Yom Ha'atsmaouth
Le jour de l'indépendance de l'Etat d'Israêl
Rabbin Claude Lederer


C'est un lieu commun de dire que notre génération a connu la Shoah et le début de la réalisation d'une attente bimillénaire : depuis le 5 Yiar 1948 , le peuple juif dispose à nouveau officiellement d'un Etat indépendant et libre .

Cette date, comme son nom l'indique, commémore le jour de l'indépendance, Yom Ha'atsmaouth. Dire qu'elle fait l'unanimité serait faux car elle réalisa essentiellement le voeu d'une idéologie politique, le sionisme, que tous les juifs n'ont pas accepté et qui ont cependant vu dans ce retour la réalisation des promesses de la tradition juive .

Il n'est évidemment pas dans nos intentions d'engager une querelle sur le bien-fondé de cette institution. Contentons-nous d'essayer d'expliquer comment les rabbins d'Éretz Israël y ont vu un évènement dépassant largement une victoire militaire et politique . Le retour de. Jérusalem en juin 1967 a renforcé encore cette conviction que le peuple juif attendait depuis des siècles et a donné, du point de vue religieux, une résonance particulière à la renaissance d'Israël .

Est-il besoin d'ajouter que beaucoup de nos forces vives sont allées rejoindre ce pays soit par amour de la Torah , soit par amour d'Éretz Israël ou encore des deux en même temps. Les juifs, enfin, se sentaient chez eux .
Il ne faudrait pourtant pas verser dans une vision idyllique de ce pays. Nombreux et difficiles à résoudre sont les problèmes de la société israélienne, les antagonismes entre religieux et non-religieux, les problèmes sociaux, la difficile intégration des juifs russes et éthiopiens, pour ne parler que de quelques-uns des problèmes actuels .

Dans l'ordre des fêtes

Les fêtes juives se situent généralement dans la perspective de la mémoire. Pour ceux qui ont institué cette journée du point de vue religieux , Yom Ha'atsmaouth figurerait avec Pourim et 'Hanouka, parmi les fêtes instituées par les Rabbins . Cela étant, l'ensemble des trois formerait en quelque sorte le pendant des trois fêtes de pèlerinage de la Torah.

Le Sefath Emeth donne un commentaire qui résonne curieusement : "Les trois fêtes de pèlerinage, écrit-il, sont de l'ordre de la Torah écrite. Par rapport à elles, trois fêtes ont été instituées par la Torah orale. Elles sont aux premières ce que la lune est au soleil, elles en reçoivent la lumière .... 'Hanouka correspond à Soukoth, Pourim à Shavouoth . Quant à Pessa'h, nous espérons qu'il y en aura une qui lui corresponde comme il est écrit : 'comme aux jours de ta sortie d'Egypte , je manifesterai des miracles' " (Michée 7: 15 ). Nous n'avons pas la prétention de faire dire au Sefath Émeth ce qu'il n'a pas dit . Il est cependant intéressant de noter que notre commentateur fait appel à une fête qui serait de l'ordre de Pessa'h et qui aurait à faire avec l'idée de la délivrance.

On peut donc voir en Yom Ha'atsmaouth un "Pessa'h rabbinique" bien que la date elle-même n'ait pas été instituée par les rabbins et bien que l'ensemble des autorités rabbiniques ne partage pas nécessairement cet avis .
Rappelons quand-même, à titre d'information, que l'institution de la fête de Pourim ne s'est pas faite non plus sans mal. En tous cas, dans la décision des rabbins d'Israël, cette journée marque le début de la délivrance finale d'Israël. Elle n'est cependant que le commencement d'une espérance restant encore à réaliser .

Le principe "Délivrance"

Cette idée de "délivrance" est aussi ancienne que le peuple juif lui-même. N'est-elle pas au centre de Pessa'h, prototype de la libération d'Israël ? Elle précède même cet évènement puisque, d'après nos maîtres, parmi les sept choses qui précèdèrent la création du monde , le dernier se trouve être "le nom du Messie" (Guemara Sanhédrîn p.54a).

La notion même de libération, figure parmi les valeurs fondamentales du peuple juif. L'univers est à construire. Étant entré dans l'ordre de l'histoire des générations, c'est la réussite de ce monde et des hommes qu'il s'agit d'accomplir .La délivrance du peuple juif, le nom du Messie, figure ainsi à la base même des buts que D.ieu s'est assigné en créant le monde. Ce but est déjà assigné à Abraham quand D.ieu lui demande de quitter son lieu de naissance. En parlant d'Israël , D.ieu dit : " ...C'est à ta postérité que je destine ce pays" (Bereshith/Genèse 12:7).Cette promesse, renouvelée aux autres patriarches, le peuple juif l'a inlassablement répétée pendant deux mille ans en exil : "Rassemble- nous des quatre coins de la terre. Tu es source de bénédictions, Dieu, qui rassemble les exilés de son peuple Israël" (prière quotidienne des Shemoné Essré).

