De la tourmente à la reconstruction
Biographie du Grand Rabbin Henri Schilli
Daniel Haïk


Publié avec le soutien
de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah
et de la Fondation du Judaïsme Français
En partenariat avec Akadem

Éditions In Press coll. Spiritualité / Judaïsme ; 17 janvier 2018 ; 14x21,5 cm ; 300 pages ; 22 € ; ISBN : 978-2-84835-452-1


Figure majeure du judaïsme français au XXe siècle, homme de cœur et d’esprit, le grand rabbin Henri Schilli fut pendant un quart de siècle (1950-1975), directeur du Séminaire Israélite de France et pendant près de trois ans (1952-1954) grand rabbin de France par intérim.

Elevé en Alsace, orphelin très jeune, il va devenir rabbin par vocation. Aumônier de plusieurs camps d’internement de la zone sud durant la Shoah, il se distinguera alors par son courage en sauvant de nombreuses vies au péril de la sienne. Après 1945, reconstruire la communauté juive de France durement frappée par la Shoah devient la mission dans laquelle il s’engage.

Cet ouvrage retrace le parcours et l’action de ce rabbin orthodoxe hors du commun qui a profondément influencé le judaïsme français. Daniel Haïk a entrepris un travail de recherche considérable, documenté, riche de témoignages. Sous sa plume, nous voyons se dessiner la personnalité attachante d’un homme ouvert sur l’autre et qui agit sans relâche. Nous découvrons la voie qu’il a choisie pour se mesurer aux immenses défis auxquels furent confrontés les hommes de religion, les leaders communautaires et les éducateurs au sortir de la guerre mais aussi au cours des décennies qui ont suivi. La création et l’avenir de l’Etat d’Israël, l’accueil en France des Juifs d’Afrique du Nord, la criante nécessité de transmettre les valeurs et l’enseignement juifs et pour ce faire l’utilisation et le développement de moyens et de cadres didactiques originaux et divers, tels sont quelques-uns des thèmes abordés dans ce livre.
L’ouvrage met en lumière l’héritage humain et spirituel d’un personnage exceptionnel, qui a marqué son temps en même temps qu’il offre matière à réflexion sur la manière d’aborder et de résoudre certaines questions de notre temps.

L’auteur :
Journaliste franco-israélien, installé à Jérusalem depuis 35 ans, Daniel Haïk est analyste politique de la chaine I24news et rédacteur en chef de l’hebdomadaire Haguesher (anciennement Hamodia). Il a, été pendant trente ans, l’une des "voix" connues de la fréquence juive parisienne. Conférencier, il est également l’auteur d’une biographie d’Ariel Sharon (Sharon un destin inachevé), parue en 2006.

L’ouvrage a été préfacé par Nicole Naouri, l’aînée des six enfants du grand rabbin et de son épouse Simone Schilli.


Préface de Nicole Naouri
Jérusalem, septembre 2016

"Tu aimeras ton prochain comme toi-même." Lévitique 19:18.
"Un homme comme le rabbin Schilli existait, et ça, cela voulait dire que D. existe." Manitou (Léon Ashkenazi), Revue Pardès, n° 23/1997.

Il y a quelques années, découvrant dans un vieux meuble quelques pages dactylographiées intitulées "Mon activité pendant la guerre", je réalisai ce que fut l’action héroïque du rabbin Schilli durant cette période tragique et dont il n’avait guère parlé.
Lui rendre hommage par la plume m’apparut alors une évidence ; c’est ainsi que naquit le projet de ce livre, enrichi au fil de lectures, de témoignages et de rencontres.

Rien pourtant ne laissait présager le destin "extraordinaire" que serait celui du petit juif alsacien d’extraction modeste et de frêle apparence sur qui le sort s’acharne dès son plus jeune âge. Âgé de douze ans, il se retrouve à l’orphelinat de Haguenau où il poursuit ses études ; élève appliqué et studieux, sa grande gentillesse lui attire déjà la bienveillance du directeur, qui l’aide à intégrer le Séminaire Israélite de France et à réaliser son rêve : devenir le guide spirituel de ses coreligionnaires.

