Hommage à Mireille Warschawski za"l

27 août 2012

Sourires, odeurs, gaîté sont les souvenirs que je garde de Mireille.

Dans les années 1957-1960, notamment en sortant de chez le Docteur Wiener, pédiatre de son état, il nous arrivait quelque fois à Maman et à mes frères, Gérard et Jean-François, de passer chez « les Warschawski ».
J'en garde deux souvenirs. Le premier est le sourire accueillant de Mireille. Enfant, je ne l'ai jamais vue sans son sourire calme et posé, gage de son humeur constante, que ce fut au Gan Chalom dont la directrice, Rolande Klein, était la cousine de Maman, à la Schoule – que j'ai cessé de fréquenter après ma Bat Mitzva - ou ailleurs.
Adulte, quand je l'ai revue en 1993 à Jérusalem, je l'ai retrouvée avec cette même expression. A mon fils Alban, qui était alors âgé de six ans et qui refusait de franchir le seuil de son appartement, elle avait dit - munie de son sourire - « tu vois Alban, je laisse la porte ouverte et tu entreras quand tu le décideras ». C'est ce léger mouvement de bouche qui avait fait entrer mon fils dans son appartement ; sans lui, le petit rebelle se serait figé dans sa bouderie et serait resté planté sur le palier.
Le second souvenir est un souvenir olfactif très précis : le pain de Shabath. Nous n'avions à la maison comme seule pratique culinaire judaïque que les recettes festives de Pessa'h et quelques recette juives alsaciennes. Elevée a minima cultuel et religieux, ce pain délicieux ne faisait pas partie de mon paysage judéo-culinaire. Ce fut lors d'une ce nos visites post Docteur Wiener qu'une odeur envoûtante et délicieuse m'avait infiltrée dès mon entrée dans l'immeuble. C'est peut-être pour cela que, cinquante ans plus tard, je me souviens encore de cet appartement situé Quai Kléber et de cette émanation caractéristique du Shabath en approche.
Cette senteur est restée unique. Avec elle, une image bien précise. Quand je repense à cette odeur de pain, je revois Mireille nous ouvrant la porte avec, accrochés à ses jupons, Michel, Judith, Daniel et Évelyne.

J'ai eu une éducation religieuse light, comme plusieurs enfants juifs qui m'entouraient. Certains de mes amis sont devenus pratiquants, ce qui n'a pas été mon cas. Néanmoins, Max et Mireille ont laissé à l'enfant que j'étais la liberté de ses choix, sans émettre de jugement de valeur ni de sentences moralistes. Au fil des ans le lien n'a pas été rompu, et malgré le temps qui passait et la distance qui nous séparait, nous nous sommes retrouvés et je me suis adressée à eux comme je le faisais lorsque j'étais enfant. Ils m'ont répondu avec la même considération que lorsqu'ils m'avaient connue petite. Nos échanges n'avaient pas changé, ils étaient restés de la même qualité, avec, toujours présent chez Mireille et Max, ce souci de m'écouter et de me répondre au plus juste, en tenu compte de la personne que j'étais, que je suis devenue.
La petite fille qui ne croyait pas en Dieu s'est transformée, accompagnée par la vision humaniste du couple Warschawski qui l'a respectée dans son intégrité, en une fille de l'Humanité qui s'engage pour ses frères et sœurs quelles que soient leurs origines ethniques ou religieuse, qui s'épanouit dans le cadre de la laïcité et de la libre pensée, un être ouvert sur le monde, une militante des droits de l'Homme ; une femme du XXIème siècle qui agit dans le monde actuel.

Mireille a fait partie de mes modèles de femmes engagées. J'ai constaté en suivant son évolution qu'il fallait que j'apprenne à me positionner pour exister en tant qu'individu et en tant que femme. Ce positionnement m'a permis d'aborder l'engagement politique et associatif sans vendre mon âme aux honneurs et à avancer avec mes convictions pour tout bagage. Sur ces plans, j'avais eu une belle discussion avec Max lors de cet été 1993, alors que je démarrais mon cheminement politique. Le travail fait par Mireille avec les femmes juives et palestiniennes venait agrémenter notre discussion et m'avait convaincue que j'étais sur la bonne voie.
Mireille avait l'intelligence du cœur et l'intelligence de l'autre et de l'universalité. C'est ce qu'elle m'a donné en complément de Max qui, lorsque j'étais adolescente, m'avait aidée à grandir, et lorsque j'étais adulte, m'avait encouragée à m'engager.
Mireille était une voie sur le chemin qui mène à l'autre, aux autres. Sa voix s'est éteinte, mais elle a transmis à nombre de femmes la lumière qui l'animait.

