Judith, 7 décembre 2009
Judith Warschawski
1950 - 2012
La force de la persévérance
par Niki Vered-Bar
Extrait du site internet de Niki Vered-Bar : http://www.nikibar.com/index.html


Judith est née le 3 décembre 1950, à Strasbourg en Alsace, France.
Seconde enfant d'une famille de sept enfants.
A immigré en Israël en 1968.
Divorcée, mère de deux enfants, grand-mère de cinq petits-enfants.
Vie professionnelle : Pendant plus de 35 ans a rempli les fonctions d'assistante sociale et a oeuvré pour améliorer les conditions des personnes âgées et des femmes battues.
Militante active dans les organisations qui luttent pour la paix entre Israël et les Palestiniens et pour les droits des femmes.
Ma grand-mère a été choisie pour allumer le flambeau lors de la cérémonie alternative de 2012 parce que, durant 24 années, tous les vendredis, elle manifestait au Kikar Tsarfat avec les Femmes en noir en brandissant une pancarte sur laquelle était écrit : "STOP A L'OCCUPATION !" pour lutter en faveur de la paix entre les palestiniens et les israéliens.

Or Barashi (aîné des petits-enfants de Judith)    


Judith avait composé un texte en hébreu qu'elle avait énoncé à l'occasion de la cérémonie alternative organisée par "Yesh Gvoul", le Jour de l'Indépendance d'Israël 2012.
Ce texte, elle m'avait demandé de le traduire en français. Le voici, tel qu'elle l'avait validé :

Mes parents m'ont enseigné la persévérance dans mes objectifs, la recherche de la justice et de l'égalité, le devoir de mener les combats auxquels je crois afin d'amener des changements dans notre réalité.
Depuis 24 ans déjà, semaine après semaine, vendredi après vendredi, nous, les Femmes en noir, nous nous rassemblons en brandissant une main noire sur laquelle est écrit un seul et unique message : "Stop à l'occupation".
Nous nous retrouvons sur une place au centre de Jérusalem, à Tel-Aviv, à Haïfa et à Gan Schmuel. Cette place s'appelle Hagar en mémoire de l'une de nos compagnes qui était aussi l'une des fondatrices de notre mouvement. Un petit groupe de femmes a décidé de sortir dans la rue en brandissant une pancarte noire en forme de main comme signal d'alarme qui déclare : "Non ! Stop à cette occupation continuelle qui nous détruit !"
Cette main noire nous met en garde contre la marque de Caïn qu'est l'occupation, gravée sur nos fronts – sur nos fronts à tous.
Ce message est simple, significatif et universel. Sa particularité est d'être exprimé par des femmes ; il perpétue ainsi une tradition de combat de ces femmes qui se mobilisent dans le monde entier afin de protester contre les préjudices qui sévissent dans leur pays.
Nous nous sommes inspirées de la tradition des femmes (grand-mères et mères) de la Place de Mai en Argentine et nous avons instauré une nouvelle voie qui s'est développée dans le monde entier : des femmes habillées de noir manifestent régulièrement dans différentes capitales pour protester, s'identifiant à notre combat, luttant contre des conflits locaux.
Persévérance et persistance sont nos règles principales. Nous avons commencé en 1988 - aussi incroyable cela soit-il - depuis 24 ans, depuis le début de la première intifada et jusqu'à ce jour.
Malgré les réactions hostiles, les marques de mépris, les réflexions sexistes et les tentatives de femmes de droite d'occuper la Place Hagar, nous continuons ! Nous sommes même devenues partie intégrante du paysage ! Et même si nous n'avons pas encore modifié la situation politique, je crois malgré tout que ce rappel hebdomadaire continu est en soi une vraie réussite. Nous étions des centaines, nous étions une poignée, nous étions des dizaines, nous étions juste des femmes israéliennes, nous étions aussi des femmes internationales, et surtout, nous étions sur la place ! Nous étions là et nous refusions d'abandonner !
Tant que nous serons présentes sur la place, nous réalisons un espoir de changement ! Nous sommes comme une petite flamme morale qui s'entête à éclairer une lourde obscurité, prouvant ainsi qu'il est possible d'agir autrement, qu'il est impossible de nous faire taire.
24 ans, c'est beaucoup de temps ! Durant ce temps nous avons fêté les cent ans de l'une de nos compagnes, une autre a mis un fils au monde, d'autres ont quitté ce monde après qu'elles aient éclairé la place.
J'ai eu le temps de manifester sur cette place durant trois générations, avec ma mère et avec ma fille, et je souhaite, je prie, ne pas devoir encore manifester avec mes petites-filles et que, vite, vite, nous ne connaissions plus ni guerre ni occupation !
Nous avons fêté la fête de Pessa'h récemment – fête de la Liberté – et je me suis souvenue d'une citation de Karl Marx : "Un peuple qui en opprime un autre ne peut être libre."
Et aujourd'hui, à la veille du jour de l'Indépendance de l'état d'Israël, alors que nous sommes chaque jour témoins du dédain des valeurs immuables de la justice, de la fraternité, de l'égalité, de l'autonomie, de la paix, et du mépris continuel envers la démocratie, je suis reconnaissante, au nom des femmes en noir et en mon nom, de l'existence de cette cérémonie alternative qui commémore ces valeurs au lieu de fausses célébrations et de feux d'artifice.
Grâce à cette cérémonie et grâce à mes compagnes du mouvement, je suis capable de surmonter le jour de l'Indépendance d'une part, et d'autre part de survivre d'une année à l'autre.
Et surtout, préserver l'espoir.
STOP A L'OCCUPATION !"



