Le Rabbin Jérôme LÉVY
1889-1942
par André Neher
Extrait du Bulletin de nos communautés
(à l'occasion du dixième anniversaire de son décès)

Jerome LevyIl y a dix ans mourait à Nyons (Drôme), le rabbin Jérôme Lévy. Cette mort prématurée enlevait à l'Alsace un rabbin jeune encore, qui avait beaucoup fait et beaucoup donné tout au long de sa trop courte existence. Jérôme Lévy alliait à une foi très stricte et profonde, un esprit de tolérance et de compréhension, et à un optimisme foncier une très grande capacité de travail. Il était homme de science et d'action, et disposait, en outre, de qualités oratoires qui lui permettaient de dominer et d'entraîner l'auditoire.

Nombreux sont, en, Alsace, les élèves de ce maître dont l'activité pédagogique fut intense. Il était professeur au Talmud-Torah de Strasbourg et donnait les cours d'instruction religieuse au Lycée Kléber. Et il assurait évidemment l'enseignement dans la circonscription d'Obernai, dont il était le rabbin, après un début de carrière à Sarre-Union. J'ai l'avantage de compter parmi les rares privilégiés auxquels Jérôme Lévy trouvait le temps de se consacrer individuellement, les haussant du niveau de simple élève à celui, plus authentiquement juif de "talmid" (disciple). Pendant des années, tous les jours, j'allais "lernen" (étudier) auprès du "Rav". C'étaient les années où, nouvellement installé à Obernai, Jérôme Lévy édifiait son foyer, assisté de son admirable épouse, secondé par sa mère à laquelle il vouait un respect émouvant. Je sais que, depuis, Jérôme Lévy a eu d'autres "talmidim" (disciples) qui tous ont comme moi, conservé l'empreinte de cette éducation première et forte.

Car Jérôme Lévy savait modeler les jeunes esprits qui lui étaient confiés. Son enseignement, s'inspirait d'une technique, ou plutôt d'un art, qui le rendait extrêmement communicatif. On sentait chez le maître une joie d'enseigner qui provoquait chez l'élève la joie d'apprendre. Il y avait, dans cette pédagogie, quelque chose de poétique et de fascinant, et si l'on éprouvait souvent que telle chose enseignée était "vraie", on ressentait davantage encore qu'elle était "belle''.

Curriculum vitae du Rabbin J. Lévy (en allemand)
L'esprit de cet enseignement était bien défini. Jérôme Lévy citait fréquemment, avec respect et amour, les noms de ses propres maîtres, avec insistance surtout ceux de Hildesheimer et d'Ernest Weill. Et sa référence livresque préférée était Samson Raphaël Hirsch. Ces noms, suggèrent une tradition ouverte, une fidélité courageuse, une science qui, sans rien négliger des apports profanes, les insère cependant dans un courant sacré. Et telle était effectivement la dimension de la pensée de Jérôme Lévy. Il représentait une orthodoxie militante, sans œillères et sans obscurantisme, mais aussi sans défaillances.

Sa vaste culture générale (sa thèse de doctorat n'avait-elle pas porté sur un sujet de droit administratif ?), sa civilité parfaite, sa bonne humeur et son bon sens lui avaient assuré au delà de la sympathie de sa communauté, l'amitié et l'admiration de tous les milieux non-juifs.

Deux circonstances particulièrement tragiques lui fournirent l'occasion de montrer toute la force de sa personnalité. Ce fut la guerre d'abord : pasteur modèle, il fut le dernier à quitter sa Communauté lors de l'expulsion en juillet 1940, adoucissant le départ forcé de ses ouailles, par l'encouragement de la parole et du geste ; dans son premier lieu de refuge, à Belfort; il fut inlassablement sur la brèche pour aider les prisonniers et les réfugiés, continuant cet apostolat dans ses autres lieux de repli.

Ce fut ensuite la maladie qui vint interrompre ses activités bienfaisantes, mais qui ne réussit pasà vaincre sa foi et sa piété. A Rosh Hashana 1942, déjà brisé par le mal qui allait le terrasser quelques semaines, plus tard, il fit un effort surhumain pour sonner le Shofar à la synagogue comme il l'avait fait chaque année. Et deux jours avant sa mort, déjà à demi-inconscient, il demandait encore à sa femme de l'aider à mettre les tephillîn ; il avait achevé quelques jours auparavant, l'étude du Traité talmudique de Shabath, étude poursuivie régulièrement malgré ses souffrances physiques.

Jérôme Lévy est entré dans le Shabath éternel le 13 Kislev 5703. Il repose, selon son désir, dans le vieux cimetière juif de Carpentras, et sa tombe porte le Shofar symbolique de ceux qui, donnant son. vrai sens à la mitsva de Baal-Tôqé'a, ont lancé un appel dont l'écho se prolonge bien au delà de leur existence. En notre époque de reconstructions religieuse et morale du, judaïsme d'Alsace, l'influence de Jérôme Lévy aurait pu être décisive, et notre génération ressent d'autant plus douloureusement le vide créé par sa disparition.

André Neher.      

 

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