Animé d’un profond amour de la Torah et de son étude, très attaché à l’éducation et à la transmission, il se dépense sans compter dès le début de son sacerdoce, multipliant cours et activités de toutes sortes.
Doté d’une grande ouverture d’esprit tout en faisant preuve pour lui-même d’une extrême rigueur religieuse, il participe à la fondation des Éclaireurs Israélites de France, dont il sera l’aumônier général, tant il est conscient de la nécessité de transmettre à la jeunesse un judaïsme ouvert et authentique. "Ramener les âmes errantes", tel est l’objectif primordial du jeune rabbin qui s’attelle à la tâche avec enthousiasme.
Mais ce qui le caractérise essentiellement c’est sa disponibilité, sa grande gentillesse. Comme l’écrivit Manitou, "il était la gentillesse, et la gentillesse ce n’est pas seulement la bonté, c’est une bonté qui se donne à chacun en particulier".

C’est durant la sombre période de l’Occupation qu’il donne toute la mesure de son empathie souriante, de son altruisme et de son courage lucide, au péril de sa vie parfois, notamment lorsqu’il accepte sans hésiter d’être Aumônier général des camps. Sa "Emouna" (sa foi) rayonnante et sa force de conviction font qu’il a l’art de susciter nombre de bonnes volontés, juives ou non-juives, pour participer à son œuvre de réconfort ou de sauvetage.
Jamais il n’a songé à se cacher, cela lui était inconcevable, non qu’il n’eût conscience du danger, mais "parce que le pasteur n’abandonne pas son troupeau", me dira-t-il un jour lorsque je le questionnai à ce sujet. C’est ainsi qu’avec sa sérénité, sa douceur légendaire, il réussit, dans un monde d’horreur, à transmettre, réconforter, sauver maintes fois des vies et des âmes.

Après la guerre, il poursuit son œuvre de sauvetage spirituel dans une communauté gravement touchée, en particulier auprès des enfants de déportés hébergés dans les maisons de l’OSE. Jamais la douleur d’autrui ne l’a laissé indifférent, particulièrement celle des enfants. N’avait-il pas connu lui-même l’absence de tendresse d’un père, d’une mère ? Consoler ces enfants ("il venait toujours avec des douceurs", m’a-t-on rapporté), mais aussi leur donner, au sortir de la tourmente, un enseignement juif, étaient pour lui des impératifs absolus.

C’est avec le même désir de transmettre qu’il participe à l’"aventure d’Orsay", y dispensant régulièrement son enseignement et soutenant cette institution financièrement et moralement jusqu’à sa fermeture. Il apporta sa vie durant son appui sans faille à tout ce qui contribuait à l’éducation, la transmission, que ce soit les Yechivoth, la formation de cadres communautaires, les mouvements de jeunesse, Israël, sans parler de son travail communautaire. Il fut selon Gérard Israël "Un Grand" Rabbin, visionnaire et innovant sur bien des plans. Il avait surtout une très haute idée de la fonction rabbinique qu’il a magnifiquement mise en œuvre avec une humilité et une modestie exceptionnelles.

On le verra dans ce livre qui lui est consacré, à travers les nombreux témoignages : tous parlent avec le même respect, la même admiration, la même gratitude de celui que la plupart des gens qui l’ont connu appelaient simplement : "Rabbi" ou "Monsieur Schilli" ; il avait la même considération pour les petits et les grands, les riches et les pauvres. Son inébranlable foi en D. en impressionna plus d’un et m’a soutenue moi-même dans l’épreuve.

Il fut un époux et un père tendre et aimant, ouvert au monde, attaché à nous transmettre la culture, l’amour des belles lettres, de la musique, des arts, mais essentiellement le respect des valeurs de la Torah.

Mes remerciements vont à notre famille, à Jacques, mon frère, qui a eu l’idée de ce livre, à son soutien efficace, à Nadine son épouse et son aide logistique tonique, à Daniel Haïk qui nous a écoutés avec attention, émotion parfois, s’est passionné pour ce personnage qu’il n’a pas connu, mon père, "ce héros au sourire si doux" qui aimait les gens.

