Imprimerie de P. Barel, Mulhouse, 1850

"Qu'elles sont belles tes demeures , ô éternel Dieu des armées !
Mon âme est consumée par l'ardeur de saluer tes parvis. Heureux ceux qui fréquentent ta maison !
Un jour passé dans tes parvis est préférable à mille passés ailleurs.
Qu'ils sont heureux ceux qui mettent toute leur confiance en toi , ô éternel Dieu des armées!"
Psaumes, ch. 84 , v. 1 , 2, 5 , 6 et 7.)





















© Michel Rothé
TRÈS-CHERS FRÈRES ET HONORABLE ASSEMBLÉE ,
Il y a des milliers d'années que nous répétons avec l'Ecclésiaste : qu'il n'y a rien de nouveau sous le soleil , et la cérémonie d'aujourd'hui vient confirmer la vérité de cet adage populaire ; car ce qu'éprouvèrent nos ancêtres dans les temps les plus reculés , nous l'éprouvons encore aujourd'hui ; nous aussi , nous avons été consumés par l'ardeur de pouvoir enfin saluer les parvis de ce saint temple que nous venons de consacrer au Dieu d'Israël , et le même cri d'admiration s'échappe de toutes les poitrines : Qu'elles sont belles tes demeures, ô éternel Dieu des armées !

Ah ! vous tous, riches et pauvres, qui venez aujourd'hui vous réjouir d'une œuvre si heureusement achevée, et qui avez convié ces nombreux hôtes au partage de votre sainte joie, dites-moi si jamais vous avez éprouvé un sentiment de bonheur égal à celui qui rayonne, dans ce moment, sur toutes vos figures ? Et vous, enfants de la fortune, qui avez su vous élever dans l'opinion publique et vous construire des maisons riches et grandes comme des palais, les aviez-vous aussi inaugurées avec ces mêmes transports de joie qui débordent en vous en inaugurant ce temple, qui n'appartient cependant à personne de vous en particulier, mais à vous tous ; dans lequel vous viendrez, non pas comme dans votre propriété , mais dans celle de votre Dieu , auquel appartiennent le ciel, la terre et tout ce qui y est renfermé.

Mais quelle est la cause de cette joie inexprimable, de cette grande affluence de peuple ; pourquoi sommes-nous honorés de la présence de nos premiers magistrats, de tous ces dignitaires, de tous ces vénérables ministres des cultes, ainsi que de l'élite de notre population ?

Ah ! mes bien-aimés frères, c'est que l'oeuvre que nous bénissons aujourd'hui est véritablement grande et divine , destinée à exercer l'influence la plus salutaire sur notre avenir moral ; c'est que la consécration d'un temple nouveau est toujours d'une haute importance pour le triomphe des idées spirituelles et religieuses sur l'esprit du mal , l'égoïsme et les passions humaines ; c'est que vous avez donné une preuve bien grande de la confiance que vous avez dans le Dieu de vos pères et de votre amour pour lui ; c'est que vous avez pleinement justifié l'estime dont vous jouissez de la part de vos concitoyens, en dotant votre ville natale d'un édifice religieux de ce caractère. Aussi à quelles légitimes espérances ne pouvez-vous pas vous livrer en fréquentant ce temple, et en vous groupant autour de cette chaire sacrée, du haut de laquelle je m'efforcerai sans cesse de faire retentir la parole divine ; au pied de laquelle le riche viendra déposer l'offrande de sa reconnaissance, le pauvre, l’affligé, puiser des paroles d'espérance et de consolation, le pécheur abjurer ses erreurs et l'ennemi apprendre le pardon des injures. C'est par tous ces motifs que nous éprouvons aujourd'hui la plus vive des joies, en invoquant le Seigneur de vouloir bien demeurer dans ce saint temple, comme il l'a promis en disant : "J'ai sanctifié cette maison que tu as construite pour y faire reposer mon nom à tout jamais ; mes yeux et mon coeur y seront toujours." (Les Rois, ch. 9 , v. 3. )