Strasbourg et Aignes, août 2012
28 juillet 2012
Mireille Warschawski, pionnière des relations féminines judéo-chrétiennes et judéo-arabes, s'en est allée
article d'Annie-Paule Derczansky paru dans Le Huffington Post

Mireille Warschawski s'est éteinte à Jérusalem. Elle avait initié à Strasbourg les relations judéo-chrétiennes, qu'elle a poursuivies à Jérusalem. Mais cette femme, juive orthodoxe, épouse du grand rabbin de Strasbourg et du Bas-Rhin, s'est aussi lancée dans les relations de dialogue israélo-palestinien par l'intermédiaire des associations de femmes.

Mireille, la Rebetsen (femme de rabbin en yiddish et judéo-alsacien) de Strasbourg
Une perruque toujours bien coiffée, un trait de rouge à lèvres, le sourire et un humour caustique, telle était Mireille Warschawski. Sa maison à Strasbourg s'ouvrait dès huit heures du matin, pour le petit-déjeuner. Autour de la grande table agrémentée des harengs et des baguettes aux graines de pavot, se retrouvaient les étudiants dont les familles étaient éloignées, amis, et voisins de banc de prières de son mari.
Le vendredi soir et le samedi midi, les deux repas du shabbat, Mireille ne souffrait pas d'une surcharge de travail du fait d'avoir une quinzaine d'invités, mais s'inquiétait d'avoir peut-être oublié de convier une personne.
Aujourd'hui, on apprend aux filles des familles juives devenues pratiquantes, que moins on fait d'études, mieux c'est, moins on parle à un non-juif, plus l'éternel, vous bénit... Mireille, mère de 7 enfants, licenciée de philosophie de la Sorbonne, avait une passion: la retransmission du savoir et de ses engagements. Elle enchaînait les conférences pour expliquer aux non-juifs le judaïsme pour permettre ce qu'on nomme aujourd'hui "le vivre ensemble".
Son enseignement, elle l'a donné à des élèves devenus célèbres. Elle assurait l'encadrement des gamins libérés du camp de concentration Buchenwald et accueillis en France. Elie Wiesel en faisait partie. Elle s'est chargée, avec d'autres étudiants en philo de lui apprendre à lire et écrire le français. À Strasbourg, elle dispensait son savoir dans les écoles d'infirmières. Un jour, je lui avais demandé :
- Mais à quoi ça sert ?
Elle m'avait répondu :
- Imagine une infirmière qui entre dans la chambre d'un malade en train de mettre les téphilines (lanières de cuir dont les juifs enroulent leur bras pour prier), elle part en courant... Au mieux elle le prend pour un dingue, au pire, elle a peur qu'il l'étrangle. Quand j'explique que c'est un rituel régulier, qu'il s'agit du moment de la prière, la fois où elle tombe sur ce genre de situation, l'infirmière sait de quoi il s'agit, elle reviendra dans la chambre quelques instants plus tard, sans affolement.

Militante des relations judéo-chrétiennes
Après le drame du génocide juif, Mireille, en tant que femme de rabbin, a entamé le dialogue avec les sœurs, notamment celles de l'ordre de Notre-Dame-de-Sion. Il ne s'agissait pas de béni-oui-oui, mais de vrais échanges qui parfois demandaient des comptes et ouvraient les voies du changement.
Ce dialogue entamé à Strasbourg, Mireille l'a continué à Jérusalem, toujours avec les sœurs de Notre-Dame-de-Sion.
Lors d'un de mes reportages à Jérusalem, une des soeurs, m'a raconté :
- Je suis arrivée chez Mireille, avec une autre sœur. Elle était très en colère, suite à des propos tenus par les dirigeants de l'Eglise. Ce jour-là il neigeait. Elle a dit : "Bon, on ouvre les manteaux, on s'assoit, je vous fais un thé et l'on va parler!" Ce jour-là, la sœur a enfin admis que certaines décisions de l'Eglise catholique pouvaient provoquer de vrais remous chez les juifs. Elle m'a précisé: "J'ai compris à quel point il y avait chez Mireille, une souffrance de notre incompréhension du judaïsme, j'ai fait remonter à Rome."
Mireille, ce n'était pas un agent diplomatique du judaïsme auprès du Vatican, elle savait simplement convaincre.