Chapitre 1
Une difficile jeunesse alsacienne

Au début du 20ème siècle, Offenbourg n’est qu’une petite bourgade allemande séparée de la ville de Strasbourg par le Rhin. Comme de nombreux villages de la vallée de ce splendide fleuve, Offenbourg compte alors une petite communauté juive, une synagogue et un cimetière. Mais elle bénéficie également des services d’un dispensaire. En fait, il semble que ce soit surtout cet hôpital qui attirait les familles juives de la région : "On y venait pour y accoucher et certains restaient là-bas et s ’y installaient", expliquent d’anciens résidents juifs d’Offenbourg. Il n’est pas impossible que ce soit là la démarche de Sarah et de Max Schilli peu après leur mariage en 1905.

Max Schilli est né à Gengenbach dans le duché de Bade, en juillet 1878. On dispose de très peu d’informations sur ses origines familiales. Par contre, on en sait plus sur celles de son épouse. Serette-Sarah Kauffmann est en effet née en 1875 à Wolfisheim en Alsace, au domicile de Haïm et de Marie Kauffmann.

Marie est issue de la grande famille Bloch dont l’un des ancêtres les plus prestigieux n’est autre que le rabbin Moïse Bloch, plus connu sous le nom de "Hakham de Uttenhe". Le petit village de Uttenhe, ou Uttenheim, situé près d’Erstein, compte au 18ème siècle, une trentaine de familles juives, dont la famille Bloch. Le futur rabbin Moïse Bloch y naît le 29 août 1790 et il aura dans sa jeunesse pour maître le rabbin de Westhoffen, Abraham Isaac Lunteschutz. Moïse Bloch épouse Madeleine Goldschmidt qui, elle-même, est issue d’une célèbre famille de rabbins alsaciens. Son arrière-grand-père était le rabbin Tzvi Hirsch Lévy Schoplich.

(…) L’arbre généalogique de Serette-Sarah révèle qu’elle avait deux sœurs, Henriette et Léonie, et un frère, Henri. La famille Kauffmann possède des ramifications en France, en Allemagne mais aussi aux États-Unis. L’une des sœurs de Serette-Sarah, Henriette, a convolé en justes noces avec Victor Marter qui a une excellente situation dans le commerce du houblon à Haguenau. L’autre sœur, Léonie, se marie avec un certain M. Mayer. Au début du 20ème siècle, on retrouve la trace du couple aux États-Unis. Quant au frère, Henri, il vit lui aussi à cette époque aux États-Unis, puisque l’on a retrouvé son testament manuscrit en anglais datant du 26 janvier 1901. Henri restera célibataire et reviendra ensuite en France où il fera office de rabbin de la communauté de Forbach (Moselle), avant d’être déporté d’Angoulême vers Auschwitz avec une partie de sa communauté. On sait également que Haïm, le père de Sarah Kauffmann, est décédé en 1926 et qu’il a été enterré à Cronenbourg.

Max Schilli est peintre en bâtiment. Il travaille çà et là mais ne parvient pas à trouver un emploi fixe. Serette-Sarah, elle, est couturière mais consacre le plus clair de son temps à son petit foyer. Les revenus sont maigres et la famille Schilli a le plus grand mal à subvenir à ses modestes besoins. Mais, pour palier ces difficultés, Serette-Sarah Schilli détient une arme efficace : l’inébranlable foi en D. qui l’anime et qui lui permet de relativiser les épreuves de la vie.

Un an après leur mariage, à Wolfisheim, Max et Sarah Schilli donnent naissance à leur fils aîné qu’ils décident de prénommer Henri-Itzhak, du nom de son arrière-grand-père maternel, Itzhak Kauffmann.

Peu après la naissance du petit Henri, Max et Sarah quittent Offenbourg pour Osthouse, un petit village alsacien qui compte à peine quelques Juifs. Désespérant d’accéder à une situation respectable, Max Schilli se laisse alors tenter par le "rêve américain". Il a alors aux États-Unis un beau-frère Henri, une belle-sœur Léonie et même un oncle de son épouse qui pourraient peut-être lui ouvrir certains horizons professionnels. Il embarque, apparemment en 1907, vers le Nouveau Continent dans l’espoir d’y trouver un emploi stable et rémunérateur. Il est convenu que s’il y parvient, il fera alors venir sa femme et son fils. Mais cette tentative va s’avérer infructueuse. Après avoir effectué toutes sortes de petits travaux sans lendemain, Max décide de rentrer au pays en 1909... sans toutefois renoncer définitivement à ses aspirations. Début 1912, trois ans après son retour, il fait une seconde tentative. Avant de reprendre un bateau pour les États-Unis, il embrasse sa femme, qui est alors enceinte, et son fils Henri. Il ne les reverra jamais. Max Schilli apprendra par télégramme la naissance de sa fille Mariette en mai 1912. Pour lui, l’aventure américaine se terminera accidentellement le 2 adar (février) 1913. Peu après, Sarah reçoit un télégramme lui annonçant la mort de son mari.