Aussi, la fête religieuse que nous célébrons aujourd’hui, est-elle une de celles dont le souvenir restera gravé profondément dans le coeur de tous ceux qui ont eu le bonheur d'y assister. Combien n'importerait-il donc pas que la première parole prononcée du haut de cette chaire, fît une profonde impression sur vous tous ! Et si je pense à mon insuffisance, à l'immensité de la tâche que ce nouveau temple m’impose, comment ne craindrais-je pas de rester au-dessous de votre attente ! Mais celui qui a dit à son fidèle serviteur Moïse : "Qui a formé la bouche de l'homme, qui peut le rendre sourd, muet ou aveugle ? n'est-ce pas moi ? Maintenant marche, je serai dans ta bouche et je t'indiquerai ce que tu dois parler ;" (Exode, ch. 4, v. 44) - ce même Dieu ne peut-il pas aussi délier ma langue et mettre dans ma bouche les paroles qu'il veut que j'annonce en son nom à cette honorable assemblée ? Ah ! ce n'est certes pas la palme de l'éloquence que j’ambitionne, mon Dieu, mais ce dont je te supplie, c'est de m'accorder toujours de ces pensées pieuses et sérieuses qui sortent du coeur et qui pénètrent les cœurs les plus endurcis. Sanctifie donc toutes les paroles qui sortiront de ma bouche, sanctifie aussi par ton divin esprit cette assemblée, afin que ce premier office soit digne de toi et de ta sainteté. Si tu exauces cette prière, je ne cesserai point de répéter avec le Psalmiste : "Si je t'oublie, ô Seigneur, que ma droite soit à jamais oubliée ; que ma langue s'attache au palais, si le souvenir de cette fête n'est point mêlé à toutes mes jouissances." Amen.

CHERS FRÈRES,

Je vous ai parlé tout à l'heure en termes généraux de l'importance de cette solennité religieuse, qu'il me soit permis maintenant d'entrer dans quelques détails, et de vous exposer, par un récit succinct des phases que le Judaïsme a parcourues, l'influence que ce temple doit exercer, premièrement, sur le culte israélite en général ; deuxièmement , sur l'avenir moral de cette communauté, et, en troisième lieu enfin , sur les liens de fraternité qui doivent se former entre nous et nos concitoyens. Accordez-moi votre bienveillante attention et prions le Seigneur qu'il vous accorde la grâce de pouvoir me suivre jusqu'à la fin, et à moi, de pouvoir faire pénétrer dans vos coeurs les sentiments dont je suis animé moi-même. Amen.

De tous temps la construction d'un temple nouveau a été considérée comme l'événement le plus marquant de la vie intellectuelle de la communauté ou de la corporation qui l'a élevé dans ce but. Le temple, qui est le lieu de réunion et de prière de milliers de personnes, qui se transforment sans cesse par la succession des générations ; le temple, servant de maison paternelle où se réunissent les membres de la communauté pour ne former qu'une seule famille et pour jouir de cette fraternité qui n'est une vérité qu'au pied des autels ; le temple, qui nous abrite dans les temps d'orage comme dans les temps de prospérité , dont les portes s'ouvrent sur nous , soit que nous y soyons portés pour la première fois pour recevoir notre consécration, en entrant dans la vie , soit encore, qu'avant d'être déposé pour l'éternité dans le sein de la terre , nous y soyons portés sur les bras de nos frères, pour recevoir une dernière prière; le temple, qui nous survit à tous et qui reste là comme le témoin oculaire des mille et mille événements dont est formée l'histoire des peuples, ne peut-il pas mieux que tout autre monument nous donner la mesure de la foi, des espérances, des croyances, et nous indiquer le degré de civilisation et de prospérité de l'époque où il a été élevé ? Aussi n'ai-je qu'à fixer votre attention sur les principaux temples qui ont existé en Israël, pour vous faire connaitre les destinées de ce peuple, ainsi que la mission qui lui est encore réservée ici-bas.