Militante du dialogue israélo-palestinien
A Jérusalem,un autre combat l'attend, celui du dialogue israélo-palestinien. Mireille et le Grand rabbin avaient élevé leurs enfants dans le sionisme, pas celui des salons où l'on cause, celui où l'on fait ce qu'on croit.
Ses deux aînés, Judith et Michel, sont des militants pacifistes. L'une brandit, dans les rues de Jérusalem, chaque vendredi, les panneaux des Femmes en Noir. Cette organisation de femmes israéliennes réclame la restitution des territoires conquis en1967 par Israël. Michel, est l'un des chefs de l'extrême gauche israélienne, attaché au respect des droits universels.
Arrivée avec son mari à l'âge de la retraite, Mireille apprend que vivre dans la cité de l'Eternel peut causer des soucis. Elle prend le chemin de l'American Colony, hôtel de Jérusalem Est, où se retrouvent, femmes israéliennes et palestiniennes pour tenter de construire un monde qui convienne à chacune sans oublier l'autre...
Elle m'expliquera :
- On est dans une situation complexe. Nous les juifs, on a un droit spirituel sur cette terre. Elles, les Palestiniennes, elles revendiquent une présence historique. Il faut réussir à concilier nos revendications.
Elle avait le souci de la garantie de ses droits tout en respectant l'autre. C'était des prouesses quotidiennes auxquelles elle se prêtait. Pendant la guerre du Golfe, elle emmenait un de ses petits-fils au Burger King de Jérusalem, dans la rue piétonne et la plus touristique. C'était une sortie entre deux tirs de skuds de Bagdad. Du haut de ses 8 ans le gamin, qui vivait depuis plusieurs semaines entre masque à gaz et pièce d'isolement lui dit :
- Il faut tuer tous les Arabes !
Mireille s'est pincé les lèvres,a réfléchi une minute, a hoché la tête et a répondu :
- T'as raison. Alors on commence par qui ? Parce que si on les tue tous, faut commencer par quelqu'un.
Bien évidemment, le gamin est resté coi. Mireille lui a fait une proposition :
- On commence par Mery, c'est le plus facile.
Mery était une dame arabe qui venait l'aider à entretenir la maison, adorée par tous ses petits-enfants. Le gamin s'est écrié:
- Ah non, pas Mery !
- Tu as compris, il n'y a pas de responsabilité générale.
Mireille portait ses convictions en dehors de la sphère familiale. Avec toutes ses filles, elle a claqué la porte de sa coiffeuse pour des propos qu'elle a jugés inadmissibles.

Militante féministe
Mireille était à la pointe de tous les combats bénéfiques pour le peuple juif mais aussi pour l'humanité. Dans sa cuisine à Strasbourg, un jour, elle a martelé :
- Le judaïsme ne se vit pas dans une bouilloire. Il se vit dans la cité, à la vue de tous. On nous a donné la Thora pour la faire connaître.
Mireille militait donc aussi pour le droit des femmes, le droit à la connaissance, à la reconnaissance et au respect. Pas du genre femme soumise. Elle savait vous expliquer comment sans les femmes point de salut! Toute l'histoire juive et le judaïsme sauvés grâce aux femmes, à chaque génération, quitte à faire grincer les dents de plus d'un homme. Mais ses engagements ne s'arrêtaient pas sur le seuil de la synagogue. Un jour, elle découvre une pub, dans un hebdomadaire qu'elle ne manquait jamais de lire, et que montre cette pub?
Un homme manie une baguette dans une main, un diamant dans l'autre qu'il offre à une femme.Le slogan publicitaire était :
- Je la mène à la baguette !
Alors là, c'est Mireille qui a manié la baguette ! C'est-à-dire le stylo et le téléphone. Elle a fait écrire toutes les femmes des associations juives, toutes les sœurs des couvents, toutes les infirmières, bref toutes les femmes... La pub a été retirée...
Un intellectuel, disait d'elle :
- Une Mireille, il en existe une et une seule !
Elle est décédée le 20 juin à Jérusalem.