La date du yahrzeit (anniversaire du décès) de Max Schilli est la première à avoir été inscrite sur la page de garde du sidour (rituel de prières) personnel de la mère du rabbin Schilli qu’il a ensuite conservé. Sur cette page figureront par la suite, conformément à une ancienne et émouvante tradition alsacienne, les dates de yahrzeit des parents et proches du grand rabbin.

Restée seule, Serette-Sarah rencontre d’immenses difficultés matérielles pour élever ses deux jeunes enfants. Elle est surtout préoccupée par leur éducation juive. Un jour, elle trouve son fils Henri en pleine contemplation devant un crucifix et prend alors immédiatement la décision de quitter Osthouse pour rejoindre une petite ville où se trouvent une communauté et surtout une école juive. Les Schilli vont donc s’installer, vers 1912, à Obernai. Le jeune Henri va y grandir et c’est là qu’il fait la connaissance de la famille Neher. À cette époque, Albert Neher est président de la communauté d’Obernai. Henri Schilli devient vite le camarade de jeu des aînés de ses enfants, Hélène et Richard. On raconte que les murailles d’Obernai étaient l’aire de jeu de prédilection d’Henri Schilli et des deux enfants Neher. Le plus jeune des Neher, le célèbre professeur André Neher, ne naîtra qu’en 1914 et Henri Schilli se souviendra avoir assisté à sa brit mila. Lorsqu’il ne joue pas, et qu’il a terminé ses devoirs, le jeune garçon aime se promener seul dans la campagne alsacienne et, très jeune, se passionne pour la nature. Sur le plan religieux, c’est à Obernai qu’il va se familiariser avec la liturgie alsacienne qu’il affectionnera particulièrement durant toute sa vie. Lui, qui a une jolie voix, aime écouter le hazan (chantre) de la ville, Léopold Kaufmann, qui est féru de cette liturgie.

Henri Schilli devient un élève studieux de la petite école juive locale et ce, bien que l’instituteur principal se montre sévère et ne tienne pas vraiment compte de la situation sociale difficile du petit orphelin. Henri suit, par ailleurs, avec assiduité les cours du rabbin d’Obernai, Émile Schwartz, qui est un pur produit du fameux Séminaire rabbinique du rabbin Azriel Hildesheimer à Berlin. Il s’agit d’un séminaire réputé pour son orthodoxie et dont le directeur entre les deux guerres mondiales sera le rabbin Yehiel Yaacov Weinberg, le "Sridé Esh", sommité religieuse reconnue en Europe. La relation nouée avec le rabbin Schwartz aura un impact très profond sur Henri Schilli et renforcera les convictions religieuses que sa mère lui avait transmises dès son plus jeune âge.

Mais malheureusement le sort va, à nouveau, s’acharner sur l’enfant. Peu après le déclenchement de la première guerre mondiale, sa mère, Serette-Sarah, tombe gravement malade. Henri Schilli n’a alors que neuf ans et demi. Et pourtant, c’est lui qui va, avec une tendre affection et un dévouement sans limites, soigner sa mère et veiller sur sa petite sœur. Si bien que dans la famille Neher on disait : "À dix ans, Henri Schilli avait déjà gagné sa place au Paradis, tant la bonté, le dévouement, le désintéressement, l’héroïsme quotidien... étaient déjà réunis et visibles en lui."

Serette-Sarah Schilli succombe en 1918, probablement des suites de l’épidémie de grippe espagnole qui se propage à la fin de la première guerre mondiale. Alors qu’il n’a que douze ans, Henri Schilli se retrouve seul au monde, avec sa sœur Mariette, âgée de six ans. La communauté d’Obernai se mobilise pour venir en aide aux deux orphelins. Ses responsables choisissent alors d’envoyer Henri à l’orphelinat "Les Cigognes" d’Haguenau, tandis que sa sœur devient pensionnaire à l’orphelinat juif de filles de Strasbourg.