La présence de Dieu au milieu des nations est sans contredit la condition la plus indispensable, la plus essentielle de la vie morale et sociale de l'humanité. Aussi, tandis que tout change autour de l’homme, politique, science, arts, en un mot, tout ce qui a rapport à ses intérêts matériels, la religion seule est toujours restée la même ; et un des besoins les plus vifs de la vie religieuse, c'est la réunion périodique de tous les hommes dans la maison du Seigneur ; de là la prescription religieuse de l'érection des temples, comme il est dit : "Vous me construirez un sanctuaire, afin que je puisse demeurer au milieu de vous." (Exode, ch.25, v. 8)

La première demeure que Dieu s'était choisie en Israël, était le tabernacle portatif élevé par les soins de Moise. Ce sanctuaire si mystique offre un contraste frappant, par son élégance, sa richesse et sa splendeur, avec l'aridité du désert où il se trouve et la misère du peuple pour lequel il est destiné. C'est qu'il est l'image de la vie de l'homme, telle qu'elle a été et telle qu'elle sera toujours. Israël, dont les destinées frappent l'imagination de quiconque réfléchit sur son existence soixante fois séculaire à travers l'infini de l'espace et du temps, pour jouer dignement le rôle que Dieu lui a réservé, devait être de bonheur fortement trempé dans le creuset des épreuves les plus terribles, afin de tenir d'une main toujours ferme le drapeau de sa nationalité , sur lequel il n'y avait qu'un nom d'inscrit, composé de quatre lettres , mais avec lequel cependant il a vaincu le monde payen [sic], soit que ce drapeau brillât de tout l'éclat de ses couleurs, soit qu'il ne lui en restât qu'un lambeau à peine reconnaissable. Aussi l'enfance de ce peuple se passe-t-elle dans l'esclavage le plus dégradant, et sa liberté même ne commence-t-elle à poindre que dans un désert aride et incommensurable. Hais, au milieu de cette désolation, de cette misère universelle, Dieu, sous la forme mystique de ce sanctuaire, apparaît dans tout l'éclat de sa grandeur, de sa majesté, de sa sublime simplicité, comme l'étoile polaire au milieu des plages, comme un but lumineux à atteindre au milieu des ténèbres, comme une brillante espérance, au milieu de cette sombre vallée de larmes de laquelle nous cherchons sans cesse à sortir.

Huit siècles après, le temple de Salomon succède à ce tabernacle portatif, Ces deux tables de la loi, l'arche sainte, ces symboles vivants de l'esprit divin et de sa présence au milieu des hommes, sont toujours les mêmes : mais que la manifestation de la vie religieuse de ce peuple a changé ! Le sanctuaire consacré à Dieu n'est plus dans cette simple tente formée de rideaux et de planches mobiles, mais dans un édifice gigantesque et artistique, auquel une armée entière d'architectes avait consacré des efforts inouïs de bras et d'intelligence pendant une longue période de paix et de prospérité publique. A l'aspect de ce temple, ne voyez-vous pas qu'Israël est devenu le peuple roi de l'Orient ? Mais hélas ! que ce temple aussi est fait pour nous faire sentir toute la fragilité des choses humaines ! Par sa destruction, la brièveté de sa durée même, ne voyez-vous pas que pas plus les peuples que les individus ne savent supporter une longue prospérité sans dégénérer, et que la brutalité de leurs éléments constitutifs les attire toujours davantage vers la terre, pour se baigner dans des larmes de boue, que leur âme divine ne les élève vers le ciel, où il serait cependant si facile de recueillir les jouissances les plus vives et les plus ineffables.

Soixante-dix ans après fut élevé le deuxième temple, si différent du premier, que ceux qui assistèrent à sa fondation ne purent s'empêcher de fondre en larmes en le comparant au temple de Salomon. Ce n'est plus ce luxe, cette magnificence, cette hardiesse des grandes entreprises qui avaient signalé le siècle de Salomon , mais la fidélité la plus absolue au Dieu de ses pères, qui désormais va devenir le cachet de ce nouveau peuple formé par les débris de l'ancien peuple d'Israël ; car la reconnaissance du Dieu d'Israël était assurée, et avec le triomphe final du culte du Dieu invisible, sur celui des divinités matérielles et étrangères , pourra bientôt disparaître le dernier vestige de la puissance temporelle de Jérusalem et d'Israël.

