Le Brith Hanoar Hamizra'hi (1935-1945) (suite et fin)

Nancy

En novembre 1938, Paul Roitman partit pour Nancy, où il devait entreprendre des études de médecine. Aussitôt arrivé dans la capitale lorraine, il décida d'y fonder une section du Brith Hanoar. Ce n'était pas chose facile, car la ville ne comptait à l'époque que quatre ou cinq familles orthodoxes. Multipliant les efforts, le jeune homme finit par obtenir de la communauté la mise à disposition d'un local, d'où pourraient démarrer les premières activités. Le snif se développa d'abord lentement : l'intégration de ces enfants, issus pour la plupart de milieux non religieux, exigeait tout un travail d'éducation préalable. Il se trouva qu'il existait déjà, à Nancy, un Talmud Torah de tendance ultra-orthodoxe, le Beit Yaacov, dirigé par Friedel Slobodska (qui devait plus tard épouser le rabbin Haïkin, fondateur de la yechiva d'Aix-les-Bains). Après diverses tentatives infructueuses, Paul Roitman finit par arracher à Friedel Slobodska son consentement à une collaboration. L'action conjuguée du Talmud Torah et du Brith Hanoar eut une incidence favorable sur l'évolution religieuse de la communauté, et le Mouvement finit par s'implanter. Lors de la première fête de ‘Hanouka, organisée conjointement par les deux formations, le Brith Hanoar était représenté par Paul, et le Beit Yaacov par Julien Samuel – alors chef de la jeunesse agoudiste de Strasbourg.

La "Peguicha"


Rencontre Metz-Strasbourg à Strabourg, 1938.

En décembre 1938, la situation était mûre pour un congrès indépendant : ce fut, à Strasbourg, la "Peguicha" générale de la Jeunesse mizra'histe pour l'Est de la France et le Luxembourg. Elle débuta par un rapport de chaque section. Parmi les événements les plus marquants, on relevait la visite à Metz et à Strasbourg d'une des grandes figures du Mizra'hi mondial, le rabbin Zeev Gold. Le nombre total de membres inscrits, tous snifim confondus (on en comptait déjà six), s'élevait à près de 400 'havérim. Paul Roitman fut élu secrétaire général de l'organisation.

Sur le plan idéologique, cette rencontre permit de mieux préciser la ligne générale du Mouvement : il se définissait comme sioniste, 'haloutzique, et religieux. Un programme général de si'hoth fut établi, qui laissait à chaque snif la liberté de s'en inspirer, de façon partielle ou totale. On envisagea également la tenue d'un nouveau ma'hané en août 1939. Désormais, le Brith Hanoar constituait une force avec laquelle il fallait compter. Les institutions sionistes et communautaires n'allaient pas tarder à s'en rendre compte.

L'intégration au Mizra'hi

Dès le début janvier, le travail éducatif reprit dans les snifim ; encouragés par les résultats obtenus, les madrikhim se vouaient entièrement à leur tâche. Le journal "Kolénou", qui continuait à paraître régulièrement, se fit l'écho de cette impulsion nouvelle. Les comptes-rendus d'activités devenaient plus nombreux, les 'havérim eux-mêmes prenant souvent l'initiative d'adresser un article à la rédaction. Les aînés commençaient à s'intéresser de plus près à la politique sioniste, et se rapprochaient du parti adulte. Plus âgés et plus mûrs, ils étaient à présent en mesure d'aborder les questions politiques avec plus de conviction. Cette plus grande implication permit au Mizra'hi régional de se renforcer à son tour.

Cet effet en retour apparut manifeste avec la Campagne du Chekel et les élections qui s'ensuivirent. Il s'avéra alors à quel point un mouvement de jeunesse en pleine expansion et bien organisé pouvait être précieux à la formation politique dont il se réclamait. La "campagne" avait débuté en janvier 1939. Les snifim de Nancy et de Belfort ne s'y engagèrent pratiquement pas, l'organisation sioniste les ayant coupés de l'Alsace-Lorraine pour les affilier à la centrale parisienne – avec laquelle d'ailleurs ils n'avaient que très peu de contacts. Le groupe de Metz, par contre, se distingua par son travail méthodique dans le placement des chekalim. Forts d'une lettre de recommandation du grand rabbin Netter, les jeunes gens faisaient merveille, frappant systématiquement à la porte de tous les membres et sympathisants du Mouvement. Ils poussèrent même jusqu'aux localités des alentours, où subsistaient encore de petites communautés, telles que Hellimer ou Insming. Soutenu par l'action du Brith Hanoar, le Mizra'hi d'Alsace-Lorraine doubla le nombre de chekalim vendus.

