Hommage à Isaïe Schwartz
A l'occasion de Roch-Hachana
Extrait de La Tribune juive Strasbourg - Rosh Hashana 5689-1929


Peinture représentant Isaïe Schwartz dans sa jeunesse
Il y aura tantôt un quart de siècle que j'ai connu M. Isaïe Schwartz, tandis qu'il venait de quitter le séminaire et qu'il dispensait l'enseignement religieux à Paris avant de suivre la voie rabbinique naturelle - sans laquelle on n'est jamais un bon rabbin - c'est-à-dire d'occuper un poste de pasteur en province. Et déjà il s'imposait par son autorité, sa prestance, sa conscience ; on disait à ce moment là : "Il fera son chemin". Cette prophétie s'est réalisée... Nous savons ce qu'il a fait, combien il a réussi dans des communautés plus ou moins difficiles, à Marseille, à Bayonne, à Bordeaux. Mais !e Seigneur le destinait à une autre tâche... Lorsque Strasbourg redevint française, ou plutôt qu'elle fit retour à la mère patrie, on lui demanda de diriger les destinées spirituelles de cette communauté venant reprendre dans le judaïsme français la place glorieuse restée vide pendant cinquante ans, mais qui durant cette période avait été entourée et parfumée par le souvenir des coeurs israélites et français...

Ce qu'Isaïe Schwartz a fait depuis dix ans à Strasbourg appartient déjà à l'Histoire... Les juifs alsaciens sont aussi religieux - pour la plupart - que leurs concitoyens chrétiens, tenant autant qu'eux aux traditions religieuses. Le nouveau grand rabbin sut éviter les polémiques avec la presse de l'intérieur, les protestations intempestives, -sachant que la foi juive se concilie avec le patriotisme français et le dévouement, envers la République. Le Gouvernement en lui décernant la croix de la Légion d'Honneur reconnut ses services - facilités par l'amour héréditaire de nos coreligionnaires alsaciens envers la France...
Mais, comme on le sait, un bref séjour à Strasbourg nous a permis de redire à M. Isaïe Schwartz, l'expression d'un attachement remontant à notre enfance, la considération que les juifs de France ont pour lu, de nous retrouver, - et s'il a revu l'enfant de jadis tenant une place honorable dans le journalisme juif et religieux, je dois avouer que ses vertus pastorales - je ne crains pas le mot - m'ont ébloui….

Ah! je le sais. Il existe à Strasbourg, comme à Paris, des groupes restreints d'observants intégraux, qui, comme je l'ai constaté, attendent, le Samedi soir, la fin de Maariv, pour plier leur Taleth, ce qui prouve qu'ils vont au Temple, le Shabath, matin et soir, des coreligionnaires sans lesquels le judaïsme disparaîtrait peut-être.., comprenant difficilement que tous les juifs ne fassent pas comme eux. Mais un rabbin doit voir plus loin, et ne le voudrait-il pas qu'il y serait obligé lorsque viennent à lui, toute la journée, quand ce n'est pas la nuit, des israélites sollicitant la charité au des interventions de toute nature ; il constate que le judaïsme rayonne au-delà des murs d'un oratoire et du foyer domestique, que le judaïsme et les juifs ce n'est pas toujours pareil, que tout le monde ne peut pas - soit par manque de convictions ou par des difficultés diverses - observer à la lettre le Shoul'han Aroukh.

Faut-il rejeter, méconnaître les juifs tièdes ou indifférents ? Les autres, les autres, ne pas voir que soi : quel problème tragique ! Isaïe Schwartz a pris ses responsabilités. Et lorsque des jeunes gens, quasi excommuniés à Paris, sollicitèrent son concours, il n'hésita pas, sachant qu'entre juifs une action rabbinique est plus efficace qu'une bataille théorique, que rien de ce qui est juif ne doit être étranger à un rabbin, que lorsqu'on se réclame d'Israël, il y a là un acte de bonne volonté à guider, à éclairer, à fortifier à encourager. Je ne rappellerai pas le discours prononcé à cette occasion, mais en affirmant sa sympathie, en recommandant "que l'étendue de la plate-forme ne soit pas prise sur son épaisseur, car alors, il est à craindre qu'elle ne s'écroule et n'entraîne dans sa chute tous ceux qui s'y seraient aventurés", que sans l'esprit religieux - qu'on ne peut imposer à personne, mais dont tout le monde doit être illuminé, "l'oeuvre entreprise serait vaine et peut-être dangereuse", M. Isaïe Schwartz a montré comment le rabbinat peut revendiquer et recouvrer la primauté lui revenant dans le mouvement juif... Ceci nous conduit à dire un mot du talent oratoire de M. Schwartz. La chaire juive est appelée à prendre une importance de plus en plus grande de nos jours, parce que là seulement - hélas ! - la véritable parole juive se fait entendre. M. Isaïe Schwartz a toutes les qualités pour s'y distinguer : voix puissante se répercutant dans les moindres recoins de son vaste temple, érudition appropriée aux circonstances, sentiment de la présence divine, un coeur sachant que seul l'amour peut émouvoir et provoquer la Teshouva : la conversion de l'âme retrouvant Dieu...

Je me suis longuement entretenu avec M. Isaïe Schwartz. Nous avons parlé de son Comité de Bienfaisance... dont il est le principal ouvrier; je m'aperçus que le nombre des juifs de passage sollicitant l'aide de la Communauté est proportionnellement aussi important qu'à Paris, que la générosité des juifs strasbourgeois permet d'accomplir des prodiges, que la Tsedaka en Alsace n'est pas divisée, la foi et la bienfaisance ne faisant qu'un. Grâce à une habile organisation, aucune misère ne peut rester inconnue à Strasbourg. Un cas intéressant est particulièrement soigné : M. Isaïe Schwartz, pour relever un homme, ne réussit-il pas un jour à réunir 10.000 francs ? Je n'entreprendrai pas l'énumération des oeuvres que nos lecteurs strasbourgeois connaissent et qui - qu'on nous passe le mot - gavent nos frères nécessiteux. Il est vrai que l'imposition des membres de la Communauté permet d'assurer le budget du Consistoire, que les offrandes à la Torah ne peuvent pas être faites en faveur du Temple, mais des institutions de bienfaisance...

