La femme dans la tradition juive
par Mireille WARSCHAWSKI
Extrait du Bulletin de la Coopération féminine  du FSJU - mai 1982

 


Adam et Eve au paradis


Sara et les anges


Rachel et Eliezer


Tamar et Juda


Ruth et Boaz


Esther

Lithographies de Marc Chagall (1960)

Dans la seconde partie du 20ème siècle, combien de fois n'avons-nous pas été frappés par des formules mettant en cause la pensée judéo-chrétienne, en particulier lorsqu'il s'agissait d'analyser la place de la femme dans la société occidentale ?

"Pensée judéo‑chrétienne" ?

Cet amalgame reflète-t-il une réalité ? Peut-on poser l'équation suivante : pensée chrétienne = pensée juive. Et accepter de reconnaître qu'au nom d'une conception judéo-chrétienne de la femme dans la société, nous avons vécu des millénaires d'oppression, d'asservissement et de rôles secondaires, sous tutelle masculine, d'un père, d'un mari ou d'un frère ?
Un minimum d'honnêteté intellectuelle devrait nous pousser à analyser deux comportements : le chrétien et le juif (on pourrait dire également l'islamique et le juif) et voir s'il y a concordance absolue, identité de vue totale. Et ne devrions-nous pas remonter à nos sources spécifiquement juives pour constater qu'on ne vit pas impunément deux mille ans de Gola (d'exil), en minoritaires, sans être imprégné par ces modes de pensée et les attitudes vécues du milieu ambiant majoritaire.

Les deux attitudes

Le christianisme a rejeté sur la femme tout le poids du péché originel ; elle est par conséquent responsable du mal dans le monde, porteuse de tout ce qu'engendre ce mal. Elle reste "la tentatrice", la collaboratrice de Satan. Voilà ce qui explique la place nettement inférieure où la femme chrétienne a été reléguée. En rendant chaque homme et chaque femme responsable de ses actes, en les élevant en quelque sorte "au-dessus des anges", le judaïsme leur confère, grâce à la Torah, leur dignité. La Torah nous permet de retrouver dans chaque couple, image idéale du couple primitif, celle du plan de D., tel que D. l'a voulu au moment de la création d'Ève.

Grâce au Tikoun (redressement d'une situation détériorée), la Torah nous permet de redonner le sens premier au "Ezer Kenegdo" (Genèse 2:18). D., selon la tradition, créa la femme à partir d'un côté de l'homme et la plaça en face d'Adam (Keneged) comme une aide (Ezer). Les époux deviennent ainsi deux collaborateurs égaux dans une œuvre de construction de tous les jours, collaborateurs de même valeur, égaux, mais non identiques.

Dès le départ, nous voyons que la femme, complément de l'homme dans la mesure où l'homme est son complément à elle, la femme, Isha, forme avec son compagnon, Ish, un couple chargé de construire le monde (Gn. 2:23). Lorsque D. eut fini son œuvre de création, à la fin du 6e jour, n'ordonna-t-il pas à l'être humain d'agir sur ce qui avait été créé, en lui demandant "La'assoth"- de faire - de passer à l'action.

La femme et la tradition

Pour parler de la femme dans la tradition, en essayant de la redécouvrir par la lecture de nos textes, nous pourrions nous intéresser à maints aspects de son rôle : juridique, familial, social, pour n'en citer que quelques-uns. Nous savons que dans la juridiction juive la femme est souvent mineure et dépendante. Mais une étude approfondie nous permettrait de comprendre que dans une société patriarcale, où la femme est économiquement dépendante, elle doit être protégée. Par la suite, quelques "redressements"  ou tikounim ont été apportés à son statut matrimonial.

La femme et l'histoire

Nous reviendrons peut-être sur ce sujet à la fin de cette étude mais j'aimerais m'appesantir davantage sur son rôle de "faiseuse de l'histoire", tant il me semble clair qu'au moment des graves décisions, il s'est toujours trouvé une femme pour infléchir l'événement dans la bonne direction.

A l'aube de l'histoire de l'humanité, Ève a commis une faute en désobéissant à l'ordre divin (Gn. ch.3) ; mais en ouvrant les portes de l'Eden, n'a-t-elle pas placé l'homme dans un monde événementiel et dynamique ?
D. n'a-t-il pas, par l'intermédiaire de la première femme, enseigné que l'être humain était libre dans son choix et par cela même responsable de ses actes ; il sera dorénavant obligé de s'assumer, d'affronter les éléments hostiles pour survivre, car rien ne lui sera plus donné a priori. Et n'est-ce pas cette lutte quotidienne pour la survie physique et pour une certaine spiritualité, qui font la grandeur de l'être humain ?

