Jacob KAPLAN
Grand Rabbin de France
1895 - 1994

Timbre émis à l'effigie de Jacob Kaplan le mardi 15 novembre 2005.
Format vertical 26 × 40 mm, dessiné et gravé par Claude Jumelet

PLAN DU DOSSIER
Nous adressons nos remerciements aux membres de la famille du Grand Rabbin Kaplan pour les documents textuels et photographiques qu'ils ont bien voulu nous communiquer.


NOTICE SUR LA VIE ET LES TRAVAUX DE JACOB KAPLAN
par Alain BESANÇON
Membre de l'Institut
Séance du mardi 3 février 1998

Jacob Kaplan en 1922
a Mulhouse
Jacob Kaplan - le nom de Kaplan a la même racine (Cappella) que Chapelain, traduction en pays chrétien de l'hébreu Cohen, c'est à dire prêtre - naquit à Paris en 1895, d'une famille pieuse, originaire de cette Lituanie qui mérita au 19ème siècle, par la science et la sûreté de sa doctrine, d'être appelée l'Athènes du judaïsme. A cette époque, le milieu juif français était largement sécularisé, assez ignorant de la religion, et la piété y était souvent rallumée par l'apport des immigrants et des rabbins formés dans les ferventes Yéshivoth, ou Académies de l'Europe centrale et orientale. Le milieu non juif était encore agité par les suites de l'Affaire Dreyfus. C'est-à-dire que coexistaient des zones de haine antisémite et des zones de bonne volonté et de sympathique curiosité. Des hommes comme Edmond Fleg, comme l'obscur abbé Frémont que Jacob Kaplan avait en haute estime, comme Péguy s'efforçaient de comprendre et de faire comprendre. C'était aussi l'époque où les travaux de Bergson, Durkheim, Lévy-Bruhl, Meyerson, Brunschwicg, Halévy, etc., montraient à l'université française de quoi les juifs étaient capables.

La vocation de Jacob Kaplan au rabbinat fut précoce. Il ne la concevait pas comme un repli sur sa seule communauté, mais aussi comme un service à rendre à toute la société française : "J'avais, dit il, l'intention de consacrer une partie de mon sacerdoce rabbinique à faire rendre justice au judaïsme par mes coreligionnaires et par les non juifs" (1). Le mot justice est ici à prendre au sens biblique et va au-delà du suum cuique romain, parce qu'elle est un attribut de Dieu, qu'elle signifie la conformité de la conduite de l'homme à son dessein et enveloppe par conséquent la notion de vérité. Il entra donc en 1908 au séminaire, fondé à Metz en 1829, et qui avait été transféré rue Vauquelin à Paris. Il suivit les cours préparatoires, dit de Talmud-Thora, puis les cours du séminaire proprement dit. La partie profane de cet enseignement devait être de bonne qualité, puisque les écrits de Jacob Kaplan sont dans un français pur, un style ferme, apte à exprimer exactement une pensée toujours claire, fortifiée par le goût de la philosophie. Il n'obtint son diplôme rabbinique qu'en 1921, et sans avoir tout à fait terminé sa scolarité, parce que, le 3 août 1914, un événement s'était produit qui jetait Jacob Kaplan dans une aventure partagée par tous les Français et par la plupart des Européens.

Jacob Kaplan partit donc comme les autres, comme simple soldat, fit toute la guerre dans le 411ème d'infanterie, connut la Champagne, connut Verdun, fut blessé, fut décoré. "J'ai retenu, écrit-il, l'inoubliable souvenir de la fraternité du front (...) au cours de laquelle la souffrance, la patience, le sacrifice, l'héroïsme étaient le pain quotidien de chacun de nous, au cours de laquelle aussi nous nous sommes vraiment éprouvés les uns les autres. La différence d'opinions, de croyances, ne comptait pas" (2). En 1915, le Grand Rabbin de France, Alfred Lévy, lui proposa une affectation à bord d'un navire hôpital en tant qu'aumônier militaire. C'eût été la fin des dangers. Mais, dit encore Jacob Kaplan avec sa sobriété coutumière, "je sentais profondément que, parce que juif, je devais rester avec mes camarades". Ce qu'il fit donc, sans leur souffler mot de la proposition qu'il avait reçue, mais non sans demander à ses parents leur permission.

Madame Fanny Kaplan
Fanny Kaplan
Le patriotisme allait de soi pour Jacob Kaplan. Dans un sermon prêché en 1935, il rappelle la réponse unanime et ardente de l'assemblée des notables réunie par Napoléon en 1806 à la question de savoir si les juifs nés en France la regardent comme leur patrie et s'ils ont l'obligation de la défendre : "Oui, jusqu'à la mort" (3). Après la guerre, il ne fut pas infidèle à ses compagnons d'armes et participa jusqu'à la seconde guerre mondiale à maintes cérémonies qui réunissaient les anciens combattants. Il fut à Douaumont. Ce patriotisme, d'ailleurs commun à presque tous les juifs d'Europe dans leur patrie respective, Jacob Kaplan veillait cependant à ce qu'il ne dégénère pas en nationalisme, c'est à dire en une idolâtrie contraire à la loi divine. Le patriotisme ne pouvait selon lui s'opposer à l'amour du prochain et en particulier à ce qui était dû aux juifs des autres nations. Dans ce même sermon, il rappelle que quatre cent mille juifs ont combattu dans les diverses armées pendant la Grande guerre, et se sont entre-tués, "faisant taire leurs sentiments de fraternité humaine, n'écoutant que l'appel de leur patrie". Le judaïsme, rappelle Jacob Kaplan qui n'était cependant pas un "pacifiste", voit dans la paix entre les hommes, la plus grande des bénédictions.

Nommé rabbin de Mulhouse en 1922, Jacob Kaplan peut enfin espérer entrer dans la vie calme, laborieuse et féconde qui avait toujours été son but. En effet, il fonde une famille. Il eut cinq enfants qu'il aima tendrement et sut élever. Sur son mariage avec Fanny Dichter, fille d'un talmudiste pieux et savant, dénoué par la mort en 1982, j'imiterai sa discrétion et ne citerai que le verset du Livre des Proverbes qu'il voulut graver sur sa tombe : "Ses enfants se lèvent pour la féliciter, son mari pour faire son éloge". Je ne sais si c'est la cause ou l'effet de ce bonheur familial, mais Jacob Kaplan donnait alors l'image d'un homme gai, et même rieur, assaisonnant sa bonté naturelle par l'humour le plus fin. D'un homme aussi qui ne transigeait pas sur le chapitre des devoirs. Dans ceux de sa charge, il sut, par exemple, persuader les industriels juifs de Mulhouse de fermer leur entreprise le jour de Kippour. Il fonda aussi un mouvement de jeunes, Chema Israël. La carrière de Jacob Kaplan se poursuivait ainsi, simple et tranquille, à Mulhouse, puis à Paris, à la synagogue de la rue Notre Dame de Nazareth, enfin à celle de la rue de la Victoire, quand se leva la plus épouvantable menace qui ait jamais pesé sur son peuple depuis les temps bibliques, le nazisme.

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