Mardi 17 juillet 2012
Message d' Elfrid Bergmann

Mireille n'est plus. Mireille nous a quittés. Nombreux sont ceux qui ont souligné l'activité de cette femme qui ne se contentait pas d'être seulement la femme du rabbin, sa principale collaboratrice, mais qui avait aussi son activité propre, dans le domaine de l'éducation, dans le domaine social, une activité qui dépassait aussi le cadre de la communauté.
Mais Mireille était aussi une amie avec laquelle j'étais liée pendant la plus grande partie de ma vie, avec laquelle j'ai partagé joies et tristesse, succès et déconvenues. A l'aube de notre amitié, nous n'étions pas destinées à nous rencontrer. Synagogue, école, mouvement de jeunesse étaient des lieux différents pour chacune de nous. Ils nous avaient donné une formation différente mais qui finalement, eurent un effet de complémentarité dans notre amitié et de notre collaboration.
A Strasbourg, alors que la communauté renaissait et vivait son âge d'or grâce à ses dirigeants et son rabbin, Max Warschawski (digne émule de notre maître à tous, le grand rabbin Deutsch), nous nous sommes investies dans le travail communautaire, le sionisme de la Wizo et les relations avec d'autres organisations féminines.
Lorsque nous nous sommes retrouvées à Jérusalem, notre amitié a pris un tour plus intime. Longues conversations, philosophie et religion, promenades et excursions, famille et enfants. Tout était découverte.
Mireille m'a beaucoup appris, dans le domaine religieux, bien entendu, où elle a été ma référence. D'autre part, nous avons été, à plusieurs reprises, un soutien et une consolation, l'une pour l'autre.
Le souvenir que je garderai d'elle, ne se borne pas à "la grande dame de la communauté". Non, Mireille était aussi espiègle, rieuse, pleine d'humour. Il fallait la voir et l'entendre, lorsque les "Marsiennes" (petit groupe, très fermé de copines nées au mois de Mars) se réunissaient une fois l'an. Notre âge ne comptait plus et nous pouvions rire et nous amuser comme des collégiennes. Mireille était aussi très cultivée, ce qui n'était pas le moindre atout dans nos relations.
Ses dernières années furent difficiles. La maladie et les deuils qui l'ont frappée ont eu peu à peu raison et de sa force physique et de sa force morale. Elle est partie après une vie bien remplie, dont se souviendront ceux qui eurent la chance de l'avoir connue.
Que son souvenir soit béni.

Mercredi 4 juillet 2012
Message de Binyamin Weil

Je me souviens d'une petite anecdote quand j'avais 4 ou 5 ans en 1984 ou 1985 je crois. C'était à la fin d'une classe verte de l'école 'Yehoudah Halevy' a Ramochan, ou se trouvaient mes grandes soeurs. En ce dernier jour de classe verte, les familles des éleves étaient invitées pour un spectacle des éleves en présence de M le grand rabbin Warschawski et madame. Des rangs de chaises étaient bien-sûr disposées pour les spectateurs avec évidemment la 1ere rangée réservée pour les 'officiels' (c'est a dire directrice, M et Mme le grand rabbin.....). Cependant, cette évidence ne sautait pas aux yeux de l'enfant de 4 ou 5 ans que j'étais, et je me suis assis au 1er rang que je convoitais, jusqu'a ce que l'organisatrice du spectacle tenta de me faire partir en disant que ces places etaient reservées, mais je ne voulais pas partir de ma 'superbe place' du 1er rang. Alors madame Mireille Warschawski za'l a trouvé une 'pshara' (un compromis) et elle m'a pris sur ses genoux.
Quelques souvenirs également d'intervention de M le grand rabbin et Mme quand j'étais au 'gan shalome' et durant mes 2 premières années de 'Yehoudah Halevy' (j'avais 7 ou 8 ans quand M. le grand rabbin Gutman est arrivé) et surtout a 'Yom Hatsmaouth' quoique a l'epoque je ne savais pas trop ce qu'était ce jour.
Hamokome yena'hem ess'heime besso'h shaar aveilei Tsiyone velYerousholoime

Jeudi 28 juin 2012
Message de Jean-Bernard Lemmel

Juste une anecdote qui me vient à l'esprit (il y en a tant )
Quand j'étais Président du Consistoire de Lyon , nous recevions Elie Wiesel lors d'un repas officiel à la Prefecture du Rhône. Ayant parlé avec Mireille quelques jours avant , elle m'avait appris avoir été l'enseignante de Wiesel à son arrivée à Lyon dans un foyer de l'OSE à la suite de sa déportation .

En prenant la parole pour l'accueillir , je lui ai dit que nous avions un point en commun : la même maitresse , et quelle maitresse!, silence médusé de la salle , regard étonné d'Elie Wiesel, et sourires et rires à l'évocation du nom de Mireille, réponse d'Elie Wiesel pour rappeler ces moments. il a rajouté en apparté le souvenir de Raymond Franck également présent à cet époque .
voilà , ce soir je garde ce sourire en pensant à Elle

Jeudi 28 juin 2012
Message de Claire et Samy Kossovsky

Mireille Warschawski
Ainsi, Mireille vient de suivre Babette et Max.
C'est une grande figure qui disparaît. Les rangs s'éclaircissent...
Comme nous l'exprimions lors de la disparition du Grand Rabbin Warschawski, nous avions tissé avec lui-même et les siens des liens très forts.

