La traversée de la Mer Rouge
Paroles prononcées par le Rabbin Lederer à l'occasion de la Bar-Mitzwa de son fils Michaël.
"Et lorsque ton fils te demandera..."
"Et tu diras à ton fils..."
Un père répond à son fils.


Jordaens : La traversée de la Mer Rouge, 17ème s. Musée national de Varsovie
Au cœur de la Sidra de Bechalla'h, le miracle de la Mer Rouge apparaît comme la conclusion définitive du processus de libération des hébreux et du dévoilement du divin.
C'est la raison pour laquelle, la Tradition juive accorde plus de valeur à cet événement qu'à celui de la Sortie d'Egypte.
Cependant, la nature même de ce miracle, la diversité des textes, nous ont conduits à tenter d'en comprendre la portée et les implications.

Parmi les différentes lectures, nous en avons retenu trois : celles qui lient la Mer Rouge - au thème de la création
- à l'émergence des douze tribus
- à Jérusalem.

Que s'est-il passé au bord de la Mer? On, parle généralement de partage et de passage. L'hébreu donne en fait une autre lecture. Elle utilise l'expression "Keriya", "la déchirure" de la Mer Rouge.
Et par ailleurs au chapitre 14:21-22 [de l'Exode], le texte de la Torah nous précise encore une autre indication : "il met la mer en dessèchement et les eaux se fendent". Non seulement, l'eau est partagée en deux, mais elle se transforme en "yebasha " en"terre sèche" afin de permettre le passage des hébreux. Rachi, reprenant un texte de la Me'hilta en fait même un événement cosmique : "Toutes les eaux du monde".

Par la nature des événements autant que par le choix des expressions, les rabbins nous renvoient au deuxième jour de la création dont il est dit : "et le sec sera vu".
A la Mer Rouge, il semble que se soit produit le même phénomène que celui du deuxième jour de la création : - le retrait de l'eau gui recouvrait tout
- l'apparition de la "terre sèche" qu'Elokim a nommée "erets", la terre.
Le parallélisme ne s'arrête pas là. La motivation est identique dans les deux cas. Car dit le Maharal en commentant toujours la Me'hilta : c'était pour l'homme ! En effet, le but de toute cette opération, c'est d'assurer la possibilité d'existence à l'être humain.

L'eau en effet, est à l'origine de toute forme, elle en est même l'opposé. En tant que tel, dit le Maharal, elle est le homèr, la matière par excellence.
La matière, c'est le lieu où plus rien ne peut exister et Rabbenou Béhayé, dans son commentaire sur la Torah, oppose la déchirure de la Mer Rouge à la fusion du déluge.
Il n'est reste pas moins vrai que la matière est à l'origine de la vie comme les eaux maternelles le sont au foetus. Mais la vie elle-même, l'accouchement du monde comme celui du petit de l'homme, ne se réalise que par la déchirure. Il faut un espace hors de cet élément Une fissuration de la matière est donc nécessaire pour que la vie puisse se manifester.

Pour le Maharal, l'Egypte aussi, manifeste la matière dans sa négativité. Elle est le lieu dans lequel Israël allait se dissoudre si Dieu ne l'en avait pas extrait.
Aussi les Dix plaies, frappant les Egyptiens et sauvant les Hébreux, provoquent l'accouchement d'Israël. La déchirure de la matrice de l'Egypte, c'est le début de la naissance d'Israël en tant que peuple. Pourtant, ce n'est que le début. La sortie d'Egypte est de l'ordre de l'histoire et du particulier. Au bord de la Mer, c'est la matière, dans sa représentation universelle, que le divin déchire.

Par deux fois au moins, dans le Guevûrot Hashem, le Maharal donne la définition d'Israël : Israël en passant la Mer Rouge est devenu le Peuple des Hébreux "des passeurs". Et citant le Yalkouth sur le début de l'Exode " hébreux", c'est-à-dire, qui ont "passé" la mer.
Il n'y a pas que Moïse qui fut tiré de l'eau, Israël aussi.

Pourtant, il y a une grande différence dans ce deuxième stade. La sortie d'Egypte était une naissance globale, celle de la Mer nous offre un Israël constitué, structuré par les douze tribus. C 'est la Kedousha [la sainteté], qui est à l'œuvre dans toute déchirure provoquant le retrait de la matière. C'est sa fonction et sa définition. Etre Kadosh [saint], c'est être séparé.
La vocation de la Kedousha, de la lumière divine qui est en Israël, c'est de faire sortir l'humain et la nature de l'indifférence, de les organiser et de les structurer.

La première étape visait donc à fendre l'Égypte par les Plaies, d'extraire Israël dans sa totalité de l'univers fusionnel d'un peuple et d'un pays. Cet événement se fait en fonction du passé, de la promesse faite aux Patriarches. Mais la déchirure de la Mer est à la sortie d'Egypte ce que le Shabath de la Création est au premier jour. Aussi le rituel du septième jour de Pessa'h est consacré au passage de la Mer Rouge. C'est Israël structuré qui sort de la Mer, structuré en douze tribus.
C'est ainsi que la Me'hilta dit : "Par le mérite des Tribus, je fends la Mer Rouge !"

Dans la Yalkouth sur Tehilim et dans Rachi sur le verset, on trouve le commentaire suivant : Il n'y a de naissance que par la déchirure de la matière, mais cette naissance ne devient effective que si elle débouche sur une structure organisée.
Israël n'a de sens que s'il est "camp d'Israël", ou autrement dit Israël en bas doit être le reflet de la Kedousha elle-même, de l'en-haut.
La Kedousha n'est donc pas seulement rupture de la matière, mais aussi mise en place de rapports, d'orientations et d'organisation.

Et de là, nous parvenons au troisième volet : le lien entre le passage et Jérusalem. Et toujours encore, nous lisons dans la Me'hilta : "Pour Jérusalem je fends la mer ". Jérusalem, lieu de la Kedousha est l'envers même de la Mer, lieu de la matière. La vocation d'Israël, c'est de tendre vers Jérusalem, lieu de la Kedousha, centre du monde et l'obstacle qu'il fallait franchir, c'est la Mer.

Aussi me permettrai-je de conclure en citant Manitou à propos de Shabath :
«dans le monde de Dieu, il n'y a pas de place pour l'homme, et dans le monde de l'homme, il n'y a pas de place pour Dieu ". Il y a impossibilité absolue pour Dieu d'être chez l'homme et pour l'homme d'être chez Dieu à moins que ce ne soit dans l'identité de sainteté. Lorsque la sainteté est édifiée, ces impossibilités sont évacuées. Il faut donc construire un Beit hamiqdash, un Troisième Temple.



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