shalom. Dieu n'a créé le monde que dans l'intention d'y faire régner la Paix, "et la paix est équivalente à l'ensemble de la création tout entière". Et le texte ajoute que le monde ne pourrait subsister que grâce à la Paix, et pour que cette Paix puisse régner dans le monde, Dieu lui a donné l'outil indispensable : et cet outil, c'est le Shabath. Le Shabath comme élément de Paix dans le monde. Peut-être si le monde reconnaissait la valeur du Shabath, aurait-il progressé vers une compréhension mutuelle et vers la Paix.

Rappelez-vous ce fameux texte qui dit que si le monde entier observait deux Shabath, le Messie serait là. Et quiconque s'oppose à la Paix, c'est comme s'il s'opposait à Dieu lui-même. C'est également dans le Zohar : "Celui qui s'oppose à la Paix, il s'oppose au nom sacré de Dieu".

La Paix est au monde ce qu'est le levain à la pâte. Et si Dieu n'avait pas donné la Paix au monde, le glaive et les bêtes sauvages auraient depuis longtemps détruit l'univers.

Or, le réceptacle de la Paix, c'est la Torah. Son but, dans les mitzvoth qu'elle nous donne, est de multiplier les chances de Paix dans le monde. La Torah entière a également été donnée uniquement pour réaliser les voies de la Paix, comme il est écrit : "les chemins de la Torah sont les chemins de douceur et chacun de ses sentiers n'est que Paix". C'est le verset 17 des Proverbes, chapitre 3. Un autre maitre interprète "qu'il vous donne la Paix", et je vous l'ai interprété tout à l'heure "la Paix dans les foyers" ; un autre maître encore interprète "qu'il te donne la Paix, la Paix de la Torah". Grande est la Paix qui est donnée comme récompense à celui qui étudie, pratique la Torah et les mitzvoth. Grande est la Paix qui est donnée à ceux qui aiment la Torah et "à ceux qui pratiquent la générosité et l'équité".

Or, le centre de la Paix universelle, pour nos maîtres, réside "dans le Temple". Quand Israël a-t-il connu la Paix véritable ? : "lorsque Dieu a fait résider sa présence dans le Sanctuaire".
Dans le Midrash Rabba, il y a un texte qui parle de l'interdiction de brandir le glaive, de brandir le fer sur les pierres avec lesquelles on construit l'autel : "Tu ne brandiras pas le fer sur l'autel" ; et le midrash dit : si déjà il est interdit de porter le fer sur l'autel qui est destiné à faire la Paix entre Dieu et les hommes, celui qui va plus loin et qui essaye d'établir la Paix entre l'homme et son prochain ou entre l'homme et sa famille, "à plus forte raison mérite-t-il que ses jours et ses années soient prolongés". Et c'est la raison pour laquelle Aaron, comme il vous a été exposé, a été l'image même de la Paix. Nos maîtres enseignent dans les Pirkei Avoth : "Sois parmi les disciples d'Aaron" ; cela signifie non seulement aimer la Paix, mais la poursuivre, non seulement aimer les créatures, aimer les hommes, mais essayer de les rapprocher de la Torah.

Je n'insisterai pas sur Aaron, puisque vous avez eu tout un exposé sur sa personnalité, mais c'est.également parce qu'Aaron a été l'homme de la Paix que lui revient à lui la Birkath hacohanim,       la Bénédiction sacerdotale. Cette Bénédiction sacerdotale lui a été accordée parce qu'il a été capable d'être l'homme de la Paix. Car la quintessence et le but de toute prière, le but de chaque bénédiction est, en définitive, le Shalom. Et dans le Midrash  Rabba, il est dit : "grande est la Paix car toutes les bénédictions, les bienfaits et toutes les consolations que Dieu apportera à Israë1 sont scellées par l'idée de Paix". Et la troisième explication de "grande est la Paix", Shalom, la Paix quand tu rentreras chez toi ; Shalom, la Paix quand tu sortiras de chez toi ; Shalom, la Paix "sur tout homme, quel qu'il soit". Et sans la Paix, enseignent nos maîtres, aucune bénédiction n'a de sens ni de valeur : "les bénédictions ne valent rien à moins que la Paix ne les accompagne", car le sceau de chaque prière, y compris la bénédiction sacerdotale n'est jamais que le mot Paix.

Quelles que soient les circonstances qui se présentent à nous, la Paix a toujours priorité. Et ceci même en temps de guerre. La Torah dit : on donne ordre à Moïse d'aller attaquer la Cisjordanie : "commence à prendre possession et commence la guerre", mais le texte continue : "Israël envoya des messagers d'abord, proposant la Paix, demandant le passage", et dans Tanhouma, on relève cette opposition : "Dieu dit : faites la guerre ; Israël propose la Paix", et Dieu approuve. "Et regardez combien grande est la Paix" enseigne encore le Tanhouma, car même aux ennemis, Dieu demande d'abord de faire des ouvertures de Paix ; comme il est dit, lorsque tu t'approcheras d'une ville pour la combattre (c'est dans le Deutéronome) "Fais-lui d'abord des offres de Paix".

Il y a sept qualités qui se présentent devant le trône divin ; elles sont mentionnées dans Avoth de Rabbin Nathan : la sagesse, l'équité, la justice, la bonté, la pitié, la vérité, la paix. Et nos maîtres appliquent ces sept qualités au célèbre verset d'Osée : "Je me fiancerai à toi à jamais, je me fiancerai : à toi par l'équité, le droit, par la bonté et la pitié, je me fiancerai à toi par la fidélité, tu connaîtras Dieu", et les maîtres disent : "je me fiancerai à toi à tout jamais - ça, c'est la qualité de la Paix".

