L'ATTENTAT CONTRE LA SYNAGOGUE DE LYON

Sermon prononcé par le Rabbin Kaplan en la Synagogue de Lyon

une semaine après l'attentat qui eut lieu le 10 décembre 1943 : des grenades furent jetées dans la synagogue pendant le service religieux du Shabath, et une dizaine de fidèles furent blessés. Voir à ce sujet l'article d'Alain Kahn : Des Shabatoth qu'on n'oublie pas.
Ce sermon a été reproduit dans l'ouvrage du Grand Rabbin Kaplan Les temps d'épreuve (Ed. de Minuit, 1952).

Lecture Sabbatique de Vayéchev :
17 décembre 1943
Synagogue de Lyon

Mes chers Frères,

La semaine dernière, à propos du chapitre biblique relatant le combat de Jacob avec l'ange, je m'étais proposé de vous présenter l'histoire d'Israël comme une lutte surhumaine soutenue d'âge en âge par toutes les générations qui nous ont précédés et de vous engager à faire preuve de la même fermeté. de la même constance que nos pères. Je comptais ajouter que nous aurons besoin pour cela de beaucoup de vaillance, d'héroïsme même. Je n'ai pas eu la possibilité de vous le dire ; il ne m'a pas été nécessaire de vous le dire. De vous-mêmes, lors de l'odieux attentat qui a ensanglanté notre sanctuaire, vous vous êtes montrés dignes du grand passé d'Israël. Vous avez été d'un calme exemplaire et le courage de nos chers blessés a été admirable. Pas un cri, à peine quelques plaintes.

De nos chers frères et sœurs atteints par les éclats de grenades, nous avons heureusement des nouvelles rassurantes. Il faudra certes du temps pour que leurs blessures guérissent, mais elles ne mettent pas leurs jours en danger.

Dieu en soit loué ! car en raison des circonstances dans lesquelles ce geste sacrilège et criminel a été perpétré, nous étions, en droit de craindre le pire. Dieu en soit loué, lui qui, à l'instant du plus grand danger, a étendu sur nous sa miraculeuse protection. Nous lui renouvelons aujourd'hui l'expression de notre infinie gratitude, comme nous l'avons fait, dès le lendemain, samedi dernier, en lui adressant la prière traditionnelle de Hagomel, au nom de la communauté entière.

Certains de vous ont pu voir, au premier abord, une ironie du sort dans le fait qu'à l'instant même où l'on s'attendait à saluer le Sabbat, au moment précis où nous nous tournions vers la porte et que nous prononcions lessouhaits de bienvenue en l'honneur du Sabbat, ce furent des engins de mort qui ont éclaté dans la synagogue.

A la réflexion, vous découvrirez dans cette coïncidence une intention providentielle. Les assaillants avaient soigneusement préparé leur coup, toutes les mesures prises par eux en témoignent. Ils avaient fermé la grande grille de l'entrée ; les uns avaient pénétré dans la loge du gardien, immobilisant sous la menace de leurs armes ceux qui s'y trouvaient, puis coupé les fils téléphoniques ; les autres s'étaient postés dans la cour, leur préoccupation principale était d'empêcher de donner l'alarme à l'intérieur du temple.

Représentez-vous maintenant l'homme qui s'avance avec ses grenades. Son dessein est évidemment de les jeter aux endroits où se trouve l'assistance la plus nombreuse. Il sait qu'il pourra agir tranquillement en raison de l'inattention générale, puisque personne ne peut se douter d'une menace quelconque. Il ouvre la porte. Sa surprise est extrême. Toute l'assemblée, tournée vers lui, le regarde, semble même l'attendre, ne manifestant aucune crainte (1). Ce spectacle imprévu le trouble, l'effraye même. Il ne tient pas à être vu car il ne veut pas être reconnu un jour et il n'a plus qu'une pensée : se débarrasser de ses grenades. Il les lance hâtivement, au hasard, assez près de la porte, là précisément où il y avait peu de monde.

Ainsi, il a suffi d'une minute. Une minute plus tôt, une minute plus tard, nous nous trouvions clans l'attitude habituelle de la prière, tournés vers l'arche sainte, et quelles pertes nous aurions eu à déplorer parmi nous !

Le Consistoire de Lyon s'est réuni. Il a fait les démarches qui s'imposaient et pris des dispositions en vue d'assurer la sécurité des fidèles. Nous espérons qu'avec l'aide de Dieu, ces mesures seront efficaces. Implorons Dieu à cet effet, chers frères et chères soeurs. Parmi nos prières, la plus indiquée dans la circonstance est celle de Hachkivénou que nous disons tous les soirs, et qui exprime nos angoissantes préoccupations actuelles. Prions ensemble et disons :
"Fais que nous dormions en paix, ô Eternel, notre Dieu, et que nous soyons pleins de vie à notre réveil, ô notre Roi. Etends sur nous la tente de ta paix. Améliore notre sort en nous inspirant d'heureuses résolutions. Délivre-nous en faveur de ton nom. Prends-nous sous ta protection ; éloigne de nous la persécution, la peste, la guerre, la famine, la douleur ; écarte de nous l'esprit du mal ; abrite-nous à l'ombre de tes ailes car tu es notre Dieu, notre gardien et notre sauveur, un roi clément et miséricordieux. Veille sur nos pas pour que nous allions vers la vie et vers la paix dès maintenant et à jamais. Sois béni, Eternel, qui veilles éternellement sur ton peuple Israël."

AMEN.

Note :
  1. L'officiant s'apprêtait à entonner le dernier paragraphe du chant Lekha dodi, l'accueil de la "fiancée Shabath" en se retournant vers la porte d'entrée de la synagogue en même temps que tous les fidèles, comme le prescrit la tradition. (ndlr)

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