Des souvenirs plaisants nous reviennent en mémoire. Lors de la naissance de notre troisième fils, à Strasbourg, quai Kléber, le petit dernier de Mireille et Max, Joël alors âgé de trois ans, est venu chez nous voir le nouveau-né. En remontant chez lui, il a dit à sa mère : « Chez les Kossovsky, il y a un bébé , et chez nous, il n'y a jamais de bébé »… Les bras de Mireille lui en sont tombés. Plus tard, après qu'ils aient rejoint Israël, Mireille a pu nous dire qu'ils pensaient à nous tous les jours : ils habitaient rehov Kossovsky.

L'an passé, nous avions pu, au milieu de la foule rassemblée à l'occasion du mariage de Sonia, entrevoir Mireille, et observer, avec douleur, les effets de l'âge et de la maladie.
Nous gardons au cœur le souvenir rayonnant de sa présence chaleureuse et souriante.
Notre sympathie et notre affection accompagnent la peine des siens.

Claire et Samy Kossovsky, Versoix (Suisse)

Lundi 25 juin juin 2012
Message de Janine Elkouby

En mémoire de Mireille Warschawski zal

La mort de Mireille Warschawski est pour moi, pour nous tous, une page qui se tourne dans l'histoire de notre communauté.
Je l'ai vue, au fil de mes visites dans son appartement à Jérusalem, s'éloigner doucement, petit à petit, j'ai vu sa silhouette s'amenuiser, petit à petit, son regard s'absenter, se porter au-dedans d'elle-même, et je repartais chaque fois, déchirée, comme quelqu'un qui reste sur la rive et qui regarde le navire s'éloigner, devenir de plus en plus imperceptible et disparaître à sa vue…

Mireille Warschawski est pour moi, pour toute ma génération, l'image même du judaïsme. Un judaïsme qu'aux côtés de son mari, le Grand Rabbin Max Warschawski zal, mon maître, notre maître, elle nous a transmis, un judaïsme rigoureux au plan de la pratique, un judaïsme exigeant de vie, de force, d'intelligence et de cœur.

Comment évoquer Mireille sans le Grand Rabbin, le Grand rabbin sans Mireille ?
Et c'est tout naturellement que me vient à l'esprit, au cœur, aux lèvres, cette Echet ‘Hayil dont l'évocation clôt en beauté et en force le Livre des Proverbes.
Car ce texte, Mireille l'aimait particulièrement : elle se reconnaissait dans le portrait haut en couleurs de cette « femme de force » - expression que les Bibles du 19ème siècle ont de façon si malencontreuse, si insipide et somme toute si fausse, rendue par ce lieu commun « femme vertueuse ». Non seulement elle se reconnaissait en elle, mais encore elle identifiait dans cette figure l'image de la femme moderne, à l'activité inlassable, présente sur tous les fronts, dans la sphère privée comme dans la sphère publique, et décidée à affirmer sa présence et dans l'une et dans l'autre, sans rien céder.

Car la Echet ‘Hayil, comme Mireille, est une femme polyvalente : « elle se procure de la laine et du lin », ces deux matières qu'on ne peut travailler ensemble, comme pour nous dire qu'elle réussit le tour de force de réconcilier ce qui de prime abord est incompatible ; elle constitue, dans le cadre de sa famille, le pivot, l'axe central autour duquel tout gravite ; sur elle repose la confiance totale de son mari, dont elle favorise la promotion sociale et le bonheur, comme le bien-être physique et moral de ses enfants et de toute la maison ; elle travaille, comme aimait à le dire Mireille, entretient des relations commerciales avec son entourage, cultive et plante, au sens propre comme au sens figuré, est une créatrice, puisqu'elle brode, tisse, confectionne des ceintures ; toute cette activité fébrile s'ordonnance autour de sa présence agissante auprès d'autrui et de la « crainte de Dieu » : non pas, bien évidemment, qu'elle tremblerait d'un effroi superstitieux, mais elle a appris à instituer cette juste distance entre elle et les autres,qui a nom, dans la tradition juive « crainte de Dieu » et qui permet d'instaurer la relation.