L’orphelinat d’Haguenau avait été fondé en 1904, à l’initiative du rabbin de la ville Marc Lévy, grâce à un don très conséquent versé par Aron-Marc Rehns, un bienfaiteur juif, natif de la ville ayant fait fortune à Paris. Lorsque Henri Schilli y est admis en 1918, l’institution est dirigée par Simon Weil et son épouse Céline. La vie dans cet orphelinat n’est pas facile pour le jeune garçon et la discipline y est particulièrement sévère, comme le mentionnent Freddy Raphaël et Robert Weyl dans leur ouvrage Regards nouveaux sur les Juifs d’Alsace : "La jeunesse du grand rabbin Schilli avait été difficile : il s’était trouvé très tôt à l’orphelinat de Haguenau, à une époque où les orphelins arboraient un uniforme et étaient assis à la synagogue sur des bancs réservés qui les isolaient du reste de la communauté." Pourtant, comme le souligne dans son livre Souviens-toi d’Amalek, Frédéric Shimon Hammel (dit Chameau), "jamais on ne l’entend se plaindre". Comme si, très jeune, Henri Schilli avait appris à se contenter de son sort dans ce monde-ci. Lors de rares moments de détente accordés par l’institution, Henri rend visite à son oncle, Victor Marter et à sa tante Henriette, qui appartiennent à ce qu’il est convenu d’appeler la "bourgeoisie juive locale". Ils tentent de rendre la vie du jeune garçon un peu plus agréable. On raconte qu’un soir tous les enfants de l’orphelinat avaient été punis et privés de dessert. Mais par chance, ce même soir, Henri Schilli était invité à dîner chez son oncle et sa tante. Il avait alors ramené une pomme que tous les enfants punis, ou presque, avaient croquée avidement !

Forgé à la dure par les épreuves de la vie, Henri Schilli est un garçon sensible et discret. Le directeur de l’orphelinat Simon Weil le remarque et, très vite, se prend d’affection pour lui. D’ailleurs, Henri Schilli n’oubliera jamais le dévouement du couple, qui n’avait pas d’enfants, à son égard. Ainsi, lorsqu’il apprendra le décès, en février 1929 de Céline Weil, alors qu’il poursuit ses études de rabbin au Séminaire à Paris, il effectuera le déplacement jusqu’à Haguenau avec l’un de ses anciens camarades, pour assister à ses obsèques. Dans un émouvant éloge funèbre, il rendra un hommage appuyé à celle qui fut, pour lui, comme une mère et lui donna confiance en l’avenir. La date du décès de Simon Weil, qui disparaîtra après son épouse, sera inscrite par Henri Schilli sur la page de garde de son sidour personnel aux côtés de celles de ses parents, Max et Serette-Sarah.

Au printemps 1919, alors que l’on lit dans les synagogues, "Kedochim", la Paracha hebdomadaire, Henri Schilli célèbre sa bar mitzva à l’orphelinat d’Haguenau. Et c’est la communauté d’Obernai qui prend en charge les frais occasionnés par la petite fête organisée pour réjouir le jeune orphelin. Par la suite, Henri ira régulièrement compléter le minyan dans la petite communauté de Lembach, proche d’Haguenau, communauté dirigée alors par des parents proches de Samuel Sandler, le père du rabbin Yonathan Sandler assassiné avec deux de ses enfants devant l’école Otzar Hatorah de Toulouse le 19 mars 2012. Par la suite, nous le verrons, la famille Sandler sera très proche des Schilli.