Après nous avoir parlé du début de l'humanité, la Torah réduit ses préoccupations à l'histoire du peuple juif, et ceci à partir d'Abraham.
Il est vrai que D. s'adresse aux patriarches, à Abraham, à Isaac et à Jacob. Mais, leurs épouses ne se sont-elles pas trouvées chaque fois qu'il le fallait à la croisée des chemins ?
C'est Sarah qui conseille à Abraham d'écarter Ismaël, le fils d'Agar ; Abraham hésite  car c'est de son fils qu'il s'agit. Mais D. le rassure : "tout ce que te dit Sarah, exécute-le" (Gn. 21:9-13)- et Isaac restera seul héritier du destin juif.

L'intervention de sa bru sera encore plus significative.
Rébecca, femme d'Isaac, décidera, en son âme et conscience, à l'insu de son époux, de faire appel à un subterfuge (Gn. ch.27). Isaac, aveuglé, dit le Midrach, par les larmes brûlantes autrefois versées par les anges lorsqu'Abraham l'avait lié sur l'autel du sacrifice, préférait son fils Ésaü qui savait flatter ses goûts. Il l'avait donc convoqué pour le bénir, c'est-à-dire en faire l'héritier de la promesse d'Abraham.
Que serait-il advenu du destin juif si Rébecca, in extremis, n'avait remplacé Ésaü par son frère Jacob, le seul digne de recevoir l'héritage spirituel ?

Le Midrach nous raconte que les Hébreux en Égypte, ayant pris connaissance de l'édit royal condamnant à mort les nouveau-nés mâles décidèrent de ne plus avoir d'enfants et les parents de Aaron et Myriam, Amram et Yo'he­beth, décidèrent de se séparer. Myriam, leur fille, s'opposa violemment à cette décision : "Vous êtes pires que le Pharaon, car vous empêchez également les filles de naître". La leçon porta et... Moïse naquit (Midrach sur Exode).

Nous pourrions multiplier les exemples, parler de sages-femmes en Égypte, de Déborah, de Ruth, d'Esther, qui toutes forgèrent l'avenir du peuple juif.
Si nous nous contentons de tirer ces quelques exemples de la littérature biblique, c'est qu'il nous semble essentiel de retourner aux sources pour essayer de comprendre ce qu'est réellement la femme juive. Si l'histoire n'a retenu que quelques noms, il apparaît d'une façon claire que la femme a toujours été une lutteuse. Elle a su se battre pour ses droits aussi bien que pour ceux de ses enfants.
Les cinq filles de Tzelofhat n'ont-elles pas su faire reconnaître leurs droits à la succession paternelle (Nombres 27:1-11) ? Batchéva n'a-t-elle pas lutté pour obtenir pour son fils le trône de  son père David (1Rois ch.1) ?

Mais je pense que ce tableau serait incomplet si nous négligions l'image de la mère. Cet aspect semble à première vue "rétro". Parler du rôle de la femme à l'intérieur de son foyer, dans un monde qui voit l'épanouissement de la femme dans la vie professionnelle, qui oserait le faire ?

La femme juive et le foyer

De même que nous avons pris nos distances avec une certaine façon chrétienne de voir les choses, nous nous devons de prendre du recul, face à une certaine approche du problème féminin. Constatant l'échec de la société moderne devant les problèmes des jeunes, nous avons le devoir de nous demander si notre conception de la vie familiale, de l'éducation, de l'avenir de nos enfants n'est pas d'une actualité vivante.

Nos enfants sont les garants que nous avons donnés à D. au pied du Sinaï ; leur avenir ne peut nous laisser indifférents. L'avenir de la société et l'histoire du monde dépendent d'eux, de ce que nous en aurons fait. Et pour la réalisation de ce projet, rien ne remplacera la mère, qui est l'élément stable qui permettra la transmission de nos valeurs.

Relevons les innombrables versets dans les Proverbes  du roi Salomon, qui a probablement été profondément marqué par sa mère Batcheva, pour comprendre l'importance accordée au rôle joué par les mères dans l'éducation des enfants. Elle égale celle des pères. Dans les règles qui régissent les rapports entre les enfants et les parents, aucune discrimination n'apparaît. Les deux parents ont la même obligation envers leurs enfants ; mais en retour, les enfants doivent "craindre" (Yira - Lévitique 19-3) et "respecter" (Kavod - Exode 20:12) de même façon leur père et leur mère.