Là encore, dans l'Alliance entre Israël et Dieu, le point de départ, c'est le Shalom. Et si Dieu n'a créé qu'un seul homme, un seul être humain, c'est encore pour des raisons de Shalom. Pour qu'aucun homme na puisse dire à son prochain "mon père était plus grand que le tien, mon sang est plus rouge que n'est ton sang" (Sanhedrîn, 17a ) ; et si Dieu a donné la Torah à Israël, la condition était la recherche de la Paix. Et ce n'est que lorsqu'Israël a connu la Paix - Paix intérieure - que la Torah lui a été donnée. Et nos maîtres l'expliquent en parlant de chacune des étapes qui ont précédé celle qui amène Israël au pied du Sinaï. Pour chacune de ces étapes, il est dit : "allez-y, levez le camp ; ils ont campé". Une seule fois il est dit "Israël a campé". La seule fois où ils ont eu une même idée, un même but, un même idéal, une unité du peuple, c'est à ce moment-là que Dieu leur a donné la Torah : "Lorsqu'ils sont arrivés au Sinaï, ils ont campé d'un seul cœur, d'une même pensée". Et l’un des rabbins va tellement loin qu’il se permet de dire : "Israël serait il même idolâtre, Israël abandonnerait-il même Dieu, si la Paix règne parmi ses concitoyens, Dieu lui-même lui pardonne". C'est dans Berakhoth, chapitre 38 :6 : "Dieu dit : je ne puis rien contre eux si la Paix réside parmi eux".

"Reviens, reviens, la Shoulamith" : Shoulamith, c'est un des termes, d'après nos maîtres, qui désignent la communauté d'Israël, la fameuse Shoulamith. Le peuple juif, c’est  "le peuple qui conclut sa prière quotidienne par le mot Shalom". Shoulamith a la même racine que Shalom (Shir HaShirim Rabba, 7a). Il est donc naturel que le Shalom se trouve non seulement dans les Prophètes, mais également dans toute la pensée rabbinique ; et que le Shalom soit un des buts - sinon le but - du messianisme juif. "Reviens, reviens, la Shoulamith" est encore interprété ainsi : "le peuple que moi ( c'est Dieu qui parle ) je ferai résider à nouveau dans une demeure de Paix". Shoulamith, Shalom.

"Grande est la Paix", car toutes les bénédictions sont incluses dans le Shalom. Et le Prophète Elie ne viendra ni pour éloigner, ni pour rapprocher les hommes, mais "uniquement pour rétablir la Paix entre les hommes".

Et la libération d'Israël est annoncée uniquement par la Paix. "Dieu n'annonce à Israël la libération que par la Paix". Ce sont ces mots, le verset par lequel j'ai commencé, le fameux verset d'Isaïe au chapitre 52. Et Dieu ne console Israël que par la Paix. Et enfin - ce sera ma dernière citation dans ce domaine,  "Lorsque le roi Messie se dévoilera à Israël, sa première phrase sera la Paix". Comme il est dit : "qu'ils sont grlorieux sur tes montagnes les pas de celui qui annonce la Paix".

Conclusion

Il y a plus de deux cents citations concernant la Paix ; j'ai essayé de vous en citer quelques-unes, et j'espère que je n'ai pas abusé de votre temps, mais les plus importantes de ces citations, nous les trouvons rassemblées dans deux textes ; nous les trouvons groupées, et si vous avez un jour l'occasion de les voir, ça vaut la peine de les détailler ; nous les trouvons d'une part dans les Commentaires qui sont donnés dans le Midrash Rabba et le Midrash Tanhouma sur la bénédiction sacerdotale, soit au chapitre 6 des Nombres, ou au chapitre 9 de du Lévitique. Et enfin, nous les trouvons dans un texte que j'ignorais totalement et qui m'a permis de voir que j'avais bien fait mes recherches, parce que j'ai retrouvé tout ce que j'avais trouvé à droite et à gauche, rassemblé dans le même Derekh haShalom, le chapitre même sur la Paix, à la fin d'un petit traité du Talmud qui s'appelle Derekh Eretz Zuta. Nous y trouvons les mêmes textes, avec de légères variantes ; et si nous avons tellement de textes parlant de la Paix, n'est-ce pas la preuve de l'aspiration au Shalom qui était le souci et l'espoir central de nos Hahamim, et ceci à une époque où Israël vivait dans une inquiétude et un trouble que, malheureusement, nous comprenons mieux encore de notre temps.

La Paix ne doit pas étre une donnée, quelque chose d'acquis, mais une recherche constante ; elle est un idéal qu'un homme doit conquérir. Nos maîtres enseignent : "Ne dis jamais à quelqu'un : pars avec la Paix. Il faut dire : va vers la Paix". Et en effet, David a dit à Absalon "Pars avec la Paix", et Absalon a trouvé la mort. Jethro a dit à Moïse : "Va vers la Paix", et Moïse est devenu le sauveur d'Israël.

Ainsi, dans tous les domaines - familial, social et même l'ère messianique - nous avons énoncé des textes qui ne font qu'interpréter ou actualiser les versets bibliques, et qui projettent la notion biblique ou les prophéties de la Paix dans la vie actuelle ou dans l'espérance de
l'avenir.
Or, et ce sera ma conclusion, à la fin de la Michna, au traité de Nezikîn, les derniers mots sont : "Dieu n'a pas trouvé de réceptacle qui puisse contenir de plus grande bénédiction pour Israël que la Paix", comme il est dit : " Dieu a voulu donner la force à son peuple", et c'est pourquoi Dieu a béni son peuple par la Paix.


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