La relation : c'est bien là, en effet, la clef d'accès, le « Sésame, ouvre-toi », qui permet de comprendre ce qu'a été profondément Mireille.
Car sa vie tout entière témoigne de cette volonté de relation qui, pour elle, était essentielle, et qu'elle exprimait par l'importance qu'elle conférait aux Mitsvot ben adam la'havero, les obligations que l'on a vis-à-vis de son prochain, l'un des deux versants de la vie d'un Juif.
Mireille, durant toute sa vie, a milité pour, et a pratiqué un judaïsme de dialogue :

Mireille, c'était aussi la revendication d'un judaïsme axé sur l'étude, la quête, la patiente construction de soi, dans le respect de chacun et de chacune, dans la discussion et le débat honnête, dans la responsabilité et la lucidité. Elle défendait passionnément l'égalité dans la différence, refusant tout autant l'inégalité que l'uniformisation.
Elle a aimé la communauté, passionnément, y consacrant sa vie tout entière. Elle était attachée à ses minhaguim, ses habitudes : dans son dernier message à ses amies de la ‘Hevra kadicha, elle leur a demandé avec insistance de maintenir les usages ancestraux de la communauté, ceux de la vallée du Rhin qui remontent au piétisme rhénan du haut Moyen Age. Ella avait coutume de dire qu'un rabbin, c'était aussi sa femme, et que le travail rabbinique ne pouvait être que celui du couple rabbinique. Ce qui l'amenait à être une adepte inconditionnelle du bénévolat, qu'elle considérait comme incontournable et qu'elle a pratiqué toujours et partout. Innombrables sont les associations où elle a milité, du Gan Chalom à la Wizo, de l'ASJ au Comité féminin d'Eshel ou de l'Ort, et de tant d'autres…

Le texte d'Echet ‘Hayil termine sur ce jugement : « Cheqer ha'hen vehevel hayofi icha yirat hachem hi tithalal », « Mensonge que la grâce, vanité que la beauté, la femme qui craint l'Eternel est seule digne de louanges ». La grâce et la beauté, comme beaucoup d'autres choses, peuvent être, en effet, pure apparence, mensonge ; ce que l'on voi n'est pas toujours vérité. Mireille, elle, était authentique, dans sa beauté comme dans son judaïsme.

Yehi chema baroukh, que son nom soit source de bénédictions.

Lundi 25 juin
Message du Rabbin Claude Heymann

Salle Blum le lundi 25 juin : Lernen (soirée d'étude) en hommage à Mireille Warschawski
Moraï ve Rabotaï

Beaucoup de choses viennent d'être dites par les différents intervenants et il m'incombe de conclure.
C'est avec grande émotion que je prends à mon tour la parole en cette soirée dédiée à la mémoire de Reisele bass Yaakov, Mireille Warschawski olého hachaolaum car c'est une page d'une histoire forte qui s'est tournée à Jérusalem mercredi dernier en ce jour de Roch 'Hodech Tamouz.
Mais c'est aussi avec appréhension que je m'adresse à vous car mon regard et mes souvenirs sont attachés à une période bien limitée de ma vie, en effet c'est uniquement comme petit garçon puis comme adolescent que j'ai connu Mireille zl de façon suffisamment proche pour en parler en connaissance de cause.

Et c'est tant son inscription dans la communauté aux côtés de son époux Moreinou Horav Meir Chim-one ben Yits'hok Haleivy zl que sa voix propre à cette époque là, qui remontent en cet instant en ma mémoire.
Mais tout d'abord comment ne pas rappeler son emblématique parcours-son père venait de Westhouse la communauté mère de Benfeld, comment ne pas rappeler son parcours, disais-je qui l'a successivement menée d'Erstein à Strasbourg puis à Paris à la synagogue de la rue Cadet avant et pendant la guerre tout ceci en moins de vingt ans. Trois lieux très différents !
On peut aisément imaginer comment chacune de ses communautés l'aura marquée à sa manière, chaque lieu enrichissant sa personnalité d'une touche nouvelle. Mireille Warschawski zl incarne à elle seule l'histoire du judaïsme alsacien du vingtième siècle en pleine évolution, qui cherchant sa voix s'est vu confronté au fait juif dans toute sa diversité, défi dépassant et de loin, les enjeux locaux et les limites géographiques de ses origines.
Il n'est pas banal non plus que son père juif alsacien observant ait trouvé en la communauté de la rue Kagueneck avant guerre un lieu à sa mesure au point de faire partie de sa commission administrative. La démarche de Julien (Jacob) Metzger et de sa famille tout en n'ayant rien d' exceptionnelle-il y en eut d'autres semblables, reste peu courante à l'époque, je veux parler de la fin des années vingt.