Vaincu sur le terrain de sa nationalité temporelle, Israël dépose enfin les armes qu'il avait si glorieusement portées contre tous les dominateurs du monde ancien, pour se réfugier dans ces modestes synagogues, que vous connaissez tous, pour y continuer sa vie de pèlerinage et y travailler à la consolidation de sa nationalité spirituelle qu'il a su maintenir avec tant de résignation jusqu'à nos jours. Ce n'est pas en un jour de bonheur, comme celui d'aujourd'hui, qu'il convient de vous rappeler la vie de douleur et d'amertume qui était tombée en partage à nos ancêtres, pendant 18 siècles. Vous savez tous ce qu'étaient ces synagogues : à leur aspect misérable et sans forme, vous devinez aussitôt l'abjection de la position sociale de nos pères. Nous existions, mais, hélas ! quelle existence ! Nous étions comme ces pierres d'attente d'un édifice en ruine, dont la vue choque l'oeil de tout autre que de celui de l'architecte qui seul en connaît la destination. Mais il a plu enfin an suprême directeur des destinées des nations, de se rappeler ses promesses de régénération, et de faire avancer cette heure de réparation. Et c'est toi, chère et magnanime France, qu'il a choisie pour être l'instrument de sa volonté impénétrable. Israël a retrouvé enfin sa place sous le soleil, à l'ombre de ce glorieux et vaste drapeau, dont chaque pli sert de refuge aux nationalités malheureuses. Israël a trouvé dans la France une mère tendre et aimante et dans ses concitoyens des frères véritables, et la synagogue que nous inaugurons aujourd'hui n'en est-elle pas la preuve la plus irréfragable et la plus éloquente ? Et quel plus pur hommage aurions-nous pu faire au Dieu de nos pères, que la construction de ce temple, quel meilleur usage aurions-nous pu faire, de notre liberté et des biens que la Providence nous a départis, qu'en élevant un édifice avec le concours si généreux de nos concitoyens non israélites ? Et après des faits pareils, qui pourrait douter encore de l'infaillibilité de la parole divine et de la perpétuité d'Israël ? Ce n'est donc pas vous seuls, mais le Judaïsme tout entier qui est en droit de se réjouir avec vous de la construction de ce temple, de concevoir les plus belles espérances pour notre avenir religieux et de s'écrier : "Que tes demeures sont belles, ô éternel Dieu des armées !"

Mais, mes bien-aimés frères, s'il vous est permis de vous réjouir de l'accomplissement de la première partie de votre grande entreprise, il faut que vous sachiez qu'il vous reste une seconde tâche à remplir, celle d'honorer ce temple et de glorifier le nom d'Israël parmi les nations, par la conduite de plus en plus spirituelle que vous aurez à y tenir. Les temples ne sont pas beaux seulement par la richesse de leur ornementation et la hardiesse de leur construction, mais surtout par l'encens agréable au Seigneur qu'on sait y faire monter vers le ciel. Et ne savez-vous pas que c'est à nous d'indiquer les voies qui conduisent à Sion, d'où découle la véritable loi de Dieu, et que les temples sont les chemins les plus directs pour y arriver. Le chemin que, par votre temple, chers frères, vous êtes appelés à frayer vers la sainteté d’Israël, a besoin d'être déblayé des nombreuses entraves que le torrent dévastateur du fanatisme, de l'ignorance et de l'incrédulité y a accumulées. C'est vous dire assez que la conduite que nous aurons à tenir dans notre nouveau temple, ne doit, ne peut en rien ressembler à celle que des habitudes enracinées, produites par l'abjection de notre condition sociale, nous a fait tenir souvent dans nos anciennes synagogues. Et puisque notre corps est émancipé et peut se mouvoir en toute liberté, selon les inspirations de notre coeur, pourquoi ne chercherions-nous pas aussi à émanciper notre âme, et à la dégager des étreintes de l'ignorance et de la rouille des temps ? Ah ! je ne voudrais certes pas vous attrister en un jour où tout rayonne de bonheur autour de moi ; mais comment se fait-il que, malgré la magnificence du coup-d'oeil que découvrent mes regards du haut de cette chaire, je ne puis m'empêcher de penser au sort qui est tombé en partage à nos anciens temples, mille fois plus saints, plus beaux que celui-ci, et qui sont cependant tombés en ruine, et sur lesquels tout vrai israélite pleure encore tous les jours ? Et s'il est vrai que, dans toute entreprise décisive, le succès dépend presque toujours de la première impression que l'on sait produire, pourquoi ne vous dévoilerai-je pas tout ce qui agite mon âme dans ce moment solennel ?