N'ayons aucune fausse honte à ajouter que le foyer juif restera toujours la garantie de la survie et de la continuité du judaïsme et la femme en sera l'âme. Isaac ne se consolera de la mort de sa mère que lorsqu'il aura amené Rébecca dans la tente maternelle et que se rallumera la lumière que la mort de Sarah avait éteinte.

Samson Raphaël Hirsch, Rabbin de Francfort et penseur juif de la fin du 19ème siècle, avait l'habitude de dire : "Fermez les synagogues pendant dix ans pour réapprendre à vivre le judaïsme".

La femme juive et la vie active

Est-ce à dire que la femme juive doit circonscrire son activité à l'intérieur de la maison ? Nous voyons qu'il y a eu à chaque époque des femmes qui ont franchi la barrière et ont pris en main les destinées du peuple : la Bible nous parle non seulement de Déborah, mais aussi d'une autre prophétesse nommée Houlda.

Certaines femmes ont enseigné. Ne dit-on pas que la femme de Rabbi Meïr savait répondre aux questions que l'on venait poser à son mari ? Ne parle-t-on pas d'une femme, fille d'un de nos Tosafistes qui enseignait... derrière un rideau ?

Aujourd'hui, nous savons qu'une partie importante du corps enseignant est formée de femmes, même si pour l'instant la Halakha ne leur permet pas d'enseigner aux hommes. Malgré cela, une des enseignants les plus extraordinaires de la Bible, de nos jours, est une femme : Nehama Leibowitz, très religieuse, qui vit à Jérusalem.

De plus, les femmes ont aujourd'hui pour mission de soulever les problèmes de notre époque, en particulier en ce qui les concerne elles-mêmes, de pousser les rabbins et nos maîtres à repenser, à prendre ces problèmes en considération, et à faire avancer la Halakha (le code juif) à la lumière contemporaine.

La femme et le bénévolat

Pour terminer un tour d'horizon très incomplet en profondeur comme en étendue, nous allons aborder le  "bénévolat".
Si ce problème ne concerne pas les femmes uniquement, il est encore vrai qu'elles sont quelquefois plus disponibles que les hommes et sensibilisées à un plus large éventail de questions. Il me semble inutile d'énumérer dans ce journal les multiples facettes de ce travail ; mais j'aimerais mentionner un aspect original qui nous vient des États-Unis. Une femme de rabbin orthodoxe n'hésite pas à aborder la foule, comme pour un show, elle écrit des pamphlets, répond à un courrier volumineux, parle dans les rues, dans des réunions publiques, à la télévision, pour attirer le maximum de juifs dans le sein du judaïsme, les arrachant probablement à d'autres influences.

La femme idéale

En conclusion, le texte biblique qui me semble résumer d'une façon parfaite ce qu'est la femme juive, est le fameux "Esheth 'Haïl" (la femme vertueuse), texte récité chaque vendredi soir dans les foyers juifs (Proverbes 31:10-31).
Dans le dernier chapitre des Proverbes, le roi Salomon trace le portrait de la femme idéale ; il la peint sous les traits d'une épouse et mère dans une société patriarcale et agricole. Mais la grande richesse d'un texte biblique ne réside-t-elle pas dans la possibilité de l'actualisation ?

Voici les qualités essentielles de cette femme :
- mère appréciée par ses enfants
- elle travaille pour agrandir le domaines familial (on dirait aujourd'hui qu'elle a un métier)
- elle ouvre sa main aux pauvres et tend le bras aux nécessiteux (en langage moderne, elle fait du bénévolat).

Pendant des siècles, la tradition juive a voulu se servir de ce texte pour enfermer les femmes dans leur foyer. Si nous le lisons avec notre orientation d'aujourd'hui, nous voyons que, même si la maison est prioritaire, les activités extérieures sont possibles et même recommandées.
La Halakha est par définition et dans son sens étymologique "en marche".

Le problème de la femme (la place qui est la sienne, l'égalité de l'homme et de la femme) est posé. Nous devons trouver la solution dans notre tradition dynamique et cela permettra peut-être non seulement de nous retrouver, mais éventuellement d'offrir une solution à d'autres sociétés qui cherchent.

Pour terminer, dans une prophétie de Osée 2:18, nous lisons :
"En ce jour (l'époque messianique) dit l'Éternel, tu m'appelleras Ish (le face-à-face avec Isha) et tu ne m'appelleras plus Baal (maître)."
Et les relations dans le couple seront à l'image de celles de D. et du peuple juif.


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