M. le grand rabbin nous a vivement intéressé en nous parlant du cimetière juif, où la toilette mortuaire se fait, - il n'y a presque plus de levées de corps aux domiciles des défunts -, et qui est pourvu d'une installation-modèle, d'une salle avec une chaire où l'éloge funèbre est, prononcé avant la conduite au champ de repos... En nous contant - sans donner de noms, évidemment - quelques scènes de réconciliation où son ministère est souvent requis, avec succès. C'est ainsi qu'il convoqua un jour dans son bureau deux adversaires... se regardant avec des yeux... ressemblant plutôt à deux revolvers braqués l'un sur l'autre... ; il leur défendit de se parler avant qu'il ne les y autorisât ; à la fin de l'entretien, ils se serrèrent la main. Mais ayant appris que l'un d'eux ne saluait plus son ancien adversaire, il l'obligea à remplir la promesse faite. Cela est bien, cela est beau, c'est juif, c'est un exemple à imiter. On confond trop souvent de nos jours le rabbinat avec la science, l'histoire, la littérature, l'aristocratie, le journalisme, la polémique même... On veut se tenir en dehors des conflits de personnes. A l'ancienne coutume, encore observée dans les communautés de l'Europe orientale et même dans les groupements de juifs polonais des communautés occidentales, consistant à alerter le rabbin pour des futilités, a succédé la méthode de régler soi-même les conflits entre juifs, de les porter devant les tribunaux, d'user de moyens arbitraires, quelquefois du revolver, d'être brouillés pendant des années, de faire des familles juives des enfers où la haine est maîtresse... Mais j'ai entendu un de mes amis qui est rabbin - dire que Glozel (la glose ?) l'intéressait plus que tout cela. Justice et Charité juives, où êtes vous ? Ne reviendrez-vous pas pour la nouvelle année?

Comme on l'a vu, M. Isaïe Schwartz n'est étranger à rien de ce qui se passe dans sa Communauté. C'est lui qui a contribué à l'établissement de la plupart des familles polonaises à Strasbourg, qui s'est personnellement préoccupé de leur trouver des locaux, pouvant leur servir de maisons de prières où ils puissent reconnaître celles de Pologne... Mais qui n'a pas été frappé en voyant M. le grand rabbin Schwartz dans son temple ? Quelle majesté dans sa tenue et - qu'on nous excuse d'aller jusqu'au bout de notre pensée - comme il est physiquement représentatif, dans sa magnifique stalle, en montant en chaire, en accomplissant ses fonctions pastorales. Il y a là une forte ressemblance avec son maître et ami, M. le grand rabbin de France... On comprend que dans cette synagogue splendide, avec une arche sainte qui soulève les âmes, un choeur réputé qui surajoute à la beauté des cérémonies, M. Isaïe Schwartz y sente, comme il l'a dit récemment, une inspiration divine. Heureux pasteur qui n'a pas d'autre ambition que celle de vivre tous les jours de sa vie à la tête d'une si belle Kehila. Mais sait-on ce que l'avenir réserve à ce pasteur jeune encore ?

Les éloges ne sont pas tout. L' Ecriture nous apprend qu'il faut imiter ceux qui sont nos modèles, afin d'orner le sanctuaire de nos âmes. C'est le problème devant nous préoccuper pendant les Yamim Noraïm. Inspirons-nous du zèle et de la bonté dont M. le grand rabbin Isaïe Schwartz donne l'exemple à son troupeau. Que les juifs strasbourgeois se resserrent autour de lui; qu'ils le consolent de ses labeurs par leur docilité à suivre ses directives, augmentant si possible l'affection et l'estime qu'il mérite. Et puisse-t-il les inciter en ces heures si solennelles à prendre les résolutions qui leur vaudront d'être inscrits au Livre de la Vie, à vivre en meilleurs juifs, à maintenir intact, à rendre plus puissant le flambeau du judaïsme strasbourgeois afin qu'il reste une lumière et une bénédiction pour le judaïsme français.

Cher pasteur, vous m'excuserez si j'ai laissé parler mon coeur. Je dois avouer qu'il est d'accord avec ma, conscience. II y a bien des années qu'on a prédit la disparition de mon enthousiasme... qui augmente cependant au fur et a mesure que j'avance dans la vie... A force de dessécher nos coeurs, de craindre de dire du bien des hommes que le judaïsme possède, d'oublier que "les paroles agréables sont un rayon de miel, douces pour l'âme et salutaires pour le corps" (Proverbes 16:24), on a perdu l'habitude de faire connaître les valeurs que nous possédons, de là à ne plus les chercher et à ne plus savoir ce qu'elles représentent, il n'y a eu qu'un pas... Que chacun agisse selon sa conscience, j'obéis à la mienne. Soyons bons, faibles au besoin quand il s'agit de l'amour de nos frères ; cela réussit mieux et produit de meilleurs résultats que le contraire. Si le châtiment punit le mal, la patience amène le bien. Je ne dis pas : "Bonne Année". Mais que 5689 soit une année de bonté, de progrès religieux qui rapproche tous les juifs en un faisceau acclamant, exaltant, servant d'une voix, d'une volonté et d'une activité unanimes le Dieu d'Israël et de l'Humanité.

MEYERKEY        


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