Ah ! mes bien-aimés frères, vous vous êtes imposé des sacrifices au-dessus de tout éloge. Pour concevoir, exécuter et achever une aussi grande entreprise, au milieu de si nombreuses difficultés, le lendemain d'une révolution qui a ébranlé jusqu'aux bases de l'ordre social, vous avez montré une abnégation qui n'est presque plus de nos jours. Ai-je besoin de vous énumérer ces difficultés qui naissaient les unes des autres, de vous parler de l'esprit de conciliation et de sacrifice dont vous avez fait constamment preuve. Qu'il soit permis au père spirituel de cette communauté d'en être fier. C'est pour moi un bonheur vraiment céleste, que de voir le plus cher de mes voeux accompli par ceux que j'aime comme si je les avais portés dans mes entrailles. Mais si la modestie ne nous permet pas d'entrer dans tous les détails que comporterait ce sujet, que je puisse au moins attester, en présence de ces hôtes augustes, que tous vous avez dignement rivalisé les uns avec les autres. Hommes, femmes, jeunes gens et corporations, tous vous avez concouru par vos largesses à embellir la maison du Seigneur, et votre libéralité n'est restée en arrière des plus beaux exemples que l'Écriture sainte signale à l'admiration du monde. Comme autrefois dans le désert, nous avons été, nous aussi, forcés de publier que personne n'apporte plus rien pour les offrandes saintes, car l’oeuvre était achevée et votre munificence n'était point encore épuisée. Et malgré tout cela, vous l'avouerai-je ? je ne suis pas tout à fait sans crainte sur l'avenir moral de ce beau temple. C'est que, chers frères, la vertu oblige. Plus on a fait pour Dieu, plus on sent combien il nous reste encore à faire pour nous rapprocher entièrement de lui. Plus on est élevé, plus il importe de ne plus déchoir. N'est-ce pas vous dire assez que vous avez besoin de grandir moralement, pour mériter la réputation que ce beau temple va vous faire en Israël.