Il faut dire, de façon générale, que le Mizra'hi de Metz s'était considérablement renforcé. Il avait nommé à sa tête un praesidium de trois personnes, dont le Dr Silber qui pratiquement gérait le tout. Ce dernier avait accepté, cédant aux instances des jeunes, de figurer en tête de liste du parti pour l'ensemble de l'Alsace-Lorraine lors des élections au Congrès sioniste de 1939. Le Mizra'hi, cette fois, avait de grandes chances de recueillir la majorité des voix, et d'être élu représentant des sionistes d'Alsace-Lorraine au Congrès. Cette perspective peu réjouissante poussa les autres partis à toutes sortes de manoeuvres plus ou moins honorables. Manipulations qui parvinrent finalement à faire annuler la liste mizra'histe, sous des prétextes légalistes et spécieux. Du coup, il ne restait plus en lice qu'une seule formation : celle du bloc des partis non religieux, automatiquement élue. Le Mizra'hi décida de porter plainte devant le tribunal du Congrès sioniste et demanda son arbitrage. Celui-ci accorda au Mizra'hi d'imposer son délégué durant la première moitié du Congrès, la seconde partie restant réservée aux partis non religieux. La solution était raisonnable, et plutôt bienvenue pour le Mizra'hi d'Alsace-Lorraine.


Le groupe de Metz en 1939. Au premier plan, jouant du pipeau, Paul Roitman. A sa gauche, jacques Roitman et Maurice Hausner.

Le troisième ma'hané - La Hoube

En août 1939 se tint à La Hoube (près de Dabo en Moselle) le troisième camp du Brith Hanoar, qui devait durer trois semaines. Moché Scheinbach venait de recevoir un certificat d'immigration pour la Palestine, et Paul Roitman fut donc pressenti pour en assurer seul la direction. Afin de le soulager un peu, on demanda à Léo Cohn, un éducateur de premier ordre, alors à la tête du Merkaz de Strasbourg, de se joindre au ma'hané pour une quinzaine de jours. Cette fois encore, le camp fut un succès, marqué par une forte participation. Conscients de leurs responsabilités, les "anciens" avaient à coeur d'adopter les nouveaux, et firent de leur mieux pour faciliter l'intégration au Mouvement du jeune groupe de Nancy.
P. R. : J'avais entendu parler de Léo Cohn dès son arrivée à Strasbourg, alors que je dirigeais encore le Brith Hanoar de Metz. Le chef du snif de Strasbourg, Moché Youval (Scheinbach), me l'avait décrit, en des termes très chaleureux, comme un éducateur hors pair. Un peu plus tard, en 1938, j'ai fait personnellement sa connaissance, mais ce n'est qu'en été 39 que j'ai pu prendre la véritable mesure de ses talents.
Si nous avions assumé jusque-là en effet, Moché Scheinbach et moi-même, la direction des ma'hanoth (en 37 et 38), celui de 1939, prévu pour le mois d'août à La Hoube, posait un problème : Moché Scheinbach n'ayant pu se libérer, je risquais d'avoir à le diriger seul. Léo Cohn accepta alors de venir m'épauler pour une quinzaine de jours.
Dès son arrivée, Léo parvint à créer une ambiance extraordinaire, qui souleva tous les jeunes. Outre les cours, les explications et directives prodiguées aux madrikhim, il avait su galvaniser l'ensemble des 'havérim par des chants vibrants qu'ils n'ont jamais oubliés.
Il me suggéra par ailleurs quelques rectifications au programme que je lui avais soumis, et contribua ainsi grandement à la réussite de ce camp qui fut magnifique – quoique assombri, les derniers jours, par les premiers grondements de la guerre.
Au cours de ces deux semaines de travail en commun, j'ai appris à le connaître, et je dois dire que durant ma longue carrière d'éducateur, je n'ai plus jamais rencontré qui que ce soit de cette valeur et de cette envergure. Par son charme, sa forte personnalité, il arrivait à convaincre, poussant à la réalisation de projets qui lui semblaient essentiels, soucieux de l'avenir du Mouvement dont il se sentait lui-même très proche. Léo, qui était mon aîné, m'a beaucoup appris sur le plan pédagogique et je conserve de lui le souvenir d'un grand éducateur, d'un meneur d'hommes en qui la jeunesse put trouver un guide et un modèle.
Nous nous sommes quittés vers la fin du mois d'août, alors que déjà planait sur nous la menace de guerre. J'ai eu l'occasion, par la suite, de le revoir plusieurs fois à Toulouse, en 41-42, puis à Castres en 1944, quelques jours avant qu'il fût arrêté, le 17 mai, en même temps que mon frère Jacques.

Ma'hané de Lannes près de Candom, 1942. Paul est debout à gauche

 

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