Mireille fut une jeune fille bien formée au niveau juif, elle avait reçu un enseignement fort et bien structuré à Etz ‘Hayim et à Yechouroun, et ces connaissances bien charpentées lui ont permis de poursuivre son apprentissage puis d'enseigner à son tour pendant de longues années. Mais Mireille restera pour ceux qui l'ont connue, en dehors de son engagement tous azimuts au niveau institutionnel, une femme proche des jeunes. Elle a pu être, non seulement une épouse de rabbin active et stimulante pour beaucoup, mais elle a aussi été, à l'occasion, une grande soeur, voire une confidente sachant écouter et comprendre la situation des adolescents et des jeunes adultes parfois confrontés à un mode d'éducation très marqué par la rigueur et la dureté.

Permettez-moi quelque petites anecdotes plus personnelles : Comment ne pas me rappeler de ce voyage pour adolescents en Israël effectué sous la conduite du couple Warschawski et de ma chemise blanche repassée par Mireille elle-même quelques instants avant chabbat ?
Comment ne pas me souvenir de son apparition au beau milieu du cours de chabbat après midi apportant aux jeunes le viatique nécessaire pour une bonne étude !
Et bien sûr, lorsque je lui rendais visite à Jérusalem la seule question qui l'intéressait vraiment était celle-ci : "alors comment va le Talmud Torah?" Son intérêt pour l'enseignement ne s'est jamais démenti !
Mais c'est son enthousiasme pour tout ce qui touchait à la communauté qui m'a personnellement le plus marqué - et avec le recul c'est ce qui m'apparaît avec le plus de profondeur comme étant sa marque de fabrique. Mireille zl avait une forte conscience de sa nécessaire implication, plus précisément encore, elle était imprégnée de son sens des responsabilités vis à vis de cette communauté exsangue après guerre et qu'il fallait reconstruire.

C' est pourquoi je voudrais lui consacrer ces quelques versets célèbres du livre de Ruth qui illustrent le regard que le jeune merkazien que je fus, porte sur l'épouse de son maître zl.
Lorsque Naomie, insiste pour que sa belle fille Ruth reste en pays de Moav et ne la suive point dans ce grand voyage qu'elle entreprend pour rentrer chez elle à Beith Lé'hem en terre d ‘Israël.
Ruth lui répond :

"N'insiste pas...car là où tu iras j'irai
et là où tu passeras la nuit je passerai la nuit.
Ton peuple sera mon peuple et ton D.ieu sera mon D.ieu."

Il s'agit là d'option fondamentales, en disant à sa belle mère "là où tu iras j'irai", Ruth ne pense pas seulement au fait de l'accompagner fut-ce en Eretz Israël. Elle pense certainement au cheminement qui est le nôtre, à cette "hali'ha" à l'exercice patient et constant de notre responsabilité vis à vis de nous même et des autres. Ainsi, Ruth n'entend pas perdre son temps dans les divertissements de son époque, elle veut progresser, en assumant toute ses responsabilités à l'instar de Naomie elle-même, qui avance sur sa route. Comment ne pas entendre aussi la voix de Mireille qui rappelait sans cesse que Hala' ha vient du verbe halo'h-marcher qui signifie approfondir et progresser.

Assumer ses responsabilités c'est aussi faire des choix, on ne peut marcher, se déplacer sans se délester de l'inutile et du superflu, on peut même y voir le sens de l'interdiction de porter quoi que ce soit dans un espace public ouvert le chabbat. Et comment ne pas ressentir une forte humilité en entendant Mireille raconter les divers tours de passe-passe nécessaires qu'elle réalisait avec sa soeur Eliane de mémoire bénie-Paris ne comportant plus alors de ceinture fortifiée depuis quelques décennies pour éviter de « porter » le chabbat. Rappelons qu' avant comme pendant la guerre elle était tenue d'être présente aux cours avec ses affaires même ce jour là, sans écrire bien sûr. Là où tu iras j'irai... : elle en avait la force et les capacités !
"Là où tu passeras la nuit je passerai la nuit" : ainsi Le Grand Rabbin et sa future épouse ont passé en quelque sorte la nuit de la guerre de concert tout en étant séparés. Le jeune Max d'abord élève au P.s.i.l à Limoges sous la houlette du Grand Rabbin Abraham Deutsch zl puis dans le maquis et Mireille dans sa famille dans une résistance en actes toute spirituelle où les dangers étaient quotidiens. D'un certain point de vue ils restèrent tous les deux des résistants.