Eh bien, qui me garantit, je ne dis pas, avant quarante jours, mais que jamais je n'aie à maudire la pensée qui m'a inspiré, en vous conseillant si ardemment d'élever ce temple en l'honneur de notre Dieu, comme autrefois Moïse avait été forcé de briser de ses propres mains les deux tables de la loi, et cela le jour même où il venait les apporter du ciel, où il est resté quarante jours et quarante nuits sans boire et manger, à ce peuple qu'il aimait, lui aussi, comme ses propres enfants ? Qui me garantit que jamais nous n'ayons à voiler la majesté de ce tabernacle si beau et si brillant ; que jamais le brandon de la discorde, qui a déjà fait tant de mal en Israël, ne soit plus agité parmi nous ? Et si ce temple aussi devait être profané par l'absence de toute dignité pendant nos cérémonies, par l'absence de ce recueillement et de cette dévotion, qui seuls attestent la pureté du coeur et la crainte de Dieu, telles que la religion s'efforce de les faire naître en vous ! Et si ces galeries destinées à nos épouses , à nos soeurs et à nos filles, pour y puiser par la prière l'aspiration vers le ciel et le sentiment de tout ce qui est noble , maternel et digne de la femme pieuse, ne devenaient au contraire qu'un profane lieu de réunion, pour y étaler un vain luxe, ou pour s'y livrer à des conversations futiles et mondaines ? Et si, vous hommes, sur lesquels repose l'avenir de cette communauté, au lieu de rester unis ou animés de ces sentiments mâles et énergiques que la vraie piété inspire, vous donniez de nouveau accès, dans vos coeurs non suffisamment épurés encore, à cet esprit de parti et de petitesse, qui, hélas ! n'est que trop commun de nos jours, au point que vous sacrifieriez plutôt la chose publique, les objets les plus saints, que de souffrir une légère atteinte portée à votre amour-propre ? Et si nous tous, hommes et femmes, vieillards et jeunes gens, au lieu de venir ici matin et soir épancher nos coeurs dans le sein de l'Eternel , soit pour faire retentir ses louanges, soit pour invoquer son secours , soit pour implorer son pardon , nous ne venions dans ces parvis que pour nous distraire , pour passer quelques heures de loisir, pour repaître nos sens charnels au charme tout matériel que présentent les formes extérieures de ce temple ; oh ! je vous le demande, si ce temple, en un mot, au lieu de devenir un lieu trois fois saint, où se complaisent les anges pour porter nos hommages devant le trône du souverain de l'univers, ne devait réjouir que nos yeux et nos oreilles et laisser nos coeurs froids et nos âmes sans nourriture spirituelle, ne vaudrait-il pas mieux, cent fois mieux, voir s'écrouler, dès aujourd'hui, les murs de ce saint temple, plutôt que de le voir profané, je ne dirai pas par toutes, mais seulement par une de ces actions indignes, qu'heureusement je ne prévois pas, mais que je suis d'autant plus en droit de vous signaler que ma sollicitude pour vous est plus vive et plus sin-cère. Mais, que dis-je ? non ! un tel sort ne sera point réservé à ce saint temple Arrière toute crainte ! Ce qui me rassure, et me garantit que les jouissances spirituelles ne le céderont jamais aux jouissances corporelles que nous recueillerons ici, c'est l'empressement, l'ardeur que vous avez montrés à supporter tous les sacrifices qu'avait exigés l'érection de ce temple ; vos offrandes ne peuvent que toucher le Seigneur, et la plénitude de ses bénédictions toutes divines ne peut vous manquer pour pouvoir remplir à l'avenir la seconde tâche que je viens de vous indiquer. Vous vous efforcerez , je n'en ai aucun doute, d'ennoblir de plus en plus notre culte si sublime et si simple de sa nature, pour l'élever à la hauteur de la réputation que vous avez su vous faire par l'a construction de ce temple ; et, lorsqu'un jour on nous apportera ici, pour dire un dernier adieu à ce temple , à nos amis et à ce monde, et pour paraître devant le jugement suprême, alors - qu'il nous reste au moins la consolation de pouvoir dire : que notre existence ici-bas n'a pas été tout à fait inutile, puisque à côté de ce temple de pierre, nous avons su élever à notre Dieu un temple qui lui est plus agréable encore , un temple spirituel dans nos coeurs et alors - alors nous pourrons nous écrier avec le Psalmiste : Qu'elles sont belles tes demeures, ô éternel Dieu des armées !

Maintenant, après ces considérations, je pourrais regarder ma mission comme achevée, pour aujourd'hui. Mais, comment descendrai-je de cette chaire sacrée sans appeler votre attention sur un troisième devoir à remplir, celui de la reconnaissance la plus vive que nous devons nourrir dans nos coeurs envers nos généreux concitoyens, non seulement pour avoir jeté un éclat de plus, par leur présence, sur la première fête religieuse que nous célébrons dans ce temple ; mais beaucoup plus encore, pour nous avoir si puissamment secondés à entreprendre et à achever la belle oeuvre dont nous célébrons aujourd'hui le triomphe.

