Simon LÉVY

Les loisirs
d'un rabbin

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Un bon mot à propos de l'Omer


La supputation de l'Omer (1), qui est l'expression de notre ardent attachement à la Torah, vers la possession de laquelle notre cœur doit aspirer sans cesse, et à laquelle tous nos jours doivent être consacrés, "comptés" parce qu'elle est le bien suprême devant lequel tous les biens de la terre pâlissent, cette belle mizwah me rappelle tous les ans un bon mot que m'a dit un jour un pieux rabbin, d'après les enseignements du Zohar. Les premiers nombres en hébreu commandent le pluriel שני ימים עשרה ימים (2), les nombres supérieurs commandent le singulier עשרים יום אחד עשר יום (3), "cela prouve bien qu'en Israël, plus on est grand, plus on est humble ; plus on s'élève, plus on est modeste, plus on se fait petit".

Or, rien n'est plus juste ni plus conforme à l'enseignement juif que la leçon renfermée dans ce mot. Toutes les fois, disent nos rabbins, que nos livres saints proclament la redoutable grandeur et la majestueuse puissance de Dieu, ils aiment à ajouter que ce Dieu, si infiniment grand, se plaît à s'abaisser jusqu'aux plus petits pour écouter leurs plaintes, exaucer leurs prières et satisfaire à leurs besoins !

Notre Maître Moïse; "l'homme de Dieu", l'homme à jamais incomparable, distingué par toutes les grandes qualités qui peuvent orner le cœur d'un homme, est particulièrement vanté pour sa modestie, pour son humilité. – Le premier de nos patriarches, en disant dans son admirable prière pour les pécheurs de Sodome : ואנוכי עפר ואפר (4) montre bien qu'il connaissant et pratiquait aussi cette grande vertu d'humilité. On a même fait la remarque que si, pour toutes les qualités morales, nos rabbins aiment à recommander un certain juste milieu, se gardant de tous les extrêmes (ni trop avares, ni trop prodigues, mais sagement généreux, etc.), pour la modestie, ils ont enseigné qu'on ne peut aller trop loin, car le moindre vestige d'orgueil et de présomption leur était odieux מאד מאד הוי שפל רוח (5).

Deborah par Gustave Doré
La même qualité a distingué en tous temps les savants et les docteurs israélites. Nos grands lamdonim ont toujours été les hommes les plus simples du monde ; ils savaient et connaissant tout, excepté leur propre valeur, leur immense mérite. Citons deux exemples contemporains. Rabbi Mosche Bloch, de Strasbourg, était un lamdon hors ligne. C'était aussi l'homme le plus modeste, le plus humble, le plus affable, le plus tolérant que l'on pût trouver. Je ne l'ai guère connu, mais je transcris ici le jugement de tous ceux qui ont eu le bonheur de le connaître ! En revanche, j'ai connu comme tout le monde, le très savant Isaac Beer de Bischheim. Eh bien, je le demande à tous mes coreligionnaires de notre pays, ce charmant homme n'était-il pas la modestie même ? L'un et l'autre ont été מרובה ומרביץ תורה בישראל  (6) ; l'un et l'autre ont formé des disciples, dont quelques-uns très brillants, très distingués (feu M. Beer a longtemps fait un cours de Talmud à Strasbourg, aux élèves du lycée qui se destinaient au rabbinat) ; les a-t-on jamais entendu crier et publier, comme on fait en notre temps de charlatanisme :
חדלו פרזון בישראל חדלו פרזון עד שקמתי דבורה עד שקמתי אם בישראל  (7) ?

Ils savaient trop bien que, d'après nos rabbins, Deborah a été punie, a perdu la נבואה (8), le רוח הקודש  (8), pour avoir tenu un langage si immodeste, si contraire à ce qu'exige l'austère morale israélite. Elle a été obligé de s'infliger ce désaveu de son élan d'orgueil : עורי עורי דבורה  (9).

Puissent ces exemples et ces leçons de nos anciens encore prévaloir de nos jours ? A lire certains entrefilets de journaux allemands (Correspondances du 1er juin 1883), d'autres moeurs menaceraient de s'implanter chez nous, et la prophétie d'Isaïe ירהבו הנער בזקן  (10) serait sur le point de se réaliser. Puissent la modestie et l'humilité recouvrer leurs droits imprescriptibles parmi nous !

Notes
(les notes sont de la Rédaction du site)
  1. La supputation de l'Omer consiste à compter les 49 jours qui séparent le second soir de Pessah de la fête de Shavouoth, tous les soirs à la tombée de la nuit. A l’époque du Temple, on apportait une offrande (l' "omer") le 50ème jour, et ce comptage est donc un vestige des cérémonies du Temple. Cette période est considérée comme un temps d'austérité où l'on ne célèbre pas de mariages, où les hommes évitent de se raser et où l'on ne participe pas des fêtes joyeuses.    Retour au texte.
  2. shnei yamim - 'assara yamim : deux jours - dix jours    Retour au texte.
  3. 'essrim yom - e'had 'assar yom : vingt jour[s] - onze jour[s]    Retour au texte.
  4. "Ve-anokhi 'afar ve-éfer" : "je suis poussière et cendre" - Genèse 18:27    Retour au texte.
  5. "Méod méod havéi shefal roua'h" : "Sois humble, très humble [car la destinée de l'homme c'est de devenir la pâture des vers]" - Pirkei Avoth 4:4    Retour au texte.
  6. Merouba oumarbitz Torah be-Israel : enseigne avec zèle la Torah à Israël (= au peuple d'Israël)    Retour au texte.
  7. "'Hadelou prazon be-Israel 'hadelou 'ad shakameti Devora shakameti èm be-Israel" : "Plus de ville ouverte en Israël, plus aucune, quand enfin je me suis levée, moi, Deborah, levée comme une mère en Israël" - Juges 5:7    Retour au texte.
  8. Nevoua : don de prophétie - Roua'h hakodesh : l'esprit saint.    
  9. "Ouri ouri Devora" : "éveille-toi, éveille-toi Deborah !" - Juges 5:12.    Retour au texte.
  10. "Yirhavou hana'ar bazakèn" - "le jeune homme sera arrogant envers le vieillard" - Isaïe 3:5.    

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