PENTECÔTE
Allocution du Rabbin René Hirschler à l'occasion de la fête de Shavouoth
5680 - 1930

Mes chers frères, mes chères sœurs,

Un de nos docteurs demande quelque part : Que reste-t-il donc à Israël, qui lui appartienne encore ?
Tout ce que la Providence lui avait donné de précieux, ne lui a-t-il pas été arraché ? Que lui reste-t-il encore ?

Et la réponse s'impose : Il lui reste son Séfer Torah ! Il lui reste sa Loi !

Si la Thorah, lui avait été arrachée, Israël se serait perdu parmi les peuples !

On comprend alors, mes frères et mes sœurs, cette fête joyeuse de Chevonoss, anniversaire du don de notre Torah ! On comprend tout ce qu'il y a d'émotion, de ferveur et de respect dans cet te expression : le don ce notre Torah !

Car ce n'est pas seulement aujourd'hui, une date inoubliable que nous célébrons !

Lorsqu'un enfant, chaque année, vient souhaiter à sa mère, un heureux anniversaire, à quoi songe-t-il donc ?
N'est-ce pas que d'abord il lui est reconnaissant qu'elle soit née pour lui, qu'elle soit là devant lui, qu'il peut entendre sa, voix, savourer ses caresses, qu'il peut cacher sa tête dans le sein qui l'a nourri ?

Rouleaux de la Torah dans l'arche sainte de la synagogue de Saverne - © M. Rothé
Ainsi, Israël se retrouve devant sa Torah, au jour de Chevonoss, comme devant une mère, sa mère. C'est une sorte de fête de famille autour d'un être qui nous est cher et qui est là ! autour de notre Torah.

Mon but n'est pas aujourd‘hui de vous montrer la valeur de cette Torah, en elle-même, mais seulement par rapport à nous, son peuple ! Je veux vous dire de quelle vénération, de quel respect, les générations d'Israël l'entouraient pieusement. Je veux vous faire entendre les leçons de nos aïeux et de leur bouche, je veux faire sortir un appel vers vous, pour plus de respect et plus de vénération, à son égard.

Écoutez, mes frères, les remontrances de vos pères, ne délaissez pas les instructions de vos aïeux !

Notre peuple, mes frères et mes sœurs, a gardé assez de ses vertus ancestrales, pour qu'il soit permis, du haut la chaire, de ne pas lui taire sa vérité.

Mes frères mes sœurs,

De quel respect et de quelle vénération nos pères entouraient la Torah ! Mais il suffit, pour le comprendre, d'écouter un instant ces merveilleuses légendes dont ils ont paré sa naissance. Légendes qui proclament les sentiments divers et profonds qu'elle suscitait en eux ! Légendes qui créent autour d'elle une atmosphère grandiose et familière.

Ici, c'est Dieu Qui va proposer sa loi aux peuples de la terre. Mais sa morale trop élevée, n'est pas compatible avec leurs mœurs déréglées. Israël seul l'accepte, dans un cri sublime et aveugle : "Nous l'accomplirons !" jurent-ils, avant même de l'avoir entendue

Là, ce sont les anges qui disputent aux hommes, la possession de la Torah et Moïse qui l'emporte de haute lutte !

Ailleurs, c'est le silence imposant de la nature avant la promulgation de la Loi : "les oiseaux ne volaient pas, aucune aile ne battait ; les bœufs ne mugissaient pas, les anges restaient silencieux; les Séraphins eux-mêmes, ne chantaient pas la triple sainteté de Dieu ; la mer n'était plus agitée : l'univers entier se taisait et attendait".

Ce sont encore les paroles divines qui se font entendre en 70 langues pour les 70 peuples de la terre ! qui se mettent à la portée de l'intelligence de chacun : uniques dans leur cause, multiples dans leur essor, comme les étincelles qui s'échappent sous le marteau du forgeron !

Et tant d'autres légendes dont l'imagination ne se lasse et qui, sous leur apparence merveilleuse, laissent voir d'authentiques émotions !

Et puis ce sont les mille pensées de nos rabbins qui font de la Torah, une chose unique et parfaite. Les soins méticuleux qu'ils prennent d'elle, les lois qui règlent chacun de nos gestes à son égard, oui régissent notre tenue en tout lieu où s'en trouve un exemplaire, dans les maisons d'étude, comme dans les synagogues. Dans les synagogues aussi, mes frères et mes sœurs ! Et c'est là qu'il est de mon de voir le plus strict d'insister !

Sans doute, la Synagogue est la maison de Prière, et par ce fait, déjà, elle exige de nous une tenue parfaite. Mais surtout mes frères, la Synagogue est la maison de Dieu, parce que là plutôt qu'ailleurs Sa présence se .manifeste. C'est Sa parole qui se trouve là, dans les rouleaux sacrés de la Torah, C'est Dieu lui-même, là, qui réside sous leurs manteaux !

Ainsi, dans cette enceinte, chacun de nos gestes doit être pesé, étudié. Écoutez plutôt mes frères et mes sœurs ce que dit notre code religieux, le Schulhan Aroukh, au chapitre intitulé
De la sainteté de la Synaogue :
"Dans la maison de Dieu, on n'entre pas la tête légère, ni la tête haute !
Il ne faut pas bavarder ni rire !
Il ne faut pas se promener, entrer et sortir, se déranger sans raison. Il ne faut pas faire des comptes, ni parler de toilettes ou autres sujets profanes !"

Mes frères mes sœurs, je n'ai fait ici que traduire un code de bon sens et de décence. Il date du 16ème siècle ! Sans doute, toutes ces instructions peuvent-elles nous paraître naturelles, élémentaires ! - mais, je vous le demande, en vérité, n'est-il pas bon de les rappeler une fois encore ? Ne croyez-vous pas que 1'auteur s'adresse à nous, par-dessus les siècles passés ?