Je vous ai parlé, tout-à-l ‘heure, du triomphe des idées modernes, écloses sur le sol de la patrie française, et si bien en harmonie avec les principes de notre divine religion. Si ce fait seul suffit pour enflammer le coeur de tout israélite de l'amour le plus ardent pour notre chère patrie, quels sentiments ne devons-nous pas éprouver pour une cité comme la nôtre, qui est entrée la première, d'un pas si ferme, dans cette large voie du progrès et de la civilisation moderne, et sous la protection tutélaire de laquelle notre communauté a pu prendre un si rare développement, qu'en moins d'un demi-siècle , elle a pu devenir la première du département et la 5e de la France israélite entière par son importance numérique, et en moins d'un quart de siècle construire et inaugurer deux temples, si différents de forme et de caractère ? Oh ! qui d'entre nous pourrait jamais oublier le zèle infatigable, la bienveillance si persévérante, et le concours si libéral que tous ceux qui se sont trouvés au timon de nos affaires communales n'ont cessé de nous témoigner dans toutes les occasions et particulièrement pour nous faire atteindre notre but ! Et cela, malgré de si grands et de si légitimes autres besoins, que partout ailleurs on aurait cherché à satisfaire avant de penser à la plus petite minorité. Honneur, mille fois honneur et merci à ces généreux citoyens qui ont si bien compris les nécessités des temps modernes ! Ah ! que ne puissent-ils être tous présents dans ce moment ! Notre émotion leur prouverait mieux que nos paroles la profondeur et la sincérité de nos sentiments à leur égard. Quoique absents, leur image bénie ne plane pas moins devant nos yeux pour être confondue dans nos prières avec ceux qui nous sont les plus chers au monde. Mais, si tels sont nos voeux pour les absents, que ne devons-nous éprouver pour ceux qui sont présents, pour l'éminent citoyen, d’abord, que la Providence semble avoir ramené exprès au moment suprême, pour prendre sa légitime part à nos religieuses joies, à laquelle il a, lui, contribué plus que personne ; pour nos magistrats bien-aimés ensuite, et pour ces nobles dignitaires de tout ordre et tous les assistants, dont la présence prouve l'immense progrès de la civilisation. Mais ce n'est pas par des mots stériles que nous devons répondre à l'attente de tous ces hôtes augustes.

Et s'il n'y a personne ici dans ce moment , qui ne soit pénétré d'admiration pour le nom d'Israël, à la vue de ce temple, qui donne une si haute idée de votre foi religieuse, et je dirai presque de votre patriotisme, il importe maintenant plus que jamais, chers frères, que par une conduite loyale, probe et généreuse, en dehors du temple, vous ne laissiez jamais plus s'affaiblir les sentiments que , par cette consécration, vous avez su faire élever, dans le coeur de vos concitoyens non israélites, pour le nom d'Israël en général et le vôtre en particulier. Si, sous ce rapport encore, vous ne me désavouez pas pour votre organe, vous aurez rempli votre troisième tâche , et nous pouvons considérer ce temple comme suffisamment consacré au Dieu d'Israël.

Que le souvenir de cette cérémonie reste donc toujours présent à votre mémoire, que vous vous rappeliez constamment les trois devoirs principaux que ce nouveau temple vous impose, et vous aurez couronné cet édifice de cette triple couronne qui est en rapport avec le nom trois fois saint du Dieu de vos pères. Et maintenant, unissons nos voix pour adresser une sincère prière à ce Dieu si bon et si adorable, auquel nous devons le bonheur dont nous jouissons en ce moment.

O grand Dieu, toi qui du haut des cieux diriges les destinées des nations d'une manière si certaine, toi qui n'as qu'à dire pour que tout aussitôt s'accomplisse, toi qui sondes les reins des mortels, tu connais aussi la sincérité des sentiments que j'éprouve pour cette communauté à laquelle j'ai déjà consacré la plus grande partie de ma vie. Fortifie donc, je t'en supplie, ces liens de réciproque confiance, rends cette communauté docile à ma voix, et fais qu'elle me suive courageusement, toutes les fois qu'une de tes inspirations lui sera annoncée du haut de cette chaire. Et puisqu'il t'a plu, malgré mon indignité, de me choisir pour être le messager de ta divine parole, oh ! fais aussi que je puisse me rendre digne de toi. Fortifie toi-même les liens d'amour et de fraternité, non seulement entre nous, mais entre tous nos concitoyens, entre tous ceux qui invoquent ton saint nom, afin que ton nom seul soit glorifié ici-bas, comme il l'est déjà dans le ciel ! Amen.

Ah ! Seigneur, si tu exauces ces voeux, nous considérerons ce jour comme l'aurore de ce beau jour dont parlent les prophètes, où toutes les nations ne reconnaîtront que ton seul nom, pour se prosterner devant toi et t'adorer en sainteté, en esprit et en vérité.
AMEN ! AMEN !

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