Mireille Warschawski avait aussi un amour immodéré pour le juif éloigné et comme Ruth elle aurait dit : "ton peuple sera mon peuple" essayant de guider et d'orienter chacun selon sa voie.
Bien sûr elle avait ses propres options, options qui ne ralliaient pas tous les suffrages, elle entendait cependant, convaincue de ses choix, réaliser ce qu'elle considérait comme son chemin.
Mais je voudrais pour conclure ici encore une fois rappeler son exceptionnelle hospitalité. Habitée par une grande générosité qui l'avait déjà conduite à s'engager au lendemain de la guerre au service des jeunes déportés, elle a ouvert sa maison à une multitude de jeunes et de moins jeunes. Pour beaucoup de 6 quai Kléber fut un second foyer et pour certain leur seul foyer. Mireille Warschawski à su se dévouer en faveur notre communauté, et en retour nous voulons lui exprimer ici notre plus fidèle reconnaissance. Le 'Hessed est très présent à chaque page du livre de Ruth et je conclurai en dédiant à Mireille le verset suivant

Qu' Hachem t'accorde le prix de ton dévouement.
Puisse-t-tu recevoir une récompense complète
de la part d' Hachem (2:12)
Lundi 25 juin 2012, à 17H21
Message de la Famille Jarach

Boru'h dayan haemes.
Une grande dame du Judaïsme alsacien s'est éteinte, elle va nous manquer...

Jeudi 21 juin 2012
Message de Elie Wiesel

Amis et membres de la famille,
Comment vous dire ma tristesse ? Elle est profonde. J'ai connu, bien connu Mireille. Son sourire, sa sagesse, son désir d'aider, de nous aider tous dans les Maisons d'enfants de l'OSE : comment les oublier ?
Je me souviens aussi de mes dernières visites chez elle à Jérusalem. Les années n'eurent aucun effet sur elle. La même voix jeune, le même regard. La même sensibilité. Elle reste dans ma mémoire comme un rayon lumineux et bienfaisant chaleureux.
Yehé zichra baruch.
Elie (Leizer) Wiesel

Mercredi 20 juin 2012
Message de Nicole Franck

Chers Michel et Léa, Judith, Daniel et Aviva, Annie et Michel, Evelyne, Joël et Bijou, Daniel et tous vos enfants enfants et petits enfants,

Mon cœur pleure avec vous.
C'est vraiment ce que je ressens au plus profond de moi, cette déchirure dans mon âme.

Mireille, ma cousine, mon amie, a été un exemple de vie pour moi.
Elle si courageuse, si battante, ne se plaignait jamais.
J'ai eu le bonheur de la voir encore au mois de mai, et connaissant son état, cela m'a poussé à venir pour Dédé.
Je la trouvais diminuée, mais si heureuse de me dire combien tous ses enfants étaient gentils .
Merci Michel R. de m'avoir tenu au courant et de me l'avoir encore passée au téléphone vendredi dernier. Grâce à toi, à Judith et Annie, j'ai eu l'impression de participer à ses derniers moments.
Mais je voudrais aussi rappeler la femme vaillante, la vraie Rabbine qui savait enseigner, écouter, conseiller, se battre pour défendre ses convictions,

Celle qui a créé la formule de bath mitzva, nouvelle à Strasbourg,
Celle qui a créé l'école Yehouda Halévi,
Celle qui a dirigé la pédagogie du Gan Chalom,
Celle qui donnait des cours aux enfants, aux adultes aux futures mariées,
Celle qui s'occupait de la ‘Hevra, de la Société des Dames,
Celle qui accueillait tant de gens de divers horizons chez elle,
Celle qui a créé le groupe d'études interconfessionnel, qui la cite encore aujourd'hui, rappelant "Madame Warschawski nous enseignait ceci ou cela".
Celle qui faisait si bien les gâteaux et la cuisine,
J'en oublie.
Mais sachez que vous avez eu deux parents exceptionnels

Michel et Léa, Judith, Daniel et Aviva, Annie et Michel,Evelyne ,Joel et Bijou, Daniel et tous vos enfants , vous venez de perdre votre Maman bien aimée,
Vous représentez pour moi un exemple de Kiboud Av Vaèm.
Chacun d'entre vous a formé une haie de protection autour d'elle, chacun l'a aidée à continuer à vivre dignement.
Ce sentiment du devoir accompli vous aidera à surmonter le chagrin de cette perte à nulle autre pareille.
Merlitta y a aussi contribué et dites lui que je pense beaucoup à elle.


Que D. vous aide à surmonter cette nouvelle épreuve.
Hamakom yena‘hem eth'hem betor chear avelei Tzion Virouchalayim
Affectueusement, Nicole


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