La première libération

En tant que peuple , Israël  vint au monde en Égypte dans les conditions douloureuses que l'on sait. Les grandes lignes de ce destin avaient déjà été tracées par D.ieu à Abraham , des centaines d'années auparavant dans le "Berith bein Habetarim" ("l'alliance entre les parties" - Genèse Ch.15).
Abraham avait douté de la promesse divine relative à la terre : " Par quoi saurai-je que j'en hériterai ? " Il exigeait un signe , la parole ne lui suffisait pas. Aussi, certains 'hakhamim ont-ils vu dans ce doute la cause de l'exil en Égypte .

Vint le moment de la Sortie d'Égypte évoquée quotidiennement et plus spécifiquement lors des Sedarim de Pessa'h . C'est en référence à quatre, en réalité cinq termes qu'elle se concrétise : 1) je vous ai faits sortir ; 2) je vous ai sauvés ; 3 )je vous ai délivrés 4) je vous ai pris comme peuple, et enfin une cinquième expression " je vous ai amené vers le pays " .
La sortie d'Égypte et la création du peuple juif sont le fait de D.ieu  C'est ce que D.ieu avait déjà promis à Abraham : " Je te donnerai , à toi et à ta descendance, la terre que tu as parcourue, tout le pays de Canaan , comme possession éternelle - et je serai votre Dieu ". (Genèse 17:8).

L'exil

Éretz Israël avait été donné au peuple à la condition d'en respecter les clauses, mais cette promesse et ce don , même lorsqu'Israël en fut chassé, n'ont jamais été remis en question .
"Je suis descendu , dit D.ieu , pour le sauver de la main de l'Égypte et pour le faire monter de ce pays vers une terre bonne et large " (Shemoth/Exode 3: 8 ).
Le don de ce pays n'était pas un but en soi. Il devenait effectif  "à condition que je sois votre Dieu". Ce qui est répété après le don de la Torah : "Je vous prendrai comme peuple - et je serai votre Dieu" (Exode 6: 7) .

C'est ainsi que Rachbam commente le verset 10 du chapitre 11 de Devarim/Deutéronome : "vous observerez les commandements de D.ieu car cette terre est meilleure que les autres pour y observer les commandements, et pire que les autres si vous ne vous y conformez pas". Aussi , même si Éretz Israël est donné sans conditions, l'insertion du peuple dépendra de ses comportements : "si vous suivez mes décrets ...je serai votre Dieu , et vous serez mon peuple " (Vayikra/Lévitique chap. 26:3 et 12 ). Sinon les malheurs s'abattront sur le pays qui sera dévasté et sur le peuple qui en sera chassé . Il ne pourra revenir que "lorsque leur coeur incirconcis sera anéanti et qu'ils aient regretté leurs fautes " (Lévitique 22: 41). Les mises en garde contre la désobéissance envers D.ieu seront maintes fois répétées tout au ong de la Torah et par les prophètes .

L'exil-sanction est également considéré comme un remède, avant le retour vers la terre promise, mais jamais D.ieu n'abandonnera son peuple. "Et même lorsqu'ils seront sur la terre de leurs ennemis , je ne les mépriserai pas et je ne les anéantirai pas , en renversant mon alliance avec eux " (Lévitique 26: 44). L'épreuve de la galouth (l'exil), la plus douloureuse pour le peuple juif , implique aussi un terme .Alors Israël pourra revivre sur sa terre car après le retour concret sur la terre et le rassemblement des exilés , viendra le retour spirituel vers D.ieu et vers sa Torah.

La gueoula , la délivrance d'Israë figure donc parmi les fondements de la Torah, et ses bases s'y trouvent dès l'aube de son histoire. Par sa promesse aux patriarches et par son alliance, D.ieu s'engage à donner une terre à ceux qu'Il considère comme son premier-né et dont Il veut faire un peuple de kohanim (de prêtres).
Cette vision qui commence avec la Sortie d'Égypte, se poursuit par le don de la Torah et par la conquête de Canaan . Avec David et Salomon , se concrétise le choix de Jérusalem et la construction du Beith Hamikdash (du Temple).
Cet espoir a été entretenu constamment par les prières, par les lois et par les comportements tant dans la vie individuelle que familiale ou communautaire. Et cette espérance a entretenu la soif de la délivrance au coeur du peuple juif. Tout au long des siècles, il y eut pratiquement toujours des individus, et non des moindres, ou des groupes qui s'efforcèrent de revenir s'installer en Eretz Israël .

L'attachement à la Torah, l'attente de la délivrance et de la venue messianique ont permis aux juifs de se maintenir comme peuple et les a empêchés de sombrer dans la léthargie de la galouth. Cet attachement , cette attente et cette croyance en la promesse ont permis au peuple juif de revenir en Éretz Israël . Yom Ha'atsmaouth est considéré comme "réshith tsemi'hath gueoulaténou" , comme début de l'émergence de notre délivrance .


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