À la fin de la première guerre mondiale, et après le retour de l’Alsace-Lorraine sous souveraineté française, le Consistoire Central prend l’initiative d’encourager les jeunes juifs alsaciens à devenir rabbins en leur offrant une bourse d’études au Séminaire israélite de France. Depuis 1919, l’orphelinat d’Haguenau reçoit ainsi du Consistoire une bourse qui revient d’office, au meilleur élève. À la fin de l’année scolaire 1920-1921, c’est Henri Schilli qui se voit attribuer cette bourse. Mais, par modestie, le rabbin racontera plus tard à ses proches qu’il n’avait pas vraiment mérité cette bourse et qu’il l’avait obtenue à la suite de la défection d’un élève de l’orphelinat qui n’avait pas la moindre intention de faire carrière dans le rabbinat. Pourtant, en 1975, durant les Shiva (les sept jours de deuil) du grand rabbin, cet ancien élève des "Cigognes" est venu rendre visite à la famille Schilli. Il a alors fourni une autre version des faits : "Je sais que le grand rabbin a dû dire qu’il ne méritait pas cette bourse. Mais ce n’est pas vrai : le véritable meilleur élève de l’orphelinat, c’était lui, pas moi, et cette bourse il l’avait amplement méritée."

Henri Schilli a quinze ans et demi lorsqu’en septembre 1921 il part à Paris. Abraham Deutsch, futur grand rabbin de Strasbourg, qui fait alors sa connaissance écrira au moment du décès d’Henri Schilli : "Aussi loin que remontent mes souvenirs, c’est-à-dire depuis 1921, je vois mon ami Schilli toujours pareil à lui-même, modeste jusqu’à l’humilité, ouvert à toutes les suggestions et pénétré d’une sincérité palpable... et qui spontanément lui ouvrait tous les cœurs." Avant son départ, sa tante Henriette Marter de Haguenau lui a préparé son trousseau d’étudiant. Mais s’il quitte l’Alsace, l’Alsace ne va, quant à elle, jamais le quitter. Durant toute sa vie, Henri Schilli se réclamera avec une certaine fierté de sa tradition alsacienne. Comme l’indique son fils, Jean-Pierre Schilli, dans un exposé public sur la vie de son père, présenté en 2010 à l’invitation de la Société d’Histoire des Israélites d’Alsace et de Lorraine ("Henri Schilli, un itinéraire") : "Pourquoi évoquer la personnalité d’Henri Schilli dans un colloque sur l’Alsace alors qu’il n’a jamais eu le moindre poste rabbinique dans cette région ? La raison en est simple : ses racines étaient en Alsace. Et il ne les a jamais oubliées... L’Alsace restera présente dans sa vie : il s ’y rendait chaque année (à l’exception de la période de la guerre), se recueillait sur les tombes familiales et rendait visite aux membres de sa famille maternelle. Il aimait cette terre d’Alsace, non seulement pour les nombreuses manifestations d’une très ancienne présence juive, mais aussi pour ses paysages si beaux et émouvants. Et enfin à la maison, s’il ne parlait pas le "Yiddisch Taïtsch", car nous ne le comprenions pas, il aimait émailler la conversation d’expressions familières".

Sommaire
Préface : NicoleNaouri
Avant-propos de l'auteur : Daniel Haïk
Remerciements particuliers
Première période : L’avant-guerre
Chapitre 1 : Une difficile jeunesse alsacienne
Chapitre 2 : Études rabbiniques
Chapitre 3 : Les premières fonctions rabbiniques
Deuxième période : La guerre
Chapitre 4 : La drôle de guerre, période de "réflexion rabbinique"
Chapitre 5 : Montpellier, ou comment dynamiser une communauté en temps de guerre
Chapitre 6 : Un visage de bonté dans l’horreur des camps d’internement
Chapitre 7 : La douleur face aux déportations
Chapitre 8 : Valence : le poids des responsabilités
Chapitre 9 : L’heure de la reconstruction
Troisième période : Directeur du Séminaire Israélite de France
Chapitre 10 : La nomination et les premiers jalons de la mission
Chapitre 11 : Grand rabbin de France par intérim
Chapitre 12 ; Un souffle de vie sur le Séminaire
Chapitre 13 ; Le message spirituel d’Henri Schilli : Prière, Étude, Transmission
Chapitre 14 : Le rôle du rabbin - Le directeur de l’École Rabbinique et ses élèves
Chapitre 15 : Le Chabbat et les fêtes au Séminaire
Chapitre16 : Henri Schilli, rabbin de communauté
Chapitre 17 : Le tournant des années 1960
Chapitre 18 : La vie de famille
Chapitre 19 : Le crépuscule d’une vie trop courte
Postface
Remerciements
Bibliographie

Rabbins Judaisme alsacien Histoire
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