Judith et Niki à un camp EI
Ju' est décédée le 31 décembre 2012.

L'été dernier, j'ai appris que la maladie s'était étendue et que cette fois il n'y avait plus d'espoir de rémission. Ju', mon amie depuis l'enfance, n'allait plus être là et cette pensée m'était, m'est toujours insupportable.
J'essaie seulement maintenant d'ouvrir les souvenirs. Ils éclatent sans arrêt, partout. "Tiens, j'étais là avec Ju'...", "À ce propos, Ju' me disait...", "Ju' aimait bien ça !", etc.

Nos premières complicités datent de l'époque où nous étions éclaireuses, dans le même clan ; nous nous amusions beaucoup, partagions les mêmes délires, les mêmes rires. Depuis lors le contact s'est toujours maintenu, pour se renforcer plus encore ces dernières années.
Elle était si présente dans ma vie, à la fois une sœur, une conseillère, une main toujours tendue, une aide constante : une amie pour de vrai, quoi !

Je l'admirais beaucoup. Ce besoin impératif d'accomplir ses engagements, de s'investir avec constance et sincérité, son jusqu'au-boutisme. Sa force, son énergie, sa loyauté, cette volonté d'action, cette humanité, ce devoir de justice résolu et rigoureux... Quelle femme ! Quel exemple !

On se voyait souvent, on mangeait souvent ensemble, on allait ensemble voir des expos, des films, on se promenait et on discutait beaucoup. La petite balade du Shabath, le nez en l'air, le regard aux aguets : les rues de Nachlaot, Rehavia, l'architecture Bauhaus qu'elle connaissait si bien. La pause musicale à la petite église baptiste au coin de la rue Trumpeldor et Hamaaloth pour écouter les chants liturgiques. Les expositions à Beth Ahomanim. Et le retour, les commentaires sur les oeuvres qu'on avait vues et, toujours sur le qui-vive et le nez en l'air, on observait la rue ; là une maison discordante, là la construction incongrue d'un étage ajouté, là des balcons disparates, là une autre étrangeté.

Ju' était toujours en mouvement, le geste précis et vif. Je lui disais : "Même quand tu ne fais rien, tu le fais à toute allure !" Il lui aurait fallu des journées de cent heures pour accomplir ce qu'elle voulait réaliser.
Un jour, je lui ai montré un questionnaire, celui que Bernard Pivot présentait à ses invités lors de son émission Bouillon de culture.
La dernière question était : "Si Dieu existe, qu'aimerais-tu, après ta mort, l'entendre te dire ?"
Elle a répondu : "Retourne, tu n'en as pas fait assez !"

Niki Vered-Bar
17 février 2013
Merci à Maya Frankforter pour son soutien à la réalisation de cette page

Rabbins Judaisme alsacien Histoire
© A . S . I. J . A .