LA POÉSIE DE PAQUE
Extrait de l'Amandier fleuri, février-mars 1950

« Le temps des chants est venu ».
Cantique des Cantiques 2:12.

Pâque est le moment et la fête lyriques par excellence.

Aux motifs qu'ont les hommes de chanter, partout où à cette date de l'année, la nature commence de revêtir sa parure nouvelle, la religion ajoute ses thèmes éternels d'allégresse, de gratitude confiante envers le Créateur et d'espoir, et ces thèmes prennent un accent plus pénétrant, à l'heure où la beauté du ciel et des champs, la tiédeur des souffles vivifiants qui traversent l'air font tressaillir d'aise tous les coeurs à qui de dures contraintes, des tourments ou des deuils cruels n'interdisent pas de s'épanouir.

Le lyrisme de l'époque pascale n'est pas le privilège de la religion d'Israël ; mais nulle part, peut-être, il n'a eu plus d'occasion de se déployer qu'à Pessah. N'est-ce pas, à la fois, la fête de la nature printanière, la commémoration du printemps national d'Israël et le gage du printemps futur de l'ère messianique ? Prémices du sol nourricier que la rosée attendue va fertiliser, souvenirs de l'adolescence du peuple hébreu s'élançant du servage égyptien vers les libres espaces du désert, dans le frémissement du monde, accordailles de Dieu avec son peuple en une alliance d'amour qui sera scellée au Sinaï, évocation des antiques pèlerinages au sanctuaire de Sion et vision des pèlerinages futurs d'Israël et des nations dans le grande Pâque fraternelle de l'avenir, que de choses ont fait vibrer et feront vibrer encore le kinnor (cithare) et le nébel (harpe)des chantres d'Israël, les poètes du Temple, David, Assaf, les Korahides, et les Païtanim (poètes) de la Synagogue, Kalir, Gabirol, Juda Halévi et leurs continuateurs ! La liste serait longue de tout ce que l'exaltation joyeuse de Pessah a inspiré d'odes, d'hymnes et de cantiques.

Rappelons seulement l'essentiel de ce qui figure dans notre liturgie. C'est d'abord le Hallel, les Psaumes 113 à 118, avec l'entraînant «Min hametsar» ("Des profondeurs"), cette «Marseillaise» hébraïque, comme on l'a appelée, qui a assez heureusement inspiré, entre autres compositeurs, Fromenthal Halévy. Outre le Hallel, le rite sefardi récite le soir de Pâque, les belles actions de grâce du Psaume 107, l'hymne des «délivrés» du Seigneur, les rescapés du décret, de la prison, du désespoir, de la tempête en mer. Ses strophes se prêteraient bien à une composition pour solistes et choeurs. Au septième jour de Pâque, le Cantique de la Mer Rouge occupe la place d'honneur comme lecture de la loi, et il est psalmodié par l'officiant avec une solennité particulière. La Haftara (lecture prophétique) du dernier jour est empruntée au grandiose poème messianique d'Isaïe (10:32-12:6), peinture anticipée de le Pâque auguste des temps futurs.

Mentionnons, enfin, le Cantique des Cantiques, hagiographe dont la Synagogue a prescrit la lecture à Pâque pour des raisons qui tiennent moins au sens littéral du texte qu'à l'interprétation mystique qui a prévalu. Sans doute, les jolis versets qui décrivent la venue du printemps en Terre Sainte conviennent bien au temps pascal :

« Debout, mon amie, ma belle, et viens-t'en , car l'hiver est passé, la pluie s'en est allée. Les fleurs apparaissent sur la terre, le temps des chants est venu, la voix des tourterelles s'entend dans nos campagnes, le figuier embaume par ses jeunes pousses, et les vignes en fleur répandent leur parfum. Debout, mon amie, ma belle, et viens-t'en ».
Mais les harmonieux dialogues des amants du Cantique n'ont reçu droit de cité, d'abord dans la Bible, puis dans la liturgie de Pâque, que grâce à la méthode allégorique. On a vu dans ces versets l'épithalame même des noces spirituelles de Dieu avec le peuple choisi. Cette interprétation, qu'autorisaient d'ailleurs des métaphores chères aux prophètes bibliques, a été développée avec amour, c'est le cas de le dire, par les aggadistes, les prédicateurs anciens du judaïsme.

Les poètes synagogaux, surtout ceux de l'école de Kalir, ont versifié à l'envi ces homélies mystiques, et leurs compositions qui remplissent les « mahzorim » (rituels de prière du rite aschkenazi, sont encore récitées avec dévotion dans bien des communautés. Celles même qui ont élagué les piyoutim (poèmes liturgiques), ont conservé les émouvants «Berah dodi».

Le Cantique des Cantiques, a, bien entendu, inspiré beaucoup aussi les poètes de l'école judéo-espagnole, mais le rituel sefardi est ici plus sobre. Voici pour terminer, d'après l'édition Brody du Divan de Juda Halévi, une des nombreuses pièces composées à l'occasion de Pâque par le célèbre auteur des Sionides : c'est un reschout (introduction) à la prière de Nischmat. (Nous avons tâché d'imiter le rythme de ce court poème avec la rime commune du quatrième hémistiche de chaque strophe).

O bien-aimé, oublies-tu
Que tu dormais sur mon coeur ?
Pourquoi donc m'as-tu livrée
Pour toujours au dur servage ?

Ne t'avais-je pas suivi
Parmi des pays incultes ?
J'appelle Séir, Paran,
Sinaï, Sîn en témoignage,

Mes amours étaient pour toi,
Et moi, j'avais ta tendresse,
Ah ! pourquoi donner ma gloire
A l'étranger en partage ?

On m'a poussée en Séir,
Jetée à Kédar. Yavan
M'a mise dans son creuset,
Madaï sous son joug sauvage.

Hors toi, y a-t-il un sauveur ?
Hors moi, qui brûle d'espoir ?
O Dieu, donne-moi ta force
Et prends mon amour pour gage.

Photographies : © M . Rothé

Rabbins Judaisme alsacien Histoire
© A . S . I. J . A .