Mais il y a plus, et ceci est assez curieux pour que je ne résiste pas eu désir de vous le faire entendre? C'est un rabbin du 15ème siècle qui parle, Salomon Alachius : il reproche à ses fidèles le désordre qui règne dans les synagogues et il leur dit :
"Voyez un peu les temples des non-juifs. Hommes et femmes s'y réunissent et s'y tiennent tous ensemble comme s'ils étaient muets. Imitez leur recueillement !"

Mes chers frères et mes chères sœurs,

J'ai voulu jusqu'ici vous montrer de quel respect nos ancêtres entouraient la Torah, le vous ai dit aussi comment nos rabbins les rappelaient à leur devoir lorsqu'il leur arrivait de faillir. Et maintenant je veux m'adresser directement à vous de mon cœur à votre cœur, de ma raison à votre raison.

Et pour reprendre à peu près la pensée du rabbin du 15ème siècle que je viens de citer, je veux vous poser une question :
Vous est-:il déjà arrivé d'entrer dans une église ? vous est-il déjà arrivé d'entrer dans un musée ? Ici ou là, vous n'aurez manqué de chuchoter si le besoin vous venait de parler, vous aurez marché en sorte de ne pas faire trop de bruit. Ici ou là, vous avez manifesté des égards pour des objets d'un culte qui n'était pas le vôtre, pour des chefs-d'œuvre sortis de la main des hommes ! Vous avez respecté ceux qui ne pensaient pas comme vous, vous avez respecté quelque chose de divin dans leur adoration, ou vous avez respecté os qui fait la joie et le bonheur de tant de gens !
Et vous avez eu raison ! vous n'avez pas fait p1us que votre devoir !

Mais alors, je vous le demande maintenant, n'est-il ras juste de votre part de respecter chez vous ce que vous respectez ailleurs ? Ce que les autres respectent chez vous, eux-mêmes.

Et même, oublions un instant que cette maison est la nôtre. Au fond de la synagogue, là, se trouvent des exemplaires d'un livre sacré. Lorsque nous pénétrons dans cette enceinte, c'est là que naturellement se portent nos yeux.

Eh bien ! songez seulement que ces livres ont accompagné des hommes dans leurs misères, que ces livres ont donné courage et espoir à tout un peuple, dans des circonstances tragiques telles qu'aucun peuple n'en a jamais connues ! Songez que ces livres sont à la base du monde moderne, de la civilisation d'une moitié de l'humanité ! Songez que des hommes sans nombre, de toute race, de toute origine, de toute foi, se réclament d'eux, en connaissent des passages entiers par cœur. Songez enfin que ces livres sont divins, autant par leur origine que par leurs effets ! Hommes, pouvez-vous alors, ne pas vous sentir bien petits devant eux ?

Et vous, mes frères et mes sœurs, vous enfants d'Israël, songez que cette Torah que d'autres admirent et vénèrent c'est d'abord notre Torah ! Songez que ce peuple qui a souffert pour elle, c'est votre peuple ! Songez que tout ce que nous sommes vient d'elle : notre façon de penser et de sentir, nos manières, nos gestes, nos sympathies et nos antipathies, tout ce qui fait notre conscience, tout ce qui fait notre vie de chaque jour, Songez que nous sommes son bien, comme elle est le nôtre et alors vous en saisirez l'émouvante sainteté et devant elle vous serez, à proprement parier, comme des enfants devant une mère.

Vous comprendrez la parole du sage : "celui qui respecte la Torah, respecte les créatures'', parce que vous vous respectez vous-mêmes déjà.

Mes chers frères et mes chères sœurs,

Avant de terminer, je veux vous conter encore un Midrasch :
éni soit-Il donna la Torah au peuple d'Israël, un phénomène impressionnant se produisit. Le Saint béni soit-Il parlait et sa voix prenait son essor et couvrait le monde. Israël entendait la voix, elle lui semblait venir du sud et le peuple se mit à courir vers le sud, pour recevoir la voix. Et l'impression changea, elle lui parut venir du nord, de l'est et de l'ouest, et Israël courait toujours d'un côté puis de l'autre. Et ce fut du ciel, et Israël dressa ses yeux vers le ciel ; ce fut.de la terre et Israël ne comprenait plus d'où venait la voix. Et soudain il sut que la voix résonnait dans son cœur, tant, son cœur était bouleversé de joie et de crainte,

Ainsi de nous, mes frères et mes sœurs, écoutons la voix qui vient du passé et qui nous invite à aimer et a respecter notre Torah ! Écoutons la voix de l'avenir qui nous réclame notre Torah,
et son idéal ! Écoutons la voix de la Société, qui exige que le judaïsme demeure par sa Torah ! Écoutons la voix de Dieu qui nous l'a donnée en pareil jour, il y a quarante siècles,

Mais surtout mes frères, écoutons la voix de notre cœur, sensible entre tous, conservons-la cette Torah qui nous a conservés, et d'abord respectons-la,

Pères et mères d'Israël apprenez à vos enfants à la respecter et ils vous respecteront vous-mêmes. Apprenez a vos enfants à se tenir convenablement devant elle, dans nos synagogues. Et on leur apprendra que c'est dans ce livre que vous -puisez votre autorité

"Honore ton père et ta mère, afin que tes jours se prolongent sur la terre". Ils vous comprendront et vous seront soumis. Mais d'abord, il faut leur donner l'exemple ! Et vous serez bénis dans vos enfants, comme ils seront bénis eux-mêmes dans leurs parents.

Puisse Dieu nous